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Full text of "Les Arts; revue mensuelle des musées, collections, expositions"

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LES ARTS 



Revue Mensuelle des Musées, Collections 

Expositions 



QUATRIÈME ANNÉE - 1905 







i*^®^lji 



PARIS 

GOUPIL & C 



EDITEURS-IMPRIMEURS 



MANZI, JOYANT & C% Editeurs-Imprimeurs, Successeurs 

34, BOULKVARD DES CAPUCINES. 34 



LES ARTS 



N" 37 



PARIS — LONDRES — BERLIN — NEW-YORK 



Janvier 1905 




Cliché Uiaun. Clément j" Ci#. 



REMBRANDT VAN RYN. — portrait uk ci.aks berchem 
(Collection du duc Je Wcstmiiisieri 




Cliché lîraiin. Clémcnl y de. 



CLAUDE GELLÉE, dit CLAUDE LORRAIN. — i.'aboration nu veau doh 

(Collection du duc de Westminster} 



LA COLLECTION DU DUC DE WESTMINSTER 



A GROSVENOR HOUSE 




NK ancienne collection de tableaux, comme 
une ville ancienne, présente sa physionomie 
— une physionomie complexe. De même 
qu'un visage humain est un document sur 
lequel est tracée l'histoire des vicissitudes 
qu'ont traversées des générations d'an- 
cêtres inconnus, une importante collection 
est une anthologie des sentiments esthé- 
tiques ou prétendus tels, des préférences et des goûts de ses 
propriétaires successifs. Comme un être humain aussi, une 
pareille collection a ses qualités dominantes, ses vertus et ses 
défauts. En outre, si certaines collections sont, si l'on peut ainsi 
parler, des Pic de la Mirandole et excellent en tout, d'autres 
ont, en même temps que des faiblesses, des mérites très pro- 
noncés. C'est à cette seconde catégorie qu'appartient la collec- 
tion du duc de Westminster. De grandes écoles et de grandes 
périodes d'art n'y sont pas représentées par un seul chef- 
d'œuvre. On ne trouve, à Grosvenor House, aucune toile 
importante des écoles italiennes des xv^ et xvi" siècles, aucun 
exemple des paysagistes français du xix*^ siècle, aucun de 
l'école de Norwich ni des périodes comprenant la grande 
époque de l'art continental des préraphaélites anglais. Deux 
époques de l'art y sont seules représentées par des œuvres de 
premier ordre. Mais, heureusement, ces deux périodes sont 
l'une, la plus grande de l'art continental, l'autre comme la 
plus grande de l'art anglais. La première va de 1600 à 1660; 
c'est celle de Rembrandt et de Velasquez, celle de Rubens et 
de Van Dyck, celle des Poussin et de Claude. La seconde 
s'étend de 1770 à 1790; c'est celle de Reynolds, de Gains- 
borough, de Romney. 



On trouve, à Grosvenor House, des (tuvres de toutes les 
époques principales de Rubens. Dans Patisias et Glyccrc, 
nous avons un tableau de sa première manière, une œuvre à 
laquelle a probablement collaboré Breughel. Elle représente 
le peintre lui-même en amoureux, et elle a un air de famille 
avec le portrait de Rubens et d'Isabelle Brant, qui esta 
Munich fn» io5o). Les fleurs jaillissent devant l'artiste et sa 
fiancée. Glycère tient une guirlande de Heurs à la main. C'est 
un tableau printanier, peint au printemps de la vie du 
maitre. 

A la première partie de la période moyenne de Rubens 
appartient Agar renvoyée par Abraham et Sarah, tableau 
qui ressemble beaucoup à une toile représentant le même 
sujet, qui se trouve au musée de l'Ermitage, à Saint-Péters- 
bourg. Dans ce tableau, comme dans d'autres de la même 
catégorie, Rubens nous apparaît comme un des chefs d'une 
nouvelle renaissance, d'un mouvement qui atteignit;! sa plus 
parfaite expression dans les œnivres religieuses de Rembrandt. 
De même que Giotto, trois siècles auparavant, avait osé 
rompre avec les conventions artistiques et peindre une mère 
et un enfant au lieu d'un simple symbole, de même aussi les 
grands maîtres du xvu= siècle ont osé donner à des scènes 
de l'histoire religieuse un caractère humain et émouvant. 
Rubens, comme il l'a dit lui-même, a voulu choisir « un 
sujet qui ne fût ni sacré ni profane », et il a exprimé des sen- 
timents humains, parce que c'est à des sentiments humains 
qu'il faisait appel. « Je l'ai peint sur bois, ajouta-t-il, parce 
' que les petits tableaux réussissent mieux sur un panneau que 
sur la toile (1). » 

(0 M/ïX RooSES. — Rubens, Paris st Amsterdam, igoS, p. 276-277. 



LA COLLECTION DU DUC DE WESTMINSTER 



Enfin, on trouve, dans cette collection, trois des tableaux 
peints d'après les dessins f)riginaux faits pour une série de 
tapisseries commande'cs, en 1625, par l'archiduchesse 
Isabelle, pour un couvent de Madrid. Ce sont : Abraham 
offrant le pain et le vin à Melchissédec, les Israélites recueil- 
lant la manne dans le désert et les Quatre Évangélistes. Un 
quatrième tableau, appartenant à cette même série, les Pères 
de l'Église, est à Eaton Hall, le château du duc de 
Westminster, près de Chester. Ces tableaux, exécutés par 



les élèves de Rubcns, ont été retouchés par le maître. Dans 
ces œuvres, la puissante virilité de Rubens tourne à l'expres- 
sion animale. Les Israélites recueillant la manne est une 
toile qui nous présente un débordement de chairs rou- 
geâtres pareil à celui qu'offre l'étal d'un boucher de Smiih- 
ficld aux approches de Noël. Et ce n'est que de la chair, de 
la chair sans os. Les héros de Rubens, d'ailleurs, n'ont ni 
âme ni charpente. En revanche, ils ont plus que leur part 
de chair. Ces immenses compositions sont grossières, vul- 




■nu y t. 



CLAUDE GKLLEE, i>it CLAUDE LOlt 
(CoUectinn du 

gaires, bruyantes et magnifiques. Elles sont l'œuvre d'un 
barbare de génie, passé maître dans la technique de la pein- 
ture à l'huile, qui sut comnuiniquer à ses élèves, aussi long- 
temps que ceux-ci restaient avec lui, quelque chose de sa 
merveilleuse maîtrise dans l'emploi des matériaux du peintre. 
Comme contraste étrange avec ces œuvres, on voit, dans 
la galerie voisine, le Portrait de don Baltasar Carlos. Au 
lieu de barbares peints par des barbares, voici le portrait 
d'un gentilhomme peint par un gentilhomme. Un critique 
aussi autorisé que M. de Beruete attribue ce portrait à 



HAIN. — l'.VVS.VliK AVKO. 1.E KKI-OS KS KdYPTB 

dm- de Westminster) 



Mazo, tout en reconnaissant ses belles qualités. Je n'en 
reste pas moins convaincu que les principaux personnages 
de ce tableau sont de Velasquez lui-même. Non seulement 
ils ont toutes les particularités de style du maître, — parti- 
cularités qui. je l'accorde, peuvent, dans une certaine me- 
sure, être imitées. — mais ils ont aussi ce qui est inimitable: 
la qualité du grand maître. Le fond et certains des person- 
nages secondaires sont évidemment l'œuvre d'un élève ei 
peuvent être de Mazo. 

Un autre des géants de l'art du svi' siècle. Rembrandt. 



est mieux repre'senté que Velasqucz. On ne compte pas 
moins, sur les muis de Grosvenor House, de six toiles 
pouvant lui être attribuées, mais trois seulement sont incon- 
testablement de sa main. De ces dernières, la plus belle est 
la Salutation, peinte en 1640, l'année où naquit la seconde 
Cornélia de Rembrandt, l'année qui précéda celle où 
Titus vit le jour. L'artiste v a déployé sa merveilleuse 
faculté de concevoir et d'exprimer d'une façon nouvelle et 
originale un sujet biblique. Ouelle sincérité de sentiment! 



Comme l'artiste sait nous faire partager les craintes de la 
mère, les inquiétudes du père, qui, avec une lente, pénible 
et sénile hâte, descend les marches, la main appuyée sur 
l'épaule d'un enfant! Avec quelle habileté Rembrandt a su 
rendre la douceur, le calme, la modeste confiance de Marie! 
Kt que cette saine jeune femme diffère de la mélancolique, 
lymphatique et sentimentale madone de ce décadent typi- 
que, Sandro Boiticelli ! 

Non moins caractéristiques sont les portraits présumés 




Clittie lii-autt. tli^ment ^ Lie. 



A. VAN UVCK. — I-OUTH.VIT DE 

(ColUctiim du duc 



de Claes Berchem et de sa femme. Dans ces tableaux la 
technique est en harmonie avec la nature du sujet. Le por- 
trait de la temme nous montre une honnête et simple 
ménagère bourgeoise. Il est exécuté avec le soin et le fini les 
plus extrêmes dont Rembrandt soit capable. Le portrait de 
reTr/""i P'"^'■,f 'demen., est d'un faire moins serré. 

^/h.n. "P '^■'"'"'' P°''"'^''^ '^' Rembrandt. Knire 
le chapeau no.r a larges ailes et le col blanc, il v a une phy- 
s.onom.e sur laquelle de fortes et profondes émotions ont 



V.VN UÏCK, DIT AU TOUHXESOL 

de Westminster) 

laissé des traces. Comme tous les tableaux de Rembrandt, 
il respire la vie. Dans le nombre infini des traits et des tons, 
Rembrandt choisissait ceux-là seuls qui pouvaient lui servir 
à traduire une impression, non pas seulement de l'homme 
extérieur, mais de l'âme, de l'intelligence, de la personna- 
lité tout entière du modèle. 

La peinture française de cette époque est bien repré- 
sentée à Grosvenor House, où se trouvent des œuvres attri- 
buées à Claude Lorrain et quelques tableaux qui portent les 




Clichi Brou», Clémenl jf Cit. 



D. VELASQUE^. — portrait de baltasar carlos 
(Collection du duc de Wesiminster) 



LES ARTS 



noms de Gaspard et de Nicolas Poussin. Parmi les Claude 
sont r Adoration du Veau d'or (iv i3), Grandeur de l'Em- 
pire romain (n" i5). Décadence de l'Empire romain (n" 63), 
Danse villageoise (n" lôj, et deux beaux paysages de rannée 
i65i, qui avaient fait partie de la collection Blondcl de 
Gagny. Ce sont bien des œuvres du maître par excellence du 
paysage classique, de l'artisic qui, le premier, a su repré- 
senter un coucher de soleil. En matière d'art, il n'y a pas de 
géne'ration spontanée, et Claude lui-même devait beaucoup 
à ses prédécesseurs immédiats dans l'an du paysage : Anni- 
bal Carrache et le Dominiquin. On trouve, dans cette col- 
lection, la preuve directe de ce que Claude devait à ce 
dernier, car un beau paysage de Zampieri orne le salon 
d'attente de Grosvenor House. Claude est néanmoins un 
des artistes qui ont le plus créé. Il n'a pas seulement fait 
vivre quelques types; comme Simon Martini et Michel- 
Ange, il a inventé tout un monde à lui, un monde oij il n'y 
a ni douleur ni besoin, ni labeur ni orage. Le soleil y luit 
dans un ciel serein. Une atmosphère douce inonde le 
paysage. Sur les bords de larges et calmes cours d'eau s'élè- 
vent des temples de marbre. D'heureux bergers, sous les 
ramures, y chantent 
, leurs amours, et des 
paysans dansent sur 
le gazon vert. Ce 
monde idéal, l'art ma- 
gique de Claude sait 
lui donner la réalité. 
Nous sommes trans- 
portés loin du ciel 
gris de Londres, cette 
ville de brouillard et 
de boue; nous ou- 
blions la splendeur et 
le confort d'un palais 
ducal anglais ; nous 
sommes, aux côtés 
d'Amaryllis, à l'ombre 
des rameaux d'un des 
arbres du paradis lu- 
mineux de Claude. 

Tous les tableaux 
du maitre qui sont à 
Grosvenor House 
appartiennent à la tin 
de sa seconde période 
et ont été peints entre 
i65o et 1660. L'Ado- 
ration du Veau d'or 
est le plus connu de 
tous, mais il ne nous 
plaît pas autant que 
les deux paysages 
peints en i65i. 

Il y a, dans la col- 
lection de Grosvenor 
House, au moinsdeux 
autres tableaux im- 
portants de cette 
époque : un Paysage 
avec bestiaux (Ferme 
à la Haye), de Paul 
Potter, et l'Enfant 
Jésus endormi, de 
Murillo. Le pavsage 
de Potter fut 'peint 
pour le protecteur de 




Cliché «roun, C'.émnil ^ Cie. 



REMBRANDT VAN RYN. 
ICoUection du duc 



cet artiste, M. Van Slingelandt, de Dort, en 1647, et est un 
de ses meilleurs ouvrages. L'Enfant Jésus endormi, de 
Murillo, a été l'objet d'une longue controverse, depuis que 
le professeur Veniuri l'a attribué au Corrège. Il n'est pas 
possible de discuter ici les arguments pour et contre cette 
attribution. Rien de ce qu'a assuré le savant professeur n'a 
pu ébranler notre conviction que l'attribution tradition- 
nelle de ce tableau à Murillo est exacte. Les « particularités 
de style » de cette ituvre, relevées par le professeur Venturi, 
se retrouvent dans d'autres peintures de Murillo tout autant 
que dans certaines œuvres du Corrège; quant aux gros poi- 
gnets et aux chevilles épaisses de l'enfant et au raccourci 
manqué du bras droit, ils sont très caractéristiques du peintre 
espagnol. Mais il est inutile de recourir à des détails anato- 
miques en discutant cette question : l'ensemble du tableau 
dénote, au premier coup d'œil, une origine espagnole. A sa 
tonalité, à sa technique un peu lâchée, de même qu'à certains 
détails, tels que la draperie rouge à gauche de la composition, 
on reconnaît une a*uvre de Murillo ou de son école. 

Grosvenor House renferme trois chefs-d'œuvre des grands 

maîtres anglais du 
xviii<= siècle. Ce 
sont : la Porte de la 
chaumière 1772; et 
l'Infant bleu, de 
Gainsborough, et 
Mrs. Siddons, de Sir 
.loshua Reynolds. La 
Porte de la chaumière 
est un des meilleurs 
paysages d'un grand 
artiste, qui se con- 
sidérait lui-même 
comme étant essen- 
tiellement un paysa- 
giste. Le public, sur 
ce point, n'était pas 
d'accord avec Gains- 
borough ; mais sa 
conviction n'en resta 
pas moins ferme. 
<i On ne veut pas les 
acheter, vous savez, 
disait-il à lord Lans- 
downe, peu de temps 
avant sa mort, en 
montrant quelques- 
uns de ses paysages. 
Je suis un paysagiste 
et on me demande des 
portraits. Regardez ce 
satané bras; j'y ai tra- 
vaillé toute la matinée 
et je ne puis parvenir 
à le redresser. » Le 
paysage de Gainsbo- 
rough est essentielle- 
ment anglais. Il est 
peint dans une gamme 
sombre et calme, et 
plein de grâce dans 
l'ensemble. Le feuil- 
lage est traité large- 
ment, les masses sont 
bien agencées; et par- 
dessus tout, là com me 

— l'onxiiAiT DU l'ahtiste 
de Westminster) 



LA COLLECTION DU DUC DE WESTMINSTER 




ClicM Bran», CUmtnl y Cir, 



REMBRANDT VAN RYN. - i.a salutation 
(Collection du duc de Westminster) 




REMBRANDT VAN RYN. _ lhommk au kaucon 
(Collection du duc de Westminster) 



LA COLLECTION DU DUC DE WESTMINSTER 




r.lich,- lîntiw. CU'.tmit y Ci: 



REMBRANDT VAN RYN. — la femmk a l'kventail 

(Collection du duc de Westminster) 



LES ARTS 



dans toutes les œuvres de Gainsborough, les qualités tech- 
niques sont incomparables. Comme paysagiste, Gainsborough 
a subi l'influence de Rubens, bien qu'il doive quelque chose a 
Salvator Rosa et à Claude. C'est grâce à Rubens qu'il s'est 
émancipé de la technique guindée des paysagistes hollandais. 
Dans ses dernières années, sa manière, comme paysagiste, 
tend à devenir lâchée et sans précision. Il sacrifie de plus en 
plus les détails afin de transcrire ses impressions alors qu'elles 
sont encore vives et nettes. Cependant, la Porte de la chau- 
mière appartient à sa meilleure époque, à l'époque où il 



s'était affranchi de l'influence hollandaise et où il n'avait pas 
encore acquis la manière hâtive et superficielle de sa dernière 

période. 

Un plus fameux spécimen encore de Gainsborough, qui 
figure dans cctie collection, est l'Enfant bleu, le portrait du 
jeune Jonathan Buttall, fils d'un riche marchand de fer de 
Soho. D'après une vieille tradition, ce portrait aurait été 
peint en 1779, dans le but de réfuter une opinion exprimée 
par le grand rival de Gainsborough, Reynolds, dans son 
huitième Discours, lu en décembre 1778 aux élèves de l'Aca- 




CUehi; RroK». Cléwe.it ^ Cie. PAtJL POTTER — 

(CoLUclioii du duc 

demie royale. « Il faut, à mon avis, disait Sir Joshua, avoir 
présente à l'esprit cette règle invariable que les masses de 
lumière d'un tableau doivent toujours êirc d'un ton chaud et 
fondu, jaune, rouge ou blanc jaunâtre, et que le bleu, le 
gris et le vert doivent être exclus presque entièrement de ces 
masses et ne servir qu'à soutenir et à faire ressortir les tons 
chauds; pour cet objet, une très petite quantité de teintes 
froides suffit. Renversez cet ordre de choses... et il sera 
irnpossible à l'art, même par les mains de Rubens ou du 
Titien, de faire un tableau grandiose et harmonieux. . 

Cependant SirWalterArmstrong et d'autres critiques mo- 
dernes, qui ont étudié Gainsborough, estiment que ce tableau 



■ l'EHMl! A LA HAYE 

de Westminster} 

a été peint, non en 1779, mais en 1770, et que l'Enfant bleu a. 
motivé l'opinion de Sir .loshua Reynolds, au lieu d'avoir été 
peint pour la réfuter. Ce tableau est loin d'être le seul 
dans lequel Gainsborough a montré une préférence pour 
le bleu. Le même ton domine dans son Master Edward 
Gardiner, exécuté vers 1767, dans son Honorable Edivard 
Bouverie, dans son Lord Archibald Hamilton, dans son 
Honorable Anne Duncombe et dans sa Lady Sheffield. 
E Enfant bleu est un triomphe de maîtrise et de dextérité; 
mais cela n'en constitue pas le charme principal; il est encore 
une étude de caractère presque aussi pénétrante et profonde 
qu'un portrait de Rembrandt ou de Durer. Cet enfant intelli- 





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(.'JiWa- /îrduii. Clément jf Cic. 



TH. GAINSBOROUGH. — the blcf. boy 
( Colleclion du duc de Westminster) 



gcnt et gracieux a une physionomie pleine d'Imniour et de 
curiosité — d'un humour qui n'exclut pas le sérieux, et d'une 
curiosité qui, n'étant ni vulgaire, ni timide, est une des qua- 
lités essentielles d'un esprit jeune et sain. 

La troisième des grandes œuvres de l'école anglaise que 
renferme Grosvenor House est le portrait de Mrs. Siddons 
eiimuse tragique, par Sir Joshua Reynolds, peint en 1784, à 
l'époque où l'actrice était dans sa vingt-huitième année. Elle 
est représentée assise sur une espèce de trône, au milieu 
d'une nuée. Le Remords et la Pitié se tiennent derrière elle. 
Ce tableau est conçu dans une gamme de couleurs fort 
simple, 011 dominent le brun et le jaune. Le dessin et la com- 
position dénotent incontestablement l'influence de Michel- 
Ange. Au point de vue artistique, la Mrs. Siddons de Sir 
Joshua procède directement des prophètes et des sibylles de 




la chapelle Sixiine. En outre, comme le dit Sir Waltcr 
Armstrong, ce tableau « est la seule œuvre importante et 
entièrement réussie de Sir .loshua Reynolds où il ait appli- 
qué littéralement ses théories sur le grand style ». Dans 
son quatrième Discours, il avait dit à ses élèves comment ils 
pourraient donner à leurs œuvres « un air de grandeur ». 
« Il faut éviter tout effet de lumière insignifiant ou artiticiel 
et tout excès de variété de tons; le calme et la simplicité 
doivent régner dans l'œuvre tout entière, et Ton y arrive en 
grande partie par un coloris large, uniforme et simple. » Cet 
enseignement, Reynolds, d'ordinaire, ne le mettait pas en 
pratique. Mais, dans sa Mrs. Sidduns, le maître unit, au 
moins une fois, le précepte à l'exemple, et le résultat 
démontre qu'une peinture de grand style peut être exé- 
cutée d'après sa formule par un artiste de génie. 



Des paysages 
de Claude, des 
portraits de Rem- 
brandt et de Vc- 
lasquez, de Gains- 
borough et de 
Reynolds, voilà 
les œuvres qui 
donnent à la col- 
lection de Gros- 
venor House son 
caractère particu- 
lier. De toutes ces 
œ'uvres, il n'en est 
pas qui aient pour 
nousplusd'attrait 
que les tableaux de 
Claude. Comme 
dans les œuvres 
des peintres de l'é- 
cole d'Ombrie. le 
ciely estinfini; en 
les contemplant, 
il semble qu'on 
échappe à la vul- 
garité, à la cohue, 
à la laideur de la 
vie urbaine mo- 
derne. A ceux qui 
prétendent que ce 
ciel est irréel et 
éphémère, nous 
répondrons qu'il 
est aussi réel et 
durable que n'im- 
porte laquelle des 
Arcadies con- 
nues. Et ceux là 
seuls qui n'ont 
pas conscience de 
l'horreur de la 
Réalitépourraient 
avoir lacruauté de 
priver la pauvre 
humanité de ses 
rêves, de ses con- 
solations et de ses 
illusions. 

LANIITOS-DUCIIIAS. 



Clémetil y Cie. 



P.-P. RUIiENS. — LES QUATUE lîVANfil'jLISTIiS 

(Collection du duc de Westminster) 




Clkhi Ihmm, Clcmeiil H Cit. 



JOSHUA REYNOLDS. - portrait de mrs. siddons 
(Collection du duc de Wesimiiister/ 



TRIBUNE DES ARTS 

Sur les Primitifs français 

Dans le débat qui s'ouvre dans cette Revue sur les Primitifs traiivais, la Direction entend conserver une entière impartialité, et 
n'intervenir que pour le modérer et le contenir dans des formes courtoises: Si elle l'a ajourné, ce fut pour éviter qu'il perdit son caractère 
impersonnel et scientifique. On peut croire qu'à présent la violence des contradictions s'est atténuée, et comme les communications qui nous 
arrivent de tous cotés nous prouvent à quel point nos abonnés s'intéressent à ces problèmes, nous ne croyons pas devoir retarder plus 
longtemps une polémique qu'a rendue plus nécessaire encore l'article de M. Jean Guiffrcy .sur le Retable du Parlement de Paris, paru 
dans le numéro 35 des Arts. Nous insérons donc, en laissant à l'auteur la responsabilité entière de ses assertions historiques et artis- 
tiques, la lettre suivante qui a au moins l'intérêt de porter de nouveau l'attention sur rattribution à Van Eyck de la Vierge au Donateur du 
Musée du Louvre. Nous n'ignorons pas que cette question fut déjà débattue, mais par des arguments différents. Nous sommes obliges 
d'ajourner au prochain numéro d'autres communications non moins intéressantes et plus générales. Mais on ne perdra rien pour attendre. 

Nous tenons à le répéter : chacun est ici pour son compte. Toutes les communications que nous accueillons, qu'elles soient signées ou que 
leurs auteurs aient gardé l'anonymat devant le public, émanent de personnalités qui, par leurs études, ont acquis ou cru acquérir une compé- 
tence en ces matières fort nouvelles et sur qui bien des rêveries demeurent possibles. 

N. D. L. R. 



L'Auteur et les Personnages 

DU TABLEAU DÉNOMMÉ 

Le Retable du Parlement 

Lors de la dernière exposition, à Paris, des 
Primitifs français, pendant les mois d'été de 
l'année 1904, on a beaucoup remarqué un 
retable, qui, depuis lors, a été revendiqué par 
le Musée du Louvre et est entré récemment 
dans ce Musée. 

Les Arts ont publié , dans leur numéro 35, 
une reproduction de ce retable qui a été 
baptisé : Retable du Parlement de Paris. 

A propos de cette œuvre, on a beaucoup 
discuté : d'abord sur l'auteur du retable, en 
qui les uns ont voulu voir un peintre français, 
tandis que d'autres tenaient l'auteur pour un 
étranger. Je crois l'auteur du retable Français. 
On n'a pas moins discuté sur les person- 
nages représentés dans cette œuvre d'une 
importance capitale pour l'histoire française. 
La pancarte mise au bas du retable du Parle- 
ment indique que les personnages représentés 
là sont : d'une part, saint Louis et saint Jean- 
Baptiste, d'autre part : Charlemagne et saint 
Denis. 

Ces attributions ne me paraissent pas 
exactes, et je vais essayer d'expliquer pourquoi. 
L'auteur du retable est un peintre français. 
Il me paraît être l'auteur d'un autre tableau 
(attribué à tort, selon moi, à Jean Van Eyck) la 
'Vierge au Donateur, exposé pendant long- 
temps dans le Salon carré du Louvre, mainte- 
nant placé dans la salle Van Eyck et attribué 
à Van Eyck. 

Si l'on regarde attentivement cette 'Vierge 
au Donateur, les personnages qui sont au 
second plan, regardant vers le paysage, on y 
retrouvera l'un des personnages du fond du 
retable du Parlement de Paris, celui qui, vêtu 
d'un habit rouge court à manches bouffantes, 



tourne le dos au spectateur et regarde couler 
la rivière. 

Les personnages représentés dans le retable 
du Parlement ne sont pas non plus ce qu'on 
a dit : ni le personnage placé à la droite du 
Père n'est saint Louis (il n'a, ni dans le 
visage ni dans l'altitude rien de saint Louis, 
ni le personnage fleurdelisé aussi, placé, un 
glaive en main, à la gauche du Père, n'est 
Charlemagne. Ces personnages sont bien deux 
rois de France, mais ils ne se nomment ni 
Louis, ni Charlemagne. 11 n'est pas très dif- 
ficile de le prouver. 

Et d'abord, parlons des questions de vrai- 
semblance. Comment un roi de P'rance, en 
1471 — c'est la date approximative où l'on 
dit que le retable fut peint — eût-il autorisé 
un peintre, assurément l'un des plus grands 
du royaume, un peintre travaillant pour le 
Parlement de Paris, à représenter Charle- 
magne à la gauche du Père Eternel? Dans quel 
but, ce roi de France aurait-il autorisé une 
semblable représentation qui aurait tendu à 
déconsidérer, aux yeux de tous, l'un des véné- 
rables ancêtres de la monarchie française, 

L'Empereur à la barbe Horie. 

Cela ne peut pas se soutenir avec vraisem- 
blance un seul instant. Jamais un historien 
français ne considérera cette attribution 
comme vraisemblable pendant une seule 
minute. Ce n'est pas sur des fantaisies et des 
imaginations que travaillait un peintre d'État, 
comme l'auteur du retable, ni en 1430, ni en 
143-, ni à aucune autre de ces époques éloi- 
gnées. 

Stendhal, dont on néglige trop le rare bon 
sens et les vastes connaissances d'histoire, a 
pourtant émis, sur ces choses du passé, des 
indications définitives dont il fait bon de se 
souvenir quelquefois. Stendhal a dit que, dans 
ces temps anciens, les artistes ne mentaient 
pas, et qu'ils n'ont jamais songé à altérer la 



vérité, ni à peindre leurs imaginations ou fan- 
taisies. 

Ces peintres étaient d'admirables, de fidèles 
copistes des modèles qu'ils avaient sous les 
yeux, d'une rc'alitc plus ou moins poétique, 
plus ou moins belle, mais toujours rendue très 
sincèrement. Que se proposait donc l'auteur 
du retable du Parlement de Paris? De repré- 
senter pour ce Parlement les plus grands per- 
sonnages de l'Etat, les deux rois de France 
d alors, l'un à la gauche du Père; le roi franco- 
anglais Henri V, l'autre là la droite du Père) 
le jeune roi de France d'alors : Charles VII 
sacré à Reims, sous les yeux de Jeanne d'Arc, 
le 17 juillet 1429. 

Le roi Charles VII, régent depuis 1418, 
ayant été sacré à Reims, le 17 juillet 1429, il 
était tout naturel qu'il se fit peindre en son 
habit du sacre de 1429, et qu il choisit, pour le 
peindre, celui qu'il considérait comme le plus 
exact et en même temps le plus religieux pein- 
tre de son époque, le peintre du roi de F'rance, 
le Tourangeau Jean Fouquet. 

C'est ce que fit le roi de France, et c'est 
ainsi qu'a fait le roi Charles X quand il a 
commandé son portrait, en habit de sacre, à 
Ingres. 

Le roi représenté à la droite du Père Éter- 
nel, en 1429 ou en 1430, est donc tout sim- 
plement le roi de France d'alors, le jeune 
Charles Vil, celui qui vient de respirer à 
Reims, pendant son sacre, la fumée de l'encens 
qu'a respirée aussi Jeanne d'Arc. 

Il n'est même pas très difficile de discerner 
les traits du roi bien rcconnaissables, aujour- 
d'hui que bien des fac-similés existent du 
Charles VII à genoux, entouré de sa garde 
écossaise, aujourd'hui que le Musée du Louvre 
a réuni dans la même salle des Primitifs fran- 
çais et qu'il a mis face à face le Charles VII 
de 1429 ou 1437 (retable du Parlement de 
Paris, peint par Jean Fouquet et leCharles VII 
du même Fouquet, le Charles VII de l'an 1430 



Les Orijçines de la Peinture française 



ON se propose de donner dans ce qui suit, un éiat succinct 
et mis en ordre des origines de la peinture française. 
Ces origines n'ont encore donné lieu qu'à des 
articles spéciaux et isolés, ou à quelques compilations trop 
confuses dans leurabondance, pourctre compriseset retenues. 
Au terme de tant de recherches et de travaux, dont tous n'ont 
pas été sans féconds résultats, on manque encore d'un corps 
d'histoire où se trouve rédigé pour l'usage du public, ce 
qu'ils contiennent de plus important. Le moment paraît venu 
de le former, et de tirer de cette matière une instruction 
capable de se faire accueillir de tous les amis de l'art. 
Ce n'est pas que beaucoup de points ne demeurent encore 




obscurs à ceux qui veulent s'en informer. Mais cette obscu- 
rité, si épaisse par endroits, et qui n'achève qu'à peine de se 
lever sur les faits les plus importants, n'empêche pas d'arrêter 
assez de traits essentiels. Les faits certains ne sont pas si 
rares qu'on croit. A l'observateur impartial ils offrent de quoi 
asseoir un jugement quant au principal de cette histoire. 

On ne doit pas oublier que tout ce qu'elle offre, a un abou- 
tissement dans l'école de peinture française du xvii« siècle. 
Cette école est justement célèbre. Quelques-uns des plus 
beaux génies de l'histoire des arts y sont contenus. Son pres- 
tige par eux alla si loin, qu'elle avait enrin conquis l'Europe. 
Ce fut l'avantage du xviii« siècle, héritier des magnifiques 
efforts dont s'illustra le règne de Louis XIV. Ces efforts 
commencent avec Vouet. On les trouve ensuite si bien 
suivis, que ce qui précède n'a pu manquer de faire l'effet 
d'un préambule, d'une introduction, où le siècle de la 
Renaissance a tenu longtemps toute la place. 

Il faut joindre maintenant les siècles antérieurs, et 
grossir ces préliminaires de tout ce que la science moderne 
a découvert du Moyen .\ge. Par elle le champ du passé 
s'éclaire, par elle se corrige et se définit mainte idée 
vague ou inexacte, longtemps accueillie faute de mieux. 
Il s'agit, en peu de mots, de consigner ces idées, et de 
refaire avec le secours qu'elles dopnent, la nécessaire his- 
toire de ces commencements. 

I'^'^ PARTir:. — DES ORIGINES A LA MORT DU DUC DE BERBI 

Les origines de la peinture française ne doivent pas 
être recherchées au delà du règne de Philippe le Bel. 

Ce qui précède n'est fait que des antiques pratiques où 
s'immobilisa d'abord le Moyen Age : effet d'un enseigne- 
ment purement traditionnel, sans nul retour sur la nature 
et sur les modèles du passé. Du moins ce qu'on peut trou- 
ver de tel dans un album comme celui de Villard de Hon- 
nccourt, est-il parfaitement incapable de régénérer la 
peinture. Cet ouvrage célèbre ne présente pas un trait où 
l'imitation ne se montre serve de la plus froide abstraction 
et de la plus triviale routine. Inappréciable pour l'histoire 
de l'art, ce livre est daté d'avant i25o, approximativement 
d'après i23o. Il est contemporain de saint Louis. L'au- 
teur, issu du Vermandois, était sujet du roi de France. Ce 
qu'on y découvre est à l'unisson de tous les autres ouvrages 
du temps : psautier de la reine Ingeburge à Chantilly, et 
de saint Louis au Cabinet des Kstampes, vitraux, peintures 
murales comme celles de l'église de Montmorillon. Tous 
ces objets n'ont de prix que celui de la matière, parfois 
chère; ce que l'art y joint n'est que les derniers effets des 
traditions lointaines yct momifiées de Rome, que nous 
nommons style byzantin. 

L'Italie place au temps de Cimabue la fin de ce style 
chez elle. C'est la seconde moitié du xiii' siècle, et, pour 
fixer par convention une date, l'année 1267, que la Madone 
de ce peintre fut portée en procession par le peuple, de son 
atelier à Sainte- Marie- Nouvelle, à laquelle elle était 
destinée. 

Ce qui empêche de marquer en France précisément le 
temps d'un pareil changement, point d'origine de notre 
école, c'est moins l'incertitude du fait que l'extrême rareté 
des pièces qui permettent de le constater. Sous le règne de 



l'iiii lu: lit: iMiMl'in. 1 1: 
Tapissoi-io du l'Apocalx pse lissée par Jean Bataille sur les dessins de Jcin de Drilgos 

jxiv« siècle) 
Cathédrale d'Angers 




CHehé Ilratoi, Clément ^ Cte 



RICHARD II ROI D'ANGLETERRE ET PLUSIEURS SAINTS 

Volet gauche de diptyque (xive siècle) 
^____ Collection de Lord Pembroke 




Cliché Dratiii, Clémeiil j' Cir. 



LA VIERGE ET l.'ENFANT JESUS AVEC LES ANGES 

Volet droit de diptyque (xiv siècle) 

Collection Je Lord Pembroke 



20 



LES ARTS 




Cliché P. Saui'anaud. 



LE BAISER D1-: JUDAS. — LA FI.Ar.EI.I.ATION. — LE PORTEMENT DE CROIX 

Fragment du Parement de Narboiine, grisaille sursoie (xiv» siècle) 
Musée du. Louvre 



Philippe le Bel, les noms d'Etienne d'Auxerre et d'Evrard 
d'Orléans n'offrent jusqu'ici nulle prise à l'investigation. Le 
premier ne porte même pas le nom' de peintre du roi, et l'on 
manque des preuves positives que le second ait été quelque 
chose de plus que peintre en bâtiment. Que si l'on recourt 
aux ouvrages anonymes, aux fresques de la cathédrale de 
Clermont, par exemple, à certaine Vierge au Donateur que 
des concordances datent d'environ i3t2, on n'y constate nui 
amendement de la barbarie tradition- 
nelle. Dans le domaine de la miniature, 
même ressemblance avec l'âge précé- 
dent. L'atelier d'Honoré et de Richard 
de Verdun, d'où l'on croit que sortit, 
eni296, le Bréviaire de Philippe le Bel, 
ne produit rien que de conforme aux 
vieux psautiers de saint Louis. Mêmes 
visages grimaçants et disproportionnés, 
même dessin mécanique, même trait 
écrasé, même rehaut mince et cru, 
même coloris froid et brutal. 

Le premier ouvrage où l'on voie^ 




poindre, tout noyé de pratiques anciennes, le commence- 
ment d'un art nouveau, est le livre des Miracles de saint 
Denis, quelquefois nommé Bible de Philippe le Long, parce 
qu'il fut écrit pour ce prince, probablement en iBij. On ne 
sait qui peignit ce manuscrit, mais la ressemblance qu'il pré- 
sente avec une Bible heureusement signée, et datée de dix ans 
plus tard, permet de le rapporter à une école certaine, .lean 
Pucelle, et deux compagnons, Anciau de Sens et Jacques 
Macy, ont inscrit leurs noms sur celle- 
ci; noms naguère inconnus, auxquels il 
s'agit désormais, faute de mieux, de 
faire commencer l'école française. Les 
comptes mentionnent Macy depuis i 3i 3, 
sous le nom de Maciot enlumineur. 
Quanta Pucelle, son nom jetait alors un 
éclat, attesté cinquante ans plus tard par 
le souvenir qu'en gardent les inventaires. 
On le voit, dès i 324, dessiner le sceau de 
l'hôpital Saint-J acques-aux-Pèlerins. 
Avant I 328, sous Charles le Bel, il peint 
un livre d'oraisons pour la Reine. 



LE PROI'IIICTE JOI'iL 

Miniature de la Uiblc do 1327, par Pucelle, Anciau et Mac 
BtbUolhtque nationale (Paris) 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 





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M. Dclislca fourni la 
preuve que ces artistis 
furent également auteurs, 
avec un quatrième du 
nom de Chevrier, du 
Bréviaire de Belleville. 
pièce excellente dans son 
genre el le premier en 
date des beaux ouvrages 
français. La différence 
avec la Bible est telle, et 
le progrès du style entre 
deux est si grand que, 
quelles que soient les 
apparences d'après les- 
quelles M . Delisle assigne 
la date extrême de i343, 
on se résout à peine à 
reculer si loin l'exécution 
de ce bréviaire. 

La cause de cechange- 
ment de style et de ce 
progrès chez nos minia- 
turistes, est attestée par 
ce style même. Il est in- 
contestable que rien, dans 
les ouvrages nationaux 
plus anciens, n'y a la 
moindre ressemblance 
quant à la pratique de 
l'art. Plusieurs traits au 
contraire obligent de le 
rapprocher de celui que 
Giotto et ses élèves prati- 
quaient depuis 
trente ans en Ita- 
lie, fruit de l'étude 
renouveléedel'an- 
lique et de la na- 
ture. Un goût de 
draperie large et 
tombante, des che- 
velures ondulées 
sur les tempes, de 
longues barbes 
soigneusement 
bouclées, une sy- 
métrie et une pro- 
portion des visa- 
ges d'où vient à 
ces petites pein- 
tures un air de 
dignité inconnu 
jusqu'alors, l'exé- 
cution fondue et le 
coloris léger, attes- 
tent la parenté de 
Florence avec 
notre école com- 
mençante. Il est 
vrai que celle de 



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^:iniutul'c du Br<!viairc de Kvllcville. par Puecllc. Anriaa, Mary et Cbcrricr Isiv* 
Bihliothique nationale (Paris) 



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\jt Proptièle b«ill« à l'A|N>lre une profliêlie »f«Wp|w« : l'ApMre U ii«<«Bnv «I «■ Ml mm 1 

Miniature du Bri>viairc de BellcTtlle. parPucelle, Aariaa. Uary et ChcTrier (Xiv*Mcrlc) 
Bibliothtijue nationale f Paris) 



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QuniUDtrtnutPtft 



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\.\ i iu:\Ti(iN or .MOMU: 

Lettre iiiitiaU- de \.\ Hiblo «le 13:i7. par PuccUo, 

Aiiciau cl Macy 

Bibliothèque nationale (Parisf 



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îlînîaliirv du Bréviaire de Bclli.>vitK'. par Pucclk*, ADciau, Uac^ et Cbcvricr (Xiv* siêrle) 

BikUotJkifme matiommU fPmrisf 




Photo Alexandre [Bruxeltaj. 



JEAN DUC DE BERRI ACCOMPAGNE DE SES SAINTS PATRONS 
Miniature des Belles Heures du duc de Berri, par Jacquemart de Hesdin (xiv<: siècle) 

Bibliothèque royale (Bruxelles) 




''*'"'"""""'"•' ^"■"""•""^ LA VIERGE ET L'ENFANT JÉSUS 

Miniature des Belles Heures du duc de Berri, par Jacquemart de Hesdio (xiv« siècle) 

Bibliothèque royale (Bruxelles) 



24 



LES ARTS 




Fir.THK nn pnnpni:TE 

Miniature du Psautier du duc de Itcn-i. par ncnuncvcu (xiv sîcric) 

Blbliothcque nationale I Paris} 

Sienne s'y reconnaît encore mieux, dans le pli diversifié des 
tuniques ondulantes et dans le contraste des attitudes. Comme 
on ne saurait, de deux écoles pareilles, douter que l'une 
enseigna l'autre, et qu'il n'y a pas moyen de rapporter cet 
honneur à la plus nouvelle- 
ment née des deux, il faut 
bien convenir qu'en ceci les 
Français tinrent le rang de 
disciples de l'Italie. 

De savoir comment cet 
enseignement se fit, sur quelles 
relations il s'établit, c'est une 
question que poseront ceux- 
là seuls qui ne soupçonnent 
pas la fréquence et la conti- 
nuité des voyages d'alors. Elle 
était telle qu'on a peine à 
comprendre que notre pays 
ait même mis si longtemps 
à se pénétrer du nouveau style. 
Aussi bien, en la circonstance, 
les faits précis ne manquent 
pas. Je ne sais s'il faut comp- 
ter pour beaucoup le séjour 
des peintres siennois en Avi- 
gnon, où les papes établis dans 
cette ville (depuis iSog) les 
appelèrent. En ce temps de 
communications lentes, la 
région de Paris, où se tenait 
la cour, ne se trouva guère 




FioTTniî nv pnopii::TR 

Miniature du Pfaulier du duc do Herri, par Reaunevoil (Xiv sii-rlc) 

Bihlintbi-que natiniiale (Paris) 

plus près d'Avignon que de l'Italie même, et ce qu'on eût 
tiré d'une part se laissait aussi bien tirer de l'autre. Mais un 
fait qu'il ne faut pas omettre, est l'engagement de trois 
peintres romains comme peintres du roi, sous Philippe le 

Bel. Les premiers à porter ce 
titre, on les voit depuis i3o4 
travailler de leur art au châ- 
teau de Poitiers. Peut-être un 
jour ce fait, mieux expliqué, 
fournira le commencement de 
l'histoire de la peinture dans 
noire pavs. Ils se nommaient 
Philippe Rizuii, Jean son fils, 
et Nicolas Desmars ou Mars. 
Pendant vingt ans et sous 
quatre règnes, ils conservèrent 
la faveur royale, et ce long 
temps permet de leur suppo- 
ser un rôle dans la ditfusion 
de l'italianisme. 

Sur la sollicitude des sou- 
verains se règle, dans l'his- 
toire des vieilles monarchies, 
à peu près constamment la 
prospérité de l'art. Sans autre 
secours que ce qui précède, il 
est diflicile de marquer quelle 
fut d'abord celle des rois de 
France. On n'en voit presque 
aucune à Philippe de Valois, 
et nous n'avons d'avis positif 



jiîw Ttvc. DE nKnni fl), piin.ippr le mardi nue de noi'RoonxE f'tl 

KT QUATRE AUTHlCà SEU'.NEURS REÇUS AU PARADIS PAR SAINT PIERRE 

Miniature des Grandes Heures du duc de Berri, par .lacqucmart do Hosdin (xiv» siècle) 
Bihlinthèijue nationale (Paris) 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



25 



de presque pas un seul ouvrage que ce prince ait commandé. 

Jean le Bon, n'étant encore que duc de Normandie, s't-tait 
attaché des peintres de miniature. A son nom se lie princi- 
palement le nom de Girard d'Orléans. Or on ne demanderait 
qu'à suivre, quant à ce dernier, l'opinion qui le tient pour 
grand peintre, s'il s'y trouvait quelque fondement palpable. 
Par malheur, depuis 1344 qu'il émerge à la lumière des 
textes, jusqu'en i36i qu'il disparait, on ne le voit presque 
payé que de litières, pièces d'échiquier, mannequins d'es- 
sayage, fauteuils du roi, chaises de nécessité et autres basses 
besognes. L'abondance de pareilles mentions nous instruit 
du genre de services qu'un prince comme Jean le Bon atten- 
dait d'un peintre en titre, et de l'idée qu'il se faisait de celte 
fonction. Il faut y joindre la peinture en grisaille de quel- 
ques-uns de ces ajustements de messe nommés chapelles 
quotidiennes ou de Carême, dont le parement de Narbonne, 
au Louvre, offre un curieux échantillon. > 

En i35o, dès le début de son règne, le même roi Jean fil 
peindre son château de Vaudreuil, près Pont-de-l'Arche. 
Jean Costa y exécuta des scènes héroïques dans la galerie, et 
de dévotion dans la chapelle. De quel siyle elles étaient, c'est 
ce qu'on ne peut dire. Les peintures murales subsistantes de 
ce temps-là sont extrêmement rares dans nos contrées, et les 






Miniature 



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des Grandes Heures du duc do Berri, par Jacquemart de Hcsdin (xiv« siècle) 
Bibliothèque nationale (Paris j 



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Miniature des Grandes ttcurcs du duc de ncrri, par Jacquemart de Uesdio (uv« sic'cie) 
Bibliothèque nationale {Paris) 

débris qu'on en propose sont sansdate, et presque unique- 
ment d'ornement. Dans cet embarras, on ne peut que se 
rejeter aux approximations que fournit le célèbre portrait du 
roi Jean, sur fond d'or, du Cabinet des Manuscrits de Paris. 

Il en est peu de moins favorables. Quelque intérêt que 
l'on prenne à cette peinture à cause de son antiquité, com- 
ment y joindre la moindre estime d'un art à vrai dire 
tout barbare ? L'italianisme y perce, mais sans profit. Le 
contour n'y figure qu'une charge fade et grossière, tout 
modelé en est absent, ce qu'on voit du vêtement n'a pas 
de forme. Ainsi tout ce qu'on peut saisir de l'état des 
arts en France à cette époque, ne permet pas encore de 
parler d'une école, je dis autre que de miniature. 

C'est de celle-ci qu'il sagit de ne point quitter le fil. 

Le goût que marqua Charles V pour les livres fournit 
la matière d'y revenir. On sait que la librairie i^comme 
on disait alors) du Louvre eut tous les soins de ce 
monarque. Ils commencent avant son avènement, qui fut 
en 1364. Sa Bible historiale, son Bréviaire, ses Grandes 
Chroniques de France, les Voyages de Jean de Mandeville, 
tous manuscrits que conserve la Bibliothèque de Paris, 



26 



LES ARTS 



sont là pour en marquer l'effet. Il est vrai que ces ouvrages 
témoignent, chez le Roi, de plus de sollicitude que de vrai 
discernement. Le luxe qu'on voit à plusieurs y contraste 
avec une certaine infériorité de l'art. Rcmiet, dont le nom 
s'est retrouvé aux marges des Pèlerinages de Guillaume de 
Deguillcvilie, fourniten i3()4un exemple de ces enlumineurs. 
Chose à retenir, les artistes parisiens ne semblent pas avoir 



V. 






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soutenu, dans cette seconde partie du siècle, l'honneur des 
exemples laissés par Pucclle et ses compagnons. Et s'il est 
vrai que l'école de miniature en France n'en maintint pas 
moins son renom, s'acheminant même à une apogée dont il 
n'y a pas d'exemple ailleurs, cela tient aux peintres issus de 
Flandre qui parurent alors à Paris, bientôt fameux par les 
ouvrages que le duc de Berri commandait. 

Depuis un demi-siècle déjà, 
les Pays-Bas avaient com- 
mencé de jouer leur rôle dans 
le renouveau qui transformait 
les États du nord. Sous la 
comtesse Mahaud (morte en 
i339), la province d'Artois 
s'illustre par de grands tra- 
vaux d'art. Mandé par elle, 
Pierre de Bruxelles décore le 
château de Conflans-lès-Paris 
des sujets de l'histoire du 
comte Robert, son père. 
Comme pour attester de ce 
côté pareillement l'influence 
et le goijt de l'Italie, nous 
voyons cette princesse acheter 
d'un marchand de Gand, plu- 
sieurs tableaux des maîtres 
de ce pays. Ce goût et cette 
influence sont encore mieux 
prouvés par le style des suc- 
cesseurs flamands de Pucelle. 
On n'en compte pas moins 
de trois générations. La pre- 
mière est représentée par Jean 
Bondolf de Bruges, peintre 
en titre du roi Charles V au 
moins depuis i368. Une mi- 
niature du musée Meermann- 
Westreenen de la Haye, où 
le Roi se montre recevant la 
présentation d'un ouvrage, 
révèle son style et ses talents. 
L'un et l'autre sont de sorte 
qu'on a pu supposer que l'é- 
cole d'enluminure entretenue 
depuis par le duc de Berri, 
avait subsisté de sesexemplcs. 
Pour ce dernier, depuis 
I 384, travaille Jacquemart de 
Hesdin, attiré pareillement 
des Pavs-Bas, dans Bourges, 
où se tenait d'ordinaire la 
cour de ce prince. Il n'en 
fut pas en P'rance, jusqu'à la 
Renaissance, de plus magni- 
fique ni de plus favorable aux 
arts. L'effet de cette faveur 
s'étendait à toute chose. Grand 
bâtisseur autant qu'amateur 
délicat, on ne comptait pas 
au duc de Berri moins de dix- 
sept châteaux ou hôtels. Le 



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^âKmudiiicutaiw^niç^ 
(go {(fin ni inot}imoiut)ii$ : 
ptoptn'iiunmtnmii omipu 

ÉpnuttOii.B*Ma»Wi 
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S ^^» oîoaoïicm inmin 
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IIAVIP) DICVAM- SALI. 

Miniature du Bréviaire de Bellcville, par Pucclle, Anciau, Macy et Chevrier (xiv siècle) 
Bibliothèque nationale (Paris) * 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



27 




Cliché Giraudon. 



L'HISTOIRE D'ADAM ET D'EVE 
Miniature des Très Riches Heures du duc de Berri, par Paul, Jean et Armand de Limbourg 

Musée Condé (Chantilly) 



28 



LES ARTS 



récit des travaux de tout genre qu'il ordonna, les inventaires 
de ce qu'il possédait, attestent chez ce frère de Charles V les 
aptitudes d'un vrai Mécène, égal à ceux que l'Italie produisit 
depuis en si grand nombre, le seul digne de ce nom qu'ait vu 
notre Moyen Age. Mais, de tous les arts qu'aima ce prince, 
nul ne ressentit sa protection plus que celui des manuscrits 
à peintures. Là l'ut le premier objet de ses soins, le trait qu'en 
faisant son histoire, la postérité ne se lasse pas d'admirer. 
Jacquemart peignit pour lui ce qu'on nomme ses Grandes 
Heures, de la Bibliothèque de Paris, et les Belles Heures 
conservées à Bruxelles. Enfin Beauneveu de Valenciennes, 
avant tout connu comme sculpteur, et que Charles V d'abord 




LE COURO.NMÎMKNT OK L.\ VIEKGE 

Miniature des Tr6s Itichcs Heures du duc de Berri, par Paul, Jean et Armand do Limbourg 
Musée fondé (Chantilly) 



employa à ce titre, passé depuis i 386 au service du duc de 
Berri, est l'auteur du Psautier de ce prince, au Cabinet des 
Manuscrits. 

Tels sont les artistes que d'abord il importe de rassembler 
dans un tableau de l'art de miniature en France sur la fin du 
xiv= siècle. 

A cette école, qu'il faut bien que nous nommions fla- 
mande, M. Courajod rapporte les commencements de ce 
qu'il assure avoir été le propre génie de la Renaissance, 
lequel ne fleurit en Italie qu'ensuite et par imitation. Mais il 
faut remarquer que les faits dont il appuie un si remarquable 
renversement de l'histoire, n'auraient jamais suflî à prouver 

son système, sansl'appointde 
théories générales, et d'une 
métaphysique de l'art aussi 
frivole qu'éclatante. Tous les 
esprits rassis tiennent pour 
entreprise folle de rayer les 
noms de Giotto et d'Orcagna 
de l'histoire de la peinture 
moderne. Aussi bien, com- 
mentdissimuler que Florence 
et Sienne avaient fatj-onnénos 
Flamands ? Cela est tout à fait 
incontestable. Les types giot- 
tesques emplissent leurs com- 
positions, et maint endroit 
chez eux a plus de ressem- 
blance aux Lorcnzelti qu'à 
Pucelle. Il est vrai qu'ils y 
ont joint plusieurs insuffi- 
sances, et de sensibles diffor- 
mités, qu'on aurait tort 
d'appeler des traits de natu- 
ralisme. Plus ambitieux, 
comme il parait, qu'on ne fut 
avant eux dans l'école, destylc 
noble et de grands arrange- 
ments, il ne faut pas s'éton- 
ner que des fautes souvent 
grossières soient devenues 
chez eux le prix de cette diffi- 
cile entreprise. 

Au moins a-t-elle cet effet, 
que leur style neconvient pas 
moins à de grands ouvrages 
qu'à la décoration des livres, 
et l'on n'est pas surpris d'ap- 
prendre que Jean de Bruges 
avait dessiné des tapisseries. 
Celles de la cathédrale d'An- 
gers, tissées en iBjS pour 
Louis d'Anjou, autre frère 
du roi, le furent en effet sur 
ses cartons. Sans doute Jean 
de Saint -Omer, aussi des 
Pays-Bas, qui décora vers le 
même temps, de tableaux le 
tombeau de la reine Jeanne 
d'Fivreux, les avait peints de 
ce même style. Il s'imposa 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



29 



depuis iSjo à tout ce qui s'exécute chez nous de grande 
dimension. Des tableaux comme ceux de MM. Weber et 
Cardon, exposésaux Primitifs 
français, de grandes pièces 
comme le parement de Nar- 
bonne, des dessins de vastes 
compositions comme le sup- 
posé Beauneveu du Louvre, 
le diptyque de Richard il, à 
Wilton-House, en reprodui- 
sent exactement la draperie 
abondante et tioiianie, les 
crânes élevés en dôme bordés 
de mèches ondoyantes, les 
doigts osseux, les attaches 
maigres, la recherche déjà 
récompensée, de dignité et 
d'élégance. 

Faut-il chercher dans 
quelques-uns de ces ouvrages, 
l'œuvre de Jean d'Orléans, 
peintre comme Jean de 
Bruges, quoique à de moin- 
dres gages, de Charles V, fils 
du vieux Girard, dont on le 
voitsurtout,dans les comptes, 
recommencer les vulgaires 
besognes? Quelques tableaux, 
mentionnés de sa main, n'en 
ouvrent pas moins pour lui 
un champ à l'hypothèse. 
Faut-il y chercher l'œuvre de 
Jean Oranger et de Michel 
Salmon, peintres du duc de 
Berri, dont nous ne tenons 
guère que les noms? A qui, 
d'autre part, attribuer l'excel- 
lent portrait à l'aquarelle du 
duc Louis II d'Anjou, de 
notre Cabinet des Estampes, 
éclos quelques années plus 
tard, sous l'influence des mi- 
niatures ? 

Jean d'Orléans prolongea 
sa carrière fort avant sous le 
règne de Charles VI (com- 
mencé en I 38o). Son fils Fran- 
çois servit ce dernier roi, 
dont les comptes rapportent 
qu'il moula le visage pour la 
cérémonie des funérailles. Il 
avait fait aussi, en 1400, des 
cartons de tapisseries pour 
Isabeau de Bavière. Pour la 
même princesse encore tra- 
vaille Colart de Laon, tantôt 
à des tableaux, tantôt à déco- 
rer des meubles. 

Vers ce temps-là com- 
mence de briller, sous le pa- 
tronage d'un quatrième fils 



du roi Jean, la fameuse école de Bourgogne. Deux raisons 
font qu'elle n'a point de place ici. C'est premièrement que, 




ClHh* Ginivdoil. JKSl s CilMll IT CHKZ l'AllMlK 

Minialuro des Ti-ès Riches Heures du duc de Berri, par Taul, Jean et Armand de Limbour); 

Musit Comdé{CkantUl!/) 



toute émanée des Pays-Bas, elle est même antérieure aux 
premiers princes français qui de Dijon régnèrent sur ces 
contrées. Jean de Hasselt, le plus ancien de leurs peintres, 
fut hérité par Philippe le Hardi du comte de Flandre Louis 
de Maie, son beau-père. Ceux qui succédèrent dans cette 




Cliché Girauât 



LE DUC DE BEHH. A TABLE E.VTBETENANT Sl« FAMILIEHS (JANVIKH, 

Mm.ature de, ïrés niches Heu-e, d,. duc de Berri, par Paul, Jean et Armand de Limbourfi 
Musée Condé (Chantilly) 



charge, tous pareillement issus des Pays-Ras, Hainaui, 
Artois, Gueldre, Brabant ou Flandres, étrangers travaillant 
dans une cour étrangère, n'ont aucun titre à figurer dans 
une histoire de l'école française. Le plus célèbre est Jean 
Van Eyck, que personne ne songea jamais à mêler à cette 

histoire. Il n'y a pas plus de 
raison d'y mettre ceux qui 
précèdent. On ne trouvera 
donc ici que le nom et pour 
mémoire,d'un JeandeBeau- 
meIz,d'un Brouderlam,d'un 
Malouel, d'un Bellechose, 
d'un Maisoncelle, dont la 
personne et les ouvrages, 
vrais préliminaires à l'his- 
toire que nous a laissée Van 
Mander, ne ressortit à per- 
sonne autre qu'aux histo- 
riens de l'art des Flandres. 
Cependant le règne de 
Charles VI, ouvert comme 
florissait l'école de minia- 
ture dont il vient d'être 
parlé, ne devait pas finir 
sans avoir vu le plus ma- 
gnifique triomphe de cet 
art. Unerecrudescence d'in- 
fluence italienne, que re- 
cueillait une troisième géné- 
ration flamande, la prépara. 
Cet.tegénération sccompose 
de Jacques Cône et des trois 
frères Paul, Jean et Armand 
de Limbourg. 

Le premier, dont on ne 
peut certifier d'ouvrages, 
s'impose à l'attention par 
le séjour qu'il fit en Italie, 
appelé à Milan pour le soin 
de la cathédrale, dont on 
requérait de lui les dessins. 
En 1398 cet artiste se trou- 
vait à Paris. Il y revint au 
plus tard, en 1404. qu'on le 
trouve employé avec des 
compagnons, à peindre une 
Bible pour le duc de Bour- 
gogne. On a pu sans invrai- 
semblance reconnaître dans 
cet ouvrage la Bible déjà 
commencée par Paul et Jean 
de Limbourg pour Philippe 
le Hardi, dès 1402. Le nom 
de famille de ces derniers 
était Manuel ou Maluel. 
Toutefois l'âge que suppose 
le fait d'une telle commande, 
empêche de les tenir pour 
les neveux de Malouel, men- 
tionnés cette année même 
comme de jeunes enfants. 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



3i 



On les trouve en 141 i au service du duc de Berri, avec leur 
troisième frère Armand, et dans des termes qui marquent 
une extrême faveur, en même temps que leur fortune faite. 
11 parait qu'ils étaient à Paris 
en ce temps-là. Depuis, Paul 
s'établit à Bourges, où tout 
pone à croire qu'il mourut. 

Or nous tenons, dans les 
ouvrages de Paul, de Jean 
et d'Armand de Limbourg, 
l'explication palpable de cette 
brillante fortune. Un ne leur 
est, il est vrai, qu'attribué mais 
sur des ressemblances cvi- 
den les de SI vie : c'est une Bible 
de la Bibliothèque de Paris, 
que peut-être il conviendra de 
reconnaître pour celle que 
commanda aux deiix premiers 
le duc de Bourgogne. -Le degré 
de mérite qu'on y trouve cadre 
avec le temps de celle-ci, où 
l'on peut supposer que les trois 
frères n'avaient pas encore 
atteint leur plus grande habi- 
leté. Celte habileté se révèle au 
contraire tout entière dans les 
Très Riches Heures de Chan- 
tilly, peintes vers 1416 pour le 
duc de Berri, chef-d'œuvre re- 
connu de l'art d'enluminure. 

Nous touchons à la fin de 
la carrière de ce prince. En ces 
dernières années, ne se con- 
tentant plus de ce que les ou- 
vrages des Flamands véhicu- 
laient d'italianisme, on voit 
qu'il avait remis la direction, 
tant de sa bibliothèquj que de 
ses enluminures, à l' Italien 
Pierre de Vérone, enlumineur 
kii-méme. sans doute ramené 
de Milan par .lacques Cône, 
qui l'avait connu dans cette 
ville. M. de Champeaux a 
remarqué ce que ce contact 
direct d'ouvriers de nation 
différente, adonnés des deux 
parts à la miniature, eut de 
résultats heureux. Les Italiens 
apprirent à peindre à gouache, 
comme il est attesté par des 
textes formels, tandis que les 
ouvriers qui travaillaient en 
France reçurent d'eux en 
échange, l'art des composi- 
tions grandes et bien ordon- 
nées, que leur métier n'avait 
point connu. 

C'est alors qu'on voit pa- 
raître aux inventaires, pour 



désigner certains manuscrits à peintures, la fameuse mention 
d' « ouvrage de Lombardie ». Elle était l'expression de ces 
ressources nouvelles, étalées dans les Très Riches Heures. 




ai,M Ciiaudm. i,\ CIIASSB Ali l-Ar<:ON |Jt ll,I.KT| 

Miniature des Très Hirlios Heures du duc de Berri, par Paul, Jean et Arniaud de Limbourg 

Musée Condi (Chantilly) 



33 



LES ARTS 



Si les Limhourg avaient vu l'Italie, c'est ce qu'aucune 
preuve positive n'e'tablit. Suffit qu'ils furent instruits pour 
cet ouvrage, par un homme qui en posse'dait les enseigne- 
ments et les modèles. Ainsi se trouvèrent introduits dans 
un art, qui jusque-là ne de'passa que peu le niveau de Giotto 
et de Simon Martini, tous les progrès accomplis en un siècle 
par les grands peintres de Florence. Une fresque de Thaddée 
Gaddi, rigoureusement copiée, se reconnaît parmi ces minia- 
tures. En vingt endroits le souvenir d'Orcagna se décèle. 
Des figures imitées de l'antique prennent place. Les édifices 




Cliché GiraudoH 

Miniature des Très Riches H 



I.A fRKSE.NTATIOX DE JKSLS Al: THMIM.B 

lires du duc de Berri;par Paul, Jeau et Armand de Limbourg, d'après Thaddée Gaddi 
Musée Condc (ChanHUy) 



de Pise, de Florence et de Rome enrichissent plusieurs de 
ces tableaux. Dans un, des moines abyssins, que l'artiste en 
ce lemps-là n'eiJt pu voir qu'à Venise, ajoutent leur présence 
imprévue. 

Près d'une érudition et d'une culture si belle, l'art qu'elle 
engendre se montre en perfection. A cinq cents ans de distance, 
l'admiration qui fit nommer Très Riches ces Heures dès leur 
naissance, se renouvelle chez nous. Jamais peut-éire, dans la 
gaucherie qui demeure à tout ce qui précéda l'époque de la 
Renaissance, on ne vit plus de souplesse et de grâce unies à 

plus de majesté. Les pages d'un 
calendrierque vingt reproductions 
ont rendu populaire, y font l'in- 
troduction décent tableaux exquis, 
dont se compose la vie de la Vierge 
et d'autres figurations bibliques. 
Une sveltesse de proportion, une 
mignardise du geste, rajeunissent 
dans ces compositionsles antiques 
figures de .lacquemart de Hesdin, 
d'une manière tout à fait piquante. 
Dans quelques-unes, l'ajustement 
des cours, marié à des beautés de 
port et de visage, rivalise avec tout 
ce que l'Italie avait produit de plus 
séduisant en ce genre. Ailleurs la 
vigueur du dessin, la perfection 
des architectures, le beau fondu 
de l'exécution, coinposent un 
charme inégalé. Un échantillon- 
nage brillant de vermillon, de 
vert-gai, d'azur fin, rehausse tous 
CCS mérites d'un éclat sans pareil. 
C'est l'Angelico en petit, mais 
d'un dessin plus délicat, avec une 
représentation plus achevée de 
la nature. Et là-dessus, prestige 
presque inconnu jusque-là, des 
fonds de paysage ajoutent la 
beauté de leur lumière et l'en- 
chantement de leur perspective 
fuyante. 

Le duc de Berri mourut en 
1416, que ce livre n'était pas 
encore tout à fait achevé. Paul 
ne devait lui survivre que de peu. 
Déjà les Van Eyck vivent et 
pratiquent leur art. Encore seize 
ans, et le retable de l'Agneau 
ouvrira, pour les écoles du nord 
de l'Europe, une carrière entière- 
ment nouvelle. La mort du prince 
et de son enlumineur mérite de 
figurer la fin de l'art ancien, tel 
que la France le vit fleurir sous 
les impulsions d'outremonts. Il 
n'y avait pas moins d'un demi- 
siècleque les Flamands en étaient 
les maîtres. 
\A suivre. I 

L. DIMIER. 



TRIBUNE DES ARTS 



(le très victorieux roi de France Charles sep- 
tième) qui lui fait face (i). 

Toutes les données propres à éclaircir le 
problème seraient sous nos yeux, à la portée 



de tous, si l'on plai,ait dans la même salle la 
Vierge au Donateur attribuée à tort à Jean 
Van Eyckj. 

Il suffit pour retrouver l'image du roi de 



France de 143- de regarder dans son cadre, en 
robe courte de couleur rouge, le Charles VII 
de Fouquet, puis le Charles Vil de Jean Fou- 
quet dans le retable du Parlement de Paris . 




Ils sont identiques, et sous renipàtcment 
qu'ont produit la fatigue, les années, les sou- 
cis, la guerre pour la défense du royaume, on 
retrouve aisément l'homme encore jeune. 



JEAN VAN EY'CK. — la vikrok al- do.natkir 
(Musée du Coiivrel 

alerte, et si noble en son attitude paisible, en 
son costume fleurdelisé de roi de France, qu'a 
peint Jean Fouquet, en 1430 ou 1432. 

Tout ce qui entoure le roi pacifique, en 



son habit bleu brode de fleurs de lis d'or : la 
Seine que l'on voit couler au pied de l'ancien 
Louvre, fidèlement portraituré; derrière le roi 
actuel, en iq^o ou 1432. la demeure du Par- 



(i) Pour la reproduclion de ce tableau, voir tes Arts: Exposition des Primitifs français, n* 2X, p. lo. 



-f »- 



*1 



ib 



lement telle qu'elle était à cette date, person- 
nages arrêtés sur le quai, du côté de Thôtel de 
Nesle, représentation exacte à cette époque de 
la ville de Paris, collines qui forment, au tond, 
l'enceinte de la ville, tout est tidcle, tout est 
un portrait véridique. Ce n'est pas un menteur 
que le Tourangeau Jean Fouquet. Pourquoi 
l'œuvre, certainement peinte en France, tut- 
elle commandée à Jean Fouquet, et non à un 
autre? Il est assez facile de l'expliquer. 

Jean Fouquet avait, en 1429, la fonction 
qu'avait, en i825, le maître Ingres. Jean Fou- 
quet était le peintre du roi de France. 

C'est comme tel qu'il fut élu pour peindre 
ce retablp du Parlement. 

C'est plus qu'une œuvre de peinture ordi- 
naire, c'est une peinture d'Étal, une peinture 
significative et démonstrative. Car, le Parle- 
ment rentra à Paris en 1437. 

Le personnage placé en face du roi fleur- 
delisé Charles VII est saint Jean. Ce saint 
Jean montre un passage de la Bible ou de 
l'Évangile sur lequel est l'Agneau. Le geste de 
saint Jean, qui désigne le livre, est autoritaire 
et presque menaçant. Il a l'air de donner une 
leçon au roi, ou tout au moins un conseil 
impérieux. Et le roi de F"rance, Charles VII, 
a l'air de dire : « Ce n'est pas ma faute si je 
fais la guerre. » Il a, comme on peut le remar- 
quer, un geste d'excuse ou d'acquiescement. 

Autour de lui, la Seine coule au pied du 
Louvre paisible; tout rit, tout a l'air heureux. 
Les plantes de la paix, les plantes utiles et 
salutaires croissent de toute part, celles que 
Rabelais célèbre au chapitre iv du livre III : 
« Cércs chargée de blés, Bacchus de vins, P'Iora 
de fleurs, Pomone de fruits ". C'est le 

Plaisant pays de France 

qu'a chanté plus tard Marie Stuart. 

Au contraire, de l'autre coté, à la gauche 
du Père Éternel, sont les maudits. On ne voit 
sur le côté gauche du Père (à la droite du 
spectateur) que prisons, gibets, bourreau 
d'État en costume de sa fonction, juges en train 
d'assister, sur une colline, à des supplices. 

Du côté gauche du Père est celui qui « an- 
garie » les peuples, comme disait un mot de la 
vieille France, celui qui les torture, qui les tait 
pendre, tenailler. C'est le mauvais roi qui a 
toujours l'épée à la main. C'est le roi inique, 
le Demoboron ou le « mangeur de peuple ». 

Nul doute encore que son portrait ne soit 
le portrait très exact et très ressemblant de 
l'ennemi le plus redoutable de la France à 
cette époque, du roi d'Angleterre qui préten- 
dait aussi être roi de France, du roi Henri V, 
qui mourut en France, à Vincennes, en 1422, 
à trente-six ans; Henri V laissait un fils, ce 
Henri VI que les Anglais firent venir jeune à 
Paris, et qu'ils y couronnèrent d'une double 
couronne dans l'église cathédrale, le 27 no- 
vembre 1431. 

Le tableau peint par Jean Fouquet put être 



TRIBUNE DES ARTS 

peint après cette cérémonie anglaise du 27 no- 
vembre 143 1, car, le tableau d'une significa- 
tion vengeresse est une protestation solen- 
nelle, éclatante contre cet acte. Je crois qu'il 
fut peint, en 1437, pour la rentrée du Parle- 
ment. 

Aux pieds de Henri V, âgé de trente-six 
ans, portant le globe du monde en main, Jean 
Fouquet peint, allégoriquement, la tète d'un 
saint décapité; ce tableau est prophétique, car, 
on sait que Henri VI ou Henri de Windsor fut 
enfermé à la Tour, et égorgé par le duc de 
Gloucester, en 147 1, à cinquante-deux ans. 
Quand on s'est assuré, d'après les portraits 
authentiques, que le second roi fleurdelisé 
placé à la gauche du Père est bien Henri V, roi 
d'Angleterre et de France, mort à Vincennes, 
en 1422, on relit avec intérêt ce qu'Emile 
Montégut a dit de ce roi dans l'avertissement 
qui précède sa traduction du Henri V de 
Shakespeare. Emile Montégut dit : 

« ... Dès le début du règne de Henri V, les 
projets de réforme furent remis sur le tapis, 
et ce fut pour en détourner l'aitcniion que 
Chichele, âme en cette circonstance du clergé 
d'Angleterre, conseilla au roi Henri la cam- 
pagne de France. Henri V avait pour son père 
usurpateur une nuance de mépris et quand il 
fut roi pour son propre compte il eut peur que 
l'expiation ne s'arrêtât pas à son prédécesseur, 
mais qu'elle retombât sur lui et sur les siens. 
Pour détourner la colère de Dieu, il institua 
une sorte de culte à la mémoire de Richard. 

« ... Tout n'était pas momerie dans ces 
craintes; il y avait une profonde intuition des 
redoutables etîets de l'injustice. La malédiction 
de Dieu, comme apaisée par les prières du 
héros, sauta, en effet, une génération; mais 
alors elle consuma jusqu'au dernier homme, 
la maison de Lancastre, par l'effrovable incen- 
die de la guerre des Deux Roses. » 

C'est exactement ce qu'a voulu montrer, en 
peignant Henri V parallèlement à Charles VH 
roi de France, l'auteur du retable baptisé : le 
retable du Parlement. D'un côté, le roi inique; 
de l'autre, le roi qui pardonne lorsqu'il rentre 
à Paris avec le Parlement, en 1437. 

Du côté du roi inique (Henri V d'Angle- 
terre, le roi d'Angleterre et de France de 1422), 
le peintre a accumulé ad probandum comme 
l'on faisait alors tout ce que l'on peut imagi- 
ner dans un si petit espace de supplices, d'ini- 
quités, de prisons ou geôles. C'est le côté des 
Violents en face des Doux, et en opposition 
avec eux. Les doux sont autour de Charles VII, 
le vrai roi de France, celui qui croit à la 
parole de saint Jean, celui qui est à la droite 
du Père, et qui, dès qu'il rentre à Paris, en 
1437, grâce à Michel Lallier, pardonne et fait 
acte de clémence. 

Chacun sait ce qui arriva de 1436 à 1450, 
et qu'en 1450 la victoire fut accordée au vrai 
roi de France, Charles VII, sur l'usurpateur 
anglais Henri VI le tortionnaire, et que 



/ 



l'Anglais fut chassé de France 

... Jehanne, la bonne Lorraine 
Qu'Anglais bruslèrent à Rouen 

(François Vik 

Et nunc, reges, erudimini. Intell 
judicatis terram. 

« Et maintenant, rois, comprenez 
sez-vous, vous qui jugez la terre. » C ] 
que disait et que dit encore, à qui sa' 
prêter, ce beau retable du Parlement 
œuvre infiniment précieuse comnn 
d'histoire, comme témoignage de la 
d'un peuple, si elle n'était pas d'à 
très précieuse comme œuvre d'un gra 
encore incomplètement connu. 

La commande de ce tableau fut 
ment faite au peintre par ou pour 
France Charles VII. Le Parlement 
après 1436, siégeait dans le palais di [ 
que l'on voit peint derrière le roi. 1 
ment faisait œuvre de goiit et œuvre i 
tisme reconnaissant en plaçant cet 
tableau dans sa grand'salle. 

C'était, et c'est encore une haut^ 
sévère leçon d'histoire donnée aux i 
aux violents. j 

Si les portraits de Charles Vil! 
France, sont assez nombreux ceux 
anglais-français, Henri V, ne sont p; 
Les érudits anglais en retrouvent 
jours. Même, on a. du roi Henri IV i 
terre, des portraits où l'on retrouve la 
rouge, de forme triangulaire, •du Hei 
retable. 

Même le portrait du petit chien 
an 
d 
irréprochable 

L'artiste qui a peint ce tableau est 
artiste français qui, avant 1422, aval 
loisir d'étudier Henri V, roi anglais s: 
Notre-Dame de Paris, et qui avait cor 
de lui un ou plusieurs portraits en ce 
de sacre, d'une ressemblance parfaite. 



Parmi les trois femmes qui pleure ' 
pied de la croix, l'une ne serait-ell 
Catherine de France, femme du roi a 
Henri V, mère de Henri VI, la Catherin 
Shakespeare a développé le caractère da 
drame sur Henri V ? 

Je le crois, sans encore oser l'ai 
faute de preuves. 1 

Mais j'oubliais que Shakespeare lui- 
est aujourd'hui traité d'auteur surfait pa 
une École, et notamment par Léon Toi 

C'est à faire douter de tout. 

Avant qu'on conclue pour ou coi 
vérité du personnage de Henri V dans 
speare, le tableau du Louvre est bon à < 
ter, à méditer. 

AMÉDÉE PIGEO 



...~...^ .~ f -- f — 

inglais, placé auprès de son maître, \ 
l'une exactitude parfaite, d'une resse | 



Les Accroissements des Musées 

LA CONSOLE DE L'HOTEL DES INVALIDES 



Les salles du Mobilier du xviii= siècle viennent de s'en- 
richir d'un des meubles de l'époque de Louis XV les plus 
beaux et les plus rares, qui est digne de la place d'honneur 
qui lui a été donnée aux côtés du bureau de Louis XV. 

C'est une console de milieu de grande dimension en bois 
de chêne sculpté et ciré; ce qui est une rareté parmi les 
consoles du xvui^ siècle qui n'ont jamais, même lorsqu'elles 
ont conservé leur dorure ancienne, la couleur et l'éclat du 
chêne ciré. 

Les quatre pieds contournés sont formés de faisceaux et 
de feuilles de palmier, autour desquels s'enroulent des 
serpents et des brandies de laurier, et sont surmontes par 
des casques ouverts, couronnés de plumes. Au croisillon, 
quatre trophées de vases entourés de fleurs et de serpents se 
réunissent au centre pour supporter un grand trophée 
d'attributs guerriers, couronnés par un casque soutenu par 
une massue. La ceinture de la console est formée d'une 
frise très variée de rinceaux et de feuilles de palmier; au 
centre de chaque face se trouve un cartouche; ceux des 
deux grandes faces sont ailés. 

Cette partie du meuble est la plus belle par sa variété et 
son élégance qui contrastent avec la partie inférieure d'une 
très belle exécution, mais d'une importance et d'une richesse 
exagérées. La ceinture supporte un superbe plateau, en 
brèche d'Alep, mouluré et chantourné suivant la forme de 
la console. 



Nous ne connaissons pas l'artiste qui a fait ce meuble, 
car il ne porte ni signature, ni marque d'ébéniste. Les 
archives des Invalides ne possèdent aucun document qui 
puisse nous éclairer sur son origine et sur son auteur. Les 
attributs guerriers qui le décorent nous permettent de 
penser qu'il a été commandé et exécuté pour les Invalides, 
sous le règne de Louis XV, et il est probable que, depuis 
cette époque, il n'en est jamais sorti, étant donné l'état de 
conservation parfait dans lequel il se trouve. Pendant la 
Révolution, on a malheureusement gratté sur chacune des 
quatre faces les trois fleurs de lis qui ornaient le cartouche 
et la couronne qui le surmontait. Sans cet acte de vanda- 
lisme, la console nous serait parvenue absolument intacte. 

Il semble étonnant qu'un meuble d'une si grande impor- 
tance et d'une telle rareté n'ait pas été connu de ceux qui 
ont étudié le mobilier du xvin' siècle. Ni M. Molinier dans 
son Histoire du Mobilier, ni de Champeaux dans son livre 
sur le Meuble ne le mentionnent. C'est que, dans l'Hôtel des 
Invalides, il se trouvait dans une salle fermée — la salle 
des Gouverneurs — qui est cédée au Musée de l'.^rmée et qui 
doit être, un jour, ouverte au public. Si la console est 
aujourd'hui exposée au Louvre, c'est au ministre de la 
Guerre et au général commandant l'Hôtel des Invalides — 
M. le général Niox — que nous le devons. 

CARLE DREYFUS. 



PORTRAIT DE FEMME 

AU MUSÉE DU LOUVRE 



Dans le numéro 36 des Arls, nous avons publié une 
communication émanant d'un de nos correspondants, où, 
pour de simples raisons de calligraphie et sans qu'on eût à 
entrer dans aucun détail au sujet de la façon dont le tableau 
est peint, .se trouvait mise formellement en doute l'authenti- 
cité du portrait de femme attribué à l'école française du xv« 
siècle et désigné dans les catalogues comme ayant été acheté 
de M. Raimond Pelez le 3o mai 1846. Notre correspondant 
sollicitait l'avis de MM. les Conservateurs du Louvre, 
lesquels savent qu'ils sont toujours les bienvenus dans notre 
maison. Nous n'avons reçu d'eux aucun renseignement. 

C'est déjà comme un désistement et nous l'acceptons 
comme tel. Le tableau n'a d'ailleurs pas été présenté à l'Ex- 
position des Primitifs. Donc on s'en mériait. Peut-être va-t-on 
jeter du lest? Sacrifler l'écriture pour conserver la peinture? 
Il faut bien conserver quelque chose — fût-ce ce Musée du 



Faux dont un de nos abonnés proposait jadis la création 
(n" 14J et pour lequel on a déjà réuni au Louvre même 

(n» 17), de si précieux objets de curiosité. 



LA VIERGE ET L'ENFANT (fresque) 

ATTRIBUÉE A MICHEL-ANGE 

Un correspond.mt de Londres nous adresse, en réponse à la 
question posée dans noire numéro ai) par un de nos abonnes de 
Milan, l'indication suivante : 

Dans le numéro 29 des Arts, « un .Amateur », en vous 
écrivant au sujet d'un tableau attribué à Michel-Ange, dit se 
rappeler avoir vu une peinture pareille à Paris, en posses- 
sion du sculpteur Triqueti, puis de sa fille. Madame Deles- 
sert, depuis Lee Childe. 

Une dame anglaise, lectrice assidue des Arts, parente de 
Madame Lee Childe, m'écrit que le tableau dont parle votre 
abonné de Milan, appart ent aujourd'hui à M. Henry Paul 
Harvey. 

Veuillez agréer, etc. 



Directeur . M. MANZl. 



Imprimerie MANXt, Joyant & C'*, Asniéres. 



Le «rut I e. BLONDIN. 



LES ARTS 



N" 38 



PARIS — LONDRES — BERLIN NEW-YORK 



Février^i905 



LA PORCELAINE DE SEVRES 




VITRINE 

Cabarets. Cache-pol avec biiiii|uots île Heurs <Ie Si'Vres. — ('.ache-|K>ts provenant du Scrvire «le Madame Du Barrr. — Assiellc», salicrrs, tltéière», 1 

sur fonda blancs et de couleurs. — Ancienne pAte tendre de ïèvre» 



1 à décors TmiWs 




TKTE-A-TÉTE A DlîcOU DIÎ CL' llU.A.MiES 1)K ILULIIS, .\(J,I l>s 1)15 RUIIAXS ni.lXS EN HEI.IKI' ET HIXOEALX D OR 

Ce cabaret, décoré par Noël en 1775, a été offert par le Roi à Madame Sophie la même année. — Ancienne pSte tendre de Sevrés 

LA PORCELAINE DE SÈVRES 




COLLECTION CHAPPEY 



pi.aqle: I. AMoun trxdant son abc au milieu de buissons de nosES 

Ancienne pâte tendre de Sèvres. — Décor par Dodin (année 17C5), cadre bronze doré 

(Collection Chappey} 



POUR un petit nombre de privilégiés, une époque, en 
France, fut par excellence celle de l'élégance, du luxe 
aimable, de la conversation, et de l'agrément social. 
D'autres furent plus glorieuses, plus mouvementées, 
plus intéressantes pour la nation ; nulle n'estcomparable quant 
à la douceur de vivre. Et, comme l'art d'un temps est le reflet 
de ce temps, comme il en donne la substance morale avec la 
représentation physique, l'art décoratif du xviii= siècle est 
demeuré par excellence l'art social, — s'entend l'art qui 
convient à une société raffinée dans sa politesse, recherchée 
dans ses goûts, qui souhaite un décor analogue à sa façon de 
comprendre la vie et d'en jouir. 

Pour la femme, qui y fut la souveraine véritable, les 
artistes du xvni« siècle se sont efforcés de créer un art digne 
d'elle, un art où elle trouvât le cadre congruent à sa beauté, 
un art qui ne fût point de palais, — quoiqu'ils s'entendissent 
à en construire, — mais plutôt de châteaux, d'hôtels, de 
petites-maisons, un art qui n'exigeât point pour se déployer 
des galeries comme la Galerie d'Apollon au Louvre ou à 
Saint-Cloud, ou la Galerie des Glaces à Versailles, mais qui 
tint dans des salons, des boudoirs, des chambres à coucher, 
des « petits appartements », qui les rendit vraiment les tem- 
ples de la divinité qu'on y adorait, qui, en s'adaptant aux 
goûts, aux habitudes, aux façons des fidèles, prêtât, pour les 
conversations aimables, des fauteuils contournés dont les 
coussins moelleux emboîtent agréablement tout le corps ; 
qui offrit au déploiement des charmes dolents de la femme, 
les chaises longues où la paresse se plaît, qui disposât pour 
les confidences, tous ces petits canapés, à médaillons, en 
gondole, en corbeille, à joue, quoi ! « canapés-confidents » 
où deux personnes ne tiennent qu'à condition qu'elles 
soient si sages ! En nul temps on ne chercha mieux 




VITRINE 
Groupes, pendule et statuettes ancien biscuit de Sèvres pâte tendre; jardinières, tasses à décors variés, ancienne porcelaine dure de Sèvres 

I Collection ChappeyJ 



LES ARTS 



« les aises », on ne les servit avec plus de raffinement. Rien 
que sur les diverses sortes de tables servant pour les jeux, 
on ferait un traité; et les tables à brelan, à quadrille, à tri, 
à reversi, à trictrac, les tables trou-madame y mériteraient 
chacune leur chapitre. Pénétrez dans un de ces salons : vos 
yeux s'égaient aux soies brochées ou aux tapisseries qui 
couvrent les meubles ; ils se reposent sur les tableaux tapis- 
sés aux Gobelins, à Beauvais ou à Aubusson, qui, encastres 
dans des boiseries aux gracieuses sculptures dorées, prêtent 
aux murs une splendeur sans égale ; ils jouent sur l'or des 
pendules, des candélabres, des chenets et des appliques, 
sur le laiteux des marbres des cheminées et des consoles, 
ils éprouvent des délices sans pareilles en leurs rapides 
voyages, mais il manquerait quelque chose à leur joie si, 
pour accrocher le regard, pour rompre la monotonie des 
ors, pour tacher agréablement le marbre des consoles, pour 
échauffer d'un ton vif le blanc d'une boiserie, pour jeter 
partout une note d'art précieux, il n'y avait la Porcelaine. 





l'ond bleu de ro. à roscrvo de médaillons .■ marine et scùncs de eamp par- Morin 

Ancienne pute tondre de Sèvres (Haut. : 0»,40 sans socle) 

(Collection Chappey) 



l'AiHi': m-: vasks 

Fond rose u'il-de-perdrix — Décor »roiseaux, nionlurc en bronze ciselé et dcni- 

]iar Goulhière 

Ancienne porcelaine dure de Sèvres (tiaut. ; 0"',61) 

(Cnltettion Chappeyl 

Elle parait avec ce temps, la divine porcelaine de Sèvres, 
elle parait pour tout conquérir, pour devenir la reine entre 
toutes, pour demeurer le plus précieux et le plus fragile 
témoignage de ce que la société la plus exquise a pu imaginer 
de plus délicat pour plaire à la femme la mieux aimée. 
Parée des couleurs les plus tendres et les plus seyantes ; 
ornée de médaillons où les plus grands artistes se plaisent 
à déployer leur talent; décorée selon des imaginations à 
l'infini qui résument toute la période d'art et qui, par la 
matière, la forme, la composition, le dessin, la peinture, la 
monture, affirment l'étonnante habileté, le génie même des 
ouvriers du siècle , la Porcelaine — et c'est du sèvres bien 
sur qu'il s'agit — porte en soi la lumière, elle éclaire 
comme d'une puissance interne tout ce qui l'approche, 
elle éblouit par un éclat qui lui est propre; elle ne supporte 
point de voisinage, elle écrase tout du luxe de ses ors, du 




VITRINE 
Cabarets à fond rose Du Barry et à semis Pompadour, jardinières, bols, cafetière et tasses fond bleu turquin, tasses diverses à fonds de couleur 

(Collection Chappey) 



LES ARTS 




VASE ÉVENTAIL 

Décor de rincfiaux d'or 
réserve do médaillons paysages 
Ancienne pfite dure de Sèvres 



JAHDIMKRK 

Fond l)lcu tnrti«oise à réserve de médaillons 
d'après 'réniers 
Ancienne pAlo t<'ndre de Sèvres 
(Cottevtinn Chappeyj 



VAhK h\ KM.XII. 

Décor de rinceaux d'or 
réserve de médaillons p;iysage3 
Ancienne piMc dnrc de Sèvres 



brillant de ses fleurs, de la splendeur de son décor, de l'har- 
monie de ses tons, surtout, par-dessus tout, de la crème ini- 
mitable de sa matière translucide. Telle elle est qu'il est 
impossible de la méconnaître, quelque masque qu'elle mette, 
quelque vêtement qu'elle revête, quelque travestissement 
dont elle se couvre. Elle prend son bien où il lui plaît et 
s'amuse à des imitations; mais les modèles qu'elle a copiés, 
elle les transforme et les sublime, demeurant, elle, l'inimi- 
table. Elle ne se contente pas de régner dans les salons par 
SCS vases, ses statuettes, ses cache-pots, ses jardinières, ses 
fleurs, elle étend sa domination sur le boudoir par ses tcte- 



à-téte, ses solitaires et ses trembleuscs, sur la salle à man- 
ger, où la vaisselle plate lui rend la place pour le dessert et le 
café ; sur le cabinet de toilette, où elle fournit les pots à eau, 
les pots à onguent, les boites à mouches, les pots à fard, 
tous les accessoires de la toilette, jusqu'aux plus intimes et 
aux plus secrets; elle s'insinue partout, et partout elle porte, 
avec la grâce dont il semble qu'elle soit pétrie, une sorte 
de solidité et d'assurance qui est propre à elle seule. 

Cette impression qu'elle donne, alors que le moindre 
choc sufhrait à la briser, est comme une vertu de race qui 
tient à la perfection de la mise en oeuvre. Ses ors ne 




CACIIIM'OT 

Fond vert pomme k réserve de médaillons 
Sujets militaires par Morin 



JAnoiMliRE 

r'ond vert pomme à réserve de mi'daillons fleurs et fruits 
Contenant un bouquet de fleurs de Sèvres décorées au naturel 
(Collection Chappcyi 



t:Ar.n!î-P0T 
Fond vert pomme à réserve de médaillons 
Sujets militaires par Moria 



LA PORCELAINE DE SÈVRES. — COLLECTION CHAPPEY 




^ 




VITRINK 

Vases, ciibareis, tasses, trcmbleuses, hanaps, salières, bourdalou à décors variés sur fond blanc et fonds de couleurs 

Ancienne pâte tendre de Sèvres 
I Collection Chappey) . 




CACHE-POT DE FORME CONTOURNI-:E 

Fond blanc à décor de guirlandes de fleurs 
au chiffre de M'"» Du Barry 



JAUIUMI.KI: Ul. IoILML ijL Al>l;ll.i.t|;l I 

Fond de vannerie, entourage de Heurs de lis, 
ornée d'un bouquet de lleurs de Sèvres décorées au naturel 

(Collection Chappeyf 



cAcuii-i'oT ni-; i-'oiniE coM'.li: i i 
Fond blanc à décor de guirlandes de Heurs 
au chiffre de M"" Du liarry 



sont point des 
ors étendus et 
lavés sous qui 
l'on sent le 
blanc qui repa- 
rait ; ce sont des 
ors de métal; ils 
ont la robus- 
tesse et le gras 
du ciselé, ils ont 
la profondeur, 
l'unité d'une 
matière homo- 
gène. Ses blancs 
— parquel éton- 
nant mi racle! — 
nepapillotentni 
ne se bigarrent; 
ils ne se nuisent 
ni ne luttent les 
uns contre les 
autres; ils se 
prêtent à tous 
les jeux, aussi 
bien à suppor- 
ter toutes les 
couleurs et les 
plus vives et à 




leur servir de 
fonds, qu'à les 
faire valoir en 
en recevant eux- 
mêmes un éclat 
nouveau. Sont- 
ils blancs? Sans 
doute ! Et, près 
des autres 
blancs, quelle 
puissance ont- 
ils pour tout 
écraser ? Et, 
sur CCS blancs, 
voici s'étendre 
la gamme des 
tons, voici ces 
roses, ces bleus, 
ces verts, ces 
jaunes, voici les 
bleus profonds 
qui, striés ou 
vermicelésd'or, 
sont comme 
des pierres pré- 
cieuses ; voici 
ces roses de 
fleur, ces verts 



AIOUII'MIE ET SON PLATEAU 

Fond blanc h décor de guirlandes de fleurs 
Ancienne p;Ue tendre de Sèvres 
(Collection Chappey) 




VITRINE 
Cabarets, grand plateau en Vincennes, jardinière à décors de Téniers sur fond bleu turquin, 
plaque, groupe et statuettes décorés au naturel, vases, tasses, jardinières, décors variés 

Ancienne pâte tendre de Sèvres 
(Collection Chappey) 



10 



LES ARTS 



pomme, ces Jaunes, ces incomparables jaunes par qui tout 
un appartement s'éclaire. 

Rien d'égal ni de comparable au monde, rien de plus 
précieux, car rien n'a moins résisté à ces tempêtes qui, de 
1789 à 1900, se sont, à intervalles si rapprochés, abattus sur 
le pays qui produisit ces merveilles. A chaque révolution, 
à chaque émeute, pillage, sac et dévastation des palais, des 
châteaux et des hôtels. La première joie des émeutiers, c'est 
de briser ces objets fragiles et charmants. On les jette par k-s 
fenêtres, on les brise à coups de talon, à coups de sabre, à 
coups de bâton. N'est-ce pas un jeu, le jeu de « casse-pot », et 
quelle plus belle occasion de s'y distraire que sur les sèvres 
royaux I Et non paschez le Roi seul ; princes et ducs, favorites 
et fermiers généraux, les gens de la cour qui émigrent et les 
gensd'argent qui se terrent ont aussi leurs porcelaines, et les 
détruire est un plaisir parce qu'elles sont belles, rares, pré- 
cieuses et enviables. Les emporter compromettrait. Il y a 
des êtres timorés qui charbonnent sur les murs des « Mort 





CIRAM» VASK 

Fond hlcu de loi Ji anses de tores et ilo lanriers et cnlot godronnr doré 

Médaillons : Vénus et l'Amour, par Dodin, et bouquets de fleurs 

Ancienne pite tendre de Sevrés (Haut. : 0">43 sans socle) 

i Ctiliection Chappeyj 



VICMS KT 1. A.MOIfî 

Ancien biscuit de Sèvres, paie tendre 
f CtUleclinn Chappeyi 

aux voleurs 1 » et qui font comme ils ont dit; mais briser 
est civique, c'est l'acte généreux dune âme violente qui 
déleste autant les tyrans que ce qu'ils louchent ou manient, 
qui rejette au néant avec une patriotique horreur tous les 
gages d'une corruption détestable. Et ainsi disparaissent 
ces divins chefs-d'œuvre, ceux-ci parce qu'ils portent des 
armoiries proscrites, ceux-là parce qu'ils sont chargés d'un 
chiffre détesté; les uns parce qu'ils reproduisent la figure 
d'un souverain, les autres parce qu'on y représenta quelque 
victoire de la tyrannie, tous parce qu'ils sont beaux et que 
détruire quelque part de la beauté, guillotiner des statues, 
crever des tableaux, mutiler des sculptures, brûler des 
monuments, saccager des maisons et briser des porcelaines, 
est l'acte instinctif par lequel la populace affirme d'abord 
sa liberté reconquise et proclame son droit à vivre. 

Et c'est pourquoi un étonnement vous prend lorsque 
l'on visite la collection formée par M. Chappey. Com- 
ment, au prix de quelles recherches, de quels voyages et de 
quels sacrifices est-il parvenu à réunir un pareil ensemble? 
Certaines manufactures étrangères ont, à bon droit, con- 
serve des spécimens des objets précieux qu'elles avaient 
fabriqués et ont ainsi constitué des musées singulière- 
ment complets et intéressants ; mais, à Sèvres, l'on cher- 
cherait vainement, dans la manufacture, autre chose que 
des moules et des dessins ; dans le Musée céramique, l'on 
ramassa à de médiocres frais toutes les poteries à pâte 




VITRINE 
Assiettes et tasses à décors de paysages, devises, marines, etc., sur fond blanc et de couleurs. — Vasque armoriée 

Ancienne pâte tendre de Sèvres 
(Collection Chappejr) 



LES ARTS 



tendre, à pàtc dure opaque et à pâte dure translucide, 
les verres et les émaux de tous les temps et de tous les 
pays; terres cuites, poteries tendres lustrées, vernissées et 
émaillées, faïences fines, grès cérames, porcelaine dure ou 
chinoise, porcelaine tendre naturelle et artificielle, verres 
incolores, verres colorés dans la masse, verres colorés par 
application superficielle de couleurs vitrifiables; c'est une 
encyclopédie, aussi défectueuse, stérile et médiocre qu'une 
encyclopédie l'est d'ordinaire. D'après le plan d'organisa- 
tion, tel qu'il avait été tracé par Brongniart et Riocreux, le 



Musée céramique devait renseigner sur tout, c'est pourquoi 
il n'apprend rien et, de Sèvres même, moins que rien. Si, 
grâce aux moules subsistants, les biscuits s'y trouvent 
représentés, la porcelaine tendre n'y parait qu'en forme 
dérisoire : quatorze pièces des plus médiocres de porce- 
laine blanche, douze pièces en fonds divers dont plusieurs 
manquées, trente-deux pièces décorées, la plupart incom- 
plètes, non terminées, postérieures à 1800 : assiettes, tasses 
sans soucoupes, cuvettes sans aiguières, pots à pommade ou 
coquetiers, c'est le déplorable bilan de ce que possédait le 




V nui. NE 
Pièces de forme : soupière, aiguière, plateau, jardinières, caclie-pots, assieUes et tasses à décors varies sur foud vert pomme et autres pièces de dillereuls décors 

Aucicnae pftte tendre de Sèvres 
(Coilection Chappey) 



Musée céramique au moment où Brongniart et Riocreux en 
ont publié la description méthodique. Depuis lors, sauf 
quelques legs, presque aucun accroissement. Cela serait 
une honte de plus si l'on était à les compter. 

Ailleurs est-on plus heureux ? Au musée de Cluny, 
où est conservée une collection considérable de faïences, 



on trouve quelques porcelaines de la Chine, pas une pièce 
de Sèvres; au Louvre, près des faïences de Henri II et 
de Bernard Palissy, nulle place pour le sèvres. Les palais 
sont plus vides encore que les musées : dans ceux-ci 
encore, par suite de legs et de dons particuliers, pourra 
s'égarer quelque produit de la Manufacture; dans ceux-là, 



LA PORCELAINE DE SÈVRES. — COLLECTION CHAPPEY 




VITRINE 

Assiettes et tasses décors variés sur fond blanc et sur fonds de couleur 

Ancienne pAte tendre de Sèvres 

(Collection Cltjpycr) 



'4 



LES ARTS 



où rien ne subsiste d'antérieur à Napoléon I", qui les a 
restaurés et lésa remeublés en entier, les administrateurs 
se sont donné pour tâche de ne rien introduire que de 
contemporain et de constamment renouveler par de pires 
horreurs ce qui déjà devait passer pour le sublime dans la 



laideur. On ne nianque donc pas d'y rencontrer quantité de 
pièces fabriquées à Sèvres depuis i8o5 jusqu'à nos jours. 
Certaines des anciennes sont belles parce qu'elles fureiit 
exécutées suivant un plan, qu'elles répondent à une théorie 
artistique, qu'elles témoignent d'un effort, au triple point 




VITRIM-: 

1. — Trois grands vases et dcuN bri'ile-pariams tond bien de roi à décor de marines, Amours et sujet niytliologique. Ancienne p;Uc tcndr<' de Sèvies 

2. — Série de tasses avec émaux de C.otteaux 
3 et 4. — Série d'écuelles ii l'jnd de couleur et .à décors variés. — 5. — Série de tassés de Ij période révolutionnaire et du Directoire 

fCoUertinn Chappcyj 



de vue de la matière qui est la porcelaine dure, de la forme 
qui souvent est intéressante, de la décoration surtout, où, 
malgré des essais parfois malencontreux, il est impossible 
de méconnaître une recherche curieuse de fonds nouveaux, 
une application ingénieuse de métaux inusités, une habileté 



prodigieuse de la miniature. Cela peut déplaire, mais ne peut 
se confondre. Cela est d'un art peu sympathique, mais c'est 
un art officiel. Ces pièces, — celles uniquement qui datent 
de Napoléon et qui se rattachent à l'école napoléonienne, — 
sont dès à présent intéressantes ; elles le seront sûrement 



LA PORCELAINE DE SEVRES. — COLI.ICTION CUM'I'EY 




\ IT R I N E 

Assiettes et tasses à décors variés sur fond blanc et sur londs de couleur 

Ancienne pAie tendre de Sèvres 

(Collection Chappey) 



^ 



i6 



LES ARTS 



davantage dans un 
siècle ou deux ; 
elles ont eu l'im- 
mense mérite de 
maintenir la re- 
nommée de la 
Manufacture jus- 
qu'au moment où 
la fabrication est 
tombée à la bar- 
barie des formes, 
des couleurs et 
même des ma- 
tières ; mais elles 
ne sauraient , 
d'une façon quel- 
conque, être op- 
posées aux pièces 
exécutéesàSèvres, 
enpàte tendre, du- 
rant le xv[n= siècle 
à peu près entier. 
Seules pourtant 
ces pièces en pâle 
dure ont trouvé 
place dans les pa- 
laisqui subsistent 
après que les Tui- 
leries, Saint-Cloud 
et Meudonont été 
brûlés, puisque le 
principe, en ma- 
tière de mobilier 
national , est d'u- 
tiliser ce qu'on 
fabrique dans les 




OHAND VASE FORME) OVALE 

Fond bleu do roi. — I.i's aoscs formées par des serpents fi^iiranl le bronze doré 
fCollcclion Chappeyt 

manufactures nationales et de ne rien 



acheter qui soit 
ancien. Devant le 
Bot montant des 
hideurs invenda- 
bles de l'Art nou- 
veau, qu'il faudra 
bien quelque jour 
caser dans les pa- 
lais, les pièces 
anciennes — celles 
qui ne sont que 
fêlées — disparai- 
1 1" o n t quelque 
jour. On les ven- 
dra à l'une de ces 
ventes du Do- 
maine dont les 
amis sont infor- 
mes. La France, 
admirable pro- 
ductrice d'art, en 
est la plus détes- 
table conserva- 
trice. 

En France, cer- 
tains particuliers 
ont réuni des por- 
celainesde Sèvres. 
On en cite quatre 
ou cinq : MM. de 
Rothschild et Ma- 
demoiselleGrand- 
jean, pour ne 
nommer que ceux 
qui exposèrent en 
1889 ou en 1900. Ce fut un émerveillement de voir trente 



; .imiùi>' îSbîi Ai» .'Jl^?la!s!.. 



T^aKassm 



^^' 




incdii 



i'r..\.\Mii:\c 
Foud vert pomme a réserve de 
sur fond blanc 
Monture bron/.o ciselé et doré, Heurs et fruits 
Epoque Louis XVI 



coM'M ri:i(ii:ii 
Bord bluu turquin à guirlandes de (leurs sur fond blanc 
Ancienne pâte tendre <lc Sèvres 
(Collection Chappcy) 



FLAMBEAU 



Food vert poiiinie à ré-^erve de niédiiillons 

sur fond blanc 

Monture bronze ciselé et doré, fleurs et fruits 

Époque Louis XVI 



LA PORCELAINE DE SEVRES. - COLLECTION CHAPPEY 



'7 




VITRINE 

Collection d'assiettes et do tasses à décors variés sur fond bleu de roi 

Ancienne pAte tendre de Sèvres 

(Collection Chappej-J 



ou quarante objets appartenant au même propriétaire, et 
Ton trouva que, depuis le dispersement de la collection 
Double, on n'avait jamais eu occasion d'admirer à Paris 
tant de beautés ensemble. Puisque c'étaient là les collec- 
tions les plus réputées, qu'on juge des autres ! 

Hors de France, il est en Europe de belles porcelaines 
de Sèvres. Le roi George IV, lorsqu'il n'était encore que 
prince de Galles et régent, avait, au nombre des officiers de 
sa maison, un certain Benoit, homme actif, aventureux, 
qui, malgré la guerre, entreprenait de fréquents voyages 
en France et en rapportait à chaque fois quantité de 
porcelaines. On n'y risquait rien en effet. La Convention, 
pour mieux assurer le débit des objets qu'elle avait volés, 
avait levé les droits de douane. C'est ainsi que du mobilier 
des châteaux royaux et princiers, du mobilier des gens de 
cour et des gens d'église, du mobilier des fermiers et des 
receveurs généraux, la plus grande partie est passée en Angle- 
terre. C'est ainsi qu'il faut aller en Angleterre, chez le mar- 
quis d'Abercorn, Th. Baring, le duc de Cambridge, le duc 
de Hamilton, Robert Holland, D. C. Marjoribanks, le comte 
Spencer, surtout au musée Wallace, pour trouver des suites 
de porcelaines de Sèvres dignes de remarque. A Turin, à 
Pétersbourg, à Stockholm, à Berh'n, à Copenhague, à Vienne, 
à Lisbonne, on rencontre, dans les palais des souverains, des 
services qui attestent la magnificence du Roi très chrétien ; 
on en peut trouver encore chez les descendants de quelques 



ambassadeurs accrédités près de la Cour de France, tels que 
le duc de Bedford, le comte de Stahremberg, le duc de 
Manchester, mais si ce sont là des spécimens sans prix, — 
tels le service bleu turquoise et le service rose Pompadour 
du palais royal de Turin, — ils ne font connaître qu'un état, 
admirable à la vérité, de la production de la Manufacture, 
ils n'en révèlent qu'une époque, ils n'en montrent qu'un 
artiste ; ils ne donnent aucune idée de la diversité infinie 
des modèles, de l'étonnante variété des tons, cfe la fécon- 
dité des sculpteurs, des mouleurs, des décorateurs et des 
doreurs. 

La collection de M. Chappey, au contraire, c'est Sèvres 
même, c'est la Manufacture royale depuis les jours de 1-38, 
où Orry de Fulvy établit à Vincenncs les frères Dubois, 
transfuges de la manufacture fondée en 1695,0 Saint-Cloud, 
par Chicanneau, sous les auspices du duc d'Orléans, jus- 
qu'aux jours de 1800, où Alexandre Brongniart. par mépris 
pour la porcelaine tendre, non seulement en abandonna 
la fabrication, mais fit, dit-on, détruire les formules de 
mélange, en telle sorte que jamais, depuis lors, on n'arriva 
à en produire. 

Soixante-deux années donc. — Encore n'en faut-il bien 
compter qu'à peine cinquante, car le privilège obtenu par 
Orry de Fulvy « pour l'établissement d'une manufacture 
de porcelaine, façon de Saxe, au château de Vincennes », ne 
date que de 1745, le transfert de la manufacture, devenue 




URUMÎ- PARFUMS 



fond bleu du roi à réserve de doux médailloDS décorés de jeux d'enfants dans des paysages sur fond blanc ornés do guirlandes de Heurs et de rinceaux d'or 
Ancienne pâte tendre de Sèvres. — Décoré par Vieillard. — Lettre D (175C) . — Haut, sans socle : 0"'24 

(ColUction Chappey) 




V I T U 1 N E 
Cnche-pot vunneric, orne de bouquets de fleiirs de Sèvres, cabaret, plat à barbe, tr>*mbleuscs, vases i décors variés 

Ancienne pâte tendre de Sèvres 
(Collection Chappey) 



20 



LES ARTS 




LA GUERRE 

Ancien biscuit de Sèvres 



Tini.i:rTK i>r-: vi*:vLs. piMiiltili' 
Ancien biscuit de Sevrés, p;'de tendre 
I Collection Chappeyl 



\.\ PAIX 

Ancien biscuit <le Sevrés 



royale (ijSS), à Sèvres, dans le château de la Diarme, l'an- 
cienne maison de Lulli, est de 1756, et, à partir de 1791, 
l'activité de la fabrication se ralentit au point que les pièces 
dites révolutionnaires, en pâte tendre, h décors républicains, 
sont, sauf quelques biscuits, pour ainsi dire introuvables. — 
Quarante-six années, à dire tout à fait vrai, dont huit pour 



"Vinccnnes et trente-huit pour Sèvres, et dans ce demi-siècle 
il faut encore distini^ucr deux périodes : l'une de 1745 
à 1765 OLi l'on fabrique exclusivement la porcelaine tendre, 
l'autre de 1765 à 1791, ou si l'on veut à 1800, où l'on fabrique 
concurremment la porcelaine tendre et la porcelaine dure. A 
partir de 1 800, Sèvres ne fabrique plus que de la porcelaine dure. 




Ancien biscuit de Sèvres, pAte tendre 



Ancien biscuit de Sèvres 
(Collection Chappeyi 



\neien biscuit de Sèvi'es, pâte tendre 



LA PORCELAINE DE SÈVRES. - COLLECTION CHAPPEY 




VITRINE 

Cache-pots, écuelles, aiguière et plateau, hourdalou, tasses et assiettes à décors variés 

Ancienne pâte tendre de Vincennes et de Sèvres 

(Collection Chappejrj 




.iAninMi:Hr ovAi.R 

I-"(ind Itli'ti tiir<|ilin, dôcop d'oiseaux 

dan« dus paysaj^es 

Ancienne pâte tendre de Sèvres 



l'OllTI-:-IlOl"Qi:ET FOHMr: IVENTAIL 

:in(l IiliMi tnr<|nin, dt-cin-s d'AnidUrs et 

attributs sur fond Itlanc 

Ancienne pâte tendre de Sèvres 

I Collection Ckafpey} 



JAHDIMHItK nVALB 

luid bleu turquin, dèeor d'oivean? 

dans <les paysa;çes 

Ancienne ])àle tendre de Sèvres 



Ces expressions : porcelaine tendre et porcelaine dure 
qui re\:iennent constamment lorsqu'on parle de Sèvres, ont 
besoin d'une explication : « La porcelaine à pâte tendre, 
terre cuite translucide sans kaolin, à glaçure composée, dit 
Auguste Demmin, est une faïence translucide à la lumière. 
Sa cassure est blanche et son émail d'une blancheur pâteuse 
pareille à la crème. Elle est légère et douce au toucher, 
pareille à la taïence. Le dessous des pieds est partout émaillé 
puisque la porcelaine tendre est cuite suspendue à des cro- 
chets de fer, tandis que la porcelaine dure montre, au-dessous 
des pieds, des endroits privés d'émail là où elle était posée 
dans le four. Comme l'émail de cette poterie n'est qu'une 
espèce de vitrification peu dure, sorte de vernis, moins dure 
ménie que l'émail de la faïence et qui se cuit à peu près à la 
même température que le vernis ou la couverte des poteries 



vernissées, on peut l'entamer et la rayer à la lime et au 
couteau et sa pâte se gratte aussi facilement sous une lame 
d'acier que celle de la terre cuiie... La porcelaine de pâte 
tendre ne peut servir à la cuisson puisque le feu la lait 
éclater. 

« La terre cuite translucide au kaolin et à glai;ure kaoli- 
nique ou porcelaine à pdte dure est proprement du grès 
rendu transparent. Elle est transparente à la lumière; sa 
cassure est dure et blanche intérieurement comme le sucre 
ou l'albaire rompu. Elle a la blancheur du lait; au-dessous 
des assiettes et autres pièces, le bord du pied est dépoli ou 
sans émail. Elle est généralement plus pesante que la paie 
tendre et peut au besoin servir à la cuisson puisqu'elle sup- 
porte le passage du froid au chaud. » 

Pour la pâte rnéme, l'essentiel est que la porcelaine 




OKANDE TASSI! TnIMBLtUSE A c:orvi:ili:l 

Fond œil-dc-penlrix à réserve de médaillons pavsa; 



ges 



JAHI)IMl;UE I-OIIMIC i.otis \\ 
or de fleurs et fruits sur i'oiul blanc 



(illAMUC TASSK TKI-:.\I»LEL"SIC A IHIU VEHCl.E 

I-'otul gros bleu, décoré d'.\lnours en camaïeu rose 



(Collection Chappeyj 



LA PORCELAINE DE SÈVRES. 



COLLECTION CHAPPEY 



23 




CAKKrii-iliK, SI't.KII-:». <-.Hh\JIKIt 

Koiiil jfros bliîii il ivserv.' «U* im'-d lillnns tU> lltMirs cl fniîls sur fo:ul b!aoc 

Ancu-nni! pîUf trmlr.' d« St-vrcs 

t Collection Chapptyi 



tendre a ctd ordinairement, el selon des proportions variables, 
composée d'un mélange de niirc, de sel marin, de soude, de 



gypse, de sable, de craie blanche ci de marne, tandis que 
la porcelaine dure est formée de kaolin et de feldspath. 




VASK pouTK-norijrFT 
Di'rnr «II* pcrsonnnjïi's v\ pavsajîi's sur fnml blaiir 
Ani'ii'iini» pAti' tt'iuht' do VÎiipimuh's 



rVFKTlKRR 

Fond hb'ii df nn « diH*or invlholofïi(|uo 

Aiicirnno pAï»» Irndn' do S«"'vr.'« 

(CùiUctiom Ckmfpt^l 



v\«E is^«Tr-ih\ro»*«fT 
Aarionm* pAlt* Irwirv «Ir Via 



24 



LES ARTS 



La découverte faite à Saint-Yrieix, en 1765, sur l'impulsion 
de Monseigneur d'Audibert de Lussan, archcvéciue de Bor- 
deaux, et par les soins d'un apothicaire nommé Villaris, 
d'un immense gisement de kaolin, permit à la France 
la fabrication de la pâte dure, mais « comme l'émail ou la 
couverte de la porcelaine dure ne peut être mise en fusion 
convenable pour son mariage intime avec les couleurs du 
décor qu'à une température si élevée que le cobalt seul 
résiste tandis que les autres colorants minéraux disparaissent, 
il devient impossible de décorer la porcelaine autrement que 
sur la surface et à couches minces par des couleurs fondantes 
et cuites au petit feu du moufle ». Ces couleurs n'entrant 
presque pas dans l'émail ne peuvent avoir ni la solidité, ni 
l'épaisseur nécessaires ; elles manquent de gras et de corps ; 
la touche large et à effet devient presque impossible et 



« c'est pourquoi l'amateur à goût artistique préférera tou- 
jours la porcelaine à pâte tendre à la porcelaine à pâte dure ». 
A ces arguments décisifs présentés par Auguste Demmin en 
faveur de la pâte tendre, on a ajouté que, par une étrange 
coïncidence, la Manufacture commença à décliner au point 
de vue artistique, vers l'époque où elle entreprit la fabri- 
cation de la pâte dure. On ferait alors dater cette décadence 
de 1769, époque où P.-J. Macquer, commissaire du Roi 
pour la chimie à la Manufacture de Sèvres, présenta à 
l'Académie des Sciences les premières pièces de porcelaine 
dure fabriquées avec le kaolin de Saint-Yrieix. Ce serait 
rendre singulièrement brève l'existence de Sèvres et rien 
n'est moins conforme à la réalité, .lamais la Manufacture 
ne jeta autant d'éclat que durant les cinq dernières années 
du règne de Louis XV- et les douze premières du règne 




LAMOUR I)I-:SAH.MV; 



Anciens bisciiils de Sèvres, pAte tendre 

(Collection Chappey) 



L AMOfn r.u.vijris 



de Louis XVI, et ce fut son succès même, son succès 
mérité et incontesté, qui compromit sa prospérité. 

A l'instar de la Manufacture royale, quantité de manu- 
factures avaient surgi qui toutes échappaient aux lois exis- 
tantes en se prévalant de la protection d'un prince du sang : 
Fabrique de Monsieur, établie à Clignancourt en 1773 par 
le sieur Deruelle et marquant d'un M couronné; manu- 
facture de la rue Thiroux, fondée en 1777 par le sieur 
Lebœuf et honorée de la protection de la Reine qui donne 
pour marque un A couronné et permet que les porcelaines 
qu'on y fabrique soient dénommées porcelaines à la 
Reine; manufacture du Pont-aux-Choux>où, après les belles 



e sieur Mignon se 



faïences qui en ont fait la réputation 

met à fabriquer de la porcelaine sous le patronage du duc 
d'Orléans qui donne son nom à la manufacture et permet 
qu'elle marque de son chiffre ; manufacture de Sceaux 
dirigée en 1772 par le sculpteur Glot sous le patronage du 
duc de Penthièvre et marquant de l'ancre de grand amiral ; 
manufacture du faubourg Saint-Denis, dirigée en 1779 par 
Bourdon-Desplanches sous le patronage du comte d'Artois 
e' marquant du CP (Charles-Philippe) couronné ; manufac- 
ture, enfin, du duc d'Angoulème — il n'y a plus d'enfants 
pour la porcelaine — la célèbre manufacture fondée par Dihl 
en 1780, protégée par le duc d'Angoulème, âgé alors de cinq 



LA PORCELAINE DE SEVRES. — COLLECTION CHAPPEY 



25 




TASSIî TUKMUI.ICUSI-; 

»iijets d'attributs 



JARniMKItR OVAI.R 

d<!cor de fleurs et fruits sur fond blanc 

(Collection Chappey) 



TAs<«e thcmblecsb 
soJeU d'i 




{torPIKRIt 

Fond vert poniinc .î dt^or« de Oeurs ri fmît» 
ADricDne pAle tendre ilc Swrv*» 



26 



LES ARTS 




Décor de paysages en cainaicii bleu s:ir r.ind lilaiic 



ans et marquant 
au LA(Louis-An- 
loine) couronné. 
Chantilly, à la 
vérité, a fermé ses 
portes vers 1/85, 
mais, rien qu'à 
Paris, voilà six 
m a n u fa c t u r e s 
princières aux- 
quelles s'adresse 
la clientèle qui ja- 
dis allait à Sèvres 
et qui, mainte- 
nant, attirée par 
la nouveauté, l'es- 
poir de faire la 
cour à la Reine et 
aux princes, la 
facilité de rencon- 
trer chez les mar- 
chands de Paris 



qui sont à la mode les « objets de goût », se conienie au bon 
marché de ces pièces agréables, décorées de semis de fleurs 
d'or ou de couleur, de rubans et de cartouches, parfois 



de figures et de 
paysages, comme 
en particulier les 
produits souvent 
excellentsdeDihl. 
Cela, sans nul 
doute, est singu- 
lièrement i n fé- 
rieur au Sèvres, 
cela ne tient pas 
un instant à côté, 
ni pour la paie, 
ni pour le décor, 
ni pour les ors, 
surtout pour les 
ors, mais c'est la 
mode, mais Sa 
Majesté en veut 
chez elle, mais 
Monsieur en fait 
ses services, mais 
M. le comte d'Ar- 
tois ne mange ses fruits que dans la porcelaine et chacun des 
princes tient à honneur qu'on dépense bien de l'argent à sa ma- 
nufacture et que chacun trouve que Sèvres n'est rien auprès. 




Décor lie piiys.Ég.'s en ciinaieu bleu sur fou.l bl.inc 




AK.i ii.iti; i.i 1-1. Al i:\i 
Fond vorl iioinnic n i-éscrvo de médaillon de lluiirs sur fond ))lanc 
Ancienne pàtc tendre de Sèvres 
' CoUccUvn Chappey) 



LA PORCELAINE DE SÈVRES. — COLLECTION CHAPPEY 



27 




SEii.ir.MnK 

KoihI l'ose Du Hai-rv, oriK- dr |iîiys;ij;<'s animes sur fiiiiil blanc 

Aufirnntî |»jUt' li'ndrir di- Si-vri's 

(Cnllttlinn Chappei/I 



A cette concurrence effrénde, la Manufacture rovale 
oppose, en 1784, son privilètje et fait signifier défense aux 
fabricants particuliers d'employer aucune autre couleur que 
le bleu façon de Chine. Vaine tentative : les fabricants ont 
trouvé des protecteurs si iniluents, et la faiblesse du Roi est 



si grande que, par arrêt du Conseil du 17 janvier 1787,105 
manufactures de la Reine, de Monsieur, de M. le comie 
d'Artois et de M. le duc d'Angouième se trouvent reconnues 
et acquièrent le droit de tout fabriquer « sauf aucun ouvrage 
à fond or, ni aucun ouvrage de grand prix tels que les 




l'i.AMKi: \r. i)ii>iilnri> t'i) hrmi/i' 
UiM-m" tlo llciii's L'I lloiiivttos sur fond blanc 



T1U II isr 
DiH-tM- riliniiiji sur f,>n«l liUur 
Aiirit'nno pAlo tliirv tic Si*vn^ 
ICotltrliom Ckmfftj) 



Drcttr de llours c4 Acurcttcs Mir kmà Mi 



28 



LES ARTS 



tableaux de porcelaine et les ouvrages et sculpture, soit 
vases, figures, groupes excédant i8 pouces de hauteur, non 
compris les socles, lesquels demeureront réservés à la Manu- 
facture royale de porcelaine de France exclusivement à 
toute autre. » 

Les lettres patentes de 1787 qui consacrent la concur- 
rence, ne reçurent pas plus d'exécution que celles de 84. 
Les manufactures princières, même celles non reconnues, 
n'en continuèrent pas moins à fabriquer toutes les pièces 
qui étaient de vente, laissant à Sèvres, aux termes des lettres 
patentes, ce qui était de nul usage. Et c'est là, tirée des 
lettres patentes même, l'explication du discrédit où Sèvres 
tombe à partir de 1787 dans le public. Il ne s'agit plus d'y 
fabriquer des produits qui plaisent par des formes élé- 
gantes, un décor gracieux, une exécution parfaite, mais 



des œuvres dont la matière agrée aux chimistes qui la 
traiterlt, et soit curieuse, rare, peut-être intéressante pour 
les professionnels : par contre, elle ne l'est nullement pour 
les femmes qui s'étaient éprises du sèvres et en avaient 
fait la fortune. Mais, de cela qui prend souci?Sèvres est une 
administration d'Etat, Sèvres dédaigne le public. Qu'importe 
son goiit à ce public? 11 ne veut point de Sèvres, mais il le 
paiera tout de même ; il le paiera grâce au recors et au 
garnisairc. Sèvres n'est point même une administration, 
c'est une institution ! Critiquer Sèvres est un acte d'oppo- 
sition blâmable, un acte dont le patriotisme demande compte, 
comme si la patrie tenait dans un bourdalou ou un coque- 
tier ! A Sèvres, à l'aide de ces matières nouvelles, on 
fabrique des vases de plus en plus grands, des plaques dont 
on couvre les meubles et les carrosses, et sur lesquelles on 




Décor de rinceaux, cannelures et torsades dorés simulant le bron/.c, à réserve de 

Ancienne pAtc dure de Sèvres 
{ CoUectinn Chappey) 



médaillons à sujets mythologiques 



copie des tableaux, paysages, scènes de chasse, batailles, 
sujets de sainteté. A Sèvres, on n'exécute plus, pour le plaisir 
de ceux qui achètent avec leur argent, des objets d'usage ou 
d'ornement, mais on produit des objets de magnificence, qui 
ne peuvent trouver place que dans des palais, qui étonnent 
par leur matière et leur masse, la minutie de leur décoration 
médiocre et l'application désordonnée de métaux inusités, 
brillants au début, mais si vite tournés au noir. Ainsi fait-on 
dévier l'ornementation de la porcelaine comme l'utilisation ; 
amsi s'efforce-t-on, par une conceptioiî mégalomane, à pro- 



duire des objets qui semblent un défi au sens pratique 
et passe-t-on des vases de soixante-dix centimètres aux vases 
d'un mètre, de ceux-ci aux vases d'un mètre cinquante, 
pour arriver, après quatre-vingts ans d'efforts, au vase dit 
« de Neptune », de trois mètres quinze de hauteur et d'un 
mètre dix-sept de diamètre. 

De ces choses à celles que la Manufacture mettait naguère 
au jour, nulle comparaison. Le nom seul leur est commun, 
et le souvenir des beautés disparues dissimule seul l'horreur 
de la laideur présente. Cette laideur, et c'est là une des 




VAsi:s A KKux ANsiis. — Kpoiftic Dirccloïpo 

Dtri'iiratiiiii <l(t riitccuiix 

niécluilluiis ut (leurs sur l'oiul jaune 



HLT.KIKII KllKUl-: OVAI.K 

Fond hieii tiirqiiîn ii réserve de 
inédailloiis iliiiseaiix et fetiilhigcH sur fiind Idaiir 

f Collection Chappey) 



VASK A DKL'X A?fftKs. — Époqoc Dtrectutrr 

DiT4*rali<>n fl<- rînr«-jiu\ 
Uh^lailkm!* df fli-un» >nr ft'iid biru 



caractcrisiiques encore de la manufaclurc d'État, est toute 
d'inutile el oiseuse splendeur, dédait;ne de parti pris tout 
ce qui est ou serait pratique ; recherche le monumental pour 
aboutir au monstrueux el, lorsqu'elle manque, le monstrueux 
atteint à coup sûr le grotesque. Sous Louis-Philippe, par 



une suite des traditions de Fontaine, un exécutait encore à 
Sèvres des services pour les châteaux où l'un se coniraignail 
à suivre les bons modèles ; il tallut, sous le second Empire, 
rinitiative d'un prince qui avait à un haut degré le goûi des 
arts pour qu'on créai pour lui un service de table genre 




SM.ICItK A THOIS CHvnKS 

Fend hliinr il rulians Iden lun|Uuise 



l»I AT A itAHiir: ^ 

Sonùs do (leurs >ur fond Idaitr 
Aiirienno porrelniito tendre «le Seviv» 
i VoUtçtiom Ckmf^jft 



»ur I(hnI bluK 



3o 



LES ARTS 



antique, qui fut en son genre une 
curiosité intéressante ; pour les palais 
impériaux, l'on se contenta du blanc 
avec des chiffres en or ; pour les pré- 
sents, l'on eut des services qu'on dirait 
aujourd'hui, n'éiait la marque, achetés 
chez un porcelainier de province et 
décorés par des débutantes d'une école 
municipale de dessin. 

11 est vrai qu'aux prix qu'ils étaient 
facturés à l'État, ils auraient pu être 
de vaisselle plate. 

Quant à l'époque présente, il est 
infiniment préférable de n'en point 
parler. 



Jadis, l'art suprême allait à ce qui 
était de la décoration pratique : chacun 
pour ainsi dire des objets dont l'image 
est reproduite ici atteste une série de 
pièces analogues constituant un en- 
semble d'usage, tantôt de cinq pièces 
comme certains téte-à-téte, tantôt de 
dix pièces comme certains services 
à café, tantôt de cent pièces et plus 
comme certains services à dessert. Les 
cent huit assiettes toutes différentes 
de la collection Chappey évoquent 
cent huit différents services à dessert, 
et l'on peut prendre l'idée de ce qu'ils 
étaient, au double point de vue du 
nombre et de la qualité des grandes pièces, par celles du 
service de Madame Du Barry. Tout ce qu'on fabriquait alors, 




GROUPE D K.\KA>'TS .MUSICIKXS 

Déi'or au naturel 
Aneicnue pâte tendre de Sèvres 

(Collection Choppey) 



pondent à aucune 
société, affirment 



sauf peut-être les vases, était de la 
décoration d'usage, et, pour s'en assu- 
rer, les témoignages ne manquent pas, 
ni les documents. C'était pour parer la 
salle du repas, ces cache-pots avec 
bouquets de fleurs, ces vases minus- 
cules, ces groupes de biscuits et de 
porcelaine peinte, c'était pour manger 
et pour boire ces assiettes, ces théières, 
ces cafetières, ces pots à crème, ces 
salières, ces confituriers, ces rafrai- 
chissoirs, ces marronniers, ces écuelles 
à bouillon, ces sucriers pour le sucre 
en poudre, ces coquetiers, ces sou- 
pières; et les cuvettes, les aiguières, les 
pots à poudre et à fard, les encriers, 
les cassolettes, les flambeaux, les plats 
à barbe, les bourdalous, c'est la vie 
même qu'ils évoquent, c'est le détail 
de la vie auquel ils servaient. 

Ils s'y sont adaptés, ils ont été faits 
pour elle ; ils en représentent à la fois 
les habitudes et les goûts; ils en four- 
nissent les préférences et en tradui- 
sent les manies; ils attestent des per- 
sonnalités et ce sont les gestes dont 
on les prenait il y a deux siècles qui 
s'imposent à qui prétend les toucher. 
Tandis que les objets sortis depuis 
cent ans de Sèvres sont, à peu d'excep- 
tions près, des pièces de musée, imper- 
sonnelles et glacées, qui, n'ayant 
aucune utilité pratique, ne corres- 
civilisation, ne se rattachent à aucune 
seulement le bon ou le mauvais goiit 




IIANAI' 

Fond vert avec médaillon do fleurs 
Ancienne pslte tendre de Sèvres 



IIANAP 

Fond noir avec décor de Cliinois 

Ancienne pâte dure do Sèvres 

(Collection Chappey) 



IIANAI' 

Fond bleu tur([uin à sujet mythologique 
Ancienne pâte tendre de Sèvres 



LA PORCELAINE DE SEVRES. 



COLLECTION CHAPPEY 




Fond lie (le vin, (h'cnr «lo fleurs et IViiils 
Ancicnno pilto tendre de Sèvres 



MAnnON.MKRK AJOI'RKR 

Sinitilai;t la vannerie à <l<!>cnrs do rtihann hlous et ruses CDlrelacéff 

Ancienno pàlo tendre de Sëvrcs 

(Collection Chappeyi 



FoDil blco, déror de fleurs «t fmîls 
ADcienae pAte tendre de Serrée 




TIIKIKRR Oni.-ni:-l'KHDIUX 

Fond l>leu de roi à réservi' de nit'>dtiilli>ns 
paysage sur l'ontl lilant; 



CACIIK-POT POn\li: . M'^-'i \ 
Fond Meit tiirqiiuUo à réserve île inedailloit?* d Aiiiourn 
- sur fund blanc 
(Coltectlnn Chappeyi 



CAPBTIIIIIK 

Food bleu lurquoi»o à réserve do inodailltM» 
sujet mvthulogiquc sur fond blanc 




VASK KOUMI-: Tri.ll'K 

Fond iileu liirtiuoise 

Di'Ciir de lleurs et frutls 

sur fond blanc 



POT A CHKMK 

FoihI blanc 
A décors do Hours et arabesque» 



STATIKTTK 

Ancionno |M)rci*laino de Sevrr's 
décon'e au naturel 



POT A t:HK>IE 

DtTor do flours 
au rhilTïv de M"* Du lUrrv 



TA«ft rtmMK VrUFB 
f*ttnd blott lui 
Dvn^r» dr ttour* «t 
MIT tomd blaac 



32 



LES ARTS 



d'art — le mauvais 
bien plutôt — des 
époques traversées 
depuis Napoléon P^ 
ceux-là sont élo- 
quents autant par 
leurs décors que par 
leurs formes ; ils 
suggèrent un temps, 
des mœurs, des 
luxes, des splen- 
deurs disparus; ils 
évoquent les rois et 
les favorites, les 
reines et les princes, 
tout ce qui fut d'é- 
légance, de joliesse 
et de grâce en ce 
demi-siècle qui fut 
la grâce même ; et 
c'est pourquoi leur 
collection est si pré- 
cieuse : précieuse 
par la rareté, pré- 
cieuse par la ma- 
tière, précieuse par 
la décoration, pré- 
cieuse avant tout 
parce qu'elle est la 
représentation que nul homme au monde ne pourra désor- 
mais réunir aussi complète, de l'art le plus délicat qui 
ait été cultivé depuis qu'il existe une société polie. 




Air.UIKKH 

Fond gros bleu, d('*corée de paniers do (leurs 

Ancienne pAtc tendre de Sèvres 

(Collectlnii Ckappey) 



On sait des col- 
lectionneurs de pa- 
pillons qui payent 
très chèrement le 
butin des chasseurs 
qu'ils engagent tout 
exprès. Ce qu'ils 
achètent, ce sontdes 
papillons morts. Ici, 
aussi brillants, 
aussi colorés, plus 
beaux et plus rares 
que dans la nature, 
puisqu'ils sont des 
chefs-d'œuvre hu- 
mains et que les 
hommesqui les pro- 
duisirent sont morts 
depuis deux siècles, 
ces papillons de por- 
celaine — car à cela 
seulement la pâte 
tendre de Sèvres 
peut se comparer — 
ces papillons vivent; 
ils sont immortels 
malgré leur fragi- 
lité. Et l'Art qui 
leur a donné l'être 
rend célèbre du même coup, entre les noms des grands 
amateurs, le nom de celui qui aura la joie de les posséder. 

FRÉDÉRIC MASSON. 




AICUIHRE 

Fond gros bleu, décorée de paniers de lU-iirs 

Ancienne pAte tendre de Sèvres 

(Collection Chappey) 




J.VRDIMKHR 

M(''(IailIon d)î paysages sur fon<l blanc 

à semis de bleuets 

Ancienne pâte dure do Sèvres 



CAC.Illî-POT 

Fond l)leii Itirqnin à réserve de nu-daïllons lleiirs et friiîls 

sur fond l)lanr. — ■ Ancienne ]>Ate tendre do Sèvres 
i)rn(*i' d'un bou<[U('t di* fleurs de Sevrés di'-corée au nalurt-l 
(Collection Chappey) 



.i.\uniNTi:[{i: 
Médaillon <lo paysajçes sur fond blanc 
à sentis de bleuets 
Ancienne ])àle (hirc de Sèvres 



Directeur : M. MANZI. 



Imprimerie Manzi, Joyant & G**, AsniéreB. 



Le Gérant : G. BLONDIN. 



LES ARTS 



N" 39 



PARIS — LONDRES — BERLIN — NEW-YORK 



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CIM,- Ihnuii. Chmfiil y i:,t. 



ALEXANDRE ROSLIN. — François boicher, premier peintre ou roi 

(Musée de Versailles) 



« LES QUATRE SAISONS » 




ES Quatre Saisons de François Boucher, qui 
ont appartenu à Madame Ridgway, comp- 
tent parmi les plus intéressants ensembles 
de l'œuvre du maître. Ces toiles, relative- 
ment petites, — puisqu'ellesn'ont que o™56 
de hauteur sur o^ja de largeur, — repré- 
sentent le talent de Boucher sous ses faces 
diverses (scènes pastorales, scènes de 
nymphes, scènes contemporaines) et, comme elles sont 
encore de sa meilleure époque, on peut avec profit étudier 
tout à loisir ces œuvres charmantes. 

Elles ont une histoire assez complète, telle qu'il est 
quelquefois possible d'en constituer pour les œuvres impor- 
tantes de cette époque. Datées de ijSS, elles étaient desti- 
nées, à l'origine, à décorer une pièce élégante de dimensions 
moyennes, qui paraît s'être trouvée dans une des résidences 
de Madame de Pompadour. Les gravures contemporaines 
de Daullé, dédiées « à Madame la marquise de Pompadour, 
dame du Palais de la Reine », portent chacune que le 
tableau original appartient à Madame de Pompadour. 
Cependant on ne retrouve pas les toiles sur l'inventaire des 
tableaux de la marquise, dressé pour sa succession, et que 
j'ai eu occasion de publier. 

Elles ont dû être préalablement retirées par son frère, 
M. de Marigny, à qui elles ont aussi appartenu : en effet, en 
1782, elles sont mentionnées parmi les tableaux mis en vente 
après la mort de l'ancien Directeur général des Bâtiments 
du Roi. Malgré la défaveur où était tombé Boucher, aussitôt 
après sa mort, elles « font » encore, à cette vente, i ,402 livres. 
Il est plus que probable qu'elles avaient été commandées à 
Boucher par la marquise elle-même, qui se trouvait en rela- 
tions fréquentes avec lui. 

Le catalogue de la vente du marquis de Ménars (Marigny) 
les désigne ainsi : « Les Saisons, en quatre tableaux, faisant 
pendant. Ces sujets sont connus par les estampes qu'en a 
gravées Daullé. Deux de ces tableaux sont des pastorales; 
l'Été y est représenté par un bain de femmes, et l'Hiver par 
une dame en robe bordée de poil, assise dans un traîneau 
poussé par un Tartare. T. 27 pouces sur 20 de haut. » 

On a conservé à ces toiles les noms que leur donnent les 
estampes célèbres de Daullé. Ce sont les Charmes du Prin- 
temps, les Plaisirs de l'Eté, qui appellent une observation 
anccdotique intéressante, les Délices de l'Automne et les 
Amusements de l'Hiver. Regardons-les avec attention : nous 
y trouverons le maître tout entier. 

Les Charmes du Printemps sont naturellement une pas- 
torale où, dans le plus fantaisiste des paysages, s'encadrent 
les plus irréels bergers. La toile déborde ; pas un coin qui ne 
soit pris; mais cette abondance met toute chose à sa place ; 
on la sent née d'une imagination d'artiste, exubérante, mais 
avisée. Le ciel est bleu, les arbres clairs ; il semble tomber, 
des branches fleuries, sur le couple amoureux, de la poudre 
blanche parfumée. 



« Elle » est toute mignonne et blonde, sans caractère, 
étendue sur le gazon et appuyée au genou de l'ami, qui mêle 
des pâquerettes à l'or des boucles envolées. La lumière, 
franchement diffuse, baigne de son onde l'enfant douce, 
habillée de jaune, et les rayons se jouent dans les luisantes 
cassures de l'étoffe. Le corsage décolleté, les manches bouf- 
fantes et courtes, laissent voir la naissance de la gorge et les 
bras nus d'une exquise blancheur. Un ruban bleu passé 
au poignet retient un panier de roses, de jasmins et de 
myosotis ; les fleurs s'échappent et jettent sur la large robe 
des teintes pâles qui en rompent le ton vif. 

Le jeune homme, assis sur la margelle d'un puits, domine 
la bergerette et se penche tendrement; ses mains amou- 
reuses lui tressent une couronne. Son profil chifi'onné 
se détache sur la transparence d'une ombre légère; en ses 
cheveux frisés, d'un châtain soutenu, est un bouquet; le 
ton de ses vêtements va mourant, du manteau de satin rose 
à l'habit lilas et aux bas de soie blanche. 

Tout près de lui, dans la pénombre, une écharpe d'azur 
éclate; un tambour de basque est là qui contient de la 
lumière. 

Sur des Jonchées de fleurs, une chèvre se dresse, la tête 
seulement dans les rayons; une autre est couchée et semble 
bêlante. Un buisson de roses, à droite, fleurit les petits 
pieds de la fillette. Au loin, sur un fond d'arbres bleuté, 
se dessinent une tour ronde et un pont, sous les arches 
duquel coule un ruisseau. 

Nous sommes en plein pays de convention ; le rêve, ici, 
semble défier la nature; mais quel doux appel de couleurs 
rayonnantes, quel charme de jeunesse, de printemps et de 
gaieté ! Comme on le sent dans toute sa maîtrise, le peintre 
charmant du plaisir, et combien il est souple encore ce 
pinceau qui va bientôt s'alourdir ! 

Et voici l'Eté, avec sa caresse enveloppante d'air lumi- 
neux, avec la grâce indiscrète des trois baigneuses dont les 
corps nus s'offrent blancs et savoureux. 

Ce paysage n'est encore qu'un décor voulu par l'artiste, 
et d'une invraisemblance délicieuse. Le cadre resserré est 
comme une tonnelle de branches fines, sous laquelle entre 
à flot la lumière; les chairs roses resplendissent sous la 
coulée des rayons. Sur l'azur du ciel courent de floconneux 
nuages d'or. A droite, un monstrueux dauphin de pierre 
laisse épancher, de ses mâchoires ouvertes, l'eau qui s'écoule 
en cascade ; l'onde chantante par-dessous les roseaux vient 
tenter les baigneuses. Elles se sont dévêtues, et sur un 
buisson fleuri se voient leurs robes éclatantes, lilas, jaune 
et blanc broché d'or. 

Les trois femmes, groupées en arc de cercle, suivent une 
ligne du paysage. Toute l'attention se porte sur la plus déli- 
cieuse, la mieux dessinée et la plus vivante. 

C'est que cette adolescente est un être réel, dont le por- 
trait fut tant de fois copié avec amour. Nous voyons en 
elle Murphy ou Morphise, la première pensionnaire du 



(I) Depuis trois ans, Us Arts ont publié beaucoup d'œuvrcs de Boucher, beaucoup d'oeuvres considérables, beaucoup d'intéressantes, quelques-unes tout à fait hors de pair. Nous 
avons la bonne fortune de présenter aujourd'hui au public les quatre tableaux achetés par M. Eugène Fischhof à la vente de Madame Ridgway. Sans pénétrer sur le domaine réservé 
a notre collaborateur, M. Pierre de Nolhac, nous voulons remercier ici M. iLugone Fischhof de la gracieuse autorisation qu'il nous a donnée de reproduire directement ces inléres- 
sanles toiles qui, nous voulons l'espérer, ne sont pas définitivement perdues pour les amateurs français. 



N. D. L. D. 



LES ARTS 



Parc-aux-Cerfs, celle qui, à quinze ans, fixa le caprice de 
Louis XV. C'était vers la fin de 1752, et Boucher, dont elle 
était le modèle favori, passait pour avoir présenté au Roi 
cette jeune beauté. On a pu la retrouver en plusieurs de ses 
tableaux de cette époque, et M. E. Lassaugue vient préci- 
sément, dans l'Art, d'écrire son histoire. Un tableau de 
Besançon, qu'il a ingénieusement identifié, est l'étude la plus 
certaine de Murphyd'après nature. Et nous avons, dans les 
Plaisirs de l'Été, la même tête fine, la bouche enfantine, le 
petit nez relevé. Les cheveux noirs et les yeux sombres, la 
font mystérieuse, alors que son air ingénu ajoute à son 
expression un piquant étrange et inattendu. 

Elle est ici, réveuse,assisesousun arbre; elle n'a point ôlé 
sa chemise, mais l'épaule ronde se dégage de la mousseline, 
ainsi que les jambes élégantes. Sous le linon qui l'enve- 
loppe, se devine la grâce de son jeune corps si joliment 
abandonné; il est inondé de clarté et aussi éblouissant que 
celui de sa compagne étendue n'je à ses côtés. 

Est-ce encore Murphy qu'il faut voir en celle-ci, couchée 
sur une draperie aux teintes pâles, et dont une jambe plonge 
dans l'eau? Bien plutôt, ces chairs grasses aux touches roses, 
aux formes amples, le profil perdu, rappellent la Minerve du 
Jugement de Paris. La troisième baigneuse, moins jolie, se 
cache, peut-être pour cela, sous les roseaux. De ce groupe 
féminin émane une impression de volupté, d'harmonie et de 
splendeur. 

Les Délices de l' Automne ne nous posent aucun pro- 
blème iconographique. La saison nous offre son riche bou- 
quet de couleurs, éclatant dans la lumière d'or. Partout des 
fruits et des fleurs; la nature est comme surchargée ; les 
arbres ploient sous le feuillage, l'air est lourd et bleuté 
comme l'horizon. 

Ce serait le paysage banal des pastorales, si le pinceau 
entraînant du maître ne jetait de la joie, par de larges lou- 
ches. Pour les yeux, pour l'esprit, c'est une lente caresse, 
une gentille émotion sans secousse, toute la poésie d'une 
bouche rose qui sourit. 

L'enfant mièvre et blonde est pareille à tant d'autres de 
ses petites sœurs, qui naissent lumineuses du cerveau de 
Boucher. Elle est moins un être qu'un motif de décor char- 
mant, une blanche poupée sans âme ; mais on l'aime cepen- 
dant d'être si irréelle, si blonde et si menue. 

Sa robe de satin blanc est scintillante et ample ; elle se 
relève sur un jupon de soie lilas, et dessous paraissent, 
comme deux colombes grises, de tout petits souliers à nœuds 
de rubans. Le corsage est décolleté, les bras sortent des 
manches de linon; des roses pâles tombent en guirlande de 
la poitrine à la taille; un étroit chapeau, entouré d'un galon 
rose, se tient, comme par enchantement, sur le côté gauche 
de la tête, une petite tête ronde et fade, délicieusement jolie 
pourtant. 

L'amoureuse est assise et s'appuie sur l'épaule du jeune 
homme, qui est à genoux à ses pieds. Il jette dans sa jupe 
tous les raisins de ses mains pleines ; de belles grappes, qui 
tachent la robe blanche de grains ambrés et rouges. Un 
panier enrubanné est posé à terre, débordant aussi de fruits 
vermeils. Près de la fillette liliale, le garçon paraît plus 
hardi ; ses grands yeux ravis la regardent. Sa veste est 
rouge, sa culotte bleue, ses bas blancs ; le large chapeau de 
feutre, qui couvrait sa tête bouclée, est tombé à terre. 

Rien au fond du tableau que l'azur; et au-dessus des ber- 
gers, les branches qui se penchent de deux arbres enlacés. A 
gauche, des troncs renversés semés de fleurs, et plus loin, 
des arbres encore. Et le tout est d'une harmonie colorée, 
d'une verve lumineuse qui nous prend. Le meilleur idéal de 
Boucher n'est-il pas dans ses paysages? - 



Le Printemps fleuri a passé, l'Été et ses plaisirs ont suivi, 
puis les Délices de l'Automne sont venues; et enfin voici 
l'Hiver tout blanc de givre, sous un ciel à peine rosé. La 
lumière est exquise, fondue et éparse ; elle en est comme un 
grand rayon, la jolie femme assise dans un traîneau que 
pousse un vaillant patineur. 

L'esquif est tout doré, d'un mouvement de nacelle, avec 
un cygne à la proue. La blonde dame se repose sur des cous- 
sins de velours vert. Une fourrure retombe de ses épaules 
découvertes et fait délicieusement ressortir le ton nacré des 
chairs ; une autre, autour de son cou. se ferme par un de ces 
nœuds Louis XV, si coquets, si badins, semés comme des 
fleurs sur les grands habits de soie. L'ample robe est de satin 
blanc, d'un ton plus chaud que le blanc qui l'entoure; un 
manteau rose la recouvre, bouffant à larges plis. 

Les mains seules paraissent frileuses, elles se cachent 
dans un manchon de velours fourré. Les petits pieds, 
chaussés d'adorables sabots, s'avancent sur le coussin. La 
fine tête ne craint pas la bise, elle n'est coiffée que de ses 
clairs cheveux poudrés à frimas, retenus par des perles et un 
ruban bleu qui flotte au vent. 

Dans un gracieux élan, le jeune homme pousse le traî- 
neau. Ce n'est nullement un serviteur, ni même le « Tartare » 
ducatalogue de M. de Marigny; c'est un gentilhomme qui 
s'amuse, comme la belle dame qu'il conduit. Il est douillette- 
ment couvert. Une toque de fourrure descend bas sur le 
cou ; un manteau rouge met sa couleur éclatante dans cette 
ambiance de blanc pur, et retombe sur un habit bleu. Les 
mains sont gantées de blanc, et les patins, à rubans de soie, 
se recourbent en pointe de fer. 

La neige a tout recouvert de son fin duvet ; on sent le sol 
moelleux sous son tapis éblouissant; de capricieuses giran- 
doles sont suspendues aux branches mortes des arbres 
givrés, et un moulin abandonné a sa roue immobile dans 
l'eau congelée du courant. 

Pendant ce temps, l'amoureux, penché sur son amou- 
reuse, lui conte de bien agréables choses, à voir l'air attentif 
et heureux de la promeneuse blanche. Et c'est l'impression 
qui demeure de ce tableau d'hiver; Boucher devait mettre 
la note galante, en cette représentation d'un des plaisirs les 
plus goiîtés par la mode du xviii« siècle. 

Ces sujets des Saisons, d'un motif un peu monotone, se 
prêtaient cependant à l'harmonieuse décoration des appar- 
tements aux sculptures fines et sans surcharge somptueuse, 
telles que l'imposait l'architecture de Louis XV. Aussi furent- 
ils souvent répétés. Dans ses toiles fameuses, Lancret notam- 
ment avait développé le même thème, avec une plus large 
mise en scène, une composition plus étendue et de plus 
nombreux personnages. Le tout est heureux et joliment 
maniéré; mais Boucher de si loin l'emporte par la verve de 
son pinceau et les tons de sa palette! 

Lui-même donna, en 1/53, pour le plafond de la Salle 
du Conseil, à Fontainebleau, les Quatre Saisons qui devaient 
accompagner le Soleil qui chasse la Nuit. Ses Saisons, cette 
fois, n'étaient que des enfants, de beaux bambins potelés 
roulant dans la lumière, sur les nuages, sur le gazon... Mais 
Boucher est d'abord le peintre de la grâce féminine, le 
coloriste des chairs de femme, l'évocateur de la volupté, le 
metteur en scène de la fantaisie amoureuse. 

C'est là surtout qu'il le faut chercher. Factice et sincère 
à la fois, il croit à l'artificiel de son siècle, et son œuvre 
est peut-être la réalité d'une illusion, la vérité d'un men- 
songe. Et, pour tout le plaisir des yeux qu'il nous donne, 
comme nous lui pardonnons facilement son invraisemblance 
et sa convention! 

PIERRE DE NOLHA.C. 




THiiTYQUi;. — École flamande, commencement du xvi« siocîe 




l'OUTHAIT nu l'KMMn 

Ecole miluiuise, (in du xv« Biècle 
(Collection Chabricre-ArUs) 



LA COLLECTION 

CHABRIÈRE=ARLÈS 



APRÈS avoir étudié longuement ici mcme, la série si importante de 
meubles du xvi<= siècle que M. Chabrière-Arlès avait réunis et qui 
ont lait la grande célébrité de la collection, j'avais réservé les tableaux, 
sculptures et objets d'art dont il avait aimé à s'entourer et qui étaient le 
charme de ses loisirs. 

Les tableaux sont peu nombreux, mais choisis avec un goiit très sur; il 
est évident que les œuvres du xv= et du xvi= siècle étaient les préférées et 
s'harmonisaient d'ailleurs plus complètement que toutes autres avec les beaux 
meubles qui les avoisinaient. L'école flamande y est représentée par une 
charmante Vierge dont le visage, d'un ovale si pur, se profile sur un délicat 
bnd de paysage; puis par un triptyque oi.i la Vierge allaitant l'Entant Jésus 
est encadrée par,le portrait du donateur, peint sur l'un des volets; il est age- 
nouillé, les mains jointes devant son livre de prières ouvert sur son prie- 
Dieu et accompagné de son saint protecteur; sur l'autre volet est représenté 
un personnage debout, vêtu d'une longue robe bordée d'hermine et tenant un 
livre ouvert à la main. D'une grande limpidité d'atmosphère, le paysage avec 
ses arbres Ans sur un ciel léger, ses lointains très purs et ses accidents de 
terrain assez particuliers, évoque le souvenir des paysages des maitres ita- 
iens, et surtout des peintres du nord de l'Italie. C'est l'oeuvre d'un Flamand 
qui avait vu la terre promise. Ils turent si nombreux ceux qui, au début du 
xvi= siècle, en firent véritablement la conquête artistique, et rentrés dans les 
brumes du nord subjugués par le charme méridional, ne purent jamais se 
déprendre complètement. Gossaert tut de ceux-là et ce triptyque rappelle 
assez sa manière. 

(i) Voir les Arts, n"s 22 et 23. 



LA COLLECTION CH ABRI E RE-ARLE S 



Un de cts tondi llorcntins, dont Miiinz fit autrefois 
l'ctudc, riippcllcrii à nos lecteurs l'cL-uvrc churmantc et ana- 
lof^ue de la collection Foule que nous leur finies naguère 
connaitre. (ladeaux de nuuiage ou cadeaux de relevailles, 
ils sont toujours cliannanis par la jolie silhouette des archi- 
tectures et la j;race des personnaf^es. 

Un portrait de femme, dont le buste se présente nu, avec 
la triomphante beauté de chairs toutes pénétrées de soleil et 
dorées comme un fruit imir, nous propose réternelle enifjme 



de ce sourire indéfinissable dont Léonard avait su éclairer 
ses visages de femmes avec tant de subtilité et de délicatesse. 
Convient-il de proposer ici le nom immortel du grand maiire 
ou celui d'un des nombreux Milanais qui, pénétrés de son 
style, firent tant d'wuvres où son caractère est reflété? Il ne 
faut pas oublier que l'homme de si grand goût qui s« nommait 
Kugèiie Pi(n possédait cette it-uvre remarquable et en faisait 
le plus grand cas. 

l'n petit diptyque de buis i;uiilfe. pciiyciiroiné et peint 




1.K 11(11 iikmS D'ANJOU KT SA KKM.MB JBA^^K DK UVAI.. — IViutiirv t-uf iMii». — Knilr frunç»;», XT« itirrlr 

(rotUclin* ChubrUrt-Arlitl 



nous a laissé les traits du roi René d'Anjou et de Jeanne 
de Laval, son épouse. Ils se présentent exactement comme 
dans le petit diptyque que le roi René avait oti'ert à son 
dévoué serviteur .lean de Matheron et que M. Paul Durieu 
contribua jadis à faire entrer au Musée du Louvre. Le 
diptyque du Louvre qu'on a attribué à Nicolas Froment 
d'Avignon est cependant d'un dessin plus ferme et plus 
écrit que celui-ci, bien qu'il soit encore très inférieur aux 



superbes portraits où le roi René et sa femme paraissent en 
donateurs dans le célèbre triptyque du Buisson arJenl de la 
cathédrale d'Aix. 



La sculpture n'est représentée que par un seul monument 
mais d'une importance capitale. C'est une figure de marbre, 
en pied, de grandeur demi-nature, le corps vêtu d'une étoiïe 



10 



LES ARTS 




ANGE. — Marbre blanc. — École lombarde, xv= siècle 
(Collection Chabri'ere- Arles j 



LA COLLECTION CHABRIËRE- ARLES 



1 1 




II 



PLATEAU DE MARIAGE. — pkintiirk sur bois. — icoLS florbntink, xv« siècle 

(Collection Chabriire-Arlès \ 




LES ARTS 





iiorîi,(Kii':s lîT si'iiKHii; — XWonio don'-. — xvi» siècle 
( Collection Chabricre-A ries) 





M 



i.iiMAXT A I. ouTiiK. _ BroQzc. — Italie, xv]<' siècle 



l'ANTiiiiHK. — Bronze. — lUUe, xv» siècle 
(Collection Chabrière-Arlcs) 



siLkNH. — Uroûze. — Italie, wi-^ siècle 



souple lonihaiH 
en plis droits et 
pressés jusqu'aux 
pieds, la jambe 
gauche deiiii-iuie, 
légèrement ten- 
due en avant. Le 
visaged'unegràce 
toute juvénile, 
avec les grands 
yeux candides et 
les longs cheveux 
bouclés épandus 
sur les épaules, 
a ce charnie am- 
bigu qu'on re- 
trouve dans tant 
de figures sem- 
blables du quat- 
trocento italien, 
(^u'on se rappelle 
le délicieux page 




coFi-nK i;\ NovKH. — Art Iranrain. — \v(* si'Tlo 
(Collection Chahrlèie-AïUl) 



campi^ dans un 
coin du grand ta- 
bleau du Borgo- 
gnone à la Char- 
treuse de Pavic. 
Ce marbre, d'une 
patine chaude, 
tout ambrée, offre 
tous les carac- 
tères de l'École 
lombarde à la tin 
du xv« siècle. Il 
rappelle le beau 
tabcrnacicdcposé 
au musée archéo- 
logique de Milan 
et qui provient de 
l'église San Tro- 
vaso; les deux 
groupes d'anges 
qui se penchent 
vers la Vierge. 




NTI'HK KX VIRMKIl. — Art llMuaild. — XVI* Mccl*. — BIJOl'X CT MONTRE, — XVI* >i««l« 

(CoU*elio» Chatriirt-ÀrUt) 



ARTS 




aioiuicht: kt I'i-Vtkau u'aicuikhr. — Faïence de Dcruta. . 
I Collection Chabricre-Arlcs) 



XVI» siècle 




dans un mouvement d'ardente dévotion, tout en conser- 
vant une timide et respectueuse retenue, sont très proches 
par le style de la figure de la collection Chabricre. 

Parmi les bronzes, une oeuvre admirable est la panthère 
de l'ancienne collection Piot. Marchant la gueule ouverte et 
le fouet dressé, elle est traitée avec la vérité, la rigueur scien- 
tifique d'un écor- 
ché. C'est merveille 
de voir la con- 
scienceintelligente 
avec laquelle fut 
étudié et rendu le 
jeu des m lise les 
sensible sous la 
peau. Cette pièce, 
d'une fonte splen- 
dide, est de p'us 
d'une patine par- 
faite. Pas la moin- 
dre lourdeur, pas 
le plus léger em- 
pâtement; c'est au 
contraire surpre- 
nant de vigueur et 
de nerf. — Un petit 
enfant dont le pied 
nu s'amuse à dé- 
gonfler une outre, 
est une œuvre ex- 
quiseduxvi= siècle. 
Enfin, un petit per- 
sonnage ventru, 
tenant d'une main 



un vase, de l'autre une coupe, représente sans doute un 
Silène. Ce petit personnage, les cheveux crépus, la 
lèvre ombrée d'une moustache, a un type si particulier 
qu'on ne l'oublie plus. Un semblable se trouve dans 
a collection Martin Le Roy. L'œuvre est attribuée à 
Valerio Chiolli qui se serait inspiré du nain de Cosme 

de Médicis, Mor- 
dante. 

Trois belles 
é p é e s sont des 
types remarqua- 
bles de ce qui était 
alors réputé sortir 
desplusgrandsate- 
liers d'armuriers de 
l'Europe. Celles- 
ci sont italiennes, 
si l'on en juge par 
le décor des gardes; 
mais les formes 
étaient à peu près 
semblables aussi 
bien en Italie, qu'en 
France ou en Alle- 
magne, depuis le 
règne de Henri II 
jusqu'à la fin du 
règne de LouisXm. 
C'est l'époque des 
branches multi- 
pliées, contour- 
nées, entrelacées, 
destinées à enve- 




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LES ARTS 




LÉou.MiKR ii> vKRMEli.. — Époque de Luuis XV 
(Collection Chabriére- Arles I 

lopper la main comme un berceau. Il est visible même que 
dans l'une de celles-ci, non seulement les branches de gardes 
protègent le dessus de la main, mais des contre-garde 
viennent en dessous prote'ger les doigts 
repliés vers la paume. La première, à 
gauche de notre reproduction, est décorée 
en incrustations d'argent de mascarons 
d'où partent des rinceaux et des tiges de 
fleurs en assez tort relief; sur la lame se 
lit : Rodrigue Domingo. L'épée centrale, 
également incrustée d'argent, porte des tètes 
d'anges ailées, au milieu de beaux rin- 
ceaux. La dernière, la 
plus riche d'effet avec 
ses incrustations d'or et 
d'argent, est décorée, sur 
toutes les branches de la 
garde, d'une sorte de péli- 
can luttant avec un ser- 
pent, motif répété sur le 
quillon, alternant avec 
des petits personnages 
jouant des instruments de 
musique. — Un objet de métal est encore 
digne de retenir notre attention : c'est un 
beau lustre de cuivre, tel que les églises 
des Flandres en possédaient un si grand 
nombre, où, dans une sorte de lanterne 
surmontée d'un clocheton, se trouve une 
Vierge debout ; de grandes branches 
aux souples volutes partent de la base 
de la lanterne, et portent à leurs extrémités des bobé- 
chons à pointes. Ce très beau lustre, qui sort du type 



ordinaire si vulgarisé, appartint autrefois au Lyonnais 
Carrand. 

.le n'ai point à parler ici des beaux cuivres arabes, ni des 
deux boites en ivoire, qui furent prêtés en 190^ à l'Kxposition 
d'art musulman; il en a été parlé dans la livraison des Arts 
d'avril iQo3. 

D'une petite série de faïences italiennes, toutes du xvi= siècle, 
e ne retiendrai que deux pièces d'une qualité tout à lait 
exceptionnelle, un plateau et une aiguière de 
Deruta, aux reflets mordorés d'un éclat superbe, 
légèrement verdàtre et assourdi. Le plateau, 
décoré de compartiments alternés décorés de 
feuilles et d'imbrications, porte en son centre 
un profil de femme, commec'est l'habitude dans 
les plats des ateliers de Deruta. Ce beau pla- 
teau, sur le mur qu'il décore, harmonise ses reflets avec 
ceux de quelques beaux plats hispano-moresques. 



Une petite collection d'horloges et de montres de la 
Renaissance est chez M. Chabrière d'un très grand intérêt de 
curiosité. Elle n'a pas été faite de façon systématique, avec 
l'idée volontaire et arrêtée de taire l'histoire de cette industrie 
si intéressante. Cela a été fait magistralement à Paris par les 
recherches obstinées de M. Paul Garnier. Mais nous rencon- 
trons ici quelques objets de tout premier ordre qui pro- 




i.É(iUArli;H KN AKdKNT. — Éiioque de Louis XV 
i Collection Chabrière- Arles) 



LA COLLECTION CHA liRfJ: RE-ARLFS 



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vt-m-'^^^ 'TM^^^s^mmu^^jMi^^^s^jsîSi 



^.^tJ^^SÏM^^ 







ftiînvicR nK vov.vfiR nx viîhmkh, aiv vriviRs uv hAriMii>'. — ICpoqnc de Loiiin XV 
(Collection Chahrii rc-Àrl'es) 



=^] 



to, ■ ■■'v.-siç**!^-: 



I . i jiM i ni f iiii i » j i . ' .itm«j ' » i JwiamMi » 



TKSCTi^V^ 






I i:Tn iii.s i:n vKiivti:ii. ai \ vmmkh lu;** .\o\h.ik> l.j><Hiit<« <I« Louis XV 
fColUctinn. CkahrUre^Àrièsf 




liPliES INCRUSTEES DOR ET UAROEM. — Ilalio, XVI 

/Collection Chabricre-Àilis) 



viennent en grande partie de la collection Spitzer, si riche 
en monuments de ce genre. Les petites horloges ne diffèrent 
alors le plus souvent des montres, que par les figures qui les 
portent, ici une petite cariatide et là un Atlas (cette dernière 
signée Pierre Loutau, un horloger de Lyon, provient de la 
collection Spitzer, après avoir passé par celle de Carrand . 
Une petite sphère astronomique montée sur une base trian- 
gulaire renfermant un mouvement d'horlogerie à trois 
cadrans, porte la marque de Pierre Noytolon, un autre 
ouvrier lyonnais ancienne collection Maxmaron à Dijon). 

Les montres que nous donnons dans la reproduction 
entourées d'une très belle ceinture en vermeil, ajourée et 
ciselée, d'origine flamande, — offrent toutes des cadrans 
finement gravés enfermés dans des boites en cristal de roche. 



Il nous reste, avant de terminer, à parler des deux trésors 
de la collection Chabrière-Arlès, qui sont célèbres dans le 
monde des amateurs, les deux services de table en vermeil, 
l'un aux armes du Dauphin, fils de Louis XV ; l'autre aux 
armes des Noailles, qui furent l'objet d'une très grande 
admiration à l'Exposition rétrospective du Petit Palais en 
1900. 

Le service du Dauphin, conservé dans sa boite de gainerie 
originale, se compose de pièces de vermeil d'une ciselure 
superbe; quelques autres sont en porcelaine de Chine mon- 
tées. Ce service est passé par les mains du marquis d'Afos. 

La nécessité où l'on se trouva à la fin du xvii<= siècle d'en- 
voyer, sur l'ordre du Roi, tant de pièces d'orfèvrerie à la 
Monnaie pour y être fondues et monnayées afin de subvenir 
aux dépenses de la guerre, fut une des causes de ruine les 
plus certaines de ces objets si beaux et si précieux. Quelques- 
uns furent heureusement sauvés et ceux-là n'auraient peut- 



être pas échappé aux fureurs révolutionnaires de la fin du 
xviiis siècle, si quelques émigrés ne les avaient emportés avec 
eux à l'étranger. C'est à une raison de ce genre que nous 
devons l'existence de ce merveilleux service aux armes de 
Noailles. composé d'une grande cafetière en vermeil, d'une 
autre plus petite, de deux douzaines de grandes et de petites 
cuillères. Ces cuillères n'ont pas toutes des manches sem- 
blables; certains sont ajourés de deux branches entrelacées 
avec une étonnante souplesse. Les cafetières d'un galbe par- 
fait et d'une grande élégance portent une splcndide décoration, 
de longues guirlandes de feuillages en vigoureux reliefs 
au-dessous desquelles des médaillons portent gravés légère- 
ment des enfants jouant avec un bouc. 

En dehors de ces deux services, M. Chabrière, amateur 
passionné d'orfèvrerie du xvin= siècle, possédait encore 
deux légumiers, l'un en argent décoré des plus délicats et 
fins motifs gravés, l'autre en vermeil, de relief plus vigou- 
reux et de ciselure prodigieuse, où des cygnes alternent avec 
des gerbes de fleurs ou de légumes et deux anses merveil- 
leusement ajourées de deux branches entrelacées. Puis encore 
un sucrier d'argent d'un type rarissime; la forme en est 
légèrement surbaissée et manque un peu d'élégance, mais le 
décor quadrillé interrompant des bustes laurés d'empereurs 
romains, est d'un type admirable et très peu connu. 

Je n'ai pu qu'indiquer très brièvement quelles étaient les 
merveilles dont il avait plu à M. Chabrière-Arlès de s'en- 
tourer. Les joies qu'elles lui procuraient n'étaient point 
égoïstes : nul n'ouvrait plus gracieusement ses portes à qui 
était susceptible de tirer de ces visites une intime satisfaction, 
un souvenir durable et charmant. Nombreux sont ceux qui 
eii conserveront. 

GASTON MIGEON. 




I.A VIFIIOK l>R MIHKIIlCOKItK, PAR R.Xtil.'KRRAXM Qt*ARTO?( (U&3f 

Musée Conâi {Chantilly) 



Les Origines de la Peinture française 




11"" PARTIE. — DK LA MOUT DI' DVC DK Bi;RRI A l'aVÈNEMENT 
DE FRANÇOIS 1"^ 

ANNÉE 1432, qui vit s'achever le célèbre 
retable de Gand, marque une des grandes 
époques de l'histoire des arts. 

L'influence des Van Eyck, qui s'exerça 
par là, eut en effet pour résultat de déta- 
cher l'école des Flandres de l'imitation de 
l'Italie, et de soustraire celle-ci à une 
autorité qui auparavant régna sur toute l'Europe. Ce n'est pas 
sans raison que plusieurs ont remarqué dans cette première 
époque, un style de peinture international. Ce style, propre- 
ment italien, n'avait pas laissé de s'imposer partout. Des 
temps nouveaux virent naître la dissidence dont je parle, et 
dont les origines demeurent un mystère. 

M. Durricu en a très savamment reporté les premiers 
signes avant le tableau de l'Agneau, jusqu'à la seconde suite, 
peinte pour la maison de Bavière, des miniatures des Heures 
de Turin. Ces Ravières régnaient en Hainaut. Parce que les 
premières miniatures de ces Heures furent peintes pour le 
duc de Berri, ce n'est pas une raison de conclure à une 
parenté d'atelier de ces premières avec les autres. Au con- 
traire, n'cst-il pas remarquable que le style des Van Eyck, 
ainsi reconnu dans un ouvrage de quinze ans plus ancien 
que l'Agneau, n'est pas encore pour cela ôté aux Pays-Ras. 
où l'on a cru jusqu'ici qu'il naquit ? 

Ce fut comme tout d'un coup, et tout ce qu'on allègue 
contre la possibilité d'une aussi soudaine invention, ne paraît 
pas devoir tenir contre l'histoire. 

Peut-être s'est-on fermé tout à fait le chemin de la com- 
prendre, en s'cfforçant de dépouiller les Van Eyck de l'inven- 
tion de la peinture à l'huile. On a prouvé par vingt textes 
que l'huile avait servi bien avant eux à peindre, sans remar- 
quer que ce point n'est pas tant en question, que la manière 
dont ils l'ont appliquée. Or là-dessus les peintures récusent 
tous les textes. Toutes les huiles du monde aux tableaux 
plus anciens ne pourront faire que les Van Eyck n'aient pra- 

(0 Voir Its Aris, n« Hy, p. 17. 



tique en huile un procédé nouveau ci considérable, dont les 
effets éclatent dans leurs œuvres. Cela seul intéresse les his- 
toriens de l'art. Le reste est affaire aux chimistes. Dans un 
ouvrage récent, un expert, M. Dalbon. en remarquant l'im- 
portance du procédé brugeois, a rendu vain tout ce qui 
s'entasse là-contrc, et contribué à rendre aux Van Eyck leur 
vieille gloire. 

Elle diminue l'étonnement que cause le reste. La sou- 
daineté n'a rien qui surprenne dans l'invention d'une recette 
d'industrie. S'il est prouvé que cette recette favorise une 
imitatioii plus matérielle de la nature, et Téclosion sans elle 
impossible, d'une école de coloristes, peut-être on concevra 
qu'un peintre, tout d'un coup détourné vers ce nouvel objet, 
ait négligé la belle draperie, l'harmonie des visages, tout le 
grand style, dont l'éloignement des modèles antiques lui 
rendait aussi bien la pratique moins aisée. De là peut-être 
ont di'i naître, en même temps qu'un prestige de couleur, 
une transparence d'ombres, un modelé, une exécution sans 
pareils, ces airs de têtes plats et vulgaires, ces draperies 
cassées, ces gestes anguleux, toute cettegrimace, qui. s'ajou- 
tant à la gaucherie inévitable des premiers Ages, établit 
pour un siècle, dans les écoles du Nord, cette barbarie 
de dessin qu'on a nommée gothique, et que la Renaissance 
réforma. 

Les premiers effets de cette manière nouvelle se font 
sentir en France dans le fameux Bréviaire de Sarisbérj- 
Salisbury), et dans tout ce qu'on a coutume de rapprocher de 
cet ouvrage. Des signes certains empêchent d'en reculer le 
temps au delà de 1433. Il fut peint à Paris pour le duc de 
Redford, régent anglais de France au nom de Henri VL Ce 
manuscrit, célèbre par le nombre et l'agrément de ses pein- 
tures, mêle aux traits évidents du style des Van Eyck, assez 
de souvenirs de l'âge précédent pour qu'on fixe de son temps 
le passage d'un style à l'autre. Ce passage s'explique aisé- 
ment, si l'on considère que la miniature française était aux 
mains des ouvriers des Flandres, et ne subissait l'action de 
l'Italie que par ceux-ci. Il était comme inévitable que la 
nouvelle école de Bruges l'entraînât dans sa dissidence. De 



20 



LES ARTS 



discipline giottesque et florentine, aussi longtemps que tout 
le monde et même les Pays-Bas y furent obéissants, l'art 
français la rejeta presque en même temps qu'eux. Quand 
pour la première fois enfin se révélèrent dans un homme 
de notre nation, des talents qui peut-être eussent changé le 
cours des choses, le pli était pris, et Fouquet ne put que 
s'accommoder des pratiques établies. 

Il est chez nous le plus frappant exemple, et dans ses 
bons ouvrages une des gloires les plus authentiques de la 
discipline brugcoise. Aussi ne veux-je considérer, dans les 
années qui suivent la mort du duc de Berri, qu'une attente, 
et comme la préparation de l'apparition d'un si tameux 
artiste. 

C'est un intervalle de vingt-cinq ans, durant lesquels, 
hors l'enluminure, on ne trouve presque aucun ouvrage 
dont nous ayons à faire l'histoire. C'est un trait remar- 
quable du temps, et que l'exposition des Primitifs français 
aura rendu extrêmement sensible. Pour celte période, et 
même pour une plus longue encore, la disette de tableaux 
y était presque absolue. Depuis 1400 jusqu'à Fouquet, et 
dans l'espace d'un demi-siècle, le catalogue de cette exposi- 
tion ne contient pas plus de deux tableaux, ainsi libellés : 
École du Midi, École d'Auvergne. Un si grand vide ne put 
être comblé que grâce aux oeuvres de l'anonyme dit maître 



Aussi bien, depuis environ le même temps, les mentions 
d'archives ne se font pas moins rares. Soit effet des mal- 





Ctichi Ctiraudon, 

KTIE.\.NE CHEVAIJEU EN l'HlîiHE ASSISTÉ Dli SON SAINT PATKON 

Uiniatllrc des Heures d't^tiennc Clicvalier, par Ktniqilet (xv siècle) 
Musée Coudé (ChantUly) 

de Flémalle, universellement tenu pour Flamand, et que rien 
ne permet de ranger dans cette histoire.. 



jon ET SKS TltdlS AMIS 

Miniature des Heures d'Etienne Clievatier, par Fouquet (xv* siècle) 
Musée Coiitlc (Chaillilt;/) 

heurs publics engendrés de la conquête anglaise, soit disette 
effective de peintres, les trois quarts du règne de Charles VII 
se présentent comme vides à cet égard. Quelques mentions 
de lances peintes et vernies pour le roi réfugié dans 
Bourges, sont tout ce qui figure alors une école française 
de peinture. Le fil, jusque-là visible à peine par places, est 
cette fois rompu tout à fait. 

Fouquet le renoue vers 1445, qu'il peignit, à ce qu'on 
croit, premier de tous ses ouvrages connus, le portrait de 
Charles VII au Louvre. 

Il était de Tours, où quelques-uns veulent imaginer que 
la cour de Bourges tout d'un coup avait attiré les arts. On 
ne sait de façon certaine, en quel lieu, ni sous quel maître 
il se forma. Il vit l'Italie dans sa jeunesse, avant 1447, 
comme il ressort du portrait du pape Eugène IV, mort cette 
année-là, qu'il y avait peint. Au retour, de bonnes raisons 
font croire qu'il fut dans la faveur d'Agnès Sorel, maî- 
tresse du roi. Celle-ci mourut bientôt, en 1450. On le voit 
depuis travailler pour Etienne Chevalier, trésorier de 
France, pareillement protégé de celte maîtresse royale. 

Dans un tableau célèbre, qui décora longtemps la cha- 
pelle funéraire de Chevalier dans Melun, Fouquet avait 
peint l'un et l'autre : Agnès sous les traits de la Vierge, 



LES ORTGTNES DE I.A PEINTURE FRANÇAISE 



21 



Chevalier à genoux tourné vers elle, présenté par son saint 
patron. L'ouvrage formait deux volets, qui sont maintenant 
dans les musées, l'un d'Anvers, l'autre de Berlin. l'our le 
même il peignit encore les fameuses Heures de Chantilly, 



et pour un patron inconnu le Boccace de Munich, oii se 
trouve représenté en tête le procès du duc d'Alençon. Ce 
dernier manuscrit fut achevé en 1438, les autres peu aupa- 
ravant, ainsi que peut-être les Grandes Chroniques de 




LK TnKBUCHRMRNT DKS llovyR!4 ItAMt u'B.xrKn 

Miniatura de la Cilé de Dieu par Maitr* Kran^ois (xv> siwle) 
Bibtioihètf te matiomalt (PmrUI 



France du CaUnet des Manuscrits. On place vers 1460 le 
Jouvenel des Ursins du Louvre. 

Tout ceci marque que la fortune du maître était faite, 
quand Charles Vil mourut (1461), et que Louis XI lui suc- 



céda. Le nouveau roi At de lui son peintre en titre, dont un 
premier etTct sans doute fut le conseil qu'on lui demanda 
au sujet de l'empreinte du feu roi, prise pour les funérailles. 
Au reste, ce qu'il retira de cette fonction, parait avoir été 



22 



LES ARTS 



peu de chose. Tout ce qu'on sait de positif, est la miniature 
en tête des Statuts de l'Ordre de Saint-Michel, en 1470. 
Deux fois on voit le roi arrêter des travaux auxquels tout jus- 
tement notre homme fut employé. Le caprice d'une humeur 
chagrine, ou le soin d'épargner, le fait tantôt contremander 
des fêtes qu'on préparait pour son entrée dans Tours, tantôt 
suspendre le projet de sa sépulture. 

Cependant Fouquet recevait les commandes des églises, 
et de divers grands officiers et seigneurs. A Tours, Notre- 
Dame-la-Riche fut décorée de ses peintures. En 1472, il 
peint un livre d'Heures pour Marie de Clèves, veuve du 
duc d'Orléans, un autre pour Philippe de Commines en 
1474. Jean Moreau, valet de chambre du Roi, eut de lui un 
pareil ouvrage. Peu avant 1475 sans doute, que le duc de 
Nemours fut décapité, se placent les fameuses Antiquités 
de Josèphe, commandées par ce prince. On met dans le 
même temps les Faits des Romains, récemment révélés par 
l'admirable débris de quatre miniatures que M. Thompson 
en conserve. A ces pièces d'enluminure se joignent, en 
petit volume toujours, ses camaïeux d'or en émail, dont 
deux échantillons sont maintenant connus : le propre por- 




COXSTRLT.TIOX I>U TIÎMIM.K 1)1-: .IKKUSAi.KM 

Miuiatui'o lies Anliquilùs do .ToBÙplio, par Fouquot (xv siècle) 
Bibliothèque nationale (Paris) . 



trait de l'artiste au Louvre, et le Saint-Esprit accueilli et 
refusé, au Musée d'Art industriel de Berlin. 

Tels sont les ouvrages, tant conservés que mentionnés 
seulement dans les comptes, du maître. Il faut y joindre 
ceux-ci, qui montrent que sa renommée, vivante en Italie, 
n'avait pas moins pénétré dans les Flandres : des Heures 
commandées en 1460 par Isabeau de Roubaix, fondatrice de 
l'hôpital Sainte-Elisabeth de cette ville, un petit tableau 
peut-être peint pour le Téméraire, dont on trouve plus tard 
la mention aux inventaires de Marguerite d'Autriche. 

Or il importe de définir les mérites auxquels répondit 
ce grand succès. On ne les trouve pas dans les ouvrages à 
l'huile. Tous les grands tableaux de Fouquet pèchent par 
un dessin pauvre et raide, par un coloris rougeâtre et noir. 
La misère des draperies, l'enfantillage des poses, la haïs- 
sable boursouflure d'un modelé sans exactitude, achèvent 
d'en rendre l'aspect insupportable. 

Dans la miniature, tout change. Au bout de son pinceau 
d'enlumineur, Fouquet retrouve la facilité, les grâces, un 
degré de science précisément mesuré sur cet espace réduit, 
une liberté d'invention, une beauté de dessin, une saveur 
d'exécution et de touche qu'on ne finit 
pas d'admirer. Aucune des louanges 
que le nom de compatriote inspire à 
plusieurs historiens complaisants de 
l'art français, n'est à cet égard exa- 
gérée. Fouquet met dans ses petits 
tableaux une noblesse de style incon- 
nue des Flandres. Un peu de l'ita- 
lianisme d'un Paul de Limbourg 
apparemment survit chez lui, dans 
l'ordonnance, l'expression, l'air de 
tête, lequel est souvent d'un naturel 
exquis. Ses fonds sont une source 
renouvelée d'agrément. Les fabriques 
y sont peintes d'une précision et d'une 
légèreté sans égales. Avec ce qui, dans 
ces vieux ouvrages, demeure d'imper- 
fection aux eaux et aux feuillages, le 
paysage ne laisse pas d'enchanter, 
principalement dans les lointains, éta- 
blis et touchés avec un art parfait. 
Quant à cette partie, le Josèphe et 
les Faits des Romains renferment des 
chefs-d'œuvre. 

Fouquet mourut peu avant 148 1. 
Il faut remarquer qu'ayant, par ses 
rares talents, à nouveau tiré d'obscu- 
rité l'école française, il ne laissait pas 
de la replacer, un siècle et demi après 
Pucelle, à ce point de départ d'enlu- 
minure, où la fixaient ses destinées. 

Ceci n'empêche pas de signaler 
comme un exemple exceptionnel de 
grande peinture décorative, les Anges 
peints à la voûte de la chapelle de 
Jacques Cœur à Bourges. Il est vrai 
aussi qu'une école provinciale, que de 
récentes découvertes ont mise dans 
toutes les bouches, faisait preuve alors 
de talents du même genre. 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



23 



Ce qu'on nomme dcole d'Avignon, et dont les commen- 
cements palpables se placent vers 1440, parait avoir produit 
en abondance ce que nous cherchons en vain autour des 
rois de France, je veux dire des tableaux, et de quelque mé- 
rite. Ce mérite est attesté par les ouvrages d'Enguerrand 
Quarion, mal nommé Charonton sur un barbarisme avi- 
gnonnais, issu de Picardie, auteur en 1432 d'une Vierge 
de Miséricorde qu'on garde à Chantilly, et l'année sui- 
vante, d'un Couronnement de la Vierge à l'hôpital de 
VilIeneuve-lès- Avignon. 

Ces deux curieux tableaux méritent toute l'attention de 
l'historien. Ce sont des pièces de style en général flamand, 
qu'une composition indigente et confuse, joint le froid effet 
d'une matière qui ne diffère que peu de la détrempe, dépare. 
Cependant un regard attentif découvre sous ce fâcheux aspect 
quelques beautés de premier ordre. Un jet de draperie ample, 
soigneusement étudié et du plus majestueux effet, en fait le 
caractère principal. On le retrouve agrandi encore, dans la 
Pitié du même hôpital de Villeneuve et dans l'Homme de 
douleur de Boulbon, maintenant au Louvre, pièces ano- 
nymes qu'on croit d'un même auteur, odieusement barbares 
décomposition, mais d'une vigueur d'exécution surprenante. 

Or, quelle que soit à plusieurs égards l'excellence de 
ces exemples, une chose s'opposeà ce qu'on 
leur donne ici la même place qu'à ce qui 
précède. Rien en effet ne les relie au cours 
de cette histoire, soit dans le passé, soit 
dans l'avenir. La qualité de Picard recon- 
nue à Quarton, ne vaut à l'école française 
qu'une louange isolée. Ses talents s'exercent 
hors de France, aux ordres d'un mécénat 
d'Église et de négoce, dont le goût, les 
soins, les exigences ne devaient exercer 
nulle action sur le développement de nos 
arts. D'action directe sur les artistes qui 
travaillèrent pour les rois de PVancc ou 
pour les princes qui les approchent, on n'en 
voit pas davantage à ce peintre. 

Le patronage du bon roi René, quelque 
temps exercé sur la Loire, et qui depuis 
147 1 se transporta en Provence, ne valut à 
nos arts aucun retour d'Avignon. Personne 
de chez nous ne puise parson intermédiaire 
à cette source, que des particuliers ont peut- 
être contribué plus que lui à entretenir. Les 
listes d'ouvrages de ces peintres, publiées 
par M. l'abbé Requin, tous issus de com- 
mandes privées, ne laissent pas d'être fort 
longues. Rien n'oblige à croire que Pierre 
Villatte Limousin, Tavernery de Lyon, 
Grabuzetti de Besançon, Delabarre, Dum- 
betii, Yverni d'Avignon, pas plus qu'après 
eux Changenet de Langres, Grassi d'Ivrée, 
vivant sur les particuliers, aient tenu, grâce 
au roi René, quelque chose d'un patronage 
français. 

Quelques talents donc que révèlent les 
découvertes de l'avenir chez les sujets du 
roi de France qui de leurs ouvrages entre- 
tinrent cette école, ce ne sera jamais que 
dans un sens très particulier et restreint 



qu'on pourra les considérer comme représentant recelé 
française. Le fait est qu'ils n'en sont point issus, et que de 
façon directe ni indirecte, ils n'ont contribué à la former. 

Aussi bien, rien n'assure que ce qui sera découvert, 
tienne les promesses contenues dans quelques-uns de ces 
tableaux. Tout dans ce que nous possédons, n'est pas fait 
pour encourager de grands espoirs. Les œuvres de Froment 
d'Uzès opèrent précisément le contraire. Car, avec la meil- 
leure volonté du monde, que louer, soit dans sa Résurrec- 
tion de Lazare de 1461, aux Offices de Florence, soit dans 
son Buisson ardent de 1475, à la cathédrale d'Aix, dans le 
Saint Siffrein d'Avignon, dans le diptyque de Matheron au 
Louvre, suffisamment présumés de sa main ? De pareils 
morceaux semblent n'avoir vu le jour que pour montrer ce 
que l'imitation des Van Eyck pouvait engendrer d'exécrable, 
quand nulle étude soigneuse de la nature, quand nul soup- 
çon du clair-obscur, quand nulle transparence des cou- 
leurs, quand nul prestige de fonds lumineux et fuyants n'en 
rachètent la gothicité. 

Le roi René et la reine Jeanne sa femme ont leurs ridi- 
cules portraits au tableau d'Aix, qu'ils commandèrent, et 
dans le diptyque de Matheron. Faut-il en conclure qu'Avi- 
gnon n'avait dès ce temps-là rien de mieux à leur fournir. 




UWID RErRVVXT LA XirTKtLK »■ LA WiUlt BK »«t L 

Minialurc des .Vnli<|iiitrs <(>• Jowphr, par KonqaH (XT> liiclvt 
KMiMikcf M ma t tu utt* (Mri*) 



24 



LES ARTS 



ou que ce prince tut assez peu mêlé à la prospérité de 
l'école, pour que ce qu'on trouve chez lui en soit les pires 
ouvrages ? 

Le temps de son séjour d'Anjou le montre fort occupé 
de la protection des peintres. Outre quelques Flamands, dont 
on ne sait pas les noms, on l'y voit dès 1456 employer 
Copin Delf, et dès auparavant Barthélémy Declerc, tous 
deux de cette nation également, et pourvus de quelque 
renom. On sait du second un tableau peint pour la reine 
.Jeanne, et rien n'empêche de croire que l'un et l'autre con- 
tribuèrent à soutenir l'école que l'exemple de Fouquet avait 
laissée dans ces parages. 

Elle est célèbre sous le nom d'école de Tours, et il est 
vrai que la plupart des peintres qui depuis Fouquet jusqu'à 
Clouet mériteront d'être nommés ici, ont plus ou moins 
travaillé dans cette ville. 

Le roi Louis XI, logé tout auprès, au Plessis, préside à 
ses commencements. Ce n'est pas qu'il ait été grand protec- 
teur des arts. Outre Fouquet, son patronage s'étendit à 
Colin d'Amiens, connu pour avoir fait les dessins de son 




I.KS THO.MPETTliS DE JKHICIIO 

Miniature des AiUiquitcs de Joséplic, par I''oiiquet (xv" siè 
BibUuthcque nationale (Faris) 



tombeau. Mais ce qu'on a cru quelque temps entrevoir 
de dépense de sa part en faveur d'artistes italiens, se réduit à 
l'achat unique d'un tableau de Bugatto, disciple des Fla- 
mands et peintre des Sforces à Milan, qui ne parut à la cour 
de P'rance qu'un temps et pour quelques affaires. Ce tableau 
fut le portrait de F'rançois Sforce et de son fils Galéas-Marie. 
Le même peintre peignit aussi celui de Bonne de Savoie, sœur 
de la reine de France, pour ce dernier prince, qu'elle épousa. 
Un autre maître inconnu jusqu'ici, d'éducation flamande, 
comme fut Bugatto, a peint .Jeanne de France, sœur du roi, 
dans un tableau qui se trouve à Chantilly. 

Louis XI mourut peu après F'ouquet (1483). Charles VIII, 
qui lui succéda, et par lequel dix ans plus tard allait s'ébau- 
cher le retour de l'art français aux modèles d'Italie, 
cependant ne joue dans l'histoire de la peinture qu'un rôle 
très effacé. 

Ce qu'on vit sous son règne en ce genre, n'est que la 
suite naturelle et singulièrement dépréciée de ce qu'avait vu 
l'âge précédent. Du vivant de F'ouquet peignit, selon son 
style, maître François, gagé de Charles d'Anjou, et auteur 

d'une Cité de Dieu conservée au 

I Cabinet des Manuscrits. Les histo- 
riens de l'enluminure vantent à tort 
cet ouvrage mécanique et glacial. 
Fil 1482, Piqueau fit pour la reine 
Charlotte la première page d'une 
Vie de Jésus-Christ. Il y a dans 
celle-ci quelque agrément mêlé à 
beaucoup de faiblesse. Le même 
style, porté dans les provinces de 
l'Est, se reconnaît dans la Bible de 
Hugueniot de Langres, achevée dix 
ans plus tôt, pour l'évèque de cette 
ville. Il faut joindre F'rançois Co- 
lombe, qui termina pour le duc de 
Savoie, les Très Riches Heures de 
Chantilly, passées en possession de 
ce prince. Pour le duc de Nemours 
peignit Evrard d'Espinques, Alle- 
mand, dont quelques œuvres de ce 
temps-là étalent une manière diffé- 
rente, affreusement hâtive et brutale. 
Plus on considère les exemples 
de l'art d'enluminure en France 
après F"ouquet, plus on s'étonne 
qu'un si grand maitre, qui laissa 
deux fils peintres, n'ait fait aucun 
élève, que rien ne soit resté après lui 
au moins d'approchant à ses talents. 
Les manuscrits somptueux peints 
pour de grands seigneurs sont ce 
qui manque le moins dans les trente 
ans qui suivent. Mais quoiqu'on 
en renomme plusieurs, aucun ne 
mérite d'être tiré de pair, aucun 
même n'évite des reproches dont les 
bons ouvrages sont exempts. 

Ce qu'on y trouve de fâcheux 
surtout est le coloris rude et criard, 
et la mauvaise exécution du sali 
d'or dans les lumières, que Fouquet 



:1c) 



26 



LES ARTS 



avait porté au plus haut degré de perfection, l^ien n'égale 
chez ses disciples l'involoniaire grossièreté de celte partie, 
et le détestable aspect qu'elle communique au reste. La 
grande célébrité d'un livre comme les Heures de Louis de 
Laval (1489), celle de plusieurs autres, renommés pour 
marquer le temps de la belle miniature française, ne doit point 
empêcher de remarquer cette décadence. Le cas qu'on voit 
faire de Bourdichon, tenu pour un maître de l'art, ne 
saurait donner le change sur les réalités. 

On trouve mention de ce peintre, à Tours pareillement, 
depuis 1478. Tout le long du règne de Charles VIII, on le 
voit employé du roi, tantôt à des besognes accessoires de 
décoration et de tournois, tantôt à quelques rares tableaux, 
tantôt à des miniatures. C'est en ce genre seulement que 
nous demeurent des témoignages de son talent. Les Heures 
du Roi, celles d'Alphonse, roi de Naplcs, les unes et les 
autres au Cabinet des Manuscrits, en sont les effets pour ce 
temps-là. Les Fumée, abbés de Beaulieu près Tours, eurent 
aussi un missel de sa main. Il faut ajouter des Heures à 
l'Arsenal, et d'autres chez M. Edmond de Rothschild. Depuis 
l'avènement de Louis XII (1498), Bourdichon servit le nou- 
veau roi. Sous ce règne, en i5o8, il peignit le plus célèbre 
de ses ouvrages, choyé comme un joyau sans prix, complai- 
sammcnt célébré comme une merveille de l'enluminure : 




Cliché Giraudo». 



L ANNONCIATION 

MiaiaUiro dos Hiiurus d'Etienne Chevalier, par Fouquet (xv sieclu 
Musée Condt iChaniiliyj 



c'est les Grandes Heures d'Anne de Bretagne. Or, à ne juger 
que le talent dont ce morceau donne la mesure, on ne peut 
dissimuler qu'il est des plus médiocres. La pauvreté de 
l'inspiration, la crudité de la peinture, l'exécution froide et 
pénible, ne sauraient être rachetées ni par l'or, ni par la 
profusion d'ornement et de couleur dont il nous apparaît 
chargé. Les fleurs des marges, sur lesquelles quelques-uns 
ont pensé reposer une admiration que les pages mettent en 
déroute, ne valent certainement pas mieux que le reste. 
Elles n'ont ni dessin ni tournure, et le poli de leur exécu- 
tion ne fait que rendre plus sensible l'ignorance du peintre. 
Faut-il penser que Poyet, qui fleurit en ce temps-là 
(1491-1497), et servit également de miniatures la reine 
Anne, marqua quelque talent de plus? Le fait est au moins 
que tout ce qui nous reste de pièces anonymes même, méiite 
cette médiocre estime. 

Nous touchons à l'époque où se placent les nouveautés 
de la Renaissance. Bourdichon mourut sous F'rançois 1", 
en i52o. Ceux qui vont répétant que les peintres que ce mo- 
narque appela d'Italie, n'étaient pas nécessaires, et que la 
gloire de l'école française était parfaite avant eux, ne se 
contentent pas il est vrai de ce qu'on vient d'énumérer. Ils 
y joignent un assez grand nombre de tableaux, que des 
éloges persévérants ont imposés à l'attention publique, et 
qu'il s'agit maintenant d'examiner. 

Le plus célèbre, dont on ne songe point 
à méconnaître le mérite, est le triptyque de 
Moulins, où se voit une Vierge glorieuse 
entre les deux portraits de Pierre de Bour- 
bon-Beaujeu et d'Anne, (ille de Louis XI, sa 
femme. 

On ne connaît pas l'auteur de ce tableau. 
Tout ce qu'on a jusqu'ici fcurni d'inlbr- 
mation à son sujet, ne consiste qu'en 
quelques autres pièces que les historiens 
de l'art pensent lui attribuer. La Donatrice 
Sonizée, maintenant au Louvre, la Vierge 
priante de Bruxelles, le Saint Victor au 
Donateur de Glascow, la Nativité d'Au- 
tun, une petite Assomption à M. Quesnet, 
composent ce bagage, assez peu propre en 
soi à éclairer la vie de l'auteur, et du reste 
purement supposé. 11 est certain que d'une 
part le lien qui relie tous ces ouvrages est 
des plus fragiles, l'identité de style et d'exé- 
cution n'étant nullement de celles qui 
s'imposent ; d'autre part, les conditions his- 
toriques de chacun sont presque toutes 
indéterminées. La Nativité, où figure Jean 
Rollin, n'a été datée de 1480 (en démenti 
de l'âge apparent du personnage) que pour 
cadrer avec l'attribution. Le nom de la 
Donatrice Somzéeestinconnu. Tout ce qu'on 
a promis de démontrer touchant le tableau 
de Glascow, n'a pu sortir d'un vague et d'une 
incertitude qui devaient dispenser d'en rien 
dire. Que dire de ceux de ces tableaux où 
n'entrent ni portraits ni costume, et dont 
il faut espérer moins encore ? 

Quant au retable de Moulins lui-même, 
le public instruit attend encore non pas la 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 




LE PARADIS ET LES Pt'CUKS DE LA TERRE 

Miniature de la (]ité de Dieu, par Maître François (xv« siècle) 

Bibliothèque nationale (Paris) 



28 



LES ARTS 



preuve, mais seulement une raison de présumer qu'il est 
français. On n'en connaît que deux sortes en ces matières : 
ou des textes, ou des ressemblances de style avec d'autres 
peintures démontrées de cette provenance. Les textes 
manquent. D'ouvrages authentiquement français, il n'y a que 
ceux de Fouquet, de Boardichon et les semblables, avec les- 
quels tout le monde a^'ouequele tableau de Moulins n'otl're 



pas la moindre ressemblance. Quant à reconnaître simple- 
ment dans ce tableau les qualités abstraitement déduites du 
génie français dans les ans, c'est une méthode qu'aucune 
autorité n'a recommandée jusqu'ici. Rien aussi bien n'em- 
pêche de le croire d'un Italien touché de l'influence des 
Flandres, de sorte qu'on ne serait pas même tenu de lui don- 
ner place dans cette histoire, sans la circonstance d'avoir éic 




T.E Dr; PART rtE T 

Miiii;iliiiv ili^ la CilM di- Die 

Hiblioll.i'f/'i 



peint au commandement de princes français. Ce témoignage 
même fait défaut aux autres tableaux qu'on vient de dire. 

Pourlemaître nommé des Bourbons, auteursupposé, outre 
ces mêmes princes au Louvre, du cardinal de ce nom à Chan- 
tilly, et d'une fausse .Jeanne la Folle exposée aux Primitifs 
français, un mot suffit à son sujet. Ces pièces sont trop mau- 
vaises, d'un coloris trop froid, d'une exécution trop triviale 
pour intéresser la critique. Le triptyque du Palais de.hisiice, 
supposé français sur des preuves incertaines en somme, ne 



nKOI.nolE FT DlIISTOinR 
1, pu- Maili-c Krançois ixv» slrfli') 
iiatioi.atc < Pw isl 

fournit pas un argument meilleur. Enfin l'excellent Charles- 
Orland, dauphin de France, non moins isolé de style que le 
retable de Moulins, n'est pas un appoint plus solide au 
fantôme d'une école française dont on s'efforce de nous payer. 
Sur un seul point, ce qu'on propose rencontre des vrai- 
semblances palpables : c'est le Cruciliement de Loches 
(1485;, visiblement apparenté aux miniatures de Bourdichon, 
et que plusieurs déclarent son œuvre. Si le fait se confirme, 
l'occasion sera belle de corroborer l'impression que laissent 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 




RAOUL DE PRESLE PRÉSENTANT AU ROI SA TRADUCTION DES ŒUVRES DE SAINT AUGUSTIN 

Miniature de la Cité de Dieu, par Maître François (xv< siècle) 

Bibliothèque nationale (Paris) 



3o 



LES ARTS 



les miniatures du peintre, par la faiblesse e'gale de ce 
tableau. Le jour viendra peut-être où de pareils morceaux, 
dûment authentiqués aux peintres de la Loire, attesteront 
par leur médiocrité autant que par leur petit nombre, le peu 
que valait une production si témérairement célébrée. 

Il reste à nommer Perréal, dit Jean de Paris, qu'on offre 
de reconnaître pour l'auteur du tableau de Moulins. C'était, 
à juger par les textes, un habile homme, maître en décora- 
tion et en dessin d'architecture. Il tenait de ce chef une 
grande place dans Lyon, où on lui voit faire son principal 
séjour. Seulement, ce qu'on trouve chez lui de mentions de 
tableaux, tient en deux mots : en 1497, le portrait d'une 
beauté célèbre, qu'il alla faire en Allemagne; en iSoj, pour 
le roi Louis XII, celui de Guillaume de Montmorency et de 
quelques autres personnes de la cour. C'est tout. Le reste, pen- 
dant plus de quarante ans qu'on le suit pas à pas, à travers des 
mentions dispersées il est vrai, ne contient pas la moindre réfé- 
renceà destableaux. Ce qu'on suppose de plusn'estqu'enl'air. 

Comme Bourdichon, Perréal fut au service de Fran- 





LA FUITE EN EGYPTE 

WÎDialurc des Graades Heures d'Anne de Bretajj;ne, par Bourdichon (1508) 
Bibiiothcque nationale (Paris) 

çois l". Il mourut peu avant i528. Avec ces deux maîtres, 
l'un médiocre, l'autre sans ouvrages connus, finit l'histoire 
de l'ancienne peinture française. 

Il y avait trente ans que ce qu'on nomme la Renaissance 
avait commencé pour les autres arts. On en marque judicieu- 
sement l'époque à la campagne de Charles VIII en Italie, 
l'an 1495. La débilité de la peinture dans le même temps fut 
cause que cette division ne la touche qu'à peine, et qu'on peut, 
ne parlant que de cet art, la négliger. A qui pourtant souhaite 
de remonter aux origines les plus délicates des choses, il con- 
vient défaire remarquer l'italianisme naissant dans les Heures 
de la reine Anne par exemple. Nul doute aussi que Perréal, 
qui fit les dessins du tombeau de François 11, duc de Bretagne 
à Nantes, n'ait également donné dans cette imitation. Plusieurs 
ont avancé la même chose de Fouquet, mais contre l'évidence 
des faits. Aussi bien dans ce règne de Charles VIII même, il 
ne s'agit que de signes les plus faibles du monde, noyés dans 
la pratique de tout l'âge précédent. 



SAINT SEBASTIEN^ 

Miniature des Grandes Heures d'Anne de Bretagne, par Bourdichon (1508) 
Bibliothèque nationale (Paris/ 



(A suivre./ 



L. DIMIER. 



TRIBUNE DES ARTS 

Le Retable du Parlement de Paris 

La communication de M. Amédée Pigeon, publiée dans le numéro 3y des Art», a attiré, de la part de nos abonnés qui n'avaient pas tous pris connaissance 
de la note initiale, un nombre considérable de protestations . L'eussions-nous fait à dessein, nous n'aurions pas mieux réussi. Les assertions peu démontrées de 
M. A médou l'i^eon ont provoqué un mouvement que nous avons été heureux de constater, puisqu'il a apporté des notions nouvelles et des indications précieuses. 
Nous remercions ici ceux de nos correspondants dont nous nous faisons un plaisir d'insérer les lettres et nous nous excusons près de ceux dont, à notre 
grand regret, les exigences du journal nous obligent d'ajourner, ou même de supprimer, les intéressantes communications. 

N. D. L. R. 



La Vierge au donateur provenant Je la 
cathédrale d'Autun et conservée au Musée du 
Louvre est attribuée à Van Eyck parce qu'elle 
est incontestablement de la même main que 
lesMt7i/«/7c.v de l'Institut Siifdcl à Francfort et 
de la galerie de Dresde, que VAnnoiiciation du 
Musée de l'Krmitage à Saint-Pétersbourg, sur- 
tout que la Vierge entourée de saint Georges 
et de saint Donatien, adorée par le chanoine 
Van de Pacte, que possède l'Académie des 
Beaux-Arts de Bruges. Les analogies entre ce 
dernier tableau et les Madones de Dresde et du 
Louvre sont nombreuses et caractéristiques : 
mêmes figures de la Vierge et de l'Entant, mêmes 
colonnes à chapiteaux historiés, mt-mes fenêtres 
cintrées, ornées des mêmes vitraux, même tona- 
lité générale, mêmes plis des vêtements, surtout 
même exécution des nus, des orfèvreries, des 
étoffes, en un mot, même esprit pour concevoir 
et même main pour exécuter, donc même au- 
teur. Quel'on nes'arrêtedonc pas,pourchanger 
l'attribution du tableau du Louvre, au détail 
des personnages du second plan vus de dos, 
personnages accessoires et n'ayant avec ceux 
du Retable du Parlement de Paris qu'une 
ressemblance très superficielle, nous les retrou- 
vons dans bien d'autres tableaux : dans \c Saint 
Luc de Munich et dans le Saint Luc de l'Er- 
mitage, dans des œuvres d'auteurs très diffé- 
rents, exécutées parfois à plus de cinquante 
ans de distance. Fixer des attributions par de 
semblables détails, c'est créer le désordre et 
confondre Van F2yck et Fouquet avec l'auteur 
du Retable du Parlement de Paris, qui n'est ni 
l'un, ni l'autre. Quant à la Vierge au donateur 
du Louvre, elle restera attribuée à Van Eyck 
tant que la Vierge adorée par le chanoine 
Van de Paele lui sera donnée, et il n'y a pas 
lieu de prévoir que cette attribution soit rai- 
sonnablement modifiée avant longtemps. 

Un Ahonni';. 



Monsieur, 
.l'admets fort bien que le symbolisme a 
joué dans l'art du xv« siècle un rôle considé- 
rable, mais pourquoi chercher des symboles 
là où le problème se pose d'une tas'on si 
simple et si naturelle? Aux côtés du calvaire, 
je vois, comme il est d'usage, deux saints qui 
sont debout : saint Jean et saint Denis : Saint 
Denis, apôtre des Gaules et l'un des patrons 
du royaume ; saint .lean-Baptiste, dont une 
relique insigne (la partie supérieure du chef) 
fut, en 1247, donnée par Baudouin IL empe- 
reur de Constantinople, à saint Louis, roi de 
France, qui la déposa à la Sainte-Chapelle. 
Saint .lean-Baptiste est donc par là un des pa- 
trons du Palais dont la Sainte-Chapelle est la 
paroisse. Remarquez encore que la célébration 
toute spéciale de la fête de la Nativité de saint 
.lean et le feu de joie de 7,000 livres qu'on allu- 
mait devant THotel de Ville, donneraient bien 



à penser que saint Jean-Baptiste était un des 
patrons de la ville, concurremment au moins 
avec sainte Geneviève, la Ville, le Corps de 
Ville, l'Hoiel de Ville ciani premier paroissien 
de Saint-Jean en Grève. A coté de saint Denis 
est debout saint Charlemagne, fondateur de 
l'Université et son patron, comme, à côté de 
saint Jean, saint Louis, fondateur de la Sainte- 
Chapelle et patron de la Maison royale. Aussi 
bien, voilà juste soixante années que M. Tail- 
landier a dit tout cela; en voilà cinquante que 
M. de Guilhermy racontait l'histoire du Retable 
et identifiait le saint Louis avec les Charles VII 
qui sont à Saint-Denis et au Louvre. Ob- 
servez, Monsieur, que ce sont bien là quatre 
saints, car ils sont debout, et, autrement, deux 
sur quatre seraient agenouillés; que ce sont 
les Saints patrons de l'Université, de la Justice, 
de Paris et de la France — des saints bien 
parisiens, comme on dirait. Les hagiographes 
et les Sociétés savantes qui s'occupent de Paris 
feraient, en mettant la question à l'ordre du 
jour de leurs séances, surgir sans doute quan- 
tité de faits nouveaux. Mais n'est-ce pas assez ? 
Un mot pourtant encore s'il vous plaît. On 
eût pu croire que M. Amédée Pigeon connais- 
sait de visu les armoiries que prend l'Empire 
allemand. Elles sont telles, parce que l'imagi- 
nation des peuples voulut que Charlemagne 
les ait portées telles ou presque (car certains 
disent qu'il porta d'azur à l'aigle d'or, et que 
ce fut un de ses successeurs médiats qui inversa 
les émaux); en tout cas, parce que, depuis un 
temps immémorial, elles furent les armoiries 
du saint Empire romain germanique. Or, sur 
le manteau du personnage auquel, bien gratuite- 
ment, M. Pigeon attribue le nom de Henri V 
d'Angleterre, se trouvent, d'un côté, les Heurs 
de lis sans nombre; de l'autre, l'aigle d'Em- 
pire, d'or à l'aigle éployée de sable. L'aigle se 
lit fort aisément et n'a rien qui permette de le 
confondre avec les léopards d'or sur fond de 
gueules que porte l'écu du roi d'Angleterre. — 
M. Amédée Pigeon a écrit des romans qui ont 
eu du succès : il est à douter que celui qu'il 
vous a donné obtienne le suffrage de vos lec- 
teurs. Louis DE ROZKN. 



Monsieur, 

Le fameux retable du Parlement a beau- 
coup occupé la critique depuis le jour où il a 
quitté le Palais, et il ne semble pas que les 
discussions soient près de cesser. Une ques- 
tion qui paraissait résolue vient d'être reprise 
dans le numéro des Arts de janvier : M. Amé- 
dée Pigeon y propose de changer les noms 
des deux souverains Heurdelisés qui tiennent 
la droite et la gauche du tableau. On avait 
pensé voir en ces personnages saint Louis et 
Charlemagne ; il veut y reconnaître Charles VII 
et Henri V, roi d'Angleterre. 

L'opinion s'était déjà fait jour que saint 
Louis nous était présenté sous les traits de 



Charles VII; la thèse n'est donc qu'en partie 
nouvelle sur ce point, mais en somme elfe 
peut se soutenir. Je ne vois pas, pour ma 
part, d'empêchement absolue ce que ce prince 
soit réellement Charles VII. Mais, pour ce 
qui touche Henri V, il en va tout autrement. 
Comment admettre que, dans l'enceinte du 
Parlement, on ait osé, à quelque époque que 
ce soit, avant ou après le départ des .Anglais. 
représenter conjointement les deux rois rivaux? 
Au surplus, en quoi le prestige de Charle- 
magne, de cet ancêtre de la monarchie, pou- 
vait-il être atteint par le fait de figurer, comme 
saint, à gauche du Père Éternel au pied de 
la croix, et, comme souverain, source de la 
Justice, dans une peinture destinée à rappeler 
aux juges leurs devoirs? On sait que, dans la 
grand'chambre du Parlement, le retable était 
accompagné de deux inscriptions commina- 
toires tirées des Livres saints, menaçant de 
châtiment les juges prévaricateurs. 

Le retable présente un autre petit problème 
à éclaircir. A l'arrièrc-plan, à gauche, on voit 
le Louvre; sur ce point il n'y a jamais eu de 
doute; à l'extrémité droite, c'est le Palais. Ici 
il était permis d'hésiter un peu. On retrouve 
bien le grand degré, le portail à double baie, 
les grandes fenêtres gothiques, la tour poly- 
gonale, située vers l'angle de la cour, mais 
tout cela déformé, mal placé. De plus, un pas- 
sage a été pratiqué entre les bâtiments du lond 
et les bâtiments en retour; une arcade sur- 
monte ce passage, qui se continue en chemin 
à travers la campagne: or, il n'y eut jamais là 
de passage, d'arcade, ni de chemin. 

A mon avis, cependant, c'est bien le Palais. 
La présence, en un même lieu, du grand degré, 
du portail, des fenêtres et de la tour poly- 
gonale, en est un sûr indice; et quel autre 
édifice que le Palais pouvait être choisi pour 
accompagner, de pair avec le Louvre, les 
figures de deux rois de France dans l'enceinte 
du Parlement de Paris? 

On peut d'ailleurs donner une explication 
des singularités que j'ai signalées. La scène 
principale, le Christ en croix, est à Jérusalem ; 
l'église située en haut de la colline est celle 
du Saint-Sépulcre elle est à comparer à l'église 
du Saint-Sépulcre, qu'on a pu voir dans une 
vue de Jérusalem, certainement traitée d'après 
un dessin fait sur les lieux. N° 96 de l'Expo- 
sition des Primitifs). Le Palais n'est pas seu- 
lement la résidence royale et le siège du 
Parlement, c'est aussi le palais de Pilaie, où 
le Christ fut jugé et condamné. Il a été. pour 
ce motif, figuré non dans le lointain, comme 
le Louvre, mais au second plan ; on n'a donc 
pu présenter qu'un fragment de Icdifice. Le 
chemin qui part de l'angle droit de la cour, 
c'est la Voie douloureuse, que le moyen âge 
faisait commencer à droite des ruines de la 
tour .-Xnionia, résidence présumée de Pilaie; 
l'arcade qui surmonte le chemin, c'est l'être 



32 



TRIBUNE DES ARTS 



de VEcce Homo, qui s'élève encore en ce même 
endroit. Je me sers de l'expression : arc de 
FEcce Homo, parce qu'elle est d'usage cou- 
rant. On sait que la tradition, qui rattache 
à cette arcade la présentation du Christ au 
peuple, n'est pas antérieure au xvi= siècle. « Au 
xiv« et au xv= siècle, dit M. le marquis de Vogué 
(Temple de Jérusalem, p. i25), on vénérait 
deux pierres encastrées à la base de l'arc et 
que la tradition rattachait, soit à la scène du 
Jugement de Jésus, soit au Lithostrotos, soit 
même au Porteme?it de la croix. » — « Une 
arcure de pierre qui traverse la rue, lequel fit 
faire S"^ Hélainne et au haut y a deux grosses 
pierres blanches dont sur l'une estoit Notre 
Sgr. quand il fut jugié à mort et sur l'autre 
Pillate qui le jugea. » (Voyage de G. Len- 
gherrand, 1485-1486.) 

Telles sont les raisons qui ont, à mon sens, 
altéré sur le retable la physionomie du Palais 
de la Cité au xv= siècle, et nous privent du 
plaisir de posséder une vue sincère de la grande 
cour pour cette époque reculée. 

'Veuillez agréer. Monsieur, l'expression de 
ma considération la plus distinguée. 

J. GlWBERT, 

du Cabinet des Estampes de la Bibliothèque 
nationale. 



MONSIEIR, 

Répondant à l'appel que vous adressez à 
tous vos lecteurs, je crois bon devons faire con- 
naître les quelques réflexions que m'ont suggé- 
rées la lecture de l'article de M. Pigeon et 
l'étude antérieure du retable. Je laisserai de côté 
la question de savoir si les deux personnages de 
droite et de gauche sont réellement Charles VII 
et Henri V. C'est là une controverse diificile 
à trancher sans documents précis, et l'attribu- 
tion de M. Pigeon me paraît plus ingénieuse 
que vraisemblable. Je ne m'en occuperai donc 
pas. Mais il y a, dans cette même communi- 
cation, deux affirmations qui me semblent 
discutables au plus haut point. C'est d'abord 
le rapprochement que M. Pigeon établit entre 
le retable et la Vierge au donateur, c'est 
ensuite l'attribution de ces deux œuvres à Jean 
Fouquet. 

Il me semble, en effet, oiseux de venir mettre 
en doute aujourd'hui encore l'origineflamande 
de la Vierge au donateur, alors que tout, au 
contraire, tend à prouver qu'elle eut pour 
auteur Jean Van Eyck . Nous y retrouvons 
tous les défauts de cet artiste, en même 
temps que toutes ses qualités, sa pauvreté 
d'imagination, sa tendance habituelle à copier 
servilement la nature, ainsi que sa facture 
merveilleuse , son extraordmaire talent de 
dessinateur et de coloriste. Pouvons -nous 
faire les mêmes constatations à propos du 
retable? Non, cènes. La facture en est plus 
lâche, le modelé des physionomies moins 
parfait, leur expression moins puissante, le 
coloris plus terne et moins transparent. Les 
types, enfin, ne nous rappellent en rien ceux 
que nous avons coutume de contempler dans 
les tableaux flamands, ce qui n'est pas le moins 
du monde le cas pour la Vierge au donateur. 
Il ne reste donc en faveur du rapprochement 
des deux œuvres que l'argument spécial invo- 
qué par M. Pigeon, et il ne me paraît pas lui- 



même bien sérieux. La présence dans les deux 
tableaux d'un personnage à peu près identique 
peut fort bien être l'effet du hasard; de plus, 
l'on ne peut dire que ces deux personnages 
soient rigoureusement semblables, ce qui affai- 
blit d'autant l'argument. Mais je laisse de côté 
ceci, qui n'est qu'un détail. En réalité, je le 
répète, l'œuvre ne me paraît pas digne de Van 
Eyck. 

J'invoquerai le même argument en niant que 
le retable puisse être attribué à Jean Fouquet. 
Il me semble d'ailleurs qu'il n'est pas une des 
œuvres assez nombreuses de cet artiste qui 
puisse être rapprochée de celle qui nousoccupe. 
Rien, ni dans la facture, ni dans le choix des 
types et des personnages, ne me paraît favo- 
riser un rapprochement quelconque. 

Mais je ne voudrais pas avoir l'air de dé- 
truire l'édifice péniblement élevé par d'autres 
plus habiles certes que moi, sans y apporter 
aussi mon humble pierre. Je termine donc en 
disant que le retable est à n'en pas douter 
l'œuvre d'un artiste qui fit en Italie un fort 
long séjour : ceci ne prouvant d'ailleurs rien 
contre l'attribution à Jean Fouquet, mais j'ai 
dit plus haut pourquoi je considérais cette 
attribution comme erronée. Cette question 
réglée voici les arguments sur lesquels j'ap- 
puie mon dire. Si nous examinons la partie 
centrale du retable, nous v constatons la pré- 
sence d'un édifice surmonté d'une coupole et 
flanqué d'une haute tour. Il ne me paraît pas 
qu'on ail accordé à cette partie du retable une 
attention suffisante. Elle est pourtant révéla- 
trice. 

Comment, en eff'et, expliquer qu'un artiste 
qui n'a Jamais vécu que dans des pays où l'ar- 
chitecture gothique règne encore d'une façon 
absolue, ait eu l'idée d'un pareil édifice? La res- 
semblance du monument dont il s'agit avec les 
grandes cathédrales de la Renaissance italienne 
est frappante; on y remarque, à côté du corps 
de bâtiment principal surmonté d'une coupole, 
une tour qu'on peut assimiler à un campanile 
et un édifice plus petit, qui rappelle fortement 
certain baptistère de la cathédrale de Florence, 
qui fut achevée en 1436. On peut donc sup- 
poser, sans modifier la date attribuée au re- 
table, qu'il est l'œuvre d'un artiste qui est allé 
puiser son inspiration à la source italienne. 
C'est à mon avis de ce côté, c'est-à-dire dans 
les écoles du midi de la France, qu'il faut 
dorénavant diriger les recherches. Je laisse ce 
soin à d'autres plus qualifiés que moi. J'ai 
voulu seulement faire paît aux lecteurs àe^Arts 
d'une remarque que je ne crois encore avoir 
vue nulle part et qui n'est cependant pas dé- 
nuée de toute espèce d'intérêt. 

Veuillez agréer. Monsieur, l'expression de 
ma considération distinguée. 

P. DE Mouv. 



Henri V porte un manteau historié et parti à 
dextre de France ancien, et à gauche de ce qui 
semble bien être un semis d'aigles. 

Si ce point était vérifié, la traditionnelle 
attribution à Charlemagne semble devoir être 
maintenue, car c'est là les armoiries que lui 
prêtent les miniaturistes du moyen âge, bien 
que les armoiries à l'époque de Charle- 
magne !... 

Accessoirement, ajouterai-je qu'un roi capé- 
tien de France n'a pas dij voir d'inconvénient 
à voir représenter Charlemagne à gauche de 
la Trinité, la droite étant réservée au saint 
de la dynastie capétienne? Qu'en 1471, ni 
Charles VII, ni Henri V, morts en 1461 et 
1422, n'étaient « les deux rois de France 
d'alors? » Que le peintre a pu prêter à saint 
Louisles traits de son successeur? Que jamais 
le Parlement n'a siégé au Louvre? Que « les 
juges en train d'assister à des supplices » sont 
des accessoires du supplice du Christ, seul 
visible sur cette colline? Qu'à gauche du Père 
Éternel, où « sont les maudits », il y a aussi 
saint Denis et dans le fond une église? 

Enfin, je ne crois pas que Henri V, qui n'a 
jamais été sacré à Notre-Dame, soit non plus 
jamais représenté avec la barbeet lacoiff"uredu 
personnage du retable. Il est facile à ce sujet de 
consulter l'ouvrage de Nyon : The Great Seals 
of England. 

Veuillez pardonner, Monsieurle Directeur, 
ces nombreuses questions à un lecteur assidu 
de votre si intéressant recueil et croxez que je 
serais heureux devoir mes doutes éclaircis par 



M. Pigeon. 



L. DUBREIIL. 



Monsieur le Directeur, 

A propos de votre article sur le retable du 
Parlement,voulez-vous accueillir une remarque 
toute simple et qui sera sans doute savamment 
réfutée par l'auteur de l'article? 

Le personnage que M. Pigeon croit être 



Monsieur i.e Directeur, 

Dans le numéro de janvier de votre revue, 
les Arts. ya\ lu un article de M. Amédée Pigeon 
sur le trop fameux retable du Parlement de 
Paris. 

M. Amédée Pigeon ne veut pas que les 
personnages du retable soient saint Louis et 
saint Jean -Baptiste, saint Denis et Charle- 
magne. Il reconnaît Charles VII et saint 
Jean et même il entend ce que Charles VII 
dit à saint Jean : « Ce n'est pas ma faute si je 
fais la guerre. » Soit! Ce qui me parait plus 
difficile à admettre, c'est que le souverain de 
droite soit Henri V d'Angleterre. Nous pen- 
sions, jusqu'à présent, que c'était Charlemagne. 
M. Amédée Pigeon ne le veut pas. Il ne sau- 
rait admettre que, dans une peinture dEtat, 
on ait placé Charlemagne à la gauche du 
Père éternel et qu'on ait ainsi déconsidéré 
le grand Empereur. Tels ornements héral- 
diques du manteau permettraient en vain de 
reconnaître Charlemagne. Mais la logique de 
M. Amédée Pigeon est impitoyable : il ne peut ^m 
concevoir qu'on ait placé Charlemagne à la ^^|! 
gauche et non pas à la droite de Dieu. Cette 
place de défaveur ne peut être, selon lui, attri- 
buée qu'à un ennemi de la France. 

Dès lors, il n'hésite plus : ce roi est l'usur- 
pateur Henri V. 11 déclare que sa coiffure est 
révélatrice. Une des femmes qui pleurent au 
pied de la croix n'est autre que son épouse, et le 



TRIBUNE DES ARTS 



33 



chien du premier plan est le propre chien du 
roi Henri V, — évidemment, M. Amédée Pigeon 
en juge la ressemblance irréprochable. Saint 
Denis n'est plus saint Denis : c'est une pro- 
phétie. Le peintre a prévu que Henri VI serait 
égorgé par le duc de Cîloucester et c'est ce 
qu'il a voulu signifier en plaçant auprès du 
pseudo Henri V un martyr décapité. Allons 
plus loin, Monsieui- le Directeur, et al'rirmons 
que l'auteur du retable a prévu la tin mal- 
heureuse de Louis XVL 

Ne trouvez-vous pas que les logiciens sont 
d'une ingéniosité vraiment déconcertante ? 
Supposez qu'un ignorant regarde ce retable. 
Il se dira tout simplement : « Au centre, il y 
a le supplice du Christ, avec les personnages 
habituels : les femmes, l'apotre, les bour- 
reaux. Rien n'est plus naturel : ce retable était, 
en effet, destiné au Parlement et, jusqu'à l'an- 
née dernière, on ne pouvait rendre la justice 
qu'en invoquant le Christ, ou bien en se 
plaçant sous sa protection. Comme cette pein- 
ture était destinée au parlement de Paris, 
l'auteur a rendu hommage aux deux saints qui 
furent chers à cette ville, saint Jean et saint 
Denis. Enfin, il a placé, à gauche de son 
tableau, un roi figurant la .Fustice, et, adroite, 
un roi figurant la F"orce, parce que la justice 
n'est rien sans la force et que la force n'est 
rien sans la justice. » 

Mais il me parait hasardeux de supposer 
que le peintre, chargé d'un tableau ofhciel, ait 
osé opposer à Charles Vil son plus grand en- 
nemi, Henri V, et qu'il en ait fait le type du 
roi fort. Il aurait ainsi manqué plus gravement 
aux devoirs protocolaires i]u'en plaçant Char- 
lemauiie à la i;auche du Sauveur. 



Ce jeu d'érudition serait assez innocent. 
Mais M. .^médée Pigeon ne se contente pas 
de reconnaître les rois et les saints; il prétend 
aussi découvrir l'auteur du retable, et il nous 
affirme que cette peinture flamande est l'ctuvrc 
d'un P'rançais. Il n'hésite pas à l'attribuer à 
Jean Fouquet, en alléguant que cet artiste 
avait auprès de Charles VII la situation 
qu'Ingres occupait auprès de Charles X : ce 
n'est qu'à Jean Fouquet que pouvait échoir 
une pareille commande. 

Ce raisonnement est spécieux. M. Amédée 
Pigeon aime certainement Jean P'ouquet et il 
fait de louables efforts pour grossir sa pro- 
duction. Mais il n'ajoute rien à sa gloire en 
lui attribuant cet honnête retable. .Aussi, 
M. .Amédée Pigeon ne s'en tient pas là, et, 
très généreusement, il confère à Jean Fou- 
quet la paternité de la \'ieri;;c au Donateur, 
qui est au Musée du Louvre et quOn regarde 
assez habituellement comme l'ituvre du plus 
grand des Van Kyck. 

.■\h ! Monsieur, les peintres flaiViands pas- 
.'^enl un mauvais quart d'heure. On les conteste, 
on les dépouille. Par un louable sentiment de 
patriotisme, on veut que des primitifs français 
aient exécuté toutes les peintures flamandes et 
voici que Jean Fouquet — s'il en faut croire 
M. .Amédée Pigeon — est l'auteur de la Vierge 
au Donateur! 



Il convient de citer la raison qu'il insoque 
j l'appui de sa thèse : " Si l'on regarde atten- 
tivement cette Vierge au Donateur, écrit-il, 
les personnages qui sont au second plan, 
regardant le paysage, on y retrouvera l'un des 
personnages du fond du retable du Parlement 
de Paris, celui qui, revêtu d'un habit rouge 
court, à manches bouffantes, tourne le dos 
aux spectateurs et regarde couler la rivière. » 

Et ce détail suffit à prouver que la Vierge 
au Donateur est due à l'artiste qui a peint le 
retable, c'est-à-dire à Jean Fouquet, puisque 
M. Amédée Pigeon veut que Jean Fouquet soit 
l'auteur de ce retable. 

Je me permettrai cependant de faire obser- 
ver que les petits personnages en question se 
rencontrent assez communément dans les fonds 
des tableaux flamands. Qu'(jn veuille bien se 
rappeler, par exemple, une peinture de Van 
der Weyden, Saint Luc dessinant la Sainte 
Vierge, qui se trouve à la Pinacothèque de 
Munich : on y apercevra un groupe d'arrière- 
plan qui est assez analogue à ceux qu'on 
signale dans le retable et dans la Vierge au 
Donateur. Faut-il en conclure que ce saint 
Luc est aussi de Jean Fouquet : 

Mais est- il vraiment nécessaire. Monsieur 
le Directeur, de démontrer que la Vierge au 
Donateur ci^i un Van Eyck...'- 

.Maintenant, s'il faut absolument que le 
retable du Parlement de Paris ait été peint par 
un Français, donnons-le à Jean Perréalet qu'il 
n'en soit plus question. FZt pourquoi pas? Si 
M. Amédée Pigeon veut bien regarder le 
Mariage m)-slique de sainte Catherine qu'a 
peint Perréal, il observera un saint Jean qui 
ressemble à celui qui est représenté dans le 
retable, un petit mouton qui fait penser au 
petit mouton du retable, une vierge assise qui 
ressemble à la vierge éplorée du retable et, 
comme dans le retable, des bonshommes qui 
regardent, au dernier plan, le paysage. .Mal- 
heureusement ce tableau, qui figurait à l'expo- 
sition des Primitifs français, n'est pas de Per- 
réal, et même il est indiscutablement flamand. 
J'en appelle à l'autorité de M. Henri Bouchot. 

lîn définitive, je crois que M. Amédée Pi- 
geon tient en réserve des raisons plus efficaces 
pour soutenir sa thèse. Pourquoi ne pas les 
donner ? On regrette de ne pouvoir admettre 
sans les contrôler ses affirmations; si elles 
étaient justifiées, il en résulterait en eflet un 
accroissement considérable de la production 
française et notre amour-propre national en 
serait singulièrentent flatté. 

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, 
l'assurance de ma considération distinguée. 

M. JoiRDAIN. 



Conséquences de l'exposition des l'rimiliis français 
LE RETABLE DU PARLEMENT DE PARIS 

MoNSIEl'R LK DlRKCTEl R. 

Les Arts ont public dans leur numéro de 
novembre IH04 un article de M. J. Cîuitfrcy sur 
le Retable du Parlement de Paris dont il ne 
m'appartient pas de discuter les conclusions 



artistiques, mais ou se trouve exposée uncduc- 
I trine qui, si elle csi officielle, met en péril les 
; droits que les municipalii<5s, les corps consii- 
; tués et même les particuliers, croyaient pos- 
i sédcr jusqu'ici sur les objets dont ils avaient 
I la possession immémoriale ou la propriété 
I constatée. Ai-je besoin de rappeler à vos lec- 
. leurs les termes dont s'est servi M. J. Guilfrey r 
A tout hasard et pour ne point être suspect 
d'amplifier, je remets sous leurs yeux ce pas- 
sage qui aurait pu leur échapper. 

« Quelle singulière destinée que celle de ce 
' rctabfe ! dit .M. J. GuifTrey. Objet de vénération 

des lungtcmps, toujours en place d'honneur, — 
l d'anciennes estampes en font foi, — dans la 
I grande salle du Parlement de Paris, aux scances 
, solennelles des xvii* et sviii< siècles, i uneépoque 
\ où les peintures de nos vieux maîtres étaient fort 
I peu considérées, il n'avait pourtant pu être, jus- 

qu'à ces derniers moi*, étudié <tvec quelque soin, 

lu haute importance qu'on lui accordait exigeant, 
{ parait-il, une place élevée, loin du sol et des 
I yeux. Il était en même temps célèbre et presque 
I inconnu. Personne, sauf de rares privilégiés, 

quand la réfection àe la Première Chambre atait 
I exigé des échafaudages complaisants, n'ajant été 
i admis jusqu'ici à l'examiner d'assez prés pour en 

connaître autre chose que la disposition générale, 

l'aspect, la silhouette des figures, sans pouvoir en 
I saisirsuffisammentle détail, pour apprécier l'exé- 
I cution. reconnaître la facture et chercher à en 

préciser l'auteur. Les renseignements qu*on en 
I donnait étaient aussi vagues que s'il se fût trouvé 
' dans le village le plus recule, dans la province la 
' plus arriérée de France, et non daiu un palais 

public du centre de Paris. On en avait maintes 
: Ibis sollicité le prêt pour des expositions rctro- 
I spcctives, jamais la Cour n'avait consenti a s'en 

dessaisir, et, pour décourager à l'avenir d'aussi 

indiscrètes demandes, elle avait pris un arrêté 
I interdisant pour loujoursle prêt du f.imeux retable. 
I < Les organisateurs de l'Kvposition des Pri- 
] mitifs t'rançais se heurtèrent, comme leurs dex-an- 
[ ciers, à un refus catégorique et quelque peu 
; hautain. Alors que les musées de Berlin, de Flo- 
! rence, d'Anvers, de Bruxelles, de Glasgow, alors 

que le roi d'Angleterre et le prince de l.ichienstcin 
' Je Vienne consotaient à envoyer des tableaux 
; au pavillon de Marsan, on ne put obtenir que le 
I retable du Parlement de Paris fit le trajet du 
i Palais de Justice au Louvre, qu'il avait deià fait 

autrefois sous la Révolution. La mesure radicale 

enlevant les emfilèmes religieux du prctoire vint 
, donner aux promoirurs de l'entreprise une aide 
J aussi puissante qu'inattendue. La résistance fut 
; encore vive, et il fallut toute l'opiniâtre fennetéde 

M. le Directeur des Bcaux-.Arts et de .M. Geoiyes 
I Berger pour en triompher. Le tableau quitta pour 

toujours, sans doute, le vieux palais de la Cité. 

Il est aujourd'hui expose au Louvre. ■ 

.Ainsi, sous peine d'excommunication ma- 
jeure, toute corporation est tenue de prêter i 
tout organisateur d'exposition le ou les objets 
lui appartenant, dès lors que cet organisa- 
I teur estime que l'exhibition en est utile aux 
I intérêts de l'.ART et, si la corporation refuse 
I de déplacer et d'abandonner pour trois, six ou 
I neuf ntois l'objet convoité, elle est dénoncée 
' comme rétrograde, réactionnaire et cléricale. 
Trop d'exemples démontrent le profit moral 
et matériel que les expositions rétrospectixes 
, procurent à tout le monde, sauf aux légitimes 
I propriétaires. Bien heureux sont-ils, ceux-ci, 
' lorsque leurs objets d'an leur reviennent entiers, 
n'ayant laissé que des reflets aux mains par 
lesquelles elles ont passe. Nous reparlerons de 



34 



TRIBUNE DES ARTS 



cette question. Il en est une autre plus grave : 
Si, contre la volonté fermement et authen- 
tiquement prouvée de son possesseur, l'objet 
en question est prêté à une exposition, l'Etat 
est en droit — que dis-je ! — en devoir de le 
confisquer, toujours pour l'intérêt suprême de 
FART, et s'il fait à l'objet l'honneur sans prix 
de le placer au Louvre, le propriétaire n'a 
qu'à se confondre en remerciements et à 
rendre grâces aux Dieux qui lui ont envoyé 
cette bonne fortune. 

Ainsi fut-il fait non seulement pour le 
Retable du Palais, mais pour les deux statues 
de l'église de Saint-Denis, rien qu'à cette 
exposition des Primitifs. Encore tenia-t-on de 
prouver aux gens de Villeneuve-lès-Avignon 
qu'ils n'avaient que faire de leurs tableaux en 
piteux état et prétendit-on les retenir. Les 
gens de Villeneuve ne comprirent point que 
leur intérêt était de céder, que dis-je ! d'offrir 
à Messieurs, comme il faut dire à présent, les 
perles de leur musée et de leurs églises. Ils 
menacèrent de faire scandale. On n'insista 
pas. Le pays est trop bien pensant pour 
manquer d'avocats ayant l'oreille du ministère. 

Cette théorie de la confiscation, nous 
l'avons entendu exposer lors de l'Exposition 
de iqoo. N'a-t-on pas proposé alors de retenir 
à Paris, dans l'intérêt de PART, les trésors 
d'église qu'un grand nombre de fabriques 
avaient libéralement prêtés? Cela était bien 
trop beau pour la province qui ne savait qu'en 
faire, cela était bien trop intéressant pour des 
curés qui célébreraient bien mieux avec des 
calices en aluminium et des ostensoirs en 
simili-bronze. A Paris, à la bonne heuie, l'on 
en saurait tirer parti : l'on y possède des 
savants infaillibles (témoin la tiare de Saïta- 
pharnès) , des conservateurs auxquels rien 
n'échappe — sauf les tabatières; des connais- 
seurs dont le flair est réputé et qui, sur 
quelque branche qu'ils s'exercent, ont acquis 
— chèrement pour les contribuables — une 
réputation reconnue. 

En effet ! 

Il y a mieux, et la théorie de la confiscation 
au profit de l'Etat ne s'arrête pas même aux 
villes, villages, fabriques et corporations: lors 
des travaux préparatoires de l'Exposition de 
igoo, un de nos amis, égaré dans un jury 
d'admission pour une des exhibitions rétro- 
spectives, se hasarda à demander si tout par- 
ticulier prêtant, sur la demande du com- 
missaire général, les objets dont il était 
propriétaire de bonne foi, serait garanti contre 
une revendication éventuelle de l'État. On lui 
répondit que non. Il fit observer qu'en matière 
de meubles, aux termes du Code, possession 
vaut titre et que, lorsqu'un collectionneur a 
acquis régulièrement d'un marchand patenté, 
un objet : tableau, statue, livre, manuscrit, etc. 
il en est propriétaire légitime au même titre 
que d'une obligation ou d'une action achetée 
chez un agent de change. Une action ou une 
obligation volée est frappée d'opposition : 
l'agent de change ne doit ni ne peut la vendre. 
Mais où est la liste des oppositions formées 
par l'Etat à des transmissions d'objets d'art? 
On répondit à notre ami que nul n'est admis 



à prescrire contre l'Etat, que la possession en 
ce cas est toujours précaire, et que, pour 
rentrer en son bien, l'Etat n'a qu'à faire la 
preuve que, à un moment, l'objet a appartenu 
à un souverain, à une ville, à un village, même 
à une corporation, une congrégation ou un 
particulier dont les biens, ayant été confis- 
qués par la nation ou incorporés à son 
domaine, ont dû faire retour à l'Etat. 

N'avez-vous point ouï parler d'un procès 
de cette sorte qui fut récemment intenté, 
soutenu — et perdu — par la Bibliothèque 
nationale, contre un des plus grands et des 
plus honnêtes libraires de Paris ? Là, le 
libraire s'est trouvé être armé, il s'est défendu 
et il a gagné son procès; ce fut une chance 
qu'il courut et il fera bien de ne pas renou- 
veler l'expérience. Sur cent objets que possède 
le collectionneur le plus avisé, le plus scrupu- 
leux, le plus méfiant, en est-il dix dont il 
suive la filière au delà du vendeur dont il 
l'a acquis, dont il puisse prouver qu'ils n'ont 
jamais, à un moment quelconque, appartenu 
à qui que ce soit ayant eu, de près ou de loin, 
un rapport avec l'Etat ? En général, jusqu'ici, 
dit-on, l'Etat ne revendique que dans le cas 
de mise en vente public^ue : mais n'est-ce pas 
qu'alors le collectionneur est le plus souvent 
mort, et quelles preuves donneront ses héri- 
tiers que leur auteur a acquis et possédé de 
bonne foi ? Comment sauront-ils même où et 
de quelles mains il a acquis ? Ne connaissez- 
vous pas de ces gens à mystère qui ne révèlent 
point quand, où, de qui ils ont acheté, qui 
n'avouent point le prix qu'ils ont payé et qui 
volontiers en détruiraient la trace ? Bien des 
motifs d'ordre intime incitent à ces cachot- 
teries, ne serait-ce que la conviction qu'on a 
surpavé et le désir de l'oublier soi-même. 

Admettons que le collectionneur soit vivant, 
que, par des pièces en règle, il établisse que, 
depuis trente années, l'objet est dans le 
domaine public. Qu'importe, puisqu'on ne 
prescrit pas contre l'État, les départements et 
les communes, et qu'il suffit, pour établir un 
droit, d'une mention pouvant se rapporter à 
l'objet en litige, écrite par on ne sait qui, sur 
un inventaire, un catalogue, une liste quel- 
conque d'objets ayant appartenu à l'Etat, à 
une corporation, ou une congrégation ? 

Encore, un particulier peut se défendre et 
lutter; mais une commune, une corporation, 
une fabrique d'église, comment résistera-t-elleà 
l'intimidation, et, si elle a à sa tête des hommes 
assez indépendants pour lutter, que pourra-t- 
elle contre le fait du Prince ? La procédure 
généralement usitée consiste dans le classe- 
ment comme monument historique du tableau, 
de la statue, de l'objet quelconque dont la pos- 
session est convoitée. Sans doute, le Conseil 
municipal ou le Conseil de fabrique peut 
prendre une délibération contradictoire, mais 
le Prince passe outre. Dès lors, la propriété 
est annulée, l'objet est placé sous séquestre. 
Quelque jour, sous un prétexte, on sera censé 
donner une compensation à l'église ou à la 
commune; on offrira à l'une des gravures de 
la Chalcographie; à l'autre une chromolitho- 
graphie, une linéographie, ou un plâtre coloré, 



et le tour sera joué. N'en avez-vous pas ici 
même fourni, en 1902, un curieux exemple? 

En entassant dans les salles, les magasins 
et les greniers du Louvre, les objets d'art 
ainsi ramassés et, peut-on dire, confisqués par 
toute la France, a-t-on du moins la prétention 
qu'ils soient plus en sûreté qu'ailleurs? En 
dépouillant la province au profit de Paris, 
veut-on dire que c'est pour mieux conserver 
les objets d'art, les mieux surveiller et les 
mieux défendre? La conservation, le vol des 
tabatières de la collection Lenoir l'atteste; la 
sûreté, l'incendie de la bibliothèque du Louvre 
la démontre, et pour la sécurité, elle est 
garantie par la cohabitation des chefs-d'oeuvre 
avec le ministère des Colonies, malgré les 
vœux du Conseil supérieur des Musées et les 
votes de la Chambre. Inclinons-nous : le 
Prince a parlé. 

La loi et l'équité mises à part, n'est-ce 
point la plus étrange des anomalies, en un 
temps qui se prétend artiste, qu'on arrache 
ainsi du milieu pour lequel ils ont été conçus 
et exécutés, les objets d'art que la piété, la 
reconnaissance, l'orgueil ou la vanité y ont 
placés? Ils y ont leur raison d'être et ne la 
peuvent plus trouver dans un musée; ils y 
évoquent des souvenirs, ils v constituent une 
tradition, ils y affirment un art local, ils y 
définissent un état d'esprit, ils ajoutent à leur 
beauté la gloire du souvenir — et qu'on ne 
s'imagine point qu'ils y soient plus mal gardés 
que dans les nécropoles où, en entrant, ils per- 
dent leur accent, leur valeur, leur signification 
pour devenir à peine un document. Ce qui se 
passa en 1860 pour les tombeaux des Planta- 
genets et le tombeau du comted'Harcourt,que 
le Gouvernement de l'Empereur prétendait 
offrir, l'un à l'empereur d'Autriche, les autres 
à la reine d'Angleterre, est là pour démontrer 
qu'aussi bien et mieux que les conservateurs 
du Louvre, les populations de Fontevrault et 
d'Asnières ont su garder dans leur pays des 
monuments qu'elles n'appréciaient point, 
peut-être, aussi savamment, mais qu'elles 
savaient au besoin défendre fusil en main. 

Les magistrats de la Cour de Paris ont été 
vaincus. Le Garde des Sceaux, qui eût dû être 
à leur tête, les a abandonnés. Le Retable du 
Palais de Justice est devenu matière à disser- 
tations critiques et, si l'on a bien lu l'article 
de M. .1. Guiffrey, il a « beaucoup souffert », 
il a été « très restauré » ; « la peinture a 
{ perdu sa transparence, les colorations ont 
été alourdies » ; il ne présente aucun intérêt 
historique. Alors pourquoi tant d'efforts dé- 
ployés pour en obtenir le prêt, tant dé ressorts 
mis en marche pour s'en emparer, tant d'or- 
gueil à déclarer qu'on ne le restituera point? 

En vérité, bafouer à la fois ceux qu'on 
dépouille et ce dont on les dépouille, « grâce 
à la mesure radicale enlevant les emblèmes 
religieux du prétoire », n'est-ce pas un peu 
trop ? 

j Veuillez agréer. Monsieur le Directeur, 
l'expression des sentiments distingués d'un 
I maire rural. 

Cl.AtDE Dl ILOT. 



Directeur: M. MANZI. 



Imprimerie Manzi, Joyant âc C'*i Paris. 



Le Gérant : G. BLONDIN. 



LES ARTS 



N° 40 



PARIS — LONDRES — BERLIN — NEW-YORK 



Avril 1905 




i:licli,> F,t,t, iMumtmu f C« ,'GeoiMj, 



J. ANTH0NI5Z VAN RAVENSTEYN. - portrait dVn mécènk 
(Collection de M. Léopold Favre (Genève) 




Cliché Ft-eâ. ïioissomas ^ Cie (Genh-e). 



MEINDERT HOBBEMA. — paysage 
{Collection de M. Liopold Favre) 



La Collection de M. Léopold Favre 




ART tient une large place à Genève. Les inté- 
rieurs élégants y sont nombreux et con- 



tiennent souvent des œuvres de marque. 
Parmi les collections d'art ancien, celle de 
M. Léopold Favre, à la rue des Granges, 
est une des plus importantes. Elle est con- 
sacrée à la peinture hollandaise et a été 
formée, au début du xix'' siècle, à Saint- 
Pétersbourg, par François Duval, de Genève, qui était joaillier 
de la cour et unissait à Thabilctédu commerçant le goût d'un 
Mécène. Duval a fait l'objet d'une notice biographique dans 
le Messager des Beaux-Arts, de Saint-Pétersbourg (t. I, 
i833). D'après les renseignements qu'a bien voulu me com- 
muniquer M. A. Somof, conservateur de la Galerie de 
l'Ermitage, Duval a vendu au musée impérial un Intérieur 
de Corps de garde, par J. Le Duc, en i8o5; un Hameau 
situé sur un ilôt de la Meuse, par A. Van der Neer, en 1806, 
ei un Paj^sage, attribué à Sébastien Bourdon, en 1807. En 
outre, plusieurs tableaux destinés à des personnages de la 
cour lui passèrent par les mains, ifse constitua une collec- 



tion, dans laquelle figuraient la plupart des grands noms de 
la peinture hollandaise, et en forma une autre, moins consi- 
dérable, pour son frère. Revenus à Genève, les frères Duval 
aliénèrent leurs galeries de tableaux. Celle de François lut 
vendue en grande partie au duc de Morny, tandis que celle 
de son frère resta à Genève et passa, en 1820, avec l'hôtel 
où elle était installée, aux mains de la famille Favre. 

Lorsqu'on pénètre dans le salon de M. Léopold Favre, le 
regard s'arrête tout d'abord sur une peinture signée de Jean 
Ravensteyn. Un magistrat de belle apparence s'approche 
d'un jeune clerc, l'engage à quitter son étude pour se consacrer 
à son art préieré et lui en offre les moyens. Quel est ce 
Mécène que l'artiste a peint avec tant de soins? Sans doute 
le bailli Willem van Outshoorn, dont Ravensteyn a introduit 
le portrait dans une de ses grandes toiles du musée municipal 
de la Haye : Le Magistrat recevant les Gardes civiques. Ici, 
le bailli, qui préside la table des fonctionnaires, se tourne 
vers les délégués de la garde et lève son verre en leiir hon- 
neur. L'identité du portrait de Genève et de celui de la 
Haye est frappante : on y constate le même profil accentué. 




CIkM FrW. Bmwmiuu f Vit lOrnit). 



THOMAS DE KEYSER. — portrait o'hommb 
(Collection de M. Lèopold Favre) 



LES ARTS 



le même nez aquilin, les mêmes yeux vifs profondément 
enchâssés dans leurs orbites, le même front découvert, la 
même bouche, le même port de barbe. Dans la peinture 
de la Haye, qui date de 1618, le bailli paraît toutefois plus 
âgé. Il en résulte que le tableau de M. Favre, d'origine plus 
ancienne, est une œuvre de Jeunesse. Peut-être Ravensteyn y 
a-t-il fixé un épisode de sa vie. En ce cas, nous nous trouve- 
rions probablement en face d'un ouvrage dont l'artiste 



reconnaissant aurait fait hommage à son bienfaiteur. Quoi 
qu'il en soit, ce tableau est une des œuvres capitales du 
maître et inaugure de la façon la plus heureuse la brillante 
évolution du portrait hollandais au xvn= siècle. 

hc Paysage d'Hobbema. semble avoir été composé sous 
l'influence de Ruysdaël. A droite s'élèvent deux chênes aux 
troncs noueux. Devant eux s'étend une mare où surnagent 
quelques plantes aquatiques. A gauche, un chemin bordé 




Cliché Fred. BoitKyintu ^ Cie (Genève). 



GERARD DOW. — lechiruroiiîn 
fCoUcctinn de M. Lènpold Favre) 



d'une allée d'arbres passe près d'une chaumière et se perd 
dans un sous-bois lointain. Vers l'horizon s'amassent des 
nuages. Bientôt l'orage grondera au-dessus de ces chênes 
qui paraissent défier les siècles, mais n'échapperont point à 
leur destinée. A côté de cette évocation grandiose, combien 
chétifs apparaissent les hommes transplantés dans ce mi- 
lieu ! Il semble que l'artiste ait voulu opposer ici la fragilité 
humaine à la puissance de la nature. Une telle interpréta- 
tion est plus familière à Ruysdaël qu'à Hobbema, dont les 
paysages traduisent d'ordinaire des impressions sereines. 



Comparons, par exemple, cette toile avec un Paysage 
d'Hobbema de la Galerie MohUe, à Copenhague. La donnée 
est la même dans les deux tableaux. Msis les arbres et le 
ciel sont plus délicats dans celui de Copenhague, qui produit 
l'effet d'une idylle plutôt que celui d'un drame. En revanche, 
c'est dans une œuvre de Ruysdaël, le Marais, à l'Ermitage 
de Saint-Pétersbourg, que nous retrouvons les nénuphars et 
les joncs, les clairières ensoleillées, les sous-bois mystérieux 
et les éclaircies lointaines du tableau de Genève. Ce dernier 
a aussi un ciel plus mouvementé que ceux dont Hobbema 



LA COLLECTION DE M. LIiOPOLD FAVRE 



faisait choix dans la plupart de ses oeuvres. De telles parti- 
cularitcis ne nous inspirent toutefois aucun doute sur l'au- 
thenticité du tableau, qui porte bien le cachet du maître. 

Le Portrait d'un Maffistrat, par 'l'homas de Kcyser, 
nous transporte à Amsterdam et révèle l'assurance que pre- 
nait, au XVII' siècle, l'opulente bourgeoisie d'une des pre- 
mières villes du monde. Thomas de Kcyser était HIs d'un 
architecte et hérita de son père le goût du décor à la fois 
sobre et monumental dont nous voyons ici un exemple. La 
seule pièce de mobilier qui orne cet intérieur est un bahut 



au pied duquel le peintre a inscrit son monogramme et la 
date 1634. Le monogramme a été effacé, mais la date est 
conservée, et l'écriture est bien celle de Kcyser. Aucune 
recherche d'élégance, telle que l'aimaicni Rubcns et Van 
Dyck, ne distingue l'attitude du personnage. Mais.dantcctie 
immobilité, quelle intensité de vie, quelle puissance d'ex- 
pression, quelle pénétration du regard ! On sait que Thomas 
de Keyser a exercé une influence sur Rembrandt. Lorsqu'on 
rapproche le portrait dont nous venons de parler de celui 
d'un Bourgmestre par Rembrandt, au musée d'.Xnvers, daté 




l'.lîfht^ Freit. Ihîftotuaê f Cit (Ufufv^). 



PHILIPS WOUWEHMAN. — IIALTI! LtVA.tT LAtiBBRoa 
(CoUcction lie M. Lc^pnlH ra%'rel 



de 1037, et que l'on considère, dans ces ouvrages, le rendu 
minutieux des mains et l'éclat des chairs, on saisit les liens 
qui unissaient ces deux peintres. 

Gérard Dow se fait remarquer, dans la collection Favre, 
par une teuvre de début qui révèle, à travers des imperfec- 
tions techniques, les qualités de tinesse par lesquelles ce 
peintre a contribué à renouveler l'art de son pavs. "Transpor- 
tés dans le cabinet d'un chirurgien, nous sommes témoins 
d'une de ces opérations que les « petits maîtres » aimaient à 
copier sur le vif. Une douce lumière filtre dans cet intérieur 
et enveloppe hommes et choses de ses reHeis atténués; 



Gérard Dow, à la fois idé.ili&ie par l'ordonnance et rcali&ic 
par l'exécution, disposait la scène dans son atelier ci la 
reproduisait ensuite avec une exactitude consciencieuse. Le 
tableau de M. Favre est un exemple frappant de ce procédé. 
Dans les trois personnages qui entourent le patient, on a 
voulu reconnaître Rembrandt et ses parents. Les types res- 
semblent cnctfetaux portraits de cette famille: la femme âgée 
surtout rappelle • la mère de Rembrandt », de Gérard Dow. 
au musée de Berlin. .Ajoutons que le peintre, ayant fait ses 
débuts dans l'atelier de Rembrandt vers l'année 1618. eut alors 
mainte occasion de pourtraire l'entourage de son jeune 



LES ARTS 



maîire. Cette hypothèse n'est donc point dc'nude de fondement. 
La Halte devant l'Auberge, de Wouwerman, est signée du 
monogramme dont le maître faisait usage durant la période 
la plus féconde de sa vie. Elle est comparable à ses meilleurs 
morceaux, tels que V Arrivée à l'Hôtellerie, du musée de la 
Haye, ou le Sac du Village, de la Pinacothèque de Munich. 



Au centre, un cheval gris pommelé, qui ne manque pas dans 
la plupart des compositions de Wouwerman, donne la note 
sur laquelle s'accordent les nuances du tableau. 

Wouwerman, quoiqu'il eût rarement traité des sujets reli- 
gieux, s'est montré à la hauteur de sa tâche en figurant le 
Prophète Elisée raillé par des Enfants. Le coloris n'y 




Cliché Fi-cd. fioistosniai ^ Cie (G'Kéiej. 



PHILIPS WOUWERMW. _ le pnupiil:Tii iiLisÉE 
iCotlectinn de M. Lénp-ild t'avre} 



atteint pas la légèreté que nous venons de remarquer dans 
la Halte devant l'Auberge. En revanche, la vivacité des 
petits garnements, si bien contre-balancée par l'attitude digne 
du prophète, rivalise avec les plus brillantes évocations du 
rire enfantin. Les gestes francs, les silhouettes enlevées font 
penser à Vélasqucz et rappellent les influences réciproques 
dont se pénétraient, au xvn= siècle, l'Espagne et les Pays-Bas. 



Van dcr Meulen, le peintre des Gobelins, fait preuve de 
sens dramatique dans le Choc de Cavalerie. Au premier plan, 
les cavaliers fondent les uns sur les autres. Leurs chevaux, le 
regard plein de feu, semblent participer à la lutte. Le paysage, 
dont le ciel s'obscurcit et dont les arbres ploient sous la 
bourrasque, forme un décor approprié à l'épisode de guerre. 

On admire, dans le grand paysage attribué à Cuyp, 



la limpidité de l'atmosphère et la composition harmonieuse. 
Jusqu'à présent, nous n'avons rencontré chez M. Favrc 
que des peintres hollandais. L'éclectisme éclairé qui a pré- 
sidé à la formation de cette galerie y a cependant introduit 
un spécimen remarquable de l'art français : La Visitation, 
de Philippe de Champaigne. Dans celte œuvre, la sobriété 
du décor, la distinction des gestes, l'harmonie des lignes, le 
relief saillant des draperies, qui semblent avoir été moulées 



sur des statues antiques, nous font toucher du doigt les qua- 
lités et les défauts de la peinture ofHcielle du siècle de 
Louis XIV. Le fait que la "Vierge est placée à droite, alors 
que, suivant la tradition iconographique, elle devrait se 
trouver à gauche du tableau, permet de supposer que nous 
sommes en présence d'un canon destiné sans doute aux 
Gobelins, dont le maître était un actif collaborateur. 

Les œuvres de la galerie Favre ne sont pas toutes repro- 




CUelf l'red, liù, 



A. CUVP. — VACIIRS AU REPOS 

(Coliectinii de M. Lénpnld Favrej 



duites ici. Pour être complet, il faudrait mentionner encore 
un 5a/;j/ ye'rdme de Steenwyk, un Anachorète et un Inté- 
rieur d'Estaminet de Teniers le jeune, une Chasse aux 
Cerfs d'Hackaen, un Intérieur de la Cathédrale d'Anvers 
de Peter Neefs, une Léda de Van der Wertf, et plusieurs 
autres tableaux de petites dimensions. 

Une circonstance n'aura pas échappé à quelques-uns de 
nos lecteurs : dans cette galerie, constituée à Saint-Péters- 
bourg, figurent des noms particulièrement bien représentés 
à l'Ermitage: Gérard Dow, Wouwerman, Albert Cuyp. Une 



telle coïncidence n'est pas fortuite; elle indique qu'au début 
du xix= siècle certains peintres jouissaient d'une faveur spé- 
ciale dans les milieux d'art russes. 

La collection de M. Léopold Favre mérite d'autant plus 
d'être mise en lumière que son propriétaire l'apprécie en ama- 
teur éclairé et lui a donné récemment un cadre élégant en res- 
taurant son hôtel de la rue des Granges. Il a mis à contribution, 
dans cette œuvre, les ressources de l'architecture moderne 
tout en respectant l'harmonie du passé, qui revit en sa demeure 
sous une de ses faces les plus attravantes. 

G. nie MANDACH. 



LA Cni.T.ECTinN DE M. I.ÉOPOLD FAVRE 




Cliché F'ti. Hmsùnnat ^ Ci» fGtHtvtJ, 



PHILIPPE Dt OHAMPAloNt. — la visitatiow 
(Collée lion de M. LèopoU Favre) 




Pholo Laurent (MadridJ. 



SARCOPlIAnE VISIGOTH-ROMAIN EN PIIÎRRE 

Fin du IV* siècle ou commencement du v« 



LE MUSÉE PROVINCIAL DE BURGOS 




5E voyageur qui arrive à Burgos court d'abord 
à la prestigieuse cathédrale, dont la superbe 
tour centrale et les deux légères flèches 
pointent vers le ciel ; l'intérieur de cette 
gigantesque fleur architecturale le sub- 
jugue et l'éblouit, avec son chœur sans 
pareil, ses stalles merveilleuses, ses innom- 
brables chapelles regorgeant de chefs-d'œuvre. Il monte 
ensuite à la Cartuja de Miraflores admirer les tombeaux 
élevés par Gii de Siloé, dignes de ceux de Dijon et de Brou. 
Enfin, s'il en a encore le temps, il se fait conduire à l'antique 
monastère de Las Huelgas, au cloître sans égal dans les 
Castilles; mais il néglige presque toujours le petit musée, 
blotti tout proche de l'Arlanzon, dans les salles de l'Arco 
Santa Maria, construction des plus intéressantes et des plus 
pittoresques, édifiée au commencement du xvi= siècle. 

Ce monument est flanqué de six tourelles crénelées, orné 
des statues de la Vierge, de Charles-Quint et des preux des 
temps héroïques de l'histoire de Burgos. 

Quelque étrange que la chose puisse paraître, c'est dans 
les différentes salles échelonnées parmi les divers étages de 
cette sorte de château fort que se trouvent réunis les objets 
d'art, tous du plus grand intérêt, qui font partie de cette 
collection provinciale. Ils proviennent des différentes époques 
de l'histoire, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos 
jours. 

Passons vite devant les monuments de l'art antique : 
stèles, pierres milliaires, fragments de mosaïques, autels, 
statues, bustes et statuettes; à part une statue romaine, 
trouvée dans les ruines de Salonica, et une statuette datant 
du règne des Césars, ces vestiges intéressent surtout l'ar- 
chéologue. 

Un sarcophage visigoth-romain de la fin du iv= siècle ou 
du commencement du v=, réclame plutôt l'attention ; il 
est en pierre et montre sur l'une de ses faces extérieures une 
longue frise sculptée renfermant différentes scènes que nous 
n'essaierons pas d'expliquer, mais certainement chrétiennes, 
puisque l'on y voit, aux extrémités, une vigne portant une 
grappe, — allusion à la Terre promise, c'est-à-dire à la Résur- 
rection, — le monogramme du Christ, l'échelle de Jacob, 
figurée par deux personnages qui soutiennent une échelle, la 
colombe de l'arche du déluge, etc. 



Ces différents sujets, dus au ciseau de pi'aticicns inex- 
perts, sont traités d'une façon barbare qui ne manque cepen- 
dant pas d'une certaine ampleur. On sent que ceux qui les 
ont exécutés ont subi l'influence des modèles des belles 
époques dont les Castilles étaient couvertes malgré les inva- 
sions qui se succédaient sans interruption sur leur sol. Ces 
œuvres d'art, qu'ils rencontraient de toutes parts, et sur qui 
souvent s'abattait leur démence iconoclaste, impressionnaient 
leur goût, et tout en les détruisant, ils s'en imprégnaient et ils 
les imitaient inconsciemment dansla mesure de leurs moyens. 

L'art mauresque est représenté ici par différents mor- 
ceaux de premier ordre. C'est d'abord un magnifique pla- 
fond composé de milliers de morceaux de bois résineux qui, 
se brisant et s'entre-choquant sans cesse, forment des arêtes, 
des dômes et des pendentifs successifs, des arabesques et 
des combinaisons géométriques des plus imprévues et des 
plus ingénieuses. Malheureusement, ce chef-d'œuvre, exécuté 
par des artisans mudejares, c'est-à-dire par des Maures restés 
en Espagne jusqu'à leur expulsion définitive par Philippe III, 
est en fort mauvais état. Il faut placer à côté deux portes de 
même espèce, des plus élégamment enjolivées. Viennent 
ensuite deux superbes arcatures en stuc provenant de l'an- 
cienne porte de la ville, remplacée par l'Arco Santa Maria, 
le musée actuel. Leur capricieuse et subtile décoration, 
fouillée au possible, véritable dentelle d'une finesse surpre- 
nante, composée de feuillages, de fleurs, de lettres arabes, 
de lacs, d'entrelacs et de rinceaux, s'enroule autour des jam- 
bages des portes, de l'arc guilloché des cintres et s'évase sur 
les frises, partagées au milieu par un écusson aux armes de 
la cité. 

Citons aussi de curieux coffrets ouvragés, les uns en 
bois, les autres en ivoire, du goût le plus délicat et le plus 
précieux, ainsi qu'un casque maure de la fin du xiv"^ siècle, 
rare et caractéristique. 

L'art romano-byzantin, qui a régné assez tard dans les 
Castilles, offre de merveilleux spécimens du mobilier litur- 
gique : d'abord un devant d'autel ou frontal provenant de 
l'ancienne abbaye de Santo Domingo de Silos. 

Formé d'une armature de bois recouverte d'un revête- 
ment de cuivre sur lequel sont appliquées de nombreuses 
plaques émaillées, il était en outre orné autrefois de gemmes 
dont on ne voit plus malheureusement que les alvéoles. 




f>«M« U»n»l(Mt*1il. 



EL ARCO DE SANTA MARIA 

VUE EXTERIEURS DU MUSiE PROVINCIAL DE BURGOS 



12 



LES ARTS 




Photo LaUfCttl fMadridJ. 

C'est une des plus rares produc- 
tions de réma'llerie limousine, 
une de ses pièces les plus abso- 
lument belles. Bordée en haut 
et en bas d'une bande de métal 
gui Hoché, et ornée d'émaux 
rectangulaires, puis de cinq 
gemmes disposées en quinconce, 
elle est divisée en douze arca- 
tures séparées au milieu par un 
ove. Chaque arcature est for- 
mée de colonnes engagées, mar- 
telées à jour, toutes différentes, 
reposant sur un socle et sur- 
montées de chapiteaux soute- 
nant l'arc qui sert de support à 
des figurations repoussées au 
marteau, de tours et d'églises à 
coupoles. 







Di'.lail 

arcaiuue; lî.N STUC iMtuvi:.\A-NT n'u.Mi am:u-:.\-\e l'oHTi; DE nritiios 

. Épociuc arabe 

(Musée provincial de Burgos) 



Dansl'ove médian, le Cinrist 
est assis, la main droite levée 
pour bénir, la main gauche 
posée sur le livre de la Loi; 
dans les écoinçons sont appli- 
qués les symboles des quai ru 
évangélistes. Dans chacune des 
arcatures se tient l'un des douze 
apôtres, dont la tête, en cuivre 
ciselé et repoussé, est à relief 
fortement saillant ; le reste du 
corps, émaillé à plat, à la taille 
d'épargne, sans juxtaposition de 
couleurs, à l'exception de l'or- 
froi qui est séparé par une cloi- 
son réservée. Ces apôtres, ainsi 
que le Christ qui les domine, 
rappellent, par bien des côtés, 
les personnages représentés dans 



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LES ARTS 



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iuhmal dautim. k.n U4HS AVEC revi:ti:.\ii:.nt i>k cLivniî et de tlav^ues emaillees 

Art romaoo-liyzanlin. — Fin du xii» siccle ou début du xin<- 

(Musée provincial de Burgos) 




.,1 (Mmh,.lj. 



DETAIL DE I.A PAHTIE CENTHAI.E DU ER(^^TAL D AUTEL CI-DESSUS 

(Musée provincial de Burgos) 



i6 



LES ARTS 



les mosaïques ou sur les miniatures byzantines; ils en ont 
la raideur, la force, la passivité et l'allure hiératique; aussi, 
à première vue, l'œuvre, qui date probablement de la fin du 
xii« siècle, et peut-être même du commencement du xni=, 
parait être d'une époque plus ancienne. 

D'autres objets liturgiques, de moindre importance, il est 
vrai, mais néanmoins fort curieux, appellent les regards. Ce 
sont : un petit coffret de l'époque carlovingienne provenant, 
comme le frontal d'autel, de l'abbaye de Silos, ancien reli- 
quaire dont les émaux portent des dessins frustes et primi- 
tifs ; puis un autre coffret recouvert de plaques d'ivoire 
figurant, au milieu d'un enchevêtrement étrange de fleurs et 
de feuillages, des chasseurs poursuivant à coups de flèches 
des animaux fabuleux ; enfin, plusieurs crucifix des xu= et 
xiM= siècles, en cuivre guilloché et en fer repoussé, aux 
extrémités pattées, portent, sur la face, des Christs en relief 
du travail le plus barbare, une sorte de jupon attaché aux 
hanches, et, sur le revers, soit la Vierge et aux extrémités de 
la croix des têtes d'anges, soit le Père éternel et les quatre 
évangélistes. Quelques-uns de ces crucifix laissent apercevoir 
des traces d'émail. 

Du moyen âge, nous trouvons surtout des monuments 
funéraires, des pierres gravées, des tombeaux dont la partie 
supérieure consiste en une dalle supportant la statue cou- 
chée du défunt, les mains jointes, les pieds posés contre un 
animal héraldique, et dont la partie inférieure forme un 
enfeu décoré de délicates arcatures, de niches ornementées 
trop souvent vides. 

Signalons, de la fin du xiv= siècle, un devant d'autel en 
pierre, divisé en deux étages, figurant dans le premier, 
séparé par des arcs ogivaux, la Présentation au Temple et le 
Christ devant Pilate ; et dans le second, qui forme une 
longue frise, le Calvaire et la Mise au Tombeau. Ces 
groupes témoignent d'un caractère naïf des plus curieux. 

De la même époque ou d'une époque un peu postérieure, 
voici de nombreuses arcatures fouillées à jour avec une rare 
perfection ; des pierres blasonnées qui semblent de véri- 
tables dentelles ; des statues et des statuettes d'un sentiment 
profond et intense comme le possèdent seules les produc- 
tions de ces temps de foi ardente et ingénue. Parmi ces der- 
nières, il convient de noter une petite Vierge assise dans une 
chaire gothique, la tête surmontée d'une haute couronne 
ajourée, de longs cheveux ondulés tombant sur les épaules, 
l'Enfant Jésus dans les bras. 

Le Musée deBurgos est particulièrement riche en œuvres 
de la première période de la Renaissance. 

Parmi celles-ci, il faut faire une place à part au tombeau 
de D. Juan de Padilla, provenant du monastère, aujourd'hui 
détruit, de Près del Val. Juan de Padilla était un des prin- 
cipaux officiers des armées des Rois Catholiques, lesquels 
avaient pour lui une estime toute particulière ; il mourut sous 
les murs de Grenade peu avant la prise de la ville. 

Le tombeau proprement dit est enfermé dans une large 
archivolte cintrée, soutenue par des pilastres décorés de déli- 
cates statuettes, et est surmonté d'un pinacle gothique enclavé 
dans une série d'arcaiures ogivales. Il se détache sur un 
fond surbrodé de sculptures décoratives et architectoniques, 
occupé à droite par un beau bas-relief représentant la Vierge 
tenant son Fils mort sur ses genoux, entourée de saint Jean 
et de la Madeleine. Un soubassement, meublé aux extré- 
mités de deux figurations de pages, et, au milieu, de trois 



anges soutenant les écussons blasonnés du défunt, supporte 
une large table sur laquelle D. Juan de Padilla, sous son har- 
nois de guerre, recouvert d'un fastueux manteau, est age- 
nouillé sur un coussin brodé, devant un prie-Dieu richement 
drapé; derrière lui, un enfant également agenouillé et 
tenant un casque, a été assurément ajouté et ne fait pas partie 
du monument. 

L'art gothique, aux confins de la Renaissance, a rarement 
produit une œuvre plus exquise, plus délicate et plus fine, 
plus puissante et plus naïve. 

Deux autres tombeaux en marbre, du même temps, ne le 
cèdent guère à celui-ci en intérêt. 

Le premier, provenant aussi de l'église du couvent de 
Frès del Val, fut érigé en l'honneur de deux membres de la 
famille des Padilla, le mari et la femme. Sur la dalle mor- 
tuaire, posée sur un enfeu auquel trois mufles de lions 
servent de supports, reposent côte à côte les défunts : la 
femme, aux traits placides, sous de riches atours ; l'homme 
portant le costume de l'ordre de Santiago, la tête puissante 
au nez recourbé, aux gros yeux boufiis, à la bouche aux 
lèvres lippues, recouverte d'une sorte de turban bouffant, 
tient de ses deux mains le pommeau de sa lourde épée 
placée entre les jambes. 

Le second vient de l'église San Esteban de las Aimas et a 
été transporté dans le Musée au moment de la destruction 
de ce sanctuaire. C'est celui que D. Luis de Acuna, évêque de 
Burgos, fit élever à sa mère D" Luisa de Acuna. Ce beau 
monument consiste en un cénotaphe de pierre dont les côtés, 
légèrement incurvés, sont surmontés de délicates arcatures 
à pinacles ou dais ajourés, montrant à leur base une sorte 
de frise dentelée. Le côté principal est divisé en trois par- 
ties : dans celle du milieu est figurée, en ronde bosse, sainte 
Louise, la palme du martyre à la main, accompagnée de 
deux religieux ; puis à droite et à gauche, des hérauts 
d'armes portant les écussons armoriés des Acuiia. La statue 
de marbre de la mère du prélat est étendue sur la dalle 
tumulaire, la tête reposant sur deux coussins superpo- 
sés, richement brodés. D" Luisa de Acuiia est représentée 
revêtue de vêtements luxueux, les mains pieusement croi- 
sées, les cheveux cachés sous un voile, les pieds posés contre 
deux figurines, dont l'une tient un livre. 

L'œuvre est d'une conception superbe et d'une exécution 
impeccable ; la tête, d'une rare noblesse, les mains des plus 
fines, d'un dessin très ressenti et très délicat. 

La collection provinciale de Burgos renferme bien 
d'autres morceaux intéressants et curieux, bien d'autres 
objets d'art, que la place dont nous disposons ici nous oblige 
à passer sous silence à notre grand regret. 

Indiquons seulement, pour finir, quelques grilles et ser- 
rures ciselées, estampées et relevées au marteau, qui prouvent 
le merveilleux talent des forgerons castillans des siècles 
passés, un grand retable doré du xvii« siècle, en bois de 
noyer, quatre grandes cariatides engainées, en pierre, pro- 
venant d'églises de couvents supprimés; divers bas-reliefs, 
statues et statuettes. 

Quant aux peintures, à part d'anciennes fresques murales 
fort détériorées et quelques esquisses de l'école de Luca 
Giordano, il n'en est aucune qui vaille la peine d'être citée. 

PAUL LAFOND. 



LE MUSEE PROVINCIAL DE DURGOS 



«7 




TOMBEAU DE DON JUAN DE PADILLA 

Provenant du monastère de Frcs dcl Val. — Fin du xv* siicle 

(Musée provincial Je Burgos) 




II. Cifinciii y. Cie 



LI£S MUSKS ET LES PlKniUES, l'AK LE ltuS»U (XVI* SIECLE) 

Musée tlii Louvre 



Les Origines de la Peinture française 




III™"= PARTIE. FRANÇOIS l" ET L ATELIER DE FONTAINEBLEAU 

9;>aBg|ii.LE gens ont blàmc ce mot de Renaissance 
des arts. Il est le legs de la tradition, et 
l'on ne craint pas d'assurer que ceux qui 
trouvent moins de charme aux distinc- 
tions de système qu'aux sens riches et 
profonds, aux mots éclos d'eux-mêmes 
sous ht pression des laits infiniment nom- 
breux et compliques de l'histoire, le conservent avec recon- 
naissance. 

Trois éléments servent à le définir : l'italianisme dans la 
mode, le latinisme dans la culture, le classicisme dans la 
recherche et dans l'intelligence de la nature. Le triomphe 
parfait de ces trois choses est ce qui terme le Moven Age et 
commence les temps nouveaux. Le prestige d'une beauté 
achevée y convertit l'art des Pavs-Bas, qui dès le début du 
xvi= siècle commence de confondre ses traits particuliers 
dans la culture traditionnelle. En France une pénurie d'ou- 
vrage et les suggestions matérielles d'une vie de cour entiè- 
rement transformée en nécessitent l'importation. 

Tout ce qui précède a suffisamment établi que notre pays 
manquait encore aux environs de i5i5, temps de l'avène- 
ment de François I", de ce qu'on nomme une école de pein- 
ture. Ce dont il s'agissait n'est donc pas de transformer chez 
nous cet art, d'en réformer le goljt, d'en promouvoir par des 
greffes heureuses la vertu. Comme nous avions manqué de 
Van Eycks et de Memlings, nous manquâmes de Van Orleys, 
de Mabuses, de Schorels et de Lambert Lombard. L'art 
italien n'eut pas en France d'introducteurs de notre nation. 
Il fallut recourir aux Italiens eux-m"^émes, et l'œuvre de 



ceux-ci compte dans cette histoire pour un véritable com- 
mencement. 

En i5o9 parut en France le premier peintre chargé de 
grandesdécorations que l'Italie nous ait fourni. C'est Solario, 
élève de Léonard, attiré par le cardinal d'Amboise pour le soin 
de la chapelle de Gaillon. Ce magnifique château représente 
en ce temps-là quelque chose comme un premier essai de 
l'entreprise de Fontainebleau. Mais les chambres n'en furent 
encore décorées, suivant l'ancienne mode, que d'étoffe et de 
cuir diversement ornés. Les tableaux aussi y étaient peu 
nombreux. Le goiit de cet objet d'an n'avait pas commencé. 
On n'en commandait que par hasard. Le cardinal une fois, 
une fois le roi Louis XII, se montrent occupés d'en avoir, 
celui-ci de Léonard de Vinci, celui-là de Mantègne, qu'il 
appelle « le premier peintre du monde ». 

Enfin François F' parut, possédé d'un si grand amour des 
arts et en particulier de la peinture, qu'on put croire que ces 
faibles promesses allaient recevoir tout d'un coup des eflets 
merveilleux. Il ne faut pas compter la présence de plusieurs 
Italiens de rang médiocre, dignes d'être cités seulement pour 
mémoire : Guetty de Florence, Nicolas de Modène, auteurs 
tantôt de miniatures, tantôt de modèles en plusieurs genres. 
Le trait fameux de ces commencements est la venue en 
P'rance, sur les instances du Roi, de Léonard de Vinci lui- 
même. 

Installé au doux, près d'Amboise, l'illustre peintre y 
conduisit, avec l'aide de trois élèves, Salaïno, Meizi et Vil- 
,-Ianis, plusieurs ouvrages, dont une partie est encore con- 
servée au Louvre. C'était le portrait d'une Dame de Flo- 
rence, un Saint .(ean-Baptiste, et la Sainte Anne, dont il avait 
apporté le carton. Sans doute il convient de joindre la Vierge 



(1) Voir les Arts n" 37, p. 17, et n- 'i 



y, r- ly- 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



«9 



aux Koclicrs, la P)Cllc Fcrronnicrc, uti l'Jilcvcmcnt de Pro- 
serpiiK-, iiu'nn iidiivc plusiarJ aux collections du Roi, peut- 
être aussi une i.étla mainicnant perdue, et dont plusieurs 
copies nous resieiii. Mais l'âge dc'jà avance du maître ne pou- 
vait promettre de longs services. Paralysé de la main droite, 
épuisé de soins cl de fatigues, Léonard mourut en iSiq, âgé 
de soixante-huit ans, trois ans après son arrivée en France. 
Un autre Italien de grand mérite, attiré pareillement de 
l'année précédente, ne devait pas être plus utile au Roi. 
C'était André del Sartc, dont le séjour est attesté par la belle 
Cliarité que Krausois 1"^^' tint de sa main. La Sainte FJIisabeth 



du Louvre, qu'il a posst^déc «également, a sans douic la même 
origine. André peignit le dauphin François cl un Saint Jean- 
Baptiste pour Louise de Savoie. On croit que le ministre 
Semblant,ay l'employa dans sa tnaison de Tours, où un Frap- 
pement du Rocher, une Rencontre d'KsaU ci de Jacob, ci 
une Manne se voyaient plus tard de sa façon. Des contre- 
temps assez connus rompirent ces heureux commencements. 
Envoyé par le Roi en Italie pour y rechercher des œuvres 
d'art et des antiquités, André croqua l'argent commis à cet 
effet, et n'osa plus reparaître en France. Il n'y avait pas 
demeuré plus d'un an. Squazella, son élève, resta. Cet artiste. 




i'Altd» (JtirtMrft'H. 



VKUTrMM KT POMi'^ ,VVI" »ic»l«' 

Uosftin tirigtnal pour te Pavillon t\« l'oniono < itvtrail) A FosUiwblc«u 
Mmtét dv Ltm\Te 



apparemment médiocre, mérite peut-être qu'on le croie auteur 
d'une Charité que possède M. Raspail. 

Ainsi tous les projets que formait François h', man- 
quèrent à la fois. Les revers de la politique achevèrent 
bientôt de les ruiner. La défaite de la Bicoque, la trahison 
du connétable de Bourbon, enfin le coup de grâce de Pavie. 



marquent une période de catastrophes dans rhisioire des 
ans en France. Le retour du Roi, et des temps moins 
sombres, qui suivirent la captivité de Madrid, en rcnoueot 
heureusement le fil. Le Roi rentra dans son royaume au 
commencement de i5i(>. En 1528 commencent les célèbres 
travaux de Fontainebleau. 



20 



LES ARTS 




L'i';ni:(;A'i ION d'achille, par i.iî rosso (xvr» siérlel 
Dessin original pour la Gal(,'rie de François 1"" (repeinte) à Fontainebleau 
(Nicole des Beaux-Arts Paris) 



On ne sait pas quelle 
cause fit choisir le Rosso dit 
maitre Roux, florentin, pour 
y mettre les premières pein- 
tures. Il est au moins certain 
qu'il vint appelé du Roi, en 
i53i. Sa première commis- 
sion fut de peindre la galerie 
aujourd'hui dite de Fran- 
çois 1"=% et d'y exécuter tout 
l'ornement de stuc. 

La décoration se composa 
de quinze sujets à fresque, 
dont le Rosso n'avait achevé 
que treize. Il faut joindre deux 
tableaux aux deux bouts de 
la galerie, l'un de Bacchus 
et de 'Vénus, l'autre de Vénus 
avec l'Amour. Les autres 
étaient tirés de la fable et de 
l'histoire ancienne. Hérodote, 
Apulée, Ovide, en avaient 
fourni les sujets. Quelques 




compositions n ont pu être 
expliquées, entre autres celle 
que les amateurs d'estampes 
ont nommée l'Eléphant 
royal. Deux représentent allé- 
gorique ment le gouvernement 
de François \" et son patro- 
nage des lettres et des ans. 
Cette dernière estconnuesous 
le nom de l'Ignorance chas- 
sée. Le Roi s'y montre, cou- 
ronné de laurier, un livre 
sous le bras et son épée à la 
main, entrant au temple d'Im- 
mortalité ; par devant sont 
plusieurs figures d'hommes et 
de femmes les yeux bandés, 
quelques-uns endormis, d'au- 
tres appuyés sur des bâtons, 
qui paraissent chercher l'en- 
trée du temple. 

L'apparition de ces décora- 
tions compte au nombre des 



BIÎLLONE SOUTENUE PAR DES GENIES, PAR LE PRIMATIOE 

Dessin original pour le 12'n« compartiment de la voûte de la Galerie d'Ulysse 

(détruite) à Fontainebleau 

(Musée Britannique Londres) 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 





jrN<»\, l'An LI-: imumatick 
Dessin (ii-iginal pour la voitto (efîacôo) do la grotte du Jardin don Pins 
à Fontainubloau. — Musée du Louvre 



HIKCRVr. PAU LC PIHUATICK 

Dtfssin nri)cioal pour U voAU* (efl»r«t«) de l« grtdte da iardïa 
à FooUiaebt«««. <— Mmgit ém l^mwrt 




I BniHN. Cl*mtHi y Ci: 



IkKHLORATIiiX 0» 



22 



LES ARTS 




l'halo Braun, Clément ^ Cie. 



DIANE DliCOUVnAXT L\ 0B0SSIÎ9SE DE CALI8T0, PAR LE PRIMATICE 

Dcssia original pour la partie do gauche d'une ImicUc de l'Appartement des Baias (détruit) à FoDtainebleau 

Musée du Louvre 



plus importants événements de l'histoire des ans en France. 
L'étendue du travail, le mérite qu'on y trouve, la nouveauté 
enfin de pareils ouvrages chez nous, en font l'un des plus 
dignes qu'il y ait de réflexion et d'étude. Aux curieux d'art 
ornemental il offre une matière d'admiration sans fin. 'Tout 
ce qu'il y avait chez nous "d'intelligent et de curieux de 
bien laire, s'empressa d'en copier les motifs et de les 
répandre en mille applications diverses. Il n'y a pas de plus 
illustre exemple d'une vogue soudaine et extraordinaire, 
d'une influence durable et comme universelle. 

Quant aux peintures, rien de ce qu'on trouve en place ne 
mérite aujourd'hui l'attention. Toute la fresque existante, 
effet de vingt retouches et de deux restaurations complètes, 
ne doit plus passer que pour une caricature des ouvrages 
originaux. Pour juger l'œuvre il faut maintenant recourir 
aux anciennes estampes de Boivin, et surtout aux dessins du 
maître, préparation pour ces peintures, dont un, conservé 
à l'École des Bcaux-Ats; représente l'Éducation d'Achille. 

On trouve dans ce morceau toute sa fougue heureuse 
et toute son adresse. La mythologie en est belle, l'in- 
vention fine et poétique, le dessin fier et délicat, plein du 
souvenir de Michel-Ange. Le Rosso s'efforçait de le copier, 
comme faisaient tous les Florentins. Dans tout ce qui nous 
reste de sa main, on trouve ce choix piquant d'attitudes im- 
prévues, cet emportement dans la composition. Il est vrai 
que ses airs de têtes et ses visages ne sont point beaux, et 
que l'habitude de dessiner de pratique le fait parfois tomber 
dans une manière abstraite et dans un défaut de naturel. 
Mais il y a chez lui tant de vrai souffle, des ressources si 



variées, un sentiment si vif et si présent de la forme et du 
mouvement, que les plus rigoureux censeurs ont toujours 
senti moins de pente à le critiquer qu'à l'absoudre. 

La Galerie n'eut pas seule l'honneur de ses talents. Une 
chambre que Vasari appelle le Pavillon, et que toutes les 
apparences placent au second étage du fameux pavillon des 
Poêles, fut décorée par lui dans le même stvle. Il peignit 
encore pour le Roi une Judith, peut-éire aussi les Muses 
et les Piérides, et pour le connétable de Montmorency la 
Déploraiion du Christ de la chapelle d'Écouen, maintenant 
au Louvre. 

Cependant les travaux de Fontainebleau s'étendant, 
requéraient de nouveaux concours. Le Primatice, bolonais, 
disciple de Jules Romain, sous lequel il venait de vaquer 
aux décorations du Palais du Té, parut en France un an 
après le Rosso, en i5 32. Comme ce dernier, on le mit à la 
fresque et au stuc dans la chambre du Roi dite de Saint- 
Louis, près de la Galerie. Il y peignit en huit tableaux des 
histoires de la guerre de Troie. Bientôt il commença la 
chambre de la Reine, faussement nommée Salon de Fran- 
çois l", dont une cheminée peinte à fresque nous demeure. 
Le portail du château sur la chaussée de l'Etang, que nous 
appelons Porte dorée, eut de sa main deux sujets de l'his- 
toire d'Hercule. Un quatrième ouvrage fut une chambre au- 
dessus, dont il n'y a pas d'autres nouvelles. 

Sous ces deux hommes du premier rang travaillaient de 
nombreux auxiliaires, dont les plus importants, issus comme 
eux d'Italie, consomment la tournure étrangère de cet ate- 
lier de Fontainebleau. Quelques Français ne laissent pas de 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



23 




DIANB DÉCOUVRANT LA OROSingl Dl CALISTO, PAR LE PRIMATICS 

Dessin original pour la partie de droite d'une lunette do l'AppartcmcDl des Baips (détruit) t Fostaincblcan 

Musée Britannique, Londres 



s'y mêler, et dans une proportion plus grande à mesure que 
le temps s'avançant, leurs talents se pliaient, comme on 
peut supposer, aux pratiques nouvelles. Ces Italiens sont 
PLllci;rin, Jean Antoine. Juste de Just, Seron, Naldini dit 
Renaudin, Miniaio et Nicolas de Modcnc ; les Fran^•ais sont 
Lcrov, Badouin et Dorij^ny. Il faut ajouter deux Flamands, 
■losse Fouquet et Ldonard Thiry. 

Ces ouvriers composaient deux équipes, dont la plus 
nombreuse travaille sous le Rosso. Nous savons que celui- 
ci ne remettait à ses aides que le dessin lavt' des peintures, 
et ne retenait de la fresque que la conduite et la surveil- 
lance. Il ne parait pas que le Primaticc ait pu se tenir à cette 
pratique d'abord, quoique son office y tendit ; sans doute 
il dut s'en rapprocher à mesure qu'il gagnait d'impor- 
tance. 

11 est certain que durant ces premiers temps le Rosso 
tint un rang supérieur. .■\gé de quarante ans et déjà célèbre 
en Iialie, il ne faut pas s'étonner que la laveur du Roi l'ait 
d'abord distingué davantage. Il re>,ut d'honneurs tout ce qui 
se pouvait selon les idées du temps, et joignit à des gages 
diniponance le revenu d'un canonicat de la Sainte Cha- 
pelle. Au contraire le Primaticc, âgé de vingt-sept ans, était 
au début de sa carrière, et le succès qu'il eut en France 
devait l'aire toute sa renommée. 



La rivalité de ces deux peintres a défrayé les faiseurs 
d'anecdotes. Ce qu'on y mêle de violence et d'injustice ne 
repose pourtant sur rien de palpable. Malgré cette espèce de 
concurrence, ce viui tend a prouver que le Rosso et le Pri- 
maticc ne laissaient pas de vivre en paix, c'est qu'ils ont 
travaillé ensemble à plusieurs ouvrages. Le premier est le 
pavillon de Pomonc, élevé dans l'angle du Jardin des Pins. 
peint de deux sujets de l'histoire de cette dccssc. qu'ils 
s'étaient partagés entre eux. Le Rosso seul en conduisit les 
stucs, lin autre est la Galerie basse, au rez-de-chaussée du 
pavillon des Poêles et donnant sur l'étang, où l'on croit que 
prirent place douze ligures de Muses et de Déesses dessinées 
par le Primaticc. Enfin le voyage (\c l'empereur Charles V, 
que le Roi re^ut à F'oniainebleau en grande pompe, les fit 
mêler une fois de plus leurs travaux. Il y eut de leur dessin 
un arc de triomphe peint de figures allégoriques et de celles 
des deux monarques. Des figurations de ballets et quelques 
autres architectures trouvaient aussi place dans cette fête. 

Mais cette situation partagée ne devait pas durer tou- 
jours. La mort imprévue du Rosso y mit fin l'année 1540. 
Les témoignages assurent qu'il se tua. Les plus grandes 
apparences sont que ce fut du remords d'avoir fait mettre 
îk la torture le peintre Peilegrin, son ami et auxiliaire, 
soupçonné de l'avoir dérobé. Il n'avait pas plus de cinquante 



24 



LES ARTS 



ans. A moins de quarante, du fait de cet 
événement, le Primaiice allait recueillir 
rilliisire et pesant héritage de tous les ira- 
vaux de Fontainebleau. 

Il était alors en Italie, occupé de la 
recherche d'objets d'art pour le Roi, et de 
mouler plusieurs statues antiques qu'on 
avait dessein de fondre en bronze. Cette 
commission, par où se marque la con- 
fiance qu'on eut en lui en plus d'un genre, 
tombe à propos pour faire entendre la 
situation qu'il tenait, et pour justifier sa 
nouvelle importance. 

Dès son retour on en vit les effets, non 
seulement dans les fontes de bronze 
qu'aidé de Vignole il dirigea, mais dans 
les travaux de peinture, dessins de sculp- 
ture, plans d'architecte qui se concentrè- 
rent entre ses mains. Dès lors, et quoique 
aucun titre officiel n'en consacrât le per- 
sonnage, on vit s'ébaucher en son nom 
celte espèce de surintendance des diffé- 
rentes branches de l'art, dont plusieurs 
époques de l'histoire ont vu pourvoir les 
plus grands maîtres, tels que Raphaël sous 
Léon X, ou que Lebrun sous Louis XIV. 
Notons qu'une fois de plus un peintre en 
eut l'honneur, pour le plus grand bien de 
l'école et de son avancement. 

De son propre métier, le Primaiice achève la Salle du 
Roi et commence son cabinet. En même temps, la Chambre 
de la duchesse d'Eiampes, maîtresse de celui-ci, l'Apparie- 
ment des Bains, le vesiibule contre la Porte dorée et la 
grotte du Jardin des Pins s'embellissent par ses soins d'une 
profusion de stucs et de peintures. Le Cabinet eut des 
Vertus représentées sur de grandes armoires, et le beau 
tableau des Cyclopes peint à fresque sur la cheminée. La 
Chambre de madame d'Ktampcs, maintenant changée en 





I.E FESTIN D'ALEXANDRE, PAR I.E PRIMATICE 

Dessio origioal pour la chambre <lo la Duclicssc d'Ktampcs licpoiiitc) à FontainuMuau 

Musée du Louvre 



I,A MASCARADE DE PERSEPOI.IS, PAR I.E PRIMATir.E 

DcssÎD original pour la rliainlirc de la Duchesse d'KUnipt^s (repeinle) à Fontainebleau 

Musée fin Louvre 

escalier, conserve huit sujets de l'histoire d'Alexandre. Dans 
la grotte du .lardin des Pins, parvenue à nous en débris, 
des figures plafonnantes de déesses prennent place au milieu 
de cristaux d'aragoniie parmi les fantaisies d'architecture 
rustique dont lui-même fournit les dessins. Le Vestibule 
reçoit d'autres sujets plafonnants. Foudroiement des Géants, 
Aventure de Céphale, et, sur les voussures, des histoires 
mythologiques ou guerrières. Enfin l'Appartement des Bains, 
dont le souvenir même a péri, lieu de repos chéri du Roi, 
retraite préférée où s'entassent, dans quel- 
ques chambres appropriées, les chefs- 
d'œuvre de l'art italien , Raphaël, Titien, 
Léonard, expose dans sa grande salle aux 
regards enchantés, l'histoire de Callisto, 
sa grossesse découverte, sa métamor- 
phose, sa gloire quand .lupiier la place 
entre les astres. 

De ces chefs-d'œuvre malheureuse- 
ment tout ou presque tout a péri. Le peu 
qui reste, repeint par des mains malha- 
biles, en plusieurs endroits à contresens, 
ne doit pas du tout être compté. Non plus 
que du Rosso, le château de Fontainebleau 
ne conserve du Primaiice que des stucs. 
Comme on n'a connu jusqu'ici d'ouvrages 
certains de lui que ce que ce château en 
eut, on serait en peine de montrer aujour- 
d'hui une seule peinture du Primaiice, sans 
dcuxtoilesheureuscment sauvées en Angle- 
terre. L'une està\\"iltonHouse,c'cstr]{va- 
nouissement d'Hélène ; l'autre est Ulysse 
et Pénélope, on la voit à Casile-Howard. 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



25 



Hors de là une 
seule chose de- 
meure pour juger 
le maître, source 
incomparable ilest 
vrai pour la per- 
fection et l'abon- 
dance. Ce sont les 
dessins prépara- 
toires de ses com- 
positions à fres- 
que, que des rc- 
clierchesaitcntives 
ont permis de rap- 
pareiller. Dans le 
naufrage de son 
ceuvre peint, ces 
pi CCI.' s font aujour- 
d'Iuii le principal 
de sa gloire. Aussi 
n'y a-t-il pas de 
maître qui depuis 
l'origine ait été' 
1^ 1 u s populaire 
chez les amaiturs 





l.i;» rVCI.OI'fc», l'AH I.K PRIU.\Tli:B 

DiiKsiii iii'iKinal |)iiur la cbomiuoo tlu r.abinct <lu Iliii (d<)lruil) à FonlaÏDcblccu 
Musée du Louvre 



et l'élégance de tant de compositions 
variées, la souplesse et la vivacité des 
attitudes qu'elles rassemblent, le raffine- 
ment du dessin et le beau choi.\ des 
formes, une union, dans toutes ces par- 
ties de l'art, du grandiose de Michel- 
Ange, du goin antique de Jules Romain 
et de la douceur du Corrège; de l'abon- 
dance sans confusion, de la science sans 
pédantisme, de l'imprévu sans bizarre- 
rie, de l'aisance sans trivialité, de la 
poésie sans abstraction . de rorncment 
sans surcharge, de la politesse sans 
fadeur, font le mérite éternel de cet 
(vuvre, à quelques égards sans pareil. Je 
ne songe pas à l'absoudre du reproche 
de maniérisme, qu'ont mérité en ce 
temps-là assez d'autres imitateurs de 
Michel- Ange. De celte imitation s'en- 
gendre, chez le Primatice comme chez 
le Rosso, une longueur exagérée des 
figures, que tous les auteurs ont remar- 
quée. Mais, outre qu'un mélange plus 
habile de qualités contraires rend ici à 
ce style une sorte d'équilibre, il faut 
avouer que la nature, plus assidumcn 
consultée, corrige plus efficacement 
l'écart dont il s'agit, chez lui. 

C'est une erreur de croire que ce 
maitre ait eu peu d'application. Rien, en 
dépit des apparences faciles, ne rcs'oit 
moins le reproche de frivolité que son 
œuvre, l'ne preuve en est dans les nom- 
breuses études d'après nature, prcpara- 



dc dessins. Deux 
cent cinquante 
morceaux de ce 
genre, conservés 
dans les collec- 
tions, tantôt san- 
guines relevées de 
blanc, tantôt plu- 
mes rehaussées de 
bistre, nous ap- 
portent son œuvre 
en débris, dans Ic 
bruit d'une renom- 
mée que des criti- 
ques récentes ont 
à peine affaiblie 
. hez les moins 
connaisseurs. 

Elle a tout ce 
qu'il faut pour sur- 
vivre aux dédains 
que l'esprit de sys- 
tème dicte aux te- 
nants du gothi- 
cisme. L'érudition 




KTlinS DK I.A l.'inUKIiiUlI SAINT l'AL'L, PAR I.B PHIM VTICK 

Pour les ëiiiaiiN do Saint-lVro do Cliarlrci* 
Musce itit ioM\'re 



Ktl'DK aC tA rKil'HK BC S\I<<T TMOHV*. rjUI LBrWUttX I 

Vtmr \t* imtmx de Sual-IVr* tm ( 



26 



LES ARTS 



lions des dessins arrêtés, qui nous restent pour toute cette 
première partie de sa carrière. Pour certains des ouvrages 
susdits, on voit que les moindres détails étaient établis avec 
exactitude, et que jamais il n'y eut d'entreprise mieux suivie 
et de direction plus vigilante de l'équipe d'artisans qu'il 
tenait sous ses ordres. 

Des Italiens de quelque renom s'y étaient joints. Depuis les 
environs de i 540, on lit dans les états les noms de Lucas Penni, 
frère du Fattore, de Bagnacavallo le fils, de Caccianemici dit 
Cachenemis, de Fantuzzi dit Fantosede Bologne, de Virgile 
Baron, aussi Bolonais. Cinq ans et davantage, tous ces gens 
furent en France. On n'est pas renseigné sur ce qu'ils ont pu 
faire en sus des travaux de Fontainebleau. De Lucas Penni 
nous tenons des dessins, et de Fantose des estampes, d'après 
le Rosso principalement. On sait, en outre, que ce même 
artiste fut le principal auxiliaire du Primatice à la partie des 
arabesques peintes à la voûte de la Galerie d'Ulysse, fameux 
et colossal ouvrage commencé sous François p^^ et dont il 
s'agit maintenant de parler. 

Elle mesura toute la longueur de la Cour du Cheval Blanc 
de Fontainebleau, soit cent cinquante mètres environ, et se 
composait de quinze travées décorées à la voûte suivant huit 
systèmes différents. Celui du milieu était unique, et les sept 
autres se répétaient deux fois en symétrie de chaque côté de 
ce premier. Sur les murailles furent peintes, en cinquante- 
huit tableaux, les aventures d'Ulysse, d'où la galerie tirait 
son nom. La voûte ne compta pas moins de quatre-vingt- 
quatorze morceaux, qui font avec les accessoires un total 



d'autant plus extraordinaires, qu'un effet d'agréable et facile 
abondance ne rendait pas, dans cet ouvrage, la perfection 
moins nécessaire. Le lieu ne se prêtait pas à cette sorte 




DEPOSITION DE CROIX. — MANIERE Df PRIMATICE 

Corporalicr brodd. — Musée de Cliiny 

de cent soixante et une compositions peintes. Ces chiffres, 
plus éloquents que de longs discours, obligent d'imaginer 
chez le maître des ressources d'invention et une activité 




LA TEMPÉRANCE, PAR LE PRIMATICE 

Dessin original pour une décoration dmmoire du cabinet du Roi (dctruil) 

à FontnincMcau 

Musée Britannique ( Londres I 

d'illusion, cette galerie n'ayant d'extrême que sa longueur. 
Le reste de ses proportions étaient médiocres. Les ornements 
y tenaient une place considérable. Les figures étaient petites 
et se voyaient de près : de sorte qu'une idée assez exacte du 
tout se définit par quelque ressemblance avec les Loges de 
Raphaël. 

Cette galerie, démolie sous le règne de Louis XV, excita 
dans le temps les plus amers regrets. Ce que les dessins 
nous conservent de la voûte, révèle une série d'admirables 
chefs-d'œuvre. Elle n'avait pas de sujet suivi. Passant du l'al- 
légorie à la fable et de la fiction à l'histoire, le Primatice v 
avait comme épuisé, ne glanant qu'à sa fantaisie, tout le 
champ de l'invention poétique. Ou plutôt c'était un poème 
à la façon des Métamorphoses, où les épisodes tour à tour 
piquants, graves ou terribles, forment un tout par l'unité du 
style et l'intérêt ingénieusement renouvelé. 

Une estampe de Ducerceau conserve le dessin d'orne- 
ment d'une des travées de la voûte, de sorte que rien n'em- 
pêche, en joignant les figures, de prendre l'idée précise de 
cette partie. Quant aux peintures des murailles. Van Thulden, 
élève de Rubens, en a gravé la suite au siècle suivant. 

Tant d'importants et excellents travaux avaient mis le 
Primatice dans un comble de gloire. Aux appointements 




JUXO:» CIIKZ LK HOMIIKII^ PAR I.K PRItlATICB 

Dessin original piiur lu vvstiliuli' (rcpuinll d* U Porte Doria, k Foalaiaeblna 
Musée des Offices Florenct 




et aux salaires qu'il touchait de l'Kpargnc royale, se joignit 
bientôt le revenu de Saint-Martin-ès-Aires de Troycs, dont 
Frani,'ois I'' le fit abbe' et dont il porta désormais le titre. 
On croit qu'il travailla alors en plusieurs lieux de la pro- 
vince. Le fait est certain pour le château de Polisy, en 
Champagne. D'anciens auteurs y ont joint le château de 
Reauregard près Rlois, et la chapelle de Chaaiis en Valois. 
maintenant à S. A. le prince Murât, porte tous les signes 
de sa manière. A Fontainebleau même, l'hôtel du Grand 
Ferrare eut des chambres de bains décorées de sa main. 

Ses soins ne s'étendaient pas moins aux applications 
industrielles de l'art. La célèbre série des émaux de Saint- 
Père de Chartres, représentant les douze .Apôtres, est 
authentiquement de son dessin. Une tenture des Dieux 
arabesques, dont deux pièces se gardent aux Gobelins et 
deux autres au Musée des Tissus de l-yon, ne peut venir 
que d'après ses cartons. Enfin un certain corponilier. 
exposé au Musée de Cluny, conser>-e dans l'interpréta- 
tion d'une broderie du reste excellente, des signes évidents 
de son style. 

Tout ceci marque une carrière brillante, à laquelle la 
légende n'a pas manqué de joindre plusieurs iraiis de ▼en- 
geance et de rivalité. On a raconté qu'il saccagea la galerie 
peinte par le Rosso pour y placer ses propres ouvrages. La 
vérité est que nulle part il n'a touché au stuc, et tout fait 
supposer que deux tableaux qu'il peignit, et dont un seul, la 



KTtnK |-Oll> I.A COMPOSITION DR JIXOX Climi I.K SOMMÏII., l'AH 

Dossin original — Mmct dm Limrr* 



K PRIMATIr* 



28 



LES ARTS 



Danaé, subsiste, occupèrent des cartouches restés vides. 

Il est certain qu'il dut se défendre contre Benvenuto 
Cellini, engagé du Roi comme orfèvre, et qui, affectant de 
grands ouvrages, disputa au Primatice le dessin d'une fon- 
taine à Fontainebleau. Soutenu dans cette querelle par 
madame d'Étampes, il est prouvé que la commande demeura 
à ce dernier. Cellini dut bientôt quitter le service du Roi et 
retourner en Italie. Un degré de faveur sans égal mit le Prima- 
tice à l'abri de ses intrigues, et cette contrariété ne compose 
qu'un épisode fort court et peu important de cette histoire. 

Un des signes les plus authentiques de la grande faveur 
du maître est l'empressement que les graveurs du temps 
ont mis à reproduire ses œuvres. Fantose, nommé plus 
haut, et Dominique Florentin s'y employèrent par excep- 
tion. Mais les deux excellents maîtres connus par les seuls 
monogrammes F. G. et L. D., en furent les constants inter- 
prètes. Le second surtout, quelque temps identifié à tort 
avec le Flamand Léonard Thiry, plein de qualités exquises, 
rigoureusement accommodé au style du maître, doit compter 
pour le principal. 

Les effets précis de cette faveur et de l'influence qui 
s'ensuivit, seront examinés plus loin. Il convient d'en mar- 
quer ici cette conséquence générale, du peu que l'initiative 
proprement française conserve dans le renouveau de nos 
arts à cette époque. Le rôle de surintendant qu'y jouait de 
plus en plus le Primatice, doit ôter l'idée que depuis Lenoir, 
on a voulu se faire d'une Renaissance où .lean Cousin ei'it 
dominé, et d'un François 1" ne résidant qu'à Chambord. La 
vérité est que Fontainebleau, où l'Italien régnait sans par- 
tage, accapara tous les soins de ce monarque. 

Architecte déjà de la fontaine de ce palais et sans doute de 
la grotte du Jardin des Pins, on voit l'abbé de Saint- Martin 
donner des modèles 
au fondeur pour la 
décoration de la 
Porte Dorée. Il des- 
sine la bataille de 
Marignan, que le 
duc de Ferrare fait 
peindre à la gloire 
du roi de France 
dans sa villa de 
Copparo. En i 546, 
au commandement 
du Roi, il reprend 
lechemindel'Italie, 
à l'effet de chercher, 
entre autres choses, 
des moules de quel- 
ques ouvrages de 
Michel-Ange. Il 
rentre enfin pour 
voir mourir son 
maître, le 3i mars 
1547. 

Cette mort de 
François P^ fajt la 
fin de la période qu'on pourrait nommer héroïque de 
la Renaissance française. En ce qui regarde le présent 
sujet, il faut la retenir comme celle d'une production 
qu'on eut peine à dépasser par la suite. Les règnes sui- 




TITnOX ET TwVURORIÎ, PAR l.V. miMATIClî 

Dessin original pour le vestibule (l'epcînt) de la Porte Durée, à r(intaii:el»lcau 
Musée d't /.tivre 



vants ne pouvaient en voir que le déclin. Toute l'im- 
portance qui revient à la peinture dans une histoire de 
notre Renaissance, a donc ses attaches dans celui-ci, et 
quoique le Primatice ne fût pas même au milieu de sa 
carrière chez nous, on peut dire que les trois quarts de 
sa tâche étaient faits. Les successeurs de François F' 
n'étaient chargés que de continuer son œuvre, d'empêcher 
que les fruits prêts à cueillir ne s'en perdissent. Même dans 
l'éclat d'une maturité qu'ils durent à son initiative, ils ne 
devaient pas faire oublier le prodigieux essor de ces com- 
mencements : un palais en quinze ans rempli de merveilles 
pareilles à celles dont l'Italie se vantait davantage; une 
« Rome nouvelle », selon l'expression de Vasari, transportée 
au sein du Gâtinais, à deux pas de nos bords de Seine; la 
cour de France attirant tout à coup les regards des artistes 
du monde entier; Fontainebleau succédant dans l'attention 
des hommes au Vatican, à Mantoue, à Florence; le vieux 
palais de saint Louis baptisant une école dont le renom 
allait courir l'Europe et éterniser son nom dans l'histoire 
des arts; mieux que tout cela, l'école française fondée, 
des bases certaines et solides posées à ses succès futurs. 
Tel était le résultat de ce règne incomparable, de l'ac- 
tion opiniâtre, enthousiaste, éclairée, du prince qu'à bon 
droit la tradition des livres a nommé le Pcre des Arts en 
France. 

La fantaisie d'esthétiques futiles et des chimères histo- 
riques sont cause qu'on voit de nos jours lui contester ce 
titre. Mais les raisons autant que l'autorité manquent à celte 
dénégation. On ne peut contester sérieusement que Fontaine- 
bleau ne contienne les origines définitives de notre école. 
On ne peut pas plus dissimuler que les plus grands maîtres 
de celle-ci ont tour à tour marqué l'admiration qu'excite 

l'œuvre des artistes 
de François h'^ . 
Poussin dans le 
xvii« siècle, Lc- 
moyne au xviii", au 
XIX' Delacroix, ont 
apporté comme à 
l'envi leurs tributs 
d'éloges à ces vieux 
peintres. Devant 
cet accord des ar- 
tistes, soutenu de la 
constante estime 
des amateurs, com- 
ment compter pour 
une raison sérieuse 
le reproche dont on 
s'avise, que ces 
peintres n'étaient 
pas Français? Ils 
sont bien plus : ils 
sont les pères et la 
source de l'école 
française, et l'hom- 
mage qu'aussi bien 
elle n'a cessé de leur rendre, n'est que la déclaration 
de cette paternité, le texte éclatant de cette reconnaissance. 



(A suivre.) 



L. DIMIER. 



ERNEST BARRIAS 




A sculpture classique française vient do perdre, 
cil Krnest Barrias, un de ses reprdseniants 
les plus <5minenis. 

Toute sa vie, en efl'et, il demeura tidèle 
;uix principes et aux traditions de l'École, 
cl toutes ses œuvres portent l'empreinte de 
l'esprit de discipline qui est la base de 
l'enseignement olticiel des beaux-arts en 
^"rance et ailleurs. Se placer à ce point de vue pour étudier 
la carrière si dignement et si laborieusement remplie de 
Barrias, ce n'est donc nullement risquer de méconnaître sis 
mérites; c'est, au contraire, vouloir les moyens de les mettre 
en lumière et de situer la personnalité de l'artiste disparu à 
sa vraie place 
dans le mou- 
vement de l'art 
contemporain. 
Au surplus, on 
peut être cer- 
tain qu'il n'eût 
point déplu à 
l'auteur des 
Premières Fu- 
nérailles et de 
Mozart enfant 
de se voir juge 
selon le code 
d 'e s t h é-t i q u e 
auquel il se 
soumit dès ses 
débuts, auquel 
il dut tous ses 
succès, et qu'il 
enseigna lui- 
même, durant 
plus de dix ans, 
avec tant de 
sincérité, de 
bienveillance 
et de convic- 
tion. 

Quelle force, 
pour un ar- 
tiste, de con- 
server intacte 
jusqu'à la Hn 
sa loi en l'ex- 
ceHence des 
doctrines où 
ses maîtres 
l'instruisirent, 
aveugle sa 
croyance en la 
supériorité de 
l'Idéal vers 
lequel furent 
dirigés ses pre- 
miers pas ! La 
vie s'agite au- 
tour de lui, la 




lutte s'échauffe, on se bat pour des idées nouvelles, les vieux 
dogmes sont ébranlés, la révolte gronde, l'art, comme tout 
au monde, subit les lois irrésistibles de l'cvoluiion..., mais 
lui, perdu dans son rêve, poursuit la route commencée; i! 
possède la certitude; comme Tarcisius, il porte la vérité 
contre son cœur, il souffrirait pour elle, comme Tarcisius, le 
martyre. Cette sérénité est infiniment touchante... et res- 
pectable. 

Barrias la connut, scmble-t-ii, Barrias fui un anisie heu- 
reux. Les indécisions, les doutes, les angoisses qui désor- 
ganisent les tempéraments, épuisent les énergies, émieitent 
les volontés, on n'en trouve pas de traces dans son œuvre. 
Au contraire, on le voit toujours égal à lui-même, et. ni dans 

le choix de ses 
sujets, ni dans 
la mise en 
œuvre des pro- 
grammes qui 
lui sont im- 
posés, ni dans 
son exécution 
ne se trahit une 
de ces crises 
décisives dans 
une carrière 
d'artiste où, du 
jour au lende- 
main, sa con- 
ception de l'art, 
sa vision de ta 
nature, ses 
moyens d'ex- 
pression, que 
sais- je? tout 
change en lui, 
tout est bou- 
leversé, où le 
voici qui se 
conquiericnlin 
lui-même et 
recommence 
sa vie et son 
art! 

Kicn de pa- 
reil chex Er- 
nest Barrias; il 
s est développé 
sagement, pai- 
siblement, se- 
lon un rythme 
tranquille, ci 
conformément 
à SCS facultés 
innées, à ses 
aspirations 
personnelles, à 
son tempéra- 
ment. Par na- 
ture.d'ailleurs, 
son talent n'est 



l'IuK Unma, CUawal f Ci». 



ERNEST BARKIAS 



3o 



LES ARTS 



ni d'un violent, ni d'un tourmenté; les dons de grâce, de déli- 
catesse, d'expression fine et tendre dominent en lui, soutenus 
et affermis par une science entière de son métier et le plus 
louable souci de perfection, grâce à la sévère discipline qui 
lui fut imposée dès ses débuts et e^u'il s'imposa toujours à 
lui-même. 

« Quand j'entrai, à l'âge de treize ans (il était né en 1841), 
au sortir de l'école communale, chez Cavelier, racontait-il 
un jour à M. Marius Vachon, je fus mis à la besogne pénible 
et diverse de l'appreniissage, tel qu'on le comprenait et 
qu'on le pratiquait traditionnellement en ce temps-là. Le 
premier arrivé, dès six heures du matin, je devais scier le 
bois, allumer le poêle et 
balayer; dans la journée, je 
faisais les courses. Bien que 
mon patron fût le meilleur 
des hommes, je recevais de 
lui et des praticiens plus de 
reproches et de bourrades 
que de caresses et de com- 
pliments. Je n'en apprenais 
pas moins, très sérieusement, 
le métier, en observant avec 
soin ce qui se faisait autour 
de moi et en travaillant avec 
acharnement. Au bout de 
trois ans, mon apprentissage 
terminé, Cavelier me con- 
seillait d'entrer chez Jouf- 
froy, qui avait organisé un 
atelier de professeur et rece- 
vait de nombreux élèves. 
J'étais le plus petit de tous 
et je paraissais le moins 
instruit et le moins déluré. 
Quels ne furent pas l'éton- 
nementet la jalousie de mes 
camarades ! Dès le second 
jour, constatant que le petit 
apprenti de chez Cavelier en 
savait plus que ses élèves, 
Jouffroy le chargeait des 
travaux les plus difficiles et 
les plus délicats. C'est qu'en 
effet, ils en avaient beau- 
coup moins appris dans leur 
cours que moi dans mon 
apprentissage, tout en sciant 
du bois et en allumant le feu 
des poêles, grâce à l'instruc- 
tion technique manuelle que 
m'avait donnée mon premier 
patron. A seize ans, en 1857, 
j'étais admis à l'École des 
Beaux- Arts, et en 1861, je 
partais pour Rome, comme 
pensionnaire de l'Académie 
de France. » 

Depuis, Barrias, on peut 
le dire, n'a connu que le 
succès. Aux Salons, ses 
œuvres lui valurent toutes 
les récompenses; en 1878, 
la médaille d'honneur était 
décernée à ses Premières 
Funérailles; en 1884, il 
entrait à l'Institut, et en 1 894 



à l'École des Beaux-Arts comme chef d'aielier de sculpture, en 
remplacement de son maître Cavelier; enfin, il était nommé 
vice-président de l'Académie des Beaux -Arts pour l'année 
1897, et il recevait en 1900, à l'occasion de l'Exposition 
Universelle, la cravate de commandeur de la Légion d'hon- 
neur. 

Parmi ses principales œuvres, en s'en tenant à l'ordre 
chronologique, il faut citer : la Fondation de Marseille, 
bas-relief (i865); la Guerre, le Commerce, la Pèche, frise 
décorative (i865); Jeune Fille de Mégare 1 18-0) ; le Serment 
de Spartacus et la Fortune et l'Amour 1872); la Religion, 
la Charité (18-31; la Comptabilité 11878); les Premières 



Funérailles (1878] 



la 




Défense de Paris, monu- 
ment érigé à Courbevoie 
(1880); Bernard Palissy 
( I > 8 1 ) ; Sainte Sophie ( 1 88 1 j ; 
la Défense de Saint-Quentin 
[i88i); Mo:{artenfant{iS8'i); 
le Chant, la Musique (1888); 
la Chasse (1889); Jeune 
Fille de Bon-Saada (1890); 
Anatole de La Forge 
(1893; ; le Monumentd'Emile 
Augier[i8<jyj; le Monument 
de Victor Schœlcher '1896); 
Virgile, le Printemps ( 1 897) ; 
r Expédition de Madagascar 
(1897); le Monument de 
Lavoisier (1898); la Nature 
se dévoilant {i8gg); la grande 
horloge de la Bibliothèque 
nationale, à l'angle de la 
rue Montyon et de la rue 
Vi vienne (1901); le Monu- 
ment de Victor Hugo (1902) ; 
Jeanne d'Arc prisonnière 
(i9o3p et nombre de bustes, 
dont ceux de Jules Favre, 
de Munkacsy, de Cave- 
lier, etc. 

Toutes les promesses de 
ses débuts, Barrias, au cours 
de sa longue et laborieuse 
carrière, les a tenues, et de 
la Jeune Fille de Mégare du 
Salon de 1870, où la délica- 
tesse du sentiment s'unissait 
à une compréhension si 
souple et si raffinée de la 
grâce, à la Nature se dévoi- 
lant du Salon de 1899, on 
comprend que sa renommée 
n'ait fait que grandir. 

Il possédait, en effet, les 
dons qui charment, une 
sensibilité qui, sans miè- 
vrerie, savait dire les mélan- 
colies, les tendresses, les 
fraîcheurs des gestes fémi- 
nins; il possédait les plus 
puissants moyens de séduc- 
tion : l'amour du joli, du 
tendre, de l'émouvant, l'art 
de la mesure, une étonnante 
habileté d'exécution, le 
souci du fini, de l'achevé, 



ERNEST BARRIAS. 
Statue, marbre poly 



LA NATURE SE DEVOILANT 

chrome et onyx d'Algérie 



ERNEST BARRI AS 



3i 



l'entente de l'effet. Revoyez ses Premières Funérailles : tout 
Barrias est là. La douleur d'Adam et d'Eve, portant le 
cadavre d'Abel, ne ddsharmonisc pas leurs traits, ne con 
tracte pas les muscles de leurs corps nus; c'est pourtant leur 
premier contact avec la mort ; mais Abcl lui-même n'est 
qu'endormi, la différence n'est pas sensible entre les chairs 
vivantes et celles d'où s'est retirée la vie. Le geste est heu- 
reux et juste, et très attendrissant cependant, par lequel Eve 
soutient la tôte de son fils et abaisse son visage vers elle, et le 
masque farouche, muré par la souffrance d'Adam, ne manque 
ni de caractère, ni de grandeur. Mais rien de désordonné, 
d'excessif dans cette figuration de la douleur; tout demeure 
harmonieux et serein, sagement. 

De toutes les compositions à plusieurs personnages de 
Barrias, celle-ci est, sans aucun doute, la meilleure, et les 





noio fliVoii.loK. ERNEST IlAnniAS. — BlîR!»Ano PAUSST 

( Sijuari Saint-Gtrmain-itt-tritl 



ERNEST BARRIAS. — itatAKT mrAjn 
IMmtit eu Lmxeimhmrff 

qualités de groupement, de mise en œuvre qui en font le 
mérite ne se retrouvent point, à un égal degré, du moins 
dans les monuments qu'il signa, la Défense de Paris, l'Expé- 
dition de Madagascar, VEmile Augier, qui s'élève devant le 
théâtre de l'Odéon, cnrin le Monument de Victor Hugo, 

En revanche, nous le retrouverons encore tout entier, 
avec ses dons de fine tendresse, de fraîcheur souriante, de 
grâce délicate et mélancolique, de sage fantaisie même, dans 
ses figures isolées. Le Mozart enfant n'est-îl pas. dans son 
genre, un petit chef-d'œuvre, et la Jeune Fille de Bou-SaaJa, 
jetant des ticurs, qui orne la tombe de l'orientaliste Guillau- 
mct, une charmante chose et des mieux venues : 

Mais l'œuvre où Barrias parait s'être le plus complète- 



32 



LES ARTS 



ment exprimé, ne serait-ce pas la statue qu'il exposait au 
Salon de 1899, où elle fut si remarquée, et que possède 
aujourd'hui le musée du Luxembourg : la Nature se dévoi- 
lant. Par l'emploi de matériaux précieux de différentes cou- 
leurs, marbre, onyx, ivoire, combinés et associés avec le 
goût le plus sûr, elle exerce un attrait irrésistible, et l'effet 
est vraiment délicieux de cette suave poitrine, de ces belles 
épaules émergeant du somptueux peplos veiné d'or, de ces 
doux bras soulevant le voile sous lequel la tète pensive 
apparaît dans une tendre pénombre pleine de mystère. 
Est-ce vraiment la Nature se dévoilant ? Je ne sais, et peu 
m'importe, car l'allégorie me laisse en elle-même assez 
froid, mais c'est là une belle œuvre, et vraiment digne de 
demeurer, car elle témoigne d'un sens de la Beauté, sinon 
entièrement personnel, si expressif, du moins, de rêves 
et de pensées communes à tant d'hommes, qu'elle provo- 
quera longtemps, dans l'esprit et le cœur de ceux qui la 





ERNEST BABRIAS. — groupe pour ux tombeau 



ERNEST BARltlAS. — la ciiAniTii 
statue, plSlre 

contempleront, un sentiment ému de terveur et d'attendris- 
sement. 

Il est, certes, dans le cycle de la sculpture française du 
xix"^ siècle, des personnalités plus puissantes, plus origi- 
nales que celle d'Ernest Barrias; pour ne parler que des 
modernes, Falguière avec sa sensualité fiévreuse, Dalou 
avec sa verve ardente, Rodin avec sa passion formidable de 
vie, seront placés plus haut par l'admiration des âges à 
venir, mais aux côtés de Mercié, de Chapu, de Paul Dubois, 
de Frémiet, Ernest Barrias mérite un rang d'honneur. Ce 
fut un artiste convaincu et sincère, soucieux de la perfection 
de son art, et d'une conscience droite et sereine. « Il lui est 
arrivé de se tromper, écrivait l'autre jour un critique, il ne 
lui est jamais arrivé de déchoir. » 

GABRIEL MOUREY. 



DireeUar : M. MANZI. 



Imprimerie Makii, Jotant & C», Asnières. 



Le Gérant : G. BLONDIN. 



LES ARTS 




Vh9t9 GliflfrfoN. 



ERNEST BARRIAS. — L^iLSCTRiciTÉ 



Chronique des Ventes 



Contrairement à l'usage, on s'est enfin dé- 
cidé cette année à commencer un peu plus 
tôt la saison des ventes, et dès les premiers 
jours de février, nous avons eu à enregistrer 
des vacations importantes. Cette innovation 
qui, il faut l'espérer, sera la règle désormais, 
a été provoquée par le nombre considérable 
de ventes à effectuer avant la fin de juin. En 
effet, cette saison sera excessivement chargée 
et, sans trêve ni repos, les jours vont être oc- 
cupés durant trois mois, sans pour cela arriver 
à épuiser le tableau, certaines ventes ayant dû 
être remises à l'automne prochain. Ce qu'il 
est intéressant de constater, c'est que, en dépit 
de la quantité de marchandises déjà jetée sur 
le marché et de celle à venir, les cours n'ont 
pas fléchi et se maintiennent toujours plutôt à 
la hausse pour les objets anciens et principa- 
lement pour ceux du xvni= siècle, plus en fa- 
veur que jamais. 

La première vente artistique a été celle des 
tableaux et objets d'art provenant de la collec- 
tion de M. le comte Jacques de Bryas, qui a 
eu lieu le 6 février sous la direction de MM. 
Chevallier, Mannheim et Ferai, et qui a pro- 
duit 225,820 francs pour vingt numéros. Les 
honneurs sont revenus là à un panneau de 
l'école de Cologne par le Maître de l'autel de 
la 'Vierge, représentant le Baptême du Christ, 
qu'un marchand a payé 46,000 francs, juste le 
double du prix demandé. Ensuite est venu un 
pastel par Perronneau, Portrait présumé delà 
marquise d'Anglure, quis'estadjugé 39,000 fr., 
prix supérieur à celui de demande. Par contre, 
sont restés au-dessous des estimations, une 
peinture par Boucher, les Bulles de Savon, 
vendue 2i,5oo francs et un Portrait d'Homme, 
par Quentin de La Tour, payé 20,000 francs. 
Un portrait par Reynolds a fait i2,5oo francs. 
Dans les objets d'art on s'est assez vivement 
disputé un buste en terre cuite par Pajou, 
qu'on a enlevé à 3o,ooo francs. Il faut signaler 
encore une horloge en marqueterie de bois de 
l'époque Louis XV, payée g, 100 francs, et une 
pendule à cage en bronze doré avec émaux, 
par Coteau, du temps de Louis XVL adjugée 
8,000 francs. Des porcelaines tendresdeSèvres 
se sont très bien vendues. 

Quelques jours après, les mêmes commis- 
saire-priseur et experts procédaient à la vente 
de la collection de M. H. J. M.,et obtenaient un 
total de 272,185 francs, avec une moyenne de 
prix supérieure à celle de la vente Bryas. Tous 
les objets appartenaient au xvin= siècle, et cer- 
tains ont atteint des chiffres laissant loin ceux 
obtenus dans des ventes antérieures. C'est 
ainsi qu'une gouache de Hoin, la Consultation 
de l'Oracle, payée 5, 600 francs à la vente 
Muhlbacher, montait ici à 16,000 francs, et un 
Portrait d'un Maréchal, par Nattier, quoique 
de facture bien sèche, grimpait à 1 9,000 francs, 
sur une demande de 10,000 francs. Un 
petit Portrait de Femme, du même, a fait 
i2,3oo francs, et un Portrait de l'Impératrice 
Marie de Russie, par Darbes, 10,200 francs. 
Quelques beaux meubles d'ébénisterie ont ex- 
cité de vives compétitions. On a poussé à 
18,100 francs une commode en marqueterie 
et bronzes de la fin de l'époque Louis XV et 
une autre de la même époque à i 3,700 francs. 
Une table bureau en bois de placage a trouvé 
preneur à i5,ooo francs, et un meuble d'appui 
à i2,3oo francs. Un prix remarquable a ~été 
celui de 25, 000 francs atteint par une tapis- 
serie de Bruxelles duxvni= siècle, représentant 
le Débarquement du Poisson, sujet à petits 
personnages bien dans le goût du jour. 



Au milieu de février, MM. Chevallier, 
Paulme et Lasquin ont employé quinze vaca- 
tions à disperser la collection d'un vieil ama- 
teur, M. Germeau, qui avait entassé depuis 
des années une quantité considérable d'objets 
de toutes sortes, renfermant de très belles 
pièces au milieu de bibelots sans valeur. Le 
succès de cette vente a été grand, et l'on a at- 
teint un total de près de 56o,ooo francs. Dans 
le nombre je ne retiendrai que quelques objets. 
Un antiquaire anglais a enlevé de haute lutte, 
au prix de 25, 000 francs, un petit coffret de 
Thomas Becket en argent doré et niellé du 
xii^ siècle, dont on avait demandé 1 5, 000 francs. 
Les tapisseries ont fourni les autres gros prix. 
Deux salons couverts en tapisserie du temps de 
Louis XVI sont montés à 22,600 et 20,000 fr. 
Le Musée des Arts décoratifs s'est rendu acqué- 
reur d'une tenture gothique représentant Dame 
Réthorique pour 18,200 francs. Une tapisserie 
du xvi= siècle a fait 16,000 francs, et deux 
cantonnières en Aubusson, 18,400 francs. 

Très importante aussi était la collection de 
M. Guilhou, un amateur du midi de la France, 
qui avait réuni des objets de vitrine, des curio- 
sités et antiquités, en quantité suffisante pour 
nécessiter six ventes, qu'ont dirigées MM. Che- 
vallier, Mannheim, Houzeau, Samhon et Ca- 
nessa. La première et la seconde vente, com- 
posées des meilleures pièces, ont fourni des 
prix intéressants, mais avec des écarts assez 
sensibles, et plutôt inférieurs à ceux de de- 
mande. Les principaux prix ont été pour deux 
flambeaux en bronze du temps de Louis XVI, 
payés 1 5,000 francs, et deux cassolettes en 
bronze Louis XV, vendues 12,600 francs. Au 
nombre des boites du xvmi« siècle, une, en or 
émaillé, ornée de portraits de personnages 
de la maison d'Autriche peints sur émail, est 
montée à 20,000 francs sur une demande de 
8,000. D'autres ont dépassé 5, 000 francs. 
Dans les antiquités, la pièce principale était 
une casserole en argent ciselé, qui est restée à 
3o,ioo francs sur une demande de 40,000 fr. 
Un bronze, jeune taureau, trouvé à Bosco- 
réale, a fait i2,5oo francs, et un tout petit 
lion en ivoire, de travail égyptien, 8, 1 00 francs. 

Entre temps, M. Lair-Dubreuil et M. Blo- 
che effectuaient la vente d'objets provenant de 
la succession de Madame J..., donnant un 
total de 210,000 francs. Laissant des bijoux 
qui n'ont pas d'intérêt ici, je noterai un meu- 
ble de salon en ancien Aubusson, que l'on 
paya 17,000 francs, et un joli petit bureau de 
dame en marqueterie, orné de bronzes, signé 
Betz, adjugé ii,ooo francs. Les dessins an- 
ciens, qui nous ont donné de si beaux prix à 
la vente Beurdeley, nous en fournissent à 
mentionner à la vente Laglenne, que dirigea 
M. Lair-Dubreuil. Une grande gouache de 
Van Blarenbergue se paye 5,5oo francs; un 
pastel, portrait par Prud'hon, 4,100 francs, et 
un portrait par Bosio, 3, 000 francs. Le tout 
produit 71,000 francs, avec des choses de qua- 
lité moyenne. 

Mais l'événement de ce commencement de 
saison a été la vente des dessins du xvni^ siècle 
formant la collection de M. Beurdeley et que 
MM. Chevallier et Ferai ont dirigée à la Galerie 
Georges Petit. Cett.; vente a tenu tout ce que 
l'on en attendait. Les numéros de vedette 
ont atteint des prix dépassant toute attente, 
pour la plupart, et les pièces de qualité secon- 
daire ont bénéficié de l'emballement pro- 
voqué par les premiers. Limité par la place, 
je ne signalerai que les plus grosses adjudica- 
tions. Une gouache par Lavreince, la Mar- 



chande de Modes, que M. Beurdeley avait payée 
20,000 fr., monte ici à 3 3, 000 fr. Une grande 
aquarelle par Le Guay, Chasse du prince de 
Condé, se paye 23,000 francs sur une demande 
de 10,000 francs. Une aquarelle de Hoin, la 
Jeune Fille aux roses, fait 10,000 francs, et 
une aquarelle de Louis Moreau, le même 
prix. A 27,500 francs s'enlève une feuille 
d'études de têtes par Watteau, et à 12,000 fr. 
un portrait de femme par A. de Saint-Aubin. 
La célèbre sépia de Fragonard, le Verrou, 
monte à 24,000 francs contre 8,100 francs à 
la vente Josse, en 1894. Du même, une san- 
guine. Temple de Vesta à Tivoli, payée autre- 
fois 1,100 francs, fait 20,000 francs, et une 
autre, 12,600 francs. Dans les miniatures, un 
amateur en paye une, par Hall, Portrait de la 
comtesse de Heljlinger, 28,200 francs. Une 
autre, de l'Ecole anglaise. Portrait de Femme, 
par Plymer, trouve acquéreur à i6,o5o francs, 
et l'on termine sur un total de 632, 000 francs, 
ce qui est un résultat des plus satisfaisants, 
devant laisser un joli bénéfice sur les prix 
d'achat. 

En même temps, à l'Hôtel Drouot, 
MM. Bonnaud et Mannheim opèrent la disper- 
sion de la collection Schiff. Comme à la vente 
Germeau, c'est une réunion considérable d'ob- 
jets anciens accumulés par un amateur de la 
vieille école. Tout se vend, là aussi, très cher, 
sans fournir d'enchères sensationnelles. Pour 
de vieux tapis d'Orient on fait cependant des. 
folies, et l'on pousse l'un à 19,750 francs et 
un autre à 17,500 francs. Une châsse en cuivre 
champlevé et émaillé de Limoges, du xin= siè- 
cle, est adjugée i5,ioo francs. Des bronzes 
italiens du xvi= siècle sont aussi très disputés. 
Une statuette d'enfant nu monte à 8,100 fr., 
et un encrier formé d'un lion terrassé par 
Samson, à 7,5oo francs. Dans les tableaux, il 
ne se produit rien de remarquable. 

Le dernier jour de mars, on vendait des 
sièges couverts en ancienne tapisserie, pour 
lesquels on a donné d'assez gros prix, dont le 
principal a été celui de 27,300 francs pour 
quatre fauteuils en Beauvais époque Louis XV. 
Un salon en tapisserie ancienne a fait 22,000 
francs, et un autre en Aubusson époque 
Louis XVI, 17,000 francs. 

La veille, à la vente après décès d'un an- 
cien marchand de tableaux, M. Gérard, avait 
passé un très beau portrait d'homme par Hol- 
bein, représentant Antoine Humbelot. Sur 
une demande de 40,000 francs, ce portrait a 
été adjugé à un marchand parisien pour 
39,000 francs, pas cher à ce prix, étant donnée 
la qualité de l'œuvre. 

A l'étranger, New-York seulement nous a 
envoyé quelques prix importants. A la fin de 
mars, on a vendu la collection Brandus, com- 
posée de tableaux modernes. Une toile par 
Millet, The seated Spinner, a atteint i20,5oo 
francs ; un tableau par Corot, Souvenir d'Ita- 
lie, 37,500 francs, et l'Attente, par Meissonier, 
21,000 francs. Un paysage par Daubigny a 
fait 14,500 francs, et un autre, par Cazin, 
18,000 francs. Tout de suite après est venue 
la vente de la collection David King, qui a 
produit plus d'un million. On a payé 90,000 
francs un portrait de la comtesse d'Argenson 
par Nattier. Un portrait de Miss Macarlney, 
par Raeburn, a fait 52,5oo francs, et un autre 
portrait, par le même, 45,000 francs. 

A. FRAPPART. 



LES ARTS 



N» 41 



PARIS — LONDRES — BERLIN — NEW-YORK 



Mai 1903 




i'htftit UrmuH, C/«mt(ii f Cn. 



EUGENE GUILLAUME 

STATCAIRE 

I 8ai- I 9o5 




l'hulu i\etirdem fréren. 



EUGENE GUILLAUME . — li;s uH.\i:gLi;s 
(Muscc du t.uxcmùt iiff;) 



EUGÈNE GUILLAUME 



1822-1905 



MErGKNE Guillaume est mort plein de jours, 
ayant occupé et rempli en son pays toutes les 
places qui pouvaient procurer effectivement, au 
* nom de l'Etat, une sorte de dictature des Arts. 
Nul homme n'a été mis à même d'exercer sur les artistes de 
son ternps, sur leur formation intellectuelle, leurs progrès 
professionnels, leurs développements Imaginatifs, une 
influence majeure. Il fut, dans l'enseigncmciit et la direc- 
tion, l'homme accrédité, depuis un quartdc siècle, pour distri- 
buer les préceptes et attribuer les récompenses. Profes- 
seur d'esthétique au Collège de France, directeur général 
des Beaux-Ans, inspecteur général des arts du Dessin, 
directeur de l'Ecole des Beaux-Ans, directeur de l'Académie 
de France à Rome, professeur de dessin à l'Ecole polytech- 
nique, il fut de ceux auxquels il est permis de concevoir, de 
suivre et d'imposer une idée maîtresse. Sa carrière adminis- 
trative si remplie demandera sans doute à être étudiée comme 
celle d'un Lebrun, d'un Dcnon ou d'un Forbin, et il sera à 
coup sûr intéressant, peut-être même utile, de comparer ce 
que tut l'exercice de la dictature artistique sous des despotes 
tels que Louis XIV et Napoléon, et sous le régime actuel, 
mais le temps n'est point venu de rechercher si le pilote 



habile qu'était M. Guillaume a conduit vers des rivages for- 
tunés la barque fragile qui porte la gloire artistique de la 
troisième République, ou si le nautonnier, malgré sa pru- 
dence, n'a pu l'empêcher de venir à la cote où, enlisée aux 
sables mouvants, elle est par eux peu à peu recouverte. 

Laissons de côté l'administrateur, c'est l'artiste, le sta- 
tuaire, le penseur, l'écrivain, le confrère qu'on prétend saluer 
ici d'un suprême hommage, d'uri hommage qui fût vrai s'il 
est possible et qui rendit quelques côtés tle sa nature et de 
son talent. Les éloges posthumes n'ont point manqué 
à M. Guillaume. Il a été également loué par des Italiens 
et des F"rançais. Il eut des obsèques solennelles; des hommes 
considérables discoururent sur sa tombe, certains avec com- 
pétence, d'autres avec iniclligence, tous avec une admiration 
respectueuse, nul avec émotion. 11 semblait qu'on se lût 
involontairement conformé à cette sorte d'austérité polie, 
distinguée et froide dont M. Guillaume s'enveloppait. Quoi- 
qu'il parlât mieux qu'homme au monde, il parlait peu, ne 
forçait pas le ton, ses pensées étant assez élevées pour qu'il 
n'eût point à les rehausser par des éclats de voix. Son geste 
demeurait constamment mesuré et l'homme avait énergique- 
ment voulu être tel qu'il ne parût jamais extérieurement 



EUGÈNE GUILLAUME 




EUGKNE GUILLAUME. — lk maria^.k romain 
(Musée du Luxembounif 



LES ARTS 



surpris, agité ou bruyant, tant il rejetait les mouvements 
discordants, contraires à la fois à la norme artistique, 
philosophique et sociale qu'il s'était tracée. 

Sans doute, sous ce masque, quelqu'un qui se fût atta- 
ché au regard et au pénétrant éclat des yeux, souvent demi- 
clos, eût deviné et surpris des passions très ardentes. Aux 
plis minces de la bouche, même aux frémissements des 
narines, il se fût confirmé en la certitude que cette impas- 
sibilité était d'apparence. Et si, comme quelques-uns, il 
avait par une fissure pénétré en ce cœur, il y eût trouvé, 
avec une générosité que relevait une pointe de dédain, une 
chaleur de sentiments qui prouvait, malgré les ans, le foyer 
toujours brûlant sous la cendre. 

Tel était son style, — et, à cet enfant de Montbard, 
n'est-ce point que le mot de Buffon s'impose plus précisé- 
ment encore qu'à nul autre ? certes, chez Guillaume, « le 




style, c'est l'homme même » ; et non pas seulement le 
style d'écrivain, juste, formel, d'une lucidité admirable, ser- 
rant la définition, ne sacrifiant rien de l'idée et la présen- 
tant toute, se développant en périodes larges, pondérées, 
raisonnées, pleines d'un art majestueux, comme pénétrées 
d'antiquité, d'une antiquité qui fût romaine et non grecque, 
mais le style d'ariiste-siatuaire, tout pareil et égal, tel 
qu'en revoyant dans son atelier de l'Institut ses groupes, ses 
bas-reliefs et ses bustes, l'idée vient qu'on est là en quelque 
réserve du Louvre, que ces marbres et ces plâtres attendent 
pour être placés en une salle des Césars et que, pareils en 
beauté humaine aux chefs-d'œuvre du passé, ils viennent de 
la même nature, procèdent du même génie, attestent la même 
recherche, méritent la même étude. 

La conception que Guillaume avait du style dans la sculp- 
ture s'affirmait par une recherche de la beauté dans la vérité. 

Il sublimait un visage et d'un 
individu tirait un type ; mais, 
quand il avait affaireà lanaiure, 
il restait, dans ceitesuhlimation, 
cncrgiquement et prodigieuse- 
ment vrai. Il n'avait pas même 
besoin de donner aux traits une 
régularité qu'ils ne présentaient 
point, et, lorsqu'il rencontrait 
un modèle formellement laid, 
il ne tentait point de l'enjoliver, 
il ne prenait point davantage la 
tache de l'enlaidir, il cherchait 
le caractère et il dégageait l'es- 
prit, souvent sublime : tel 
M. Ingres. Dans chacun de ses 
portraits, il a mis à la fois un 
homme et l'idée qui dominait 
cet homme. Il n'a pas repré- 
senté seulement une tête, mais 
ce qu'il y a dans cette téie. Les 
modèles que sa main fit vivre 
ne sont plus, aux yeux même 
de ceux qui les ont le plus fami- 
lièrement connus, approchés et 
aimés, tels que la nature les avait 
faits, mais tels que Guillaume 
les produisit. Ainsi est-il pour 
le Prince Napoléon, pour Mau- 
rice Richard et pour Monsei- 
gneur Darboy. C'est aux bustes 
qu'il fit d'eux que la pensée va 
d'abord, ce sont ces bustes que 
la mémoire évoque. Ils demeu- 
rent comme la plus intégrale et 
la plus vivante expression de 
leur personnalité disparue. Cela 
d'eux subsiste et rien ne prévau- 
dra contre cette immonaliié de 
leur essence morale enchâssée 
dans leurs traits physiques. 

Il y a, dans la contempora- 
néité, des exigences auxquelles 
tout artiste est obligé de se con- 
former pour satisfaire le modèle, 
la famille et les amisdu modèle; 
mais l'on peut croire que, pour 
M. Guillaume, là était la moins 
bonne part : le poète qui était 
en lui sentait-il la bride lâche, 
n'avail-il point, dans la repré- 
sentation d'un être, à suivre 
rigoureusement la nature, il pre- 
nait son vol et s'efforçait vers les 
âmes et, s'il avait à exprimer des 
êtres idéaux ou des personnages 
historiques, il cherchait d'abord 



photo Giraudon. 



EUGENE GUILLAUXLE. — inores (partie antérieure du monument) 
(École des Beaux-Arts, Paris) 



la beauté morale, la générali- 



saiioli pliilosopliitiiie; ainsi, près de poèmes tels que les 
Gracqiics cl le Mariai^e romain, inscrivait-il une cpopi'e, 
celle de Napoléon. 

Ceux qui chercheraient là le document nu, la restitu- 
tion inicgralc et réaliste du Surhomme se tromperaient; ce 
n'est point ainsi qu'il convient d'envisager cet te suite de bustes, 
moniraniriù)ipereuràtouslesàgesdesavie,queM.(juillaumc 
exécuta pour le {'rince Napoléon et qui demeurent entre ses 
(euvres les plus intéressantes. Hricnne, Valence, l'Italie, le 
Consulat, l'Empire, Waterloo, Sainte- Hélène, l'adolescence, 
la jeunesse, la virilité, l'apothéose, le déclin, l'agonie, c'est 
l'existence entière de Napoléon. Si 
M. Guillaume s'était appliqué à recher- 
cher et à reproduire, d'après les por- 
traits existants, ceux qui le mieux s'ap- 
prochent de la vérité et qui en donnent 
l'accent le plus vibrant, la reconstilutii^n 
eiitété intéressante sans doute, mais elle 
n'eut satislait ni celui qui la tentait, ni 
celui qui l'avait désirée, ni même, osera- 
t-on dire, celui pour la glorification du- 
quel elle était entreprise. Napoléon avait 
eu pour objet de créer, par ses portraits, 
ses bustes et ses statues, un type dynas- 
tique. C'est de ce type que M.Guillaume 
devait partir, et, comme ce type est le 
plus beau qu'ait imaginé la race latine, 
le statuaire devait prendre pour but de 
ligurer le surhomme latin par l'épa- 
nouissement physique et moral de ce 
type aux divers âges de la vie. 

Le point de départ du type conven 
tionnel étant le Napoléon Empereur, de 
(jérard, toutes les effigies devaient s'y 
rattacher, avant comme après, pour signi- 
fier la transformation phvsique et l'évo- 
lution mentale, pour concentrer le génie 
dans la beauté, pour le faire pressentir, 
grandir et décroître. Une telle vision 
d'histoife — de religion bien plutôt — 
devenait ainsi, non seulement la syn- 
thèse de la plus étonnante fortune qu'ait 
connue l'humanité, mais l'analyse des 
formes essentielles que la beauté peut, 
à tous les âges, prêter au génie. Un tel 
dessein sort des habiiiielles formules au 
point d'étonner; on pourrait se demander 
s'il était réalisable, si l'on n'avait en 
l'esprit, tels qu'ils apparaissaient dans 
le salon de l'avenue d'Aniin ou de la rue 
de Phalsbourg, tels qu'ils apparaissent à 
présent dans la grande salle napoléo- 
nienne de Prangins, ces bustes d'une 
même venue, d'unart égal, d'une inspira- 
tion constamment soutenue, qui forment 
par leur ensemble un des plus inté- 
ressants monuments qu'ait érigés à un 
ancêtre la piété familiale. 

A côté, l'on peut placer la statue que 
le Prince Napoléon avait demandée à 
M. Guillaume pour l'atrium desa maison 
pcimpéienne, mais ce n'est point ici une 
énumération d'ccuvres que l'on tente. 

Rn un temps où, par l'influence néfaste 
d'un homme de grand talent, la sculpture, 
échappée des règles strictes qui imposent 
l'immobilité et tolèrent à peine le geste 
arrêté dans un rvthme ou surpris dans 
une cadence, s'efforce au mouvement et 
emplit les jardins d'êtres convulsionnés, 
— en sorte qu'une exhibition de statues 
modernes fait songer à un asile de fous 
dénudés. — Guillaume garda, avec le 
respect, la connaissance et la passion de 

Mm» (htwmIwi. 



son art, la compréhension exacte de ce (\\x\ le rend un art. des 
lois cjui le régissent, dugoùl qui le dirige, de la phihi&ophic 
oui l'illumine, et c'est pourquoi, tandis qu'on verra tomber 
oans le mépris tant d'objets que la mode recommande et 
que prône le snobisme, son œuvre, parce qu'elle fut clas- 
sique, demeurera telle ; parce qu'elle eut le respect de la 
beauté, en restera illuminée: parce qu'elle rechercha la cen- 
sée, retiendra la gloire. 

FRÉDÉRIC MASSON. 




El'GENB tiUlLLAUMB. — stoxsiiivtn-ii daubot 
iMm*it ém iMJttmt—trgt 




ItOLDINl. — POUTHAiT DE MENZBt. — (GaUrîc nationale, Berlin^ 
{Avec Vautorisnlion de U. de TschudiJ 



ADOLF VON MENZEL 



±8±B-±90B) 




'Allemagne a fait à Menzel i) de princicres 
funérailles : sous la rotonde du Vieux 
Musée, dans la demeure des anciens 
maîtres auxquels la postérité le réunira, 
celui qui, de son vivant, avait été comblé 
3^^ de toutes les dignités — sénateur de l'Em- 
pire, président d'honneur de l'Académie 
de Berlin, membre associé de l'Institut de France et de la 
Royal Academy de Londres, chamarré de croix, et, dis- 
tinction plus rare, décoré, il y a six ans, de l'ordre de l'Aigle 
Noir qui confère la noblesse — reçut les derniers hommages 
de l'Empereur, des grands corps de l'État et des artistes alle- 
mands. C'est, en effet, plus que l'annaliste du grand Frédéric et 
delà maison de Prusse qui disparait; c'est un des foyers lumi- 
neux de l'Allemagne qui s'éteint, le chef incontesté de l'école 
nationale qui s'en va. Non pas chef au sens de conducteur : 
Menzel, toute sa vie, travailla isolé, en dehors de tout grou- 
pement artistique; mais chef au sens de maître souverain 



dont l'ieuvre et l'exemple ont été si puissants que tous en 
sont restés plus ou moins débiteurs : bloc de granit — tel que 
l'a symbolisé Max Klinger dans sa gravure Hommage à 
Menzel — posé sur les épaules de l'école allemande et dont 
elle sentira toujours la domination; pierre fondamentale sur 
laquelle elle a pu éditier des constructions moins chimé- 
riques et plus solides. 

Ce n'est pas que Menzel eût reçu en partage le don 
suprême qui fait les génies créateurs : la révélation d'une 
face ignorée de la Beauté, la faculté de l'évoquer aux hommes 
en accents impérieux et troublants ; et sa mort ne fer- 
mera aucun de ces horizons nouveaux et mystérieux que 
nous faisaient entrevoir un Puvis ou un \\'atis; mais si « le 
génie n'est qu'une longue patience», à qui ce mot peut-il mieux 
s'appliquer, après Hokousaï, qu'à ce petit homme au masque 
volontaire et obstiné qui n'a cessé, jusqu'à la dernière minute 
de sa longue existence, d'étudier et d'apprendre, sans autre 
maître que la nature et la vie, de s'intéresser à tous les 



(l) Mort à Berlin le 9 février dernier, dans sa quatre-vingt-dixième année. 



ADOLF VON MENZEL 




Vlw:0 O'i^l't'l- ScA.IMr'l 



MENZEL. — TABLE RONDE A SANS-SOUCI <l85o) 

{Galerie nationale, Berlin) 



LES ARTS 



aspects, même les moindres, du monde extérieur, le scru- 
tant dans tous ses détails, jamais satisfait, tendant sans trêve 
à une plus grande perfection, et l'atteignant à force d'obscr- 
vaiion pénétrante, de labeur acharné, d'incessant renouvel- 
lement? Servi par des organes admirables — un œil possé- 
dant, derrière les lunettes d'or, l'acuité, la précision, la 
lidélité implacable d'un objectif de photographe; une main 
(ou plutôt des mains, car la gauche rivalisait d'habileté 
avec la droite) d'une prestesse et d'une souplesse incompa- 
rables, — il a promené partout ses regards fureteurs et son 
crayon : à la Cour, dans la rue, à la brasserie, dans la cam- 
pagne, notant tout ce qu'il voyait, se donnant pour tâche 
les problèmes les plus dissemblables, souvent les plus ardus, 
et les résolvant tous avec un égal bonheur. Avec une. 
extraordinaire faculté de se diversifier (qui, en même temps 
que la largeur de la facture, le rend bien supérieur à Mcis- 
sonicr, auquel, à tort, on l'a souvent comparé), il se montre, 
comme Durer, séduit par tout, apte à rendre avec une égale 
perfection, qu'on voudrait seulement moins impassible, les 
choses les plus diverses : un uniforme de soldat, un intérieur 
d'église, une cour de ferme, des lions, une forge, un escalier 
délabré, des maçons au travail, une main tenant un éventail, 
un chemin boisé, un coin d'aielier, un dormeur en wagon, un 
torse antique, un noyé qu'on relire de l'eau, une scène de bou- 
levard, un perroquet, un éléphant, un bal, une bataille..., tout, 
en un mot, — excepté pourtant ce qui est du monde du senti- 
ment, s'évade dans l'au delà son Jésus au viilieit des docteurs 
n'est, malgré l'auréole autour de la tête de l'Enfant divin, 
qu'une scène quelconque de la vie juive, d'un réalisme plus 
absolu que tout ce que tenteront plus tard dans ce domaine 
Munkacsy et Tissot], excepté aussi le mystère du charme 
féminin. C'est « le Balzac du crayon », a dit de lui un des 
critiques d'art les plus pénétrants de ce temps, artiste lui- 
même, M. Jan Veth, et la comparaison ne laisse pas que 
d'être assez juste : sinon par la hauteur et l'ampleur de sa 
vision, du moins par sa curiosité universelle de la vie, la 
variété de son observation, la force sereine de son exécution, 
Menzel est digne de ce glorieux surnom. 

Il a été par excellence le dessinateur captivé par l'infinie 
variété du monde des formes, les aimant pour elles-mêmes, 
et, suivant une voie logique, conduit à la peinture par le 
dessin, condensant ses études dans des tableaux, au rebours 
de la pratique habiiuelle qui fait de ceux-ci le but essen- 
tiel, de celles-là le moyen accessoire. Il s'ensuit que les com- 
positions peintes de Menzel n'ont pas l'accent persuasif de 
ses dessins et de ses notations à l'aquarelle. L'artiste lui- 
même ne se faisait pas d'illusions à cet égard. Aux visiteurs 
qui lui demandaient à voir ses tableaux, il répondait de son 
ton bourru : « Il n'y a rien ici. Si vous voulez de la peinture, 
allez voir à la Nationalgalerie mon portrait par Roldini 1 
C'est la meilleure chose qu'on ait faite d'après moi. » 
Néanmoins, si les tableaux de Menzel trahissent plus ou 
moins l'effort, ils se sauvent parla liberté de conception et la 
franchise d'exécution : indépendant ici encore, soucieux 
uniquement d'exactitude, il a été historien véridique, sans 
emphase ni convention, ni académique ni romantique, ces 
deux écueils de la peinture allemande d'hier... et d'au- 
jourd'hui encore : comparez telle de ses scènes historiques, la 
Table ronde à Sans-Souci ou le Frédéric JI jouant de la flûte, 
si pleins de justesse et de mesure, à felle grande « machine » 
de M. Anton von Werner, boursouflée et toute en formules. 



•loignezy que la sincérité de son observation l'a conduit à 
réaliser bien avant tout autre en Allemagne les recherches 
modernes de lumière et de plein air : voyez l'étonnant 
Intérieur, daté de 1845, que conserve la Nationalgalerie de 
Berlin ! 

Enfin, sous son impulsion, a été renouvelé en Allemagne 
l'art de la xylographie. C'est à juste titre que son pays peut 
vénérer en lui celui qui, ayant été à la tête de tous les pro- 
grès, est véritablement le père de l'école allemande moderne. 



Adolf-F"riedrich-Erdmann Menzel éiait né le 8 décembre 
181 5 àBreslau,où son père dirigeait un pensionnat de jeunes 
filles. Quoique celui-ci ne se souciât guère de voir son fils 
seconsncrer à l'art, la vocation était si forte chez l'enfant qu'à 
quinze ans il triomphait de la résistance paternelle. Des por- 
traits qu'il exécuta alors frappèrent tellement des amis de la 
famille, que le père se décida même à quitter Breslau et à 
venir à Berlin exploiter un matériel de lithographie dont son 
fils devait être l'âme. Et voici le jeune Menzel occupé à dessi- 
ner à la plume sur pierre les vignettes, programmes, cn-tétes 
de factures, caries d'invitation, de souhaits, etc., commandés 
à la maison paternelle. Dès ces premières oeuvres se remar- 
que l'indépendance de l'artiste, formé tout seul, sans aucun 
maître, sans autres modèles que les spectacles de la rue, les 
eitampes aux devantures des marchands, les oeuvres des 
musées, uniquement soucieux de vérité. Il déploie en outre, 
dans ces petits travaux, des dons d'invention et de verve qui 
les font vivement apprécier. Mais voici que, en i832. son 
père meurt. Chargé désormais de subvenir seul à l'existence 
de sa famille, le jeune homme trouve dans cette épreuve et 
ces diflicultés un stimulant nouveau à redoubler d'applica- 
tion et travaille jour et nuit. Il continue à faire pour l'insiiiut 
lithographique de Sachseet C''^ce qu'il faisait chez son père: 
étiquettes, menus, programmes, et y sème mille trouvailles 
où la fantaisie s'allie à la vérité. Mais c'est un recueil publié 
en 1834 chez Sachse : Kiinstlers Erdenwallen (Tribulations 
d'un artiste), suite de onze lithographies inspirées par un 
poème de Goethe, qui commence sa réputation : Schadow, le 
le sévère directeur de l'Académie, en parla avec éloges. De 
fait, tout Menzel est en germe dans ces petites scènes si justes 
d'observation, si ingénieusement présentées : l'éclosion du 
sentiment artistique se manifestant par des bonshommes dont 
l'enfant couvre le plancher et qui lui attirent les remon- 
trances paicrnclles; l'adolescent dessinant la nuit en cachette ; 
son inaction, le jour, devant un travail rebutent; les moque- 
ries des camarades; son évasion par la lucarne de sa man- 
sarde; son application aux cours de l'.Académie; les soucis 
d'argent ; l'apparition de l'amour sous la forme d'une jeune 
fille entrevue à l'église; les châteaux en Espagne; puis la réa- 
lité : le peintre obligé, pour nourrir les siens, de portraiturer 
de hideux bourgeois; la mort prématurée; la gloire posthume. 
Tous ces tableaux, que résume au-dessous une vignette allé- 
gorique (c'est, détail significatif, une perruque qui symbolise 
ces cours de l'Académie un moment suivis par l'artiste en 
i833, puis vite abandonnés), sont pleins de naturel, de fraî- 
cheur, d'ironie tempérée d'émotion. 

Curieux de tous les procédés, Menzel s'essaie aussi à des 
compositions au lavis sur pierre où les lumières sont obte- 
nues au moyen du grattoir. Deux jolies scènes de genre: La 
Liseuse Cl L'Antiquaire soniïes meilleures de ces productions. 



LES ARTS 



Enfin, de 1834 à i836, il dessine sur pierre, cette fois au 
crayon, pour les Faits mémorables de l'histoire de Brande- 
bourg et de Prusse édités chez Sachse, une suite de compo- 
sitions dont l'absence de convention, le souci d'exactitude et la 



vie étonnent, en regard des tableaux d'histoire alors en vogue, 
où triomphent encore l'ordonnance classique, l'allégorie 
pompeuse : Mcnzel leur préfère la seule vérité. Il est déjà un 
isolé. Un artiste, il est vrai, doit toujours plus ou moins à ceux 




Fhotù Gustave Schauer. 



MENZEL, — LE PROMENEUR. — Gouache (1875) 



qui l'ont précédé. La filiation de Menzei, cependant, est 
assez difficile à établir. On peut bien lui découvrir une 
parenté, en Allemagne, avec ces esprits de probité que furent 
Holbein, Rauch, Schluter, Chodowiecki ; en réalité il n'a 
qu'un maître : la nature. Venu à un moment où l'école 
allemande se partage entre l'hellénisme et le romantisme, 
il a la sagesse de s'en remettre au seul guide éternel. 

Une tâche immense allait achever de le mettre en valeur 
et de fonder définitivement sa réputation. En i83(), l'his- 
torien Franz Kugler, chargé par les éditeurs Weber et 
Lorck d'écrire, comme en pendant à VHistoire de Napo- 
léon de Laurent illustrée par Horace Vcrnet, qui avait eu 
un vif succès en Allemagne, une histoire populaire du 
héros national, le Grand Frédéric, choisit Mcnzel comme 
illustrateur. Alors commence pour le jeune artiste un travail 
de tous les instants : désireux de reconstituer exactement 
la vie de toute la société au xviu^ siècle, il ne cesse, avec 
une conscience admirable, pendant trois ans, d'accumu- 



ler les études et les recherches, amoncelant des milliers de 
dessins préparatoires d'après les documents de l'époque, à 
Potsdam et ailleurs, et il en tire une suite de quatre cents 
illustrations qui, d'abord un peu tâtonnantes, influencées par 
le souvenir de nos vignettes du xviii'= siècle et des dessins de 
Raffet, deviennent de page en page, de volume en volume, 
plus libres, plus animées, plus vives, plus hardies, et, sans 
grandiloquence, par le seul prestige de la vérité et d'une 
composition dramatique et nerveuse, aboutissent à une 
évocation à ce point saisissante de l'histoire de Frédéric et 
de son temps, qu'on la dirait due au plus observateur et au 
plus psychologue des contemporains. Conçus avec une 
entente admirable des noirs et des blancs, ces tableaux minus- 
cules eurent la chance d'être traduits en perfection, avec 
fidélité et souplesse, par des graveurs sur bois que dirigea 
Menzei lui-même, et marquent le renouvellement de cet art 
en Allemagne. Le succès en fut immense près des raffinés 
comme près du public et répandit son nom dans toute l'Europe. 



LES ARTS 



Menzel devait encore aller plus haut dans rillustration des 
Œuvres de Frédéric le Grand, commandée par le roi Fré- 
déric-Guillaume IV et exécutée de 1843 à 184g. Oblis;é de 
restreindre ses compositions à douze centimètres de largeur, 
il se pique au jeu et, acceptant la difficulté comme une 
gageure, s'amuse à déployer en quelques traits des paysages 
immenses, à y faire évoluer des régiments eniiers. Il ne 
manquera pas, d'ailleurs, lorsque plus ttrd, en 1882, le 
libraire Wagner tirera de cet ouvrage et des Unijormes de 
l'armée du Grand Frédéric (non mis d'abord dans le com- 
merce) une édition de luxe accessible au public, de se railler 
de la contrainte jadis imposée, en représentant en tète du 
livre un petit génie enserré entre les deux branches d'un 
compas, avec cette inscription : « /2 centimètres maximum. 
Hic, hic salta! » 

Les Uniformes de l'armée du Grand Frédéric, trente-deux 
compositions, avec texte de Ed. Lange, publiées par l'édi- 
eur de VHistoire de Frédéric qu'elles complétaient en 
quelque sorte ^i 843-1 852), et Au temps du roi Frédéric, 
douze portraits à micorps de Frédéric II et de ses généraux 
(i85o-i855), édités chez Duncker, montrent à son apogée le 
souci d'exactitude de Menzel (qui prit soin de dessiner 
minutieusement chaque uniforme, chaque pièce de costume, 
même les patrons avec les mesuresi et décèlent une maitrise 
d'exécution de plus en plus grande. Elle s'accentue encore 
dans les illustrations si savoureuses pour la comédie La 
Cruche cassée de Heinrich von Kleist (1876-1877) et pour la 
Germania de Scherr, où se trouve l'effigie la plus saisis- 
sante que Menzel ait jamais donnée de Frédéric. 

Ayant vécu si longtemps en compagnie du « vieux Friiz », 
Menzel devait être tenté de retracer en de plus vastes com- 
positions quelques scènes principales de la vie de son héros. 

Dès 1837, il s'était essayé à la peinture à l'huile avec un 
épisode de mœurs xviis- siècle intitulé Le Conseil de famille. 
puis, en i83y, avait peint une scène de tribunal assez mélo- 
dramatique: « Audiatur et altéra pars. » Les tableaux qui 
vont compléter son « cycle du Grand Frédéric •> sont bien 
meilleurs. C'est, en 1849, Le Placet : le roi se promenant à 
cheval dans la campagne et un couple de paysans se préparant 
à l'aborder au détour du chemin; en i85o, la fameuse Table 
ronde à Sans- Souci en ij5o, qui réunit autour de Frédéric, 
avec des généraux et des hommes d'État, Voltaire, La Met- 
trie et le marquis d'Argens, et où l'impression de causerie 
légère entre gens d'esprit, de vie élégante et gaie dans la 
splendeur du beau jour d'été dont la lumière entre par la 
porte ouverte de la terrasse, est si admirablement rendue; 
en i852, le non moins célèbre Concert de flûte (aujour- 
d'hui, comme le tableau précédent, à la Nationalgalerie de 
Berlin) : dans la salle de concert de Sans-Souci, sous la lueur 
des lus'res, le monarque préludant sur la flûte, au milieu 
de l'attention générale, dont Menzel a finement rendu les 
nuances diverses sur le visage des auditeurs; en 1854, Fré- 
déric le Grand en voyage promettant des secours aux popu- 
lations ruinées par la guerre; en i856, Frédéric II et les 
siens à Hochkirch (qui figura à l'Exposition universelle 
de 1867), scène nocturne de bataille, éclairée par la lueur de 
l'incendie et du feu des mousquets. « Ce fut un tableau difficile 
à peindre, disait Menzel ; chaque fois que j'entendais le 
tocsm la nuit, je courais à l'endroit du sinistre pour étudier 
les effets de lumière de l'incendies); en 1857, VEntrevue 
de Frédéric et de Joseph II à Neisse, puis deux tableaux 



restés inachevés : le « Bonsoir. Messieurs ! » de Frédéric sur- 
prenant les ofliciers autrichiens à Lissa, et l'Allocution 
de Frédéric le Grand à ses généraux avant la bataille de 
Leuthen. 

Toutes ces oeuvres 'auxquelles il faut y ajouter quatre 
gouaches ayant pour sujets des épisodes de la vie de Fré- 
déric encore kronprinz à Rheinsberg) sont nourries, on le 
sent, du suc d'une forte documentation, mais, au point de 
vue de la facture, manquent un peu de solidité et n'ont pas 
la séduisante spontanéité des illustrations précédemment 
admirées. 

L'histoire contemporaine, après cela, séduit cet esprit 
amoureux d'observation directe, et Menzel retrace des épi- 
sodes de l'histoire de Frédéric-Guillaume IV, puis du règne 
de Guillaume I". De cette série, la toile capitale est le 
Couronnement du roi Guillaume à Kœnigsberg, le /tV oc- 
tobre 18H1 , immense tableau dont l'artiste, dans une lettre 
fort intéressante où se peint son constant souci d'exactitude, 
a raconté l'histoire depuis le jour de la commande, une 
semaine avant l'événement, jusqu'à l'achèvement, le 16 dé- 
cembre i865. Cette composition comprend plus d'une cen- 
taine de portraits jiour la plupart desquels Menzel exécuta 
des études préliminaires très achevées, au crayon, au pastel, 
au lavis, à l'aquarelle, qui sont autant de merveilles et dépas- 
sent encore en intérêt artistique le tableau lui-même. Son 
accent de vérité, cependant (dont bien des dames et même, 
parait-il, quelques hauts fonctionnaires se montrèrent peu 
satisfaits), et son heureux effet de lumière et de coloration le 
sauvent de l'ennui inhérent à ces grandes images officielles 
et en font une œuvre remarquable où s'allient toutes les 
recherches de Menzel. Plus prime-sautier et, par suite, plus 
intéressant encore, malgré l'importance moindre de l'œuvre, 
est le Départ du roi Guillaume pour l'armée, le 3i juillet 
l'S'-o, où tout vit, respire, palpite. 

Dès 1848, d'ailleurs, Menzel jetait sur la toile l'impres- 
sion d'un semblable moment de vie nationale populaire avec 
les Obsèques des victimes de la révolution de mars, et plus il 
avance dans cette voie, plus il est lui-même. Aussi les tableaux 
que lui inspirent les spectacles de la vie ambiante sont-ils 
les meilleurs de son (i-uvre. Ses voyages à Paris, en i83 5 
(quinze jours qu'il y passa en compagnie de son ami le peintre 
Magnusetqui lui inspirèrent ce Souvenir du théâtre duGym- 
nase, si juste d'observation et de couleur qu'on ne croirait 
jamais à un tableau peint de mémoire l'année suivante . puis 
en 1867 (où il visita l'Exposition universelle en compagnie 
de Meissonier et de Stevens), et encore en 1868, en le 
mettant en contact avec l'art français, eurent une influence 
capitale et décisive sur l'achèvement de son évolution et 
raffinement de sa vision et de son métier. Grisé par le mou- 
vement, l'atmosphère subtile de Paris, il met une ardeur 
infatigable à noter les divers aspects de la grande cité, pour 
les résumer, une fois de retour à Berlin, dans des toiles 
ou des gouaches frémissantes de mouvement et de lumière : 
Après-midi au jardin des Tuileries, Un Lourde se/naine à 
Paris. Souvenir du jardin du Luxembourg. Un Restaurant à 
l'Exposition universelle, si étonnant comme rendu du four- 
millement de la foule bariolée, et ce curieux tableau Au Jar- 
din des Plantes, où la sensation de l'énorme et de l'étrange 
est si bien mise en évidence. Il v met tous ses dons de 
vériste impeccable, de peintre de plein-air juste observateur 
des valeurs (tel que l'avaient déjà montré dès 1846 et 1847 le 



Jardin du palais du prince Albrecht et le Chemin de Jer de 
Berlin à Potsdam, puis, en i865, cette gouache aussi « impres- 
sionniste » qu'un Liebermann : Enfants se baignant dans la 
Saale), de coloriste amoureux des tons riches et vibrants. 



De voyages en Tyrol, en Bavière et en Italie il avait 
aussi rapportcet devait rapporter encore quantité de paysages 
et de tableaux pittoresques où s'accuse particulièrement son 
sens de la vie, de la lumière et de la couleur, la plupart 




l'hoto Ginlave Sctitiuer. 



MENZEL. — AU jAnnix des planies. — Coitaihe (I8C.3) 
(Appartient à M. te consul général Ed.-L. Behrsns. à Hambourg 



traités à l'aquarelle ou à la gouache avec une maîtrise de 
facture incomparable. C'est la Vallée de Gastein, toute baignée 
de vapeurs légères, avec son fin clocher au premier plan; la 
Procession à Hof- Gastein, le Théâtre rustique à Ku/stein, le 
Prêche en plein air à Knsen, merveille de sous-bois (i8ô5). 
Dix minutes d'arrêt. Le Promeneur, les diverses scènes 
notées aux eaux de Kissingcn, l'immense tableau, brossé avec 
tant de liberté, La Pia^^a dell' Erbe à Vérone, toute grouil- 
lante et vibrante de l'animation de son marché dans le plein 
soleil (1884), etc.; puis ces intérieurs d'églises xviir siècle 
pris à Ettal, à Munich, à Salzbourg, à Innsbruck, surtout 
l'étonnant Maitreautel de l'église Saint-Pierre à Sal:{bourg, 
où son pinceau rivalise de verve étourdissante avec les com- 
plications intinies du décor rococo, les mille jeux de la 
lumière parmi le fouillis des sculptures et sur les dorures; 
là, plus qu'ailleurs, Menzel a donné la mesure de son 
extraordinaire virtuosité. 

Il se montre au contraire (et c'est ici qu'apparaissent son 
intelligence et sa souplesse de grand artiste) simple et 
ingénu, comme il fallait, dans une suite de quarante-trois 
aquarelles gouachées groupées sou.s le titre : Album pour 
enfants, exécutées pour son neveu et que la National- 



galerie de Berlin a eu le bon goût d'acquérir. Sauf quel- 
ques-unes, qui montrent des paysages quelconques, elles 
représentent des coins du Jardin zoologique de Berlin pris 
par leur côté le plus pittoresque, comme l'eut fait un Japonais, 
et où les animaux sont rendus avec une sincérité et une 
intuition qui arrivent à faire transparaître en ces images 
leur âme obscure. Les onze aquarelles de cette suite qui 
figuraient Télé dernier à Dùsseldorf étaient un des plus vifs 
attraits de cette exposition d'ensemble : après les feux d'ar- 
tifice de la série précédente et de la suivante, elles étaient 
comme une oasis délicieuse de calme reposant. 

Cette observation amusée et pénétrante de la nature, 
Menzel la porte aussi dans les salons et à la Cour, et voici ces 
gouaches ou peintures : Repos entre les danses (1870 , Cercle 
(1879), Souper après le bal '^i8-g), Causerie (1884), Au bal 
(1888), Sortie d'une fête de Coî/r (1889), etc., merveilles de 
fine et narquoise vision, de métier pimpant et pétillant, ici 
encore tout à fait adéquat au sujet, où cent détails saisis sur 
!e vif montrent sans pitié sous les brillants dehors et les 
mines guindées les mensonges, les tares et les ridicules, avec 
une franchise qui fait de ces œuvres de véritables documents 
psychologiques et sociaux. 



ADOLF VON MENZEL 



i5 



Mais c'est dans la peinture de la vie quotidienne que se 
manifeste avec le plus d'ampleur et de profondeur sa puis- 
sance d'observation et de traduction. Rt-vélée déjà pleine- 
ment dans les peintures inspirées par le séjour à Paris, 
puis dans la gouache, si éloquente dans sa simplicité, Sur 
la bâtisse fiSjS), cette puissance atteint dans le célèbre 
tableau : Les Cyclopes modernes ou La Forge (1875, exposé 
à Paris en 1878) à une grandeur épique. Cette composition 
si heureusement ordonnée, où, dans la lueur des blocs de 
métal incandescent, parmi les machines géantes aux rigides 



armatures, se meut tout un peuple d'ouvriers, est, dans sa 
synthèse vigoureuse et sa vérité, un des hymnes les plus 
magnifiques qui aient jamais été chantés à la force et à 
la noblesse du labeur humain. C'est le plus haut sommet 
où Menzel soit parvenu en peinture. 



Bien d'autres œuvres seraient encore à citer; il y aurait à 
parler notamment des nombreux diplômes, adresses, pro- 
grammes de fêtes et autres compositions du même genre 




MENZEl^. — SOL'VBMR DU THKATRB DU OYMNASB (18Ô6) 

i Appartient à M. A. Rothermund, Dresde f 



commandés à l'artiste : toute sa fantaisie créatrice s'est 
déployée sur ces vélins avec une fougue, un brio indescrip- 
tibles ; il s'y joue, tel un gnome heureux, parmi les mille 
détails amusants, les banderoles, les attributs, grisé de mou- 
vement et de couleur, y faisant chatoyer (parfois un peu bru- 
talement, il est vrai) les tons les plus éclatants. 

Mais c'est surtout aux dessins qu'il faut revenir, en termi- 
nant, pour comprendre et admirer le plein, le vrai génie de 
Men/el. Ce sont des œuvres achevées de tous points. On 
peut leur préférer les crayons, plus incisifs dans leur 
sobriété, de notre Degas ^auquel l'apparcntaient cependant 



son humeur caustique, ses trouvailles de « mots* à rem- 
porte-pièce) ; on ne peut se défendre de les admirercommedes 
créations parfaites. L'abandon, qui manque parfois dans 
les peintures de Mcnzel, est ici complet ; l'homme et Tar- 
tiste s'y montrent pris tout entiers parle spectacle du monde 
et de la vie. s'y livrent sans réserve, serviteurs fidèles, incor- 
ruptibles, de la seule vérité. L'école allemande tout entière 
doit être reconnaissante à Menzel de cette fortifiante 
leçon. 

AUGUSTE M.\RGUILL1ER. 




A. WILLETTE. — parck domine .. 



LES SALONS DE 1905 

Société nationale des Beaux=Arts 




A Sociétéf nationale des Beaux -Arts devra 
marquer d'une pierre blanche l'année i qoS. 
Depuis longtemps elle ne nous avait offert 
un tel ensemble d'œuvres sérieuses ou 
charmantes où la diversité des tendances 
laisse un plus libre jeu aux talents indivi- 
duels. Un Salon qui contient des choses 
d'éternelle beauté comme les créations de Rodin et de 
Carrière, une toile décorative où s'exalte l'imagination puis- 
sante et agile de Besnard, des poèmes délicieux de can- 
deur comme ceux de Maurice Denis, la brillante peinture 
de mœurs de L. Simon, l'Espagne pittoresque et âpre de 
Cottet, et, sans sortir de France, les toiles délicates de 
Ch. Guérin et de Milcendeau, de Maurice Lobre et de 
Madame Lisbeth-Delvolvé, de R. Besnard et de B. Boutet 
de Monvel, un tel Salon ne trahit pas une diminution 
de vitalité. Il affirme, au contraire, que la sève circule 
activement dans les branches; il annonce le renouveau, 
non la décrépitude. 

S'il me fallait définir d'un mot le sens de l'évolution 
actuelle, je dirais que la raison tend à reprendre ses droits. 
Les peintres-littérateurs, dramaturges et arrangeurs d'anec- 
dotes, avaient tellement abusé de l'esprit, que l'on en vint 
un jour, par réaction, à le proscrire de l'art. Peindre comme 
une brute, être une force de la nature, devint vwi pro- 
gramme et un mot d'ordre. On ne parla plus que de tem- 
pérament, pâte et de patte. La "sensation pure prit sa 
revanche sur le sentiment et sur l'idée, et le peintre, du 



haut de sa technique, fut plein de mépris pour l'écrivain 
qui pataugeait dans les termes spéciaux. Il fut décidé que 
les Lettres expliquaient les Arts sans les comprendre. On 
oubliait simplement que l'œuvre plastique est au même titre 
qu'un poème et qu'une symphonie, l'expression d'une intel- 
ligence émue et consciente : à ne considérer que les procé- 
dés particuliers à chaque art, on perdit de vue l'unité fon- 
cière de l'art. Ce mouvement réaliste ne fut pas inutile, 
sans doute, pour déblayer le terrain. Il sera toujours bon de 
rappeler que les plus fines intentions, les conceptions les 
plus belles restent à l'état de lettre morte, si elles ne par- 
viennent pas à se créer leur expression plastique. Ce qu'on 
appelle instinct, don, génie, sensibilité visuelle, intuition 
du caractère des formes, reste à la base de tout, fondement 
indispensable d'une création viable. Mais qu'un artiste ne 
puisse, par les moyens qui lui sont propres, manifester la 
profondeur et la finesse de son esprit, c'est contre quoi pro- 
testent les maîtres du passé, Giotto et Vinci, Raphaël et 
Michel-Ange, Durer et Rembrandt. Ne confondons pas les 
moyens avec la fin, rendons à l'idée ce qui appartient à 
l'idée, affirmons que la dignité de l'art, comme celle de 
l'homme, consiste d'abord à bien penser. L'art est une pen- 
sée ordonnée qui se sert d'éléments empruntés à la nature 
pour exprimer l'émotion ressentie et l'idée conçue par 
un homme. Au fond de toute belle œuvre vous trouverez 
un jugement ferme et fin, un principe rationnel, solide 
armature que recouvre la grâce animée et charmante des 
formes. La beauté n'est, en dernière analyse, qu'une logique 



LES SALONS DE kjoS. — SOCIÉTÉ NATIONALE DES BEAUX-ARTS 



«7 



passionndc ; elle est la vérité rendue sensible au cœur par 
l'intermédiaire des sens. Si la critique veiit être un juge- 
ment raisonné, non une opinion sentimentale, elle doit 
remonter jusqu'à ce principe interne. 



Peut-on concevoir un artiste dont l'esprit resterait inactif 
et dont la main seule travaillerait? S'il existe, il ne sera 
jamais qu'un manœuvre; Mais l'être sensible, qui prend de 
jour en jour une conscience plus entière et plus profonde de 




i. BOLDINI. — PORTRAIT DE >!■• T. B... 



LES ARTS 



ses rapports avec le monde, avec ses semblables, mettra 
tous les jours aussi dans son œuvre plus de vérité' et plus 
d'émotion. C'est en ce sens que la vie lui enseigne l'art et 




1. ZULOAGA. — LE TORKADOR « EL BL.NOLEUO 



que son art résume la vie. Comment cette vie pourrait-elle 
lui sembler vulgaire, puisqu'elle n'est que sa propre con- 
science, son admiration et son amour projetés sur les êtres 

et sur les choses? ReHété dans le 
miroir ardent de son àme, tout 
se transfigure, le vêtement gros- 
sier se consume et les réalités 
profondes apparaissent. Vulga- 
rité n'est qii'apparence : si votre 
regard est assez appuyé, votre 
divination assez tendre pour re- 
trouver sous l'écorce la dignité 
humaine, la vérité générale et la 
ressemblance avec vous-même, 
des choses les plus ordinaires 
vous ferez du sublime, comme 
un Millet ou comme un Car- 
rière. 

Pourquoi le double portrait 
exposé par ce grand artiste exerce- 
t-il sur notre esprit une séduc- 
tion si durable et si profonde? 
Comment expliquer l'incantation 
qui nous retient devant cette 
œuvre dédaigneuse des agréments 
superficiels, héroïque par la sim- 
plicité des moyens? Quelle est 
cette mystérieuse puissance d'un 
art qui nous intéresse à des in- 
connus, les fait plus vivants que 
des vivants, les inscrit dans notre 
souvenir en traits inetfaçables ? 
Est-ce seulement la richesse de 
l'harmonie, la plénitude du mo- 
delé, la beauté des plans et la 
souplesse des passages qui nous 
enchantent? Si. dans la suite des 
temps, j'en ai la certitude, on 
doit dire la Mère et le Fils de 
Carrière comme on dit la Fiancée 
juive de Rembrandt, c'est sans 
doute que l'artiste a pénétré 
jusqu'à la vérité permanente et 
générale, jusqu'à l'humanité 
d'hier et de demain, et qu'en 
nous parlant des autres il nous 
a parlé de nous-mêmes. Cette 
lemme âgée, robuste et saine, pla- 
cidement installée dans la paix 
confortable de l'intérieur où s'é- 
coula sa vie, où son esprit régna, 
dont les yeux clignotants ont tant 
de finesse, la physionomie re- 
posée tant de certitude, dont la 
main presse doucement la main 
de son fils déjà mûr, et lui, un 
peu en arrière, rapproché d'elle, 
la main droite relevée près des 
lèvres, et poursuivant, dans la 
sécurité du refuge et le calme 
de l'heure, un rêve inquiet où 



LES SALONS DE igoS. — SOCIÉTÉ NATIONALE DES BEAUX-ARTS 



»9 




en. COTTET. — AVI1.A (Espagne) 



la douceur du présent se trouble des incertitudes de l'avenir, 
n'est-ce pas l'image de nos destinées et l'admirable symbole 
des forces qui incitent et modèrent la vie humaine? Du rap- 



prochement de ces deux êtres, si fortement liés l'un à 
l'autre par la simple pesée d'un geste, mieux liés encore 
par l'unité et le mouvement visible de l'atmosphère qui. 




Photo C)tv<iHr. 



r.H. COTTET. — SALAVANqtlB (CATIlKnilALR) 



20 



LES ARTS 



modelant prestigieusement la tête de l'homme, effleure ses 
doigts replie's, rejoint les cheveux gris et le front de la mère, 
Carrière a fait un prodigieux drame sans paroles. Ce drame 
est celui de toute existence ; c'est le débat intérieur et muet 
entre le respect tendre du passé et la sollicitation pressante 
de l'avenir, entre la pérennité des traditions et l'appel impé- 
rieux de la vie. Avec une force sûre et discrète, avec un tact 
admirable, l'affection qui rapproche et la nécessité qui 
sépare, le fatal essor qui emporte la couvée loin du nid, sont 
dits et suggérés dans ce poème psychologique, le plus pathé- 
tique et le plus complexe que Carrière ait écrit. Vérité 
morale et vérité pittoresque ne font qu'un. La science du 
peintre s'inféode à sa pensée qui pénètre la raison des 
choses, et, par l'étude approfondie des individus, révèle la 
logique immuable de la vie. Cette œuvre émouvante est 
encore une œuvre exemplaire. Ce qui lui donne l'équilibre 
et le nombre, le rythme et l'harmonie, c'est l'architecture 
musicale des valeurs. Nul, de nos jours, n'a mieux compris, 
mieux senti, mieux démontré que Carrière, qu'un tableau 
se construit non sur des zones d'objets, mais sur des zones 
de valeurs; que les choses doivent être définies et mises en 




lumière selon leur proportion d'intérêt pour que, dans cet 
ensemble ordonné, l'œil et l'esprit soient amenés logique- 
ment à ce qui exprime par l'autorité d'une raison embellie 
de passion. 

Avec une esquisse peinte qui peut nous donner une idée 
de l'ensemble, A. Besnard expose un fragment du plafond 
destiné au Théâtre- Français. Ce panneau représente Apollon 
et les vingt-quatre heures. Le dieu, sur son char, escalade 
les hautenrs du ciel d'où ses rayons éclairent nos grands 
poètes dramatiques. Il se détache sur un disque h\anc, foyer 
pur des rayons primitifs, où le prisme se recompose; par- 
tant de là, les ondes lumineuses tournoient en cercles con- 
centriques; les jaunes, les orangés passent insensiblement 
aux violets crépusculaires, aux bleus nocturnes dont s'assom- 
brit le revers des nuages déferlant et rebondissant en volutes 
immenses sous les pieds des chevaux divins. L'allégorie 
traditionnelle se renouvelle et se transforme en un poème 
cosmique dont les puissances primitives sont les éternels 
acteurs : ces nuages, haussant de monstrueuses épaules, 
semblent des Titans révoltés contre le souverain dispensa- 
teur des clartés qui les discipline à sa loi et fait concourir 

leurs sombres masses à son 
triomphe. Dans ce conflit d'élé- 
ments, la figure humaine est ré- 
duite à un rôle secondaire ; les 
heures élancées ou retombantes, 
les heures dorées, les heures 
roses, les heures rouges ou 
mauves, qui volent parmi les 
lueurs ou reposent sur les nuées, 
sont comme des papillons de 
jour ou de crépuscule empor- 
tés dans le tourbillon orageux 
des rayons et des ombres. Peut- 
être l'artiste, en déterminant 
l'échelle des grandeurs, n'a-t-il 
pas assez tenu compte de la hau- 
teur où sa toile sera placée; à 
cette distance, les figures seront 
des taches un peu minces dans 
l'immensité de l'cther. L'objec- 
tion tombe si l'on accepte 
l'œuvre comme une cosmogonie 
poétique racontant la lutte de la 
Nuit et du Jour dans un magni- 
fique paysage de ciel. 

De l'esquisse peinte, où tout 
ne me plait pas également, je 
retiendrai le groupe par lequel 
Besnard a symbolisé le Théâtre 
d'une manière ingénieuse et pro- 
fonde. Adam et Eve, au pied 
de l'arbre, reçoivent des mains 
du tentateur le fruit d'où sor- 
tira, avec la science du bien et 
du mal, la floraison touffue des 
passions et des vices. Deux per- 
sonnages écoulent les propos du 
maître sophiste et de ses dupes 
éternelles. La Comédie se rit de 
la sottise, mère du ridicule; le 



E. CARRIERE. — portraits 



LES SALONS DE i<,<)5. 



SOCIETE NATIONALE DES liEAUX-ARTS 



31 



poète tragique découvre un sens patht'tique à ces mômes 
^propos. Le vice ei la passion sortent d'une même erreur 
initiale ; l'odieux et le risible, le pitoyable et le grotesque ne 
sont que deux aspects de même orgueil humain. Selon 
l'esprit qui les envisage, Harpagon peut être terrible et 



Ndron comique ; c'est ce que Tartiste a voulu dire sous 
la forme de ce mythe chrétien, joliment tcinic' de plato- 
nisme. 

Je goûte infiniment les décors intimes délicatement 
conçus et savamment ordonnés par Maurice Denis. Sous la 




E. DINET. — LK rniNTEups des coit-ns 



Ani lui 4 U. AUfà. 

• \ja brsnch» el l«* bru «'«Btrclanal 
au souffle du priattaip*. > 



22 



LES ARTS 



lumière blonde dont les auréole une lampe posée à terre, 
la Vierge presque enfant, endormie sur la paille près du 
tout petit dont les bras repliés ont un geste si vrai, un vieux 
Mage souriant et paterne, sur le pas de la porte par où 



pénètre une bouffée de nuit et de ciel bleuâtre, la silhouette 
de bronze vert d'un cheval et d'un page; à gauche, dans 
la pénombre, saint Joseph , et tout au fond, un rappel 
de lumière atténuée ; l'heureuse distribution des valeurs 




Coptjright tU05 by 3. Béraud. 



J. BERAUD. — LB DKFILK 



d'ombre et de lumière donne à ce tableau une sonorité 
voilée et profonde, fait de cette Adoration des Mages, le 
plus naïf et le plus tendre des poèmes qu'ait chantés ce 
beau conteur de légendes. Son mysticisme ingénu excelle à 
dire le charme pur d'une enfance divine. J'aime, dans le Por- 
trait de Madame de L... et de ses enfants, la Vierge et l'En- 
fant, le paysage de la plus belle harmonie; j'aime moins les 
figures modernes d'une naïveté trop voulue. Dans VHom- 
mage à l'Enfant Jésus, la tiédeur de l'automne riant sur 
la treille, dans le ciel apaisé et limpide, d'un bleu vert si 
chantant et fleuri de .'nuages, accompagne la promenade de 
l'Enfant bien sage que la Vierge et sainte Elisabeth adorent, 
et que suit le regard émerveillé de trois fillettes. Un même 
sentiment d'innocence pare cet autre- automne plus païen où 
triomphe la tendre beauté de la chair épanouie comme les 



grappes gonflées de sève qui pendent à la Treille d'or. 
Dans cet art subtil et qui reste ingénu, les souvenirs du 
passé s'harmonisent au sentiment présent de la vie. Maurice 
Denis, qui est un peintre réfléchi, affirme son droit de mêler 
ses émotions d'art à celles qui lui viennent de la nature; si 
la place ne m'était comptée, j'aimerais à discuter une théorie 
qui me semble fort juste sur certains points, fort aventurée 
sur d'autres. 

Avec deux scènes de moisson, fortes de dessin, justes de 
couleur, le probe historien des travaux campagnards, Lher- 
mitte, expose une œuvre plus imaginée, où son réalisme 
délicat se relève de tendresse lyrique. Le Christ est descendu 
C/;e;j les humbles. Dans un intérieur misérable, à l'heure qui 
groupe jeunes et vieux autour du maigre repas, où le père, 
attardé à l'ouvrage, rentre portant un marmot dans ses bras, 



LES SALONS DE irjoS. — SOCIÉTÉ NATIONALE DES BEAUX-ARTS 



23 



il est apparu, comme venu de l'au-delà, indécis et flottant 
dans sa robe blanche, messager de consolation et de paix 




pour les pauvres gens que sa main levée s'apprête à bénir. 

Je me hâte de dire que Lhermitte n'a jamais crée de per- 
sonnages plus vrais, mieux observés, 
mieux sentis, plus typiques et plus soli- 
dement peints. Et je n'ai pas d'objection 
de principe contre cette manière d'in- 
terpréter l'Evangile en le mêlant à des 
figures d'aujourd'hui. Allemands, Fla- 
mands, Hollandais, l'ont fait jadis de 
façon fort touchante ; plus récemment, 
l'Allemand Uhde l'a tenté, non sans 
succès. Il y aurait fort à dire sur la 
différence des époques ou des milieux, 
et sur les conditions nécessaires pour 
qu'une telle interprétation soit parfaite- 
ment sincère et convaincante. La pre- 
mière, c'est que la composition s'ex- 
plique d'elle-même, c'est qu'elle garde, 
dans l'idéal, la vraisemblance et la 
logique de la vie. Il faut, en pareille 
matière, que le rapport de l'humain au 
divin soit établi clairement. Dès qu'il 
parait, le Christ doit ramener à lui tous 
les sentiments; il doit être le foyer 
d'attraction, le centre autour duquel 
tout s'ordonne. Or ici, plastiqucment 
et moralement, il est la figure la plus 
faible. La raison de sa présence reste 
indécise, son lien avec les autres per- 
sonnages mal déterminé. Vient-il 
prendre part, comme Jupiter chez 
Baucis, au repas de ses humbles hôtes? 
Va-t-il s'évanouir brusquement comme 
il est venu? Pourquoi la mère, qui 
allaite, est-elle si peu émue de sa pré- 
sence? L'homme le salue, les enfants 
éprouvent devant lui gêne ou curiosité, 
comme devant un personnage de la 
ville. Et, comme eux, nous ne savons 
trop que penser. L'action reste flottante, 
parce que l'idée est inconsistante. Le 
mysticisme, pas plus que le lyrisme, ne 
se commande ni ne s'improvise. C'est 
une forme d'émotion qui s'impose. Je 
crois que l'artiste a eu tort de traduire 
sous forme concrète un sentiment qui 
devait rester intérieur. Que n"a-t-il 
représenté, sans fiction mal expliquée, 
la forte résignation, l'union des cœurs, 
la sainteté du travail et de la famille? 
Que n'a-t-il fait apparaître comme un 
reflet, sur le visage de ces braves gens, 
l'invisible présence de celui qui a dii 
que partout où se réuniraient des 
hommes de bonne volonté il serait avec 
^ r. \ 

Je ne suis pas moins embarrassé 
devant le grand panneau décoratif de 
M. Roll, les Joies de la vie. L'œuvre 
est tumultueuse et me déconcerte par 
sa logique capricantc. A gauche, un 



A. DE LA GANDARA. — portrait dk ji-« o,. 



LES ARTS 



large chemin contourne un bassin d'où jaillit un jet d'eau ; 
des cavaliers en habit rouge galopent sur cette route qui 
mène à la colonnade brisée d'un temple; au delà s'estompent, 
dans la brume irisée des architectures grecques ou byzan- 
tines (antiquité, vie moderne et sports?); à droite, un artiste 
étreint les genoux d'une statue d'or, des ouvriers charrient 
des pierres, des peintres décorent un portique; on aperçoit 
le portail d'une cathédrale gothique. Ces éléments disparates 
sont rassemblés au hasard, sans que l'on saisisse la pensée 
qui les unit ou le rythme sensible qui les relie. Reste que cela 
est brossé avec une belle fougue. D'autres expliqueront sans 
doute mieux que moi l'énigme que l'artiste nous pose. 

La Lorraine protectrice des Arts et des Sciences, plafond 
destiné à la préfecture de Meurthe-et-Moselle, fait le plus 
grand honneur à M. Priant. Les personnes qui meublent 
le bas de la toile ne me plaisent guère, mais les figures 
volantes sont d'une invention originale, d'un dessin souple 
et fort, d'une couleur qui, sans être très riche, est fort har- 




monieuse. Je constate avec plaisir un réel épanouissement 
dans le talent d'un artiste qui a tendance à faire trop menu. 
La Joie de vivre, panneau décoratif de M. Prouvé, est 
animée d'une vie étrange. Sous l'action de la sève printa- 
nière, les figures sont emportées dans un tourbillon. Les 
gestes s'exaltent, les attitudes s'exagèrent. Les couleurs 
mêmes ne se contiennent plus et chantent à lue-tète ; trop 
de violets et d'orangés ; trop de colorations extérieures; pas 
assez d'harmonie réelle. 

Sur une ter/asse méridionale, au-devant d'un paysage 
d'eaux bleues et de rochers violets, M. Auburtin fait défiler 
deux Nymphes dansantes et dresse le torse d'un Centaure 
barbu comme le dieu Pan et qui joue de la cornemuse. 
M. Auburiin a le sens délicat des rythmes; il renouvelle 
heureusement le symbolisme naturel de l'antiquité; mais ne 
craint-il pas que le torse démesuré de son homme-cheval 
n'entraine le corps de la bête? 

M. Lucien Simon nous ramène en pleine réalité avec sa 
Soirée dans un Atelier. Depuis 
longtemps, cet esprit fin et vigou- 
reux n'avait produit une auvre 
aussi franche, aussi piquante d'ettèt, 
aussi vraie de couleur, aussi juste 
d'expression morale. A la sobriété 
nerveuse, à la propriété des termes, 
qui sont les qualités propres de 
M. Simon, s'ajoute cette fois une 
vivacité plus fleurie d'impression. 
Les personnages se groupent très 
naiurellement avec le laisser-aller 
d'une réunion d'amis. On recon- 
naît la ligure pensive et fine de 
Desvallières, le profil décidé et 
flaireur de Coitet, la rondeur pai- 
sible de René Ménard. Les femmes 
sont charmantes de grâce simple, 
affable, bien française. Celle qui 
est vue de dos, en trois quarts 
perdu, dans sa robe gris lumineux 
aux demi-teintes rosâtres, est par- 
faite de vérité et d'allure ; la 
fillette blonde, au premier plan, la 
femme assise à droite, avec son 
corsage nué d'aurore, sa jupe aux 
^^ reflets lilas et mauves ; surtout la 

^^_j, ' . blonde aux cheveux d'or pâle, à la 

^[^^■■■■^fl robe bleu clair qui est le sourire de 
^^^^^^^^1 1 la toile, tout cela forme une ara- 
^^^^^1 besque de tons clairs et chan- 
^^^^H tants, soutenue par des valeurs 
^^1 plus sombres. Et l'artiste a bien 
'I rendu l'atmosphère de cordialité 
fine et d'aménité intelligente qui 
plane sur cette heureuse soirée. 
L'œuvre, enlevée avec verve, con- 
duite par une volonté sûre, qui 
saisit l'esprit des choses sans 
appuyer, desarmerait la critique 
s'il ne restait quelques sécheresses 
dans le modelé, et dans le coloris 
des sonorités un peu grêles. Je 



Coi>'jn(jht t90j btj Manzi, Jot/ant ^ Co. 



L. CniALIVA, — LE VENT (UEROÊRE) 



LES SALONS DE i(jo5. 



SOCIETE NATIONALE DES BEAUX-ARTS 



23 



signalerai aussi une k'gcrc erreur de composiiion. Si, sur la 
paroi du fond, l'artisic avait mis une note sombre à la 
place du lableau clair qui est au centre, il aurait mieux 
ramasse et relié les forces de son tableau, qui prendrait ainsi 
plus d'unité et 
de charme mu- 
sical. 

Inlidèle pour 
une fois à ses 
Bretons, Cottet 
a rapporté 
d'Iîspagne des 
(t u V r e s du 
plus vigoureux 
accent. Ces 
paysages de 
villes ont une 
grandeur héroï- 
que, une saveur 
âpre et sauvage. 
La facture en est 
un peu lourde, 
ils semblent 
presque plus 
sculptés que 
peints ; mais ils 
évoquent forte- 
ment le carac- 
tère d'une con- 
trée et l'âme 
d'une race. Tout 
prend un aspect 
de rigidité sé- 
pulcrale. L'é- 
motion d'his- 
toire s'ajoute à 
l'impression de 
nature. Tantôt 
sur un ciel 
brouillé, tantôt 
sur un ciel de 
turquoise, la 
cathédrale de 
Ségovie dresse 
ses murs et ses 
tours, sa masse 
calcinée et tor- 
ride, parfois 
rougeoyante au 
soleilcouchani, 
écrasant la cité 
gisante à ses 
pieds. Cein- 
turée par ses 
rcmpuns, Avila 
semble uns.' nO- 
cropoie sur sa 
colline aux tons 
morts, aux gris 
éteints, aux 
rousseurs fau- 




M>>« L. C. BRESU^C. — l'isiaoe dahs la olaci 



vcs; à peine si, hors des murs, quelques bâtiments réveillent 
de leurs blancheurs neuves cet aspect funéraire. Tout est 
morne, étouffé, pesant, dans ces paysages de pierre qu'ha- 
bite l'âme du passé et qui font songer au vers de Hugo : 

" Sur les froids 
Espagnols mu- 
rés dans leurs 
maisons. » Ce 
n'est qu'une 
part de la vérité, 
mais une part 
bien fortement 
saisie. 

Quelques 
fantaisistes : 
Willette expose 
le Parce Do- 
mine, qui fut le 
plus bel orne- 
ment du Chat 
Noir. J'en ai 
parlé longue- 
ment jadis et ne 
veux pas me ré- 
péter. Je dirai 
seulement que 
celte toile con- 
tenait en puis- 
sance tout le 
talent de Wil- 
lette, qui est un 
des plus char- 
mants poètes, 
undesplusforts 
dessinateurs de 
ce temps, un 
vraipetit-maiire 
que la postérité 
n'oubliera pas. 
Jean Vebcr 
conte très plai- 
samment, pour 
les ftetiis et les 
grands enfants, 
l'histoire de 
l'oiseau bleu et 
de la méchante 
Truitonne. Son 
ironie me sem- 
ble appuyer un 
peu trop dans 
le Casino de 
frontière : il 
est peintre de 
mœurs et pein- 
tre dans le Pe- 
sage. Par une 
toile d'observa- 
tion pénétrante 
et spirituelle 
commcle Dè/ilè 



26 



LES ARTS 



Jean Béraud nous fait penser que s'il avait toujours auiant 
le souci de bien peindre que de bien voir, il pourrait éire le 
Jan Stecn de la come'die parisienne. Les fantaisies amou- 
reuses de La Touche, l'Alerte^ la Bourrasque, la Petite 
Marquise, sont toujours enlevées avec une chaude verve, 
dans un mouvement endiablé. 

M. Dinet s'est-il fait musulman comme BonncvalPIl 
connaît les mœurs et les légendes de l'Islam comme s'il 
avait appris à lire dans le Coran. Tristesses, le Prin- 
temps des Cœurs, sont des toiles très expressives, qui 
nous font retrouver l'humanité sous le voile exotique. Le 
Malin est de plus une très délicate étude de lumière. 



L'Orient de M. Aublet, moins fortement caractérisé, est 
d'une vérité aimable. Courtois est un savant peintre de nus. 
Son tableau, Daphnis et Chloé, soulève quelques objections, 
.le ne puis reconnaître en cette fillette sentimentale et 
souffreteuse l'héroïne innocente et saine de Longus. 

Parmi les portraits, quelques-uns seulement sont con- 
struits comme des tableaux et présentent un intérêt plus 
général que la ressemblance du modèle. Dagnan-Bouveret 
expose un très fin portrait de Jeune Vénitienne. G. Du- 
bufe a peint avec une simplicité gracieuse, dans la manière 
élégante et fleurie du xviii= siècle, les Portraits de Madame 
et Mademoiselle D.., M. R. Woog a mis une réelle pénétra- 




P. LAGARDE. — SOIR UE guerre 



tion psychologique, une rare souplesse de métier, dans 
celui de Madame J. C... Mademoiselle Delasalle a de la 
vigueur dans le Portrait de J. Adlcr, et M. Weerts de 
l'exactitude dans ceux de personnages connus. MM. Sain et 
Rosset-Granger se montrent amis des vérités aimables dans 
les effigies de Madame **' et de Mademoiselle Renée Du 
Minil. Deux portraits de Gervex, son portrait par lui-même 
et celui de Madame S..., seront également appréciés pour 
la souplesse de la facture et la finesse de la vision. Carolus- 
Duran, qui se montre aussi Jeune que jamais dans sa toile 
de Volupté, est plein d'autorité en deux portraits de femme. 
Caro-Delvaille, beau peintre, artiste intelligent et sensible, 
dans le Portrait de Mademoiselle Jeanne Rolly, énergique 



et pénétrant dans une effigie d'homme, plus maniéré dans 
celle de Madame Rostand, parait indécis et flottant dans une 
idylle antique. Septembre. Une grande délicatesse de vision, 
une grâce fine et déjà sûre en certaines parties, distinguent 
les œuvres de M. Robert Besnard, Portrait de Madame 
G. L... et la Tasse de thé, oia la nature morte est un mor- 
ceau achevé. 

Voici les peintres de mœ'urs, ceux qui racontent nos 
habitudes d'esprit, des nuances neuves de sentiments ou les 
aspects extérieurs de la vie moderne. Jeanniot est un des 
plus pénétrants avec la Musique, Saglio délicatement intime 
avec le Divan. Morisset décrit, d'un pinceau qui a des 
fraîcheurs un peu molles, le repos du Modèle, la plage 



LES SALONS DE i(jo5. — SOCIÉTÉ NATIONALE DES BEAUX-ARTS 




W.-G. DE GLEHN. — portrait de m"»' cvinness 



28 



LFS ARTS 



blonde de Trouville ou l'animation d'un Bal. Milcendeau 
revient à sa Vendée avec une palette enrichie, un goût des 
tons étofTés et des harmonies profondes. Le Repas de 
paysans (intérieur maraicliin) est une peinture forte et opu- 
lente. Lebasque, avec un portrait vigoureux, un peu triste, 
expose des œuvres inégales, parmi lesquelles je distingue 
des Débardeurs, d'une sensation visuelle singulièrement 
juste et fine. Hochard, qui sait bien la province, groupe 
plaisamment les Musiciens du chef-lieu sous l'œil des auto- 
rités municipales. Avec des études d'enfants, qui sont de tout 
point charmantes, Guiguet expose un Portrait déjeune 
fille un peu fluet de modelé. Delachaux a des intérieurs bien 
recLicillis, bien enveloppés et d'une jolie simplicité de senti- 
ment. 

Ch. Guérin s'est déjà fait sa place. J'ai, dès longtemps, 
signalé ses interprétations personnelles et poétiques de la 




(."/ii/Wj*! imrt h:j Bmmi, Clémenl ^ Co 



DAGNAN-BOUVERET. — a la fontaine 



nature. U Allégorie, la Toilette, sont les productions libres 
et charmantes d'un talent original. 

Le Canadien Morrice me parait si francisé que je le 
range parmi les nôtres. Pour la franchise et la fermeté du 
ton, la riciiesse de l'harmonie, la Corrida, le Cirque, sont 
de pures merveilles. Le Qjiai des Grands- Augustins, par un 
temps de neige, est une chose faite de rien et délicieuse de 
valeurs chantantes. 

La plupart des peintres étrangers gardent une saveur de 
terroir et ne renient pas leur origine. L'Espagne de Zuloaga 
ne sera pas confondue avec une autre. Prise en son carac- 
tère le plus étrange, en ses types les plus marqués, elle attire 
par l'évidence un peu crue de la ressemblance autant que 
par la crâne virtuosité du métier. Mes Cousines, le Toréador 
tragi-comique, le Maire de Torquemada , sont de fortes 
étuJes réalistes du plus vif accent local. Le Portrait 

équestre du roi d'Espagne, par 
M. Casas, estune des bonnestoiles 
du Salon. Malgré certaines fai- 
blesses, mollesse du paysage qui, 
tout en restant vaste et nu pou- 
vait être mieux écrit, modelé trop 
mince du cheval, l'œuvre est char- 
mante et d'une extrême distinction. 
L'allure aristocratique du jeune 
roi, sa pose relevée et fière, sou- 
plement liée à la monture, la 
figure si bien dans l'air, l'arran- 
gement heureux du plaid et le 
coloris délicieux dans les notes 
sourdes, tout cela fait penser au 
grand goût sobre et royal du 
maître des maîtres. Velasquez 
comme W h i s 1 1 e r auraient 
approuvé, j'imagine, l'élégance 
hautaine de la silhouette, le mo- 
delé juste et succinct, la physio- 
nomie si bien écrite, sans insis- 
tance; eussent-ils autant aimé 
l'étrier luisant comme un miroir 
à alouettes ? 

L'Angleterre nous apporte, à 
son ordinaire, ses portraitistes 
distingués, qui sont aussi de beaux 
peintres. L'Ecossais Guthrie 
expose un bon portrait de fillette, 
d'une peinture sobre, généreuse, 
d'un art cordial. Lavery, après sa 
symphonie de blancs, un peu 
creuse, de l'an dernier, donne une 
symphonie de noirs, plus nourrie. 
Austen Brown, avec des qualités 
de coloriste, n'a pas toujours un 
m.odelé très sûr. De Glehn a un 
bon portrait, physionomie très 
vivante, peinture fluide. L'Amé- 
ricain Sargent expose un portrait 
de grande allure, la Duchesse 
de G..., se promenant dans un 
parc; grand et beau dessin, coloris 
un peu vif à mon gré. Deux petites 



3o 



LES ARTS 



toiles, d'un joli suniimcni, d'un niclicr souple et distingue, 
Consolation et Portrait (esquisse), feront connaître le nom 
de Madame B. How. On remarquera les toiles de Maurer, 
fortes de couleur et piquantes d'effet. 

La Suisse, profondément religieuse et piétiste, est repré- 
sentée par une grande toile de M. Burnand, la Voie doulou- 
reuse, œuvre vigoureusement peinte, mais d'une manière 
trop égale et qui exprime manifestement la conviction d'un 
homme, l.a Convalescente, les portraits d'enfants, si vivants 
de regards, si nuancés d'expression, de Mademoiselle Bres- 
lau, montrent un art sensitif et nerveu.x, une sûreté et une 
souplesse d'exécution. 

Et voici, d'une femme encore, des portraits admirable- 
ment sentis, écrits sans insistance, dans une matière fluide 
et légère qui laisse transparaître l'esprit des modèles; des 
portraits exquis de féminité, non sans parenté avec ceux de 
Bcnhe Morizot : les portraits de Mademoiselle Olga Boz- 




CopijrOjhl VM'i, bij J,-,\. Miiriiier. 



nauska. L'œuvre d'un peintre russe, Moussatof, m'a frappé 
par une expression de mélancolie douce et plaintive; Au 
Bassin est une toile un peu grande, un peu vide, mais har- 
monieuse et d'un sentiment très pénétrant. 

Les peintres belges sont les hôtes toujours bienvenus de 
la Société nationale. Bœrison manque cette année à l'appel. 
Mais Versiraete, Gilsoul, Barvvolf, Van Cauvelacrt, Claus, 
sont présents avec de bonnes toiles. Buyssc a de très 
fins paysages, et surtout cette Matinée de septembre, une 
voile qui palpite dans un matin violet et gris traversé de 
lueurs argentées; des modulations fluides et errantes. Bas- 
tien et Wagemans exposent des portraits robustes et fins : 
l'un le Peintre Albert Pinot, l'autre le Poète Fallcii. L'ap- 
port de l'Italie est intéressant; on n'oubliera ni le Por- 
trait de M. W..., ni deux portraits de femme où se joue la 
verve de Boldini, ni les paysages animés de figures par 
Chialiva, Surprise et le Vent. 

Parmi les paysagistes, les uns 
sont plus soumis au réel, les 
autres le transforment au gré 
d'une émotion lyrique. René 
Ménard n'a jamais voulu croire 
que le grand Pan soit mort. La 
nature est pour lui le jardin 
enchante de la mythologie, un 
Parc ordonné par un Apollon- 
Lc Notre, suivant l'eurythmie 
chère au.\ Hellènes, pour le plai- 
sir des yeux et de l'esprit. Les 
Nymphes y sont chez elles dans 
l'apaisement des beaux soirs ou 
dans l'allégresse des matins. Les 
masses de feuillages sont caden- 
cées comme de belles strophes, 
les monts sont les temples de 
Zeus et chantent la gloire de 
l'éther omniprésent. Plus familier, 
noble encore, Dauchez aime aussi 
les grandes courbes calmes des 
collines et des rivières, baignées 
d'une atmosphère limpide. Dans 
la Grand'route,i\ rend avec force 
l'éclat aveuglant de certaines jour- 
nées où la clarté diffuse, à travers 
l'ouate des nuages, blesse les 
yeux. Dans cette forme de pavsagc, 
qui est une confidence de l'esprit 
autant qu'une description, l'in- 
Huence de Cazin est persistante. 
F;n exposant quelques-unes de ses 
toiles, la Société nationale a 
rendu justice à cet artiste délicat 
et profond dont l'œuvre aurait du 
être réunie, après sa mort, à 
l'Ecole des Beaux-Arts. 11 ne me 
reste que la place de citer les cré- 
puscules de Meslé, parés de halos 
lumineux; les harmonies calmes 
de Moullé, les buées matinales 
de Costeau, les marines mouve- 
mentées de Gillot et les marines 



J.-A. MUI^NIER. — LE lïKTOUR DE L*ENFANT PRODIOUB 



LES SALONS DE i<i(>5. — SOCIÉTÉ NATIONALE DES BEAUX-ARTS 



calmes de Stengelin. celles de Dauphin et celles de Cheva- 
lier; les paysages de Braquaval, de Prunier, de l^rins, de 
Chudant, de Gasperi, de Le Pan de Ligny et dcDavid-Nillet, 
de Le Sidaner et des Duhem. Les paysages de Raffaelli 
annoncent un renouvellement, un tMargissement de sa 
manière. 

Il faudrait des pages pour dire comme il convient la 
beau tt; des œuvres qu'expose l^odin ; ce Buste de M.Cuillauiiie, 
si large et si précis, si concentré d'expression, d'une si belle 
ciselure, et ces deux corps de femme, d'une ampleur souve- 
raine, si émouvants, si reliés par la palpitation de leurs 
formes à la vie universelle, qui sont la théologie de la sculp- 
ture, qui sont la sculpture même. 

Deux bronzes, un Mineur, un buste de Philosaplic, 
représentent l'art puissant et délicat de Constantin Meunier, 
le maître belge qui vient de mourir. Un autre statuaire 
beige, Ilombaux, expose un groupe en plaire, Eilles de 
Satan, très heureux de composition et modelé par un pctit- 
Hls de Rubens. Adam et Eve, de Bartholomé, est une œuvre 
sévère, d'une noblesse un peu lourde, mais raOinée de pen- 
sée et de sentiment, ['n masque de bronze de Bourdelle, 
Pallas Atliéné, est une chose d'une fierté, d'une pureté 
exquise. Les portraits d'enfants de L. Schnegg et ses sta- 
lueiies de femmes sont d'un art délicatement amoureux; et 
la Saplio de Michel-Malherbe a la plénitude et la souplesse. 
C'est encore une leuvrc de prix que la Ecmmc à l'arc de 



Desbois; mais pourquoi les extrémités sotit-cllcs si lâches et 
sf lourdes quand l'action du corps est si nerveusement 
exprimée ? pourquoi la vie languit-elle là où elle devrait 
s'exalter ? Pierre Roche prouve qu'on peut avoir de l'esprit 
sans cesser d'être sculpteur; son idée n'est pas serve de la 
matière, mais ne s'impose pas indiscrciemcnt ; elle crée 
l'expression plastique. Il expose un portique où les Sept 
Péchés capitaux sont Hgurés en bas-relief d'une facture 
grasse, agile et souple, en symboles peut-cire un peu trop 
faciles; au centre, il place une tôte fine, nerveuse et souf- 
frante, les veux fermés et les lèvres serrées, et se bouchant 
les oreilles : pour échapper au mal, il ne faut rien voir, rien 
dire, rien entendre. Peut-être cette défense toute passive 
est-elle insuffisante? En tout cas l'idée ingénieuse est bien 
finement exprimée. Et voici des bustes remarquables : celui 
de Mademoiselle D. C... par Devillez, si fin, si personnel; 
le buste de Madame C..., par Jean-René Carrière, qui s'im 
pose par la belle distribution des volumes; le buste de 
Madame Jacques-Marie, par C. Lefèvre, et celui de Ma- 
dame Carrioso, par Marcel-Jacques; celui d'//i/<i/éfr/, par 
Gras, et la Tète de vieux philosophe, par Halou. Autour 
d'un vase de marbre, Injalbert, avec sa verve savante, en- 
roule un Satyre et des Nymphes. Mademoiselle de Frume- 
rie fait rire aux éclats trois commères en un groupe très 
vivant qu'elle appelle le Grain de sel. 

MAURICE HAMEL. 




II.-W. MESDAG. — LS UATI.X (DROIILLAIID) 



XRIBUME DKS ARXS 

Le Retable du Parlement de Paris 



L'impartialité nous fait encore un devoir d'insérer, telle qu'elle nous parvient, la réponse suivante 
enniite le débat comme définitivement clos. 



Depuis que la revue les Arts a ouvert la 
discussion sur le Retable du Parlement, les 
conservateurs du Musée du Louvre ont dé- 
placé le Retable. Ils Font mis entre deux 
œuvres importantes de Jean Fouquet : le por- 
trait de Juvénal des Ursins et le portrait du 
Très-Victorieux Roy de France Charles Sep- 
lième. En outre, depuis un mois environ, 
deux miniatures de Jean Fouquet ont été pla- 
cées, dans une vitrine, au-dessous du Retable. 
Dans l'une de ces miniatures (celle qui est à 
f;auche dans la vitrinei, le roi Charles VII, 
vêtu de bleu et monté sur un cheval gris- 
blanc, rentre dans un palais que je crois être 
le Louvre, c'est-à-dire dans son palais, en 
face lequel est la tour de Nesle, sur l'autre 
côté du fleuve. Le Roi remet son épée au 
fourreau : un pauvre l'aborde pour lui deman- 
der l'aumône, mains jointes. Le Roi le laisse 
approcher. Une partie de l'escorte royale a 
déjà passé ; l'autre suit. Au-dessous de cette 
scène, on voit deux anges véius de rouge. 
L'ange de gauche lient une banderole sur 
laquelle on lit une phrase latine, signiliant : 

Heureux celui qui n'a fait tort à personne 
( . . . qui niilli nocuit/. 

L'ange de droite tient une banderole sur 
laquelle on lit : 

Heureux celui qui donne secours à tous 
(... qui cunctis providit) . 

Au milieu : une lettre ornée O et un cœur 
ardent suspendu au-dessus de deux branches 
croisées l'une sur l'autre et de deux bouquets 
de roses. 

Au bas, en lettres d'or : Maisire Estienne 
Chevalier. 

La miniature placée à droite dans la vi- 
trine est celle qui représente le Roi en rouge, 
sur un cheval blanc tout caparaçonné d'or. Il 
y a, derrière lui, cinq cavaliers dont l'un tient 
la lance royale. A droite, un château royal. 
Sur le premier plan, cinq gardeuses de bre- 
bis, dont deux sont debout. L'une des femmes 
debout file une quenouille, l'rès d'elles, six 
moutons. 

Ces miniatures ont été placées là, je pense, 
pour servir de point de comparaison. Celui 
qui les a peintes a peint aussi le Juvénal des 
Ursins aux mains jointes, devant un pupiire 
bien caractéristique, et que l'on retrouve, 
absolument semblable, dans la Vierge au Do- 
nateur. 

Si les conservateurs du Louvre voulaient 
bien, pendant quelques semaines, replacer 
cette Vierge au Donateur (autrefois placée 
dans le Salon Carré) dans la salle des Fou- 
quet et permettre qu'elle puisse être examinée 
et comparée au Juvénal des Ursins, je remer- 
cierais le Musée du Louvre de vouloir bien 
permettre cette comparaison, sans laquelle il 
est difficile de se faire une opinion motivée. 

En attendant, la revue les Arts, ,ayant 
déclaré que les rêveries étaient permises à 
propos de ce tableau, continuons à dis- 
cuter : 

J'ai dit que le roi représenté à la droite 
du Père éiait Charles VII, roi de France, en 



même temps qu'était aussi roi de France 
Henri V d'Angleterre. 

J'ai dit que le contraste était voulu par 
l'auteur du tableau entre le roi de France 
Charles VII, esseniiellement pacifique, et 
l'autre roi qui lui est opposé, le roi anglo- 
français, essentiellement guerrier et guerrier 
très cruel. 

Continuons l'examen des détails qui peu- 
vent nous éclairer à ce sujet : 

Le roi de France (à la droite du Père), que 
j'affirme êire Charles VII, tient, dans sa main 
droite, un sceptre, symbole de douceur paci- 
fique. Ce sceptre, bien reconnaissable, parce 
que le peintre l'a peint fidèlement d'après na- 
ture, comme tout le reste du tableau, est le 
sceptre des rois de France, que le Musée du 
Louvre possède encore aujourd'hui, qui est 
exposé dans la Galerie d'Apollon, et qui est 
catalogué dans une vitrine de cette galerie. 

Ce sceptre emblématique est parfaitement 
reconnaissable sur le tableau du Retable du 
Parlement de Paris. 11 est de forme spéciale 
et orné de pierreries encore aujourd'hui exis- 
tantes, d'une rare grosseur, et qu'on ne peut 
confondre avec d'autres. Ces pierreries sont : 
rubis, émeraude. et perle au sommet du 
sceptre dans le tableau : le Retable du Parle- 
ment). 

Or le sceptre en question est catalogué, 
dans la vitrine de la Galerie d'Apollon, comme 
objet d'orfèvrerie du xiv= siècle. 

Comment donc, si ce sceptre a été fabriqué 
au xiv>= siècle, serait-il dans la main d'un saint 
Louis ? Au contraire, dans la main droite 
d'un Charles VI F, il est très bien à sa place. 

Je remarque seulement que, dans le Re- 
table du Parlement de Paris, le sceptre du roi 
de France, datant, dit l'étiquette du Louvre, 
du xiv= siècle, est surmonté d'une pierre 
blanche, une grosse perle, pierre qui se 
répète sur la couronne royale qui ceint le 
front du Charles VII. Cette couronne est 
ornée de fleurs de lis d'or surmontées de 
perles ; chaque fleur de lis est surmontée 
d'une perle. 

J'en conclus qu'au temps de Charles VII, 
le sceptre des rois de France n'avait pas en- 
core, à son extrémité, la figure emblématique 
d'un roi assis qui l'orne aujourd'hui. Cette 
statuette a dû être surajoutée. A quelle épo- 
que? C'est aux orfèvres de le dire. J'attends 
leur avis sur ce point important. 

Quant au sceptre que nous voyons aujour- 
d'hui (sauf la statuette d'or de roi assis dans 
un trône qui le surmonte), il est parfaitement 
reconnaissable en ses parties essentielles. 
L'auteur du Retable l'a peint exactement tel 
(sauf la statuette d'or) que nous le voyons 
aujourd'hui. On j revoit l'un des gros rubis 
qui l'ornent encore. 

Voilà pour le roi de France Charles VII, 
celui qui est debout à la droite du Père, por- 
tant au côté l'aumônière de velours bleu, 
ornée de fleurs de lis d'or et de sept perles 
blanches. 

Au contraire, le roi debout à la gauche du 



de M. Amédée Pigeon; mais nous considérerons 

N. D. L. R. 

Père (roi anglo-français selon moi) a, dans la 
main droite, un glaive anglais bien reconnais- 
sable tant à sa forme qu'à la pierre jaune, une 
grosse topaze, qui est incrustée dans le pom- 
meau de ce glaive. Ce glaive fait partie de la 
collection des armures anglaises et a été gravé 
avec sa topaze, bien reconnaissable. J'en ai 
vu la reproduction en couleurs dans l'un des 
recueils anglais de la Bibliothèque nationale, 
grâce à l'obligeance de M. Bouchot et de 
M. P. -A. Lemoisne, qui m'ont communiqué 
le recueil deSioihard. C'est là que se trouve le 
glaive en question. 

Je ne pense pas que cette démonstration 
par des faits, que tous sont en mesure de con- 
tredire, si le cœur leur en dit, puisse être trai- 
tée de rêverie. 

Qui rêve en cette matière ? 

Serait-ce ceux qui, avant donné à un 
tableau d'importance capitale pour l'histoire 
française, une mauvaise attribution quant aux 
personnages représentés, la maintiennent avec 
obstination et contre toute vraisemblance, ou 
celui qui, ayant contrôlé ce que chacun peut 
contrôler à son tour, est arrivé à une attribu- 
tion plus exacte et a eu le courage de le dire ? 

Je prie l'impartiale revue les Arts de me 
donner son avis, si elle en a un, à ce sujet. 

Quant à la Vierge au Donateur, voici ce 
que j'en puis dire encore : 

On a remarqué fort justement que « le 
Donateur » prie dans un oratoire ou chapelle 
qui est du plus pur style roman. 

L'architecture de la chapelle pourra, je 
crois, servir un jour à identifier la ville qui se 
voit dans le fond du paysage. 

Les histoires de Charles Vli disent qu'en 
1441, Charles VII fit un voyage en Guvcnne 
pour battre les .\nglais, qui assiégeaient Tar- 
las ; qu'en 1442, le Roi soumit Marmande et 
la Réole en Bazadois. 

Ne serait-ce pas l'une de ces villes qui 
serait là représentée, ou est-ce Lyon, comme 
on l'a dit déjà ? 

Le Donateur est, pour moi, très certaine- 
ment Charles VII. La meilleure raison que je 
puisse donner de cette attribution, c'est que le 
très grand personnage peint dans ce tableau, 
à genoux, les mains jointes, ressemble beau- 
coup et au Charles VII encore jeune du Retable 
du Parlement et au Très-Victorieux Roi de 
France Charles Septième, qui est pour moi 
une image du roi déjà vieux et usé, tandis que 
le Donateur serait le roi Charles VII en 
pleine force et en pleine santé, c'est-à-dire 
précisément vers 1441 ou 1442, en ces années 
de succès. 

Le portrait fut-il fait dans quelqu'une de 
ces villes du Midi Tartas, Marmande ou la 
Réole en Bazadois ? Fut-il fait à Lyon, et 
dans la vieille église de Fourvières? Où le 
peintre le peignit-il ? Je l'ignore. 

Je prie ceux qui connaissent bien ces di- 
verses villes, et leur aspect vu d'une hauteur, 
d'examiner très sérieusement la question. Des 
hauteurs de Lyon, par un temps très clair, on 
aperçoit la chaîne des montagnes blanches du 
Dauphiné. 



TRIBUNE DES ARTS 



33 



Une chaîne de montagnes hlaiiclies est 
très visible au fond du tableau. 

Des trois tableaux en possession du Louvre 
qui me semblent devoir être attribues à Fou- 
quet Jean), le premier serait le Retable du 
Parlement de Paris (peint vers l'an 1439), le 
second serait la Vierge au Donateur, repré- 
sentant Charles VII en pleine force, vers 1441 
ou 1442; le troisième serait le portrait si 
célèbre du Très-Victorieux Roy Charles Sep- 
tième (vers 1450). 

Cette question m"a paru intéressante, 
d'abord pour les historiens français, à qui il 
ne peut pas être indirt'érent que Jean Fou- 
quet ait peint, par trois fois au moins, le roi 
Charles VII. 

Elle ne doit pas être indilférenie non plus, 
me scmble-t-il, à ceux qui, ayant en estime le 
très grand peintre de portraits Jean Fouquct, 
trouveraient, dans ces trois œuvres, des points 
de comparaison utiles. 

Personne de ceux qui ont étudié Jean 
b'ouquet n'a mis en doute qu'il ait illustré 
la Bible de Charles Vil et les Anliquitcs de 
Jo.séphe (1). 

Après avoir exécuté ces remarquables 
œuvres de miniaturiste, Jean Fouquet se serait 
attaqué, dans la Vierge au Donateur, à la 
représentation du roi de France lui-même, du 
roi déjà victorieux et dans toute sa force. 
C'est après avoir exercé son a'il à peindre les 
minutieuses et larges images de la Bible et du 
Josèphe que Jean Fouquet, devenu un peintre 
d'une puissance peu comtnune, aurait exécuté 
ce merveilleux portrait du roi Charles Vil, à 
la l'ois minutieux et large, et ces mains 
royales admirables que je vois dans la Vierge 
au Donateur du Musée du Louvre. 

Ce tableau, peint, dans ma pensée, pour 
un connaisseur en peinture, serait presque le 
chef-d'œuvre de Jean Fouquet, s'il ne fallait 
aussi nommer chcf-d'(i;uvre (c'était l'avis de 
Fantin-Latouri, l'admirable portrait du Roi, 
coiffé d'un chapeau bleu, qui s'appelle le 
Très-Victorieux Roy de France Charles Sep- 
tième. 

J'ai voulu appeler sur ces trois <euvres, 
entre lesquelles je vois une parenté, l'attention 
de tous ceux qui s'intéressent à l'art, afin que 
l'on m'aidât à débrouiller le problème. 

J'ai même été heureu.x de voir qu'un des 
grands connaisseurs de toute l'œuvre de Jean 
Fouquet ne m'a pas donné tort, et serait 
même, m'a-t-il dit, assez porté à me donner 
raison. 

Je conclus donc que la question est tou- 
jours intéressante, qu'elle mérite une discus- 
sion exempte de passion, et j'attends les argu- 
ments qui me prouveront péremptoirement 
que j'ai tort. 

Quant au roi placé à la gauche du Père 
dans le Retable, roi en qui je vois un roi 
anglais (alors que d'autres y retrouvent soit 
(2harlemagne,soit Sigismond, empereur d'Al- 
lemagne), voici les raisons qui me font penser 
que c'est Henri V d'.\ngleterre : 

Le glaive qui est nu dans la main du roi, 
tenant de l'autre main un globe, est anglais, 
de même que la cuirasse qui rhabille, sous le 
manteau bleu, est anglaise. J'ai retrouvé le 



(l> M. lloucliol .iJmct en principo que Jean Fouquet eux JiHc- 
rcnics manières de peinJre, puisqu'il a trouve de notables dilTé- 
rences de facture enire les portraits de Juvcnal des Ursins 
(portrnits avec fond doré cl arm?» symboliques ; les ours des 
Ursinsi et le portrait sévère et dune si' grande mailris-, portrait 
sur fond vert, du Ires- Victorieux Roy de Krance Charles Sep- 
tième. ' 



glaive et la cuirasse : le glaive dans Stothard 
(Bibliothèque nationale. Cabinet des Estam- 
pes), la cuirasse dans la série des portraits des 
rois anglais. 

Voilà pour les preuves matérielles. 

Quant aux preuves morales, les voici : 
Shakespeare, très bien renseigné, à mon avis, 
et très fidèle historien, a, dafis son Henri V, 
dépeint un personnage absolument semblable, 
de tous points, à celui du Retable. 

Ni « le peu tentant visage », ce visage qui 
effraye les dames quand le Roi leur fait la 
cour, ni le cérémonial, ni le globe dans la 
main du Roi, ni l'homme qui parle de con- 
quérir une dame au cheval fondu ou en sau- 
tant en selle avec son armure sur le dos, ni le 
sentiment qu'a Henri V d'être un fléau, Shake- 
speare n'a rien omis dans son portrait du 
célèbre personnage qui se plaisait à ravager la 
« fertile France ». 

Je retrouve la même préoccupation d'exac- 
titude dans le personnage presque terrible 
que nous montre le Retable; on l'y voit en- 
touré d'ossements de morts, de sang répandu 
à terre, de bourreaux occupés à supplicier un 
condamné. 

On me dit que l'évêque habillé de vert et 
tenant dans ses mains sa tète, qui avoisine le 
personnage royal, est saint Denis, qu'on re- 
trouve dans le paysage une architecture de 
Coiistaniinople. Admettons que ce person- 
nage vêtu de vert soit saint Denis. 

Précisément, le Henri V de Shakespeare 
parle (acte V, scène 11), de saint Denys et de 
saint Georges. Il propose à Catherine de faire 
avec lui un enfant qui ira à Constaniinople et 
tirera le Turc par la barbe. « Cet enfant sera, 
dit-il, moitié Français, moitié Anglais. » 

Le terrible personnage du Retable me 
paraît ressembler au Henri V tel que l'a revu 
dans sa pensée et tel que l'a dépeint Shake- 
speare. 

Sur ce point encore, je conserve ma con- 
viction, qui me semble très proche de la vé- 
rité, attendant que de meilleures raisons me 
persuadent. Celles de mes contradicteurs, je 
l'avoue, ne m'ont pas encore convaincu. 

AMÉDÉE PIGEON. 



MoNsiRi R LE Directeur, 

Un long voyage en Russie ne m'a permis 
que tout récemment de prendre connaissance 
de l'article de M. Claude Dullot paru en mars, 
en réponse à mon étude sur le Retable du Parle- 
ment de Paris. Vous me permettrez de négliger 
les allusions désormais trop fréquentes à la 
tiare de Saïiapharnès, comme si les Conser- 
vateurs du Louvre seuls, à l'exclusion des 
Académies intéressées et des autres savants 
de France, avaient été partisans de l'acquisi- 
tion, ou comme si, seuls, ces fonctionnaires 
étaient coupables d'erreurs que ne connaî- 
traient ni les magistrats, ni les ingénieurs, ni 
les otliciers de marine, dont les fautes sont 
pourtant plus graves ou plus coûteuses. Je ne 
suivrai pas non plus votre collaborateur dans 
sa dissertation sur le droit de revendication 
que la loi donne à l'Etat, cela me parait être 
tout à fait en dehors de la question. Est-il bien 
nécessaire de discuter les conditions de sécu- 
rité et de conservation des objets exposés au 
Louvre? Nous sommes tous unanimes à de- 
mander qu'elles soient accrues, et il me serait 



trop facile, d'autre part, d'oppo.^cr à une taba- 
tière volée, les scandales du musée de Lille, les 
méfaits de celui de Cacn, relevés par M. F. 
Engerand, les incendies de ccu.x de Verdun et 
de Bordeaux, les vols des musses de Lyon, de 
Rouen et de Nimes, etc.. sans parler des ventes 
illégales d'objets appartenant à des municipa- 
lités; mais cela n'avancerait pas beaucoup la 
discussion. 

Il est cependant deux points sur lesquels je 

. voudrais répondre à M. Duflot, et où je ne 

î puis renoncer à mes conclusions : 

j Si le retable avait été bien exposé au Palais 

j de Justice, à portée de la vue, et des objectifs 
photographiques, peut-être en eût-on demandé 
le prêt à une exposition pour faciliter les 
rapprochements, les comparaisons, l'étude, 
comme on a demandé la communication pro- 
visoire de tableaux à des musées ou à des col- 
lections très libéralement accessibles; maison 
aurait sans doute renvoyé le tableau à sa place, 
non parce que la Cour en était propriétaire, 
puisque, n'étant pas personnalité civile, elle 
ne peut posséder, et que l'œuvre appartient 
indubitablement à l'État, mais parce que, étant 
là convenablement exposée, il n'y avait pas 
plus lieu d'intervenir que. par exemple, pour le 
tableau de Pcrugin de l'église Saini-Gervais 
ou le Watteau de Saint-Médard à Paris. La 
très mauvaise place qu'on lui avait assignée à 
la Première Chambre, l'impossibilité de pou- 
voir l'étudier, l'examiner, le photographier 
môme, ont été pour beaucoup dans les récla- 
mations en faveur du Louvre où il avait été, 
ne l'oublions pas, autrefois déjà exposé. Pour 
faciliter l'étude de notre histoire, il a été rap- 
proché de peintures du même temps et du même 
pays. On peut le voir aujourd'hui aussi bien 

; que possible et des milliers de personnes le 
contemplent de près chaque jour: si vraiment 
ceux qui regrettent son départ du Palais de 
Justice savent l'apprécier et le comprendre, ils 
ne peuvent qu'applaudir à sa mise en valeur. 
En outre, M. Duflot nous cite un exemple 

, vieux de quarante-cinq ans. où des monuments 
célèbres ont été défendus en province contre 
leur départ pour l'étranger. C'est là un senti- 
ment très louable dont votre correspondant 
aurait pu, sans trop de peine, trouver peut-être 
des exemples moins anciens. Encore ne se- 
raient-ils qu'assez exceptionnels : trop défaits 
prouvent l'indifférence coupable des munici- 

! palités ou des fabriques pour les «cuvres d'an, 
mobilières ou immobilières, confiées à leurs 
soins. Faut-il citer les remparts d'Avignon, 
les alignements de Karnack, détruits systéma- 
tiquement, les ventes clandestines empêchées 
par hasard dubaiser de paixdeNicc.de la Picia 
de Nantua.de l'armure du musée de Draguignan 
et tant d'au très aliénai ions scandaleuses dont les 
dossiers encombrent les carions des bureaux 
des monuments historiques? Lalisteest longue 
et navrante, et chaque jour on signale de nou- 
veaux méfaiis semblables! 

L'inventaire des richesses d'art de la France, 
si malencontreusement négligé, devait donner 
des éclaircissements précis et arrêter ce gas- 

i pillage; on semble, par un projet de loi. vou- 
loir se soucier de cette question. Elle mérite, 
certes, qu'on l'éiudic!... 

Mais j'ai déjà bien abusé de votre patience. 
Veuillez agréer, je vous prie. Monsieur le Di- 
recteur, l'expression de mes seniimenis très 
distingués. 

JE.\N GLIFFREY. 



Diii'ehiir : M. M V\ZI 



Imprimoric M.\:ni, Jotast & C». A»«lrr««. 



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Juin 190») 




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SIR TH. LAWRENCE. — portrait dk sir thomas bkll 
Exposition de VArt anglais à Bagatelle. — Collection de Camille Groult 



Un Musée à Bagatelle 




ARis possède depuis peu de jours une magni- 
fîqLie promesse de musde. 

Il semble qu'il y ait contradiction entre 
ces mots : posséder une promesse ; mais 
il est, vraiment, des promesses que l'on 
possède plus que d'autres : celles qui ont 
reçu un commencement d'exécuiion ; etsi ce n'est pasposséder 
un musée proprement dit que d'être possesscurde deux palais 
situés dans un cadre merveilleux et propres à faire un musée 
charmant, puis, de deux œuvres d'art d'une grande valeur, 
amorce des collections futures, enfin d'espérances justifiées 
par certains précédents et d'un fort ingénieux système pour 
ajouter beaucoup de trésors à cet engageant commencement, 
c'est du moins tenir quelque chose de mieux qu'un billet à 
La Châtre et, dans la circonstance, si ce n'est pas encore 
tout à fait un « tiens », c'est déjà beaucoup mieux que deux 
« tu l'auras ». 

Déjà un résuliat important est acquis : Bagatelle est 
sauvée d'une destination aniiariistique, ou du morcellement 
que la spéculation pouvait lui infliger. Lorsque la Ville de 
Paris acquit le domaine illustré par les noms du comte 
d'Ariois, de lord Hcrtford et de sir Richard Wallacc, quelques 
conseillers, et en tête M. Paul Escudier, soutinrent cette 
thèse contre des collègues un peu bien utilitaires, que, dans 
une ville comme la nôtre, la beauté est dans plus d'une occa- 
sion Futilité suprême. Ils eurent gain de cause, grâce à la 
louable ardeur qu'ils dépensèrent au service de cette cause 
de désintéressement et d'idéal. 

Restait à trouver l'affectation de Bagatelle, et, étant don- 
nées la valeur et la séduction de l'écrin, ce n'était pas chose 
commode que de découvrir le bijou approprié. Heureuse- 
ment, à Paris, si les idées sont lentes à prendre parfois, elles 
sont promptes à naître, et un projet très artistique, très ori- 
ginal et riche en beaux espoirs, vint fort à propos tirer les 
esprits d'embarras. Le projet émanait d'un grand collection- 
neur, d un homme de beaucoup de finesse et de passion, 
d'un amateur ardent qui est célèbre et qui mérite de l'être, 
qui, se dissimulant (plutôt mal) derrière le titre d' « un Pari- 
sien de Paris », exige qu'on ne le nomme pas, mais est 
nommé si bien par tout le monde qu'enfreindre sa volonté 
serait superflu. 

Ce grand amoureux de l'art français et anglais du 
xvni= siècle a su conquérir, par quantités et qualités surpre- 
nantes, des Watteau, alors que le Louvre, sans l'apport pro- 
videntiel de La Caze, en posséderait tout juste un seul, et des 
Turner, tandis que l'on croyait qu'en dehors des grands 
musées anglais, il n'en était plus au monde. Gainsborough 
et Boucher, Romney et Fragonard, Constable et Hubert 
Robert, voisinent chez lui superbement et, depuis longteiTips, 
ont réalisé d'une façon idéale le problème de 1' « entente » 
cordiale. Que dire enfin, il est tout à fait de la famille des 
grands collectionneurs français d'autrefois, et il leur res- 
semble par l'opulence et par l'intarissable bonne humeur, 



féconde en anecdotes, en traiis imprévus et en bons mots. 

Le « groupe d'amateurs et de Parisiens de Paris » qu'il 
forma en vue de la création du futur musée de Bagatelle et 
qui comprend déjà comme membres M. Félix Doistau et 
M. Camille Groult (notez que je n'ai pas dit que c'est de ce 
dernier qu'il s'agit), imagina donc et proposa à la Ville de 
Paris le système suivant qui fut approuvé et accepté avec 
enthousiasme, ce dont personne ne s'étonnera. 

De grands collectionneurs prêteraient, pour remplir le 
pavillon du comte d'Artois et celui du marquis d'Heriford, 
les chefs-d'œuvre de leurs galeries, de façon à former de 
radieuses, de sensationnelles expositions temporaires. La 
Ville de Paris percevrait les entrées et avec le produit achète- 
rait successivement des œuvres d'art (en l'espèce et dans l'es- 
prit du « Parisien de Paris », il s'agirait exclusivement de 
chefs-d'œuvre de l'Ecole anglaise) et, à mesure qu'une 
œuvre deviendrait la propriété du futur musée, elle pren- 
drait la place d'une de celles qui auraient été si libérale- 
ment prêtées. Plus tard, il serait plus que probable que, 
gagnés par la glorieuse contagion de l'exemple, d'autres 
Mécènes ne se contenteraient pas de prêter, mais que, comme 
Duiuit pour le Petit Palais, ils seraient séduits par l'idée 
d'assurer à ce qui fit la passion et la joie de leur vie, le cadre 
enchanteur de Bagatelle, si approprié aux plus délicates 
jouissances de l'art. 

Tel était le projet, et les chances de le voir aboutir ont été 
jugées si certaines que la municipalité et le Préfet de la Seine, 
M. de Selves, toujours ouvert aux belles idées artistiques, le 
ratifièrent immédiatement, et que, pour entrée de jeu, nous 
avons eu l'exposition de cinquante des plus précieuses toiles 
de l'École anglaise que possède M..., le « Parisien de Paris » 
enfin, et que, pour ne pas demeurer en reste de libéralité 
avec cet anonyme, un autre anonyme encore (étant anonyme, 
c'est peut-être le même), a offert au musée une œuvre 
magique de Turner, la Vue du Pont-Neuf, que l'on avait 
encore, par une étrange coïncidence, admirée quelques jours 
auparavant chez M. Camille Groult. 

Cette exposition qui d'emblée a remporté un grand suc- 
cès, fut marquée aussi par l'acquisition d'une autre œuvre de 
l'École anglaise, le Portrait de Mrs. Forsler par Lawrence, 
morceau d'une riche couleur et d'un beau caractère que l'on 
verra reproduit ici. Enfin l'on publia des chiffres relatifs aux 
recettes des premiers jours qui donnent tout lieu d'espérer 
que la série des conquêtes et des surprises n'est pas close. 

Les visiteurs de l'exposition des maîtres anglais reçurent 
à l'entrée un l'ac-similé parfaitement exécuté d'une fort 
curieuse lettre de Géricault débordant d'une légitime admi- 
ration à l'égard de l'École anglaise et indiquant , avec 
Horace Vernet pour prétexte, le profit que l'École française 
pouvait tirer de l'étude de sa voisine. Mais si d'autres témoi- 
gnages que celui de Géricault étaient encore utiles, on pour- 
rait ajouter celui, éclatant entre tous, de Delacroix. 

Celui-ci fut positivement hanté par les maîtres anglais. Il 





UN MUSÉE A BAGATELLE 




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Exposition de l'Art anglais à Bagatelle. — Collection de M. Camille Groult 







LES ARTS 



parlait toujours avec un nouvel enthousiasme du « ravissant d'une manière incroyable à fréquenter ce luron-là », et pour 

Gainsborougli » ; il disait de Bonington « qu'il avait gagné un des plus grands de tous, d'un robuste et simple et varié, 




TH. GAINSEOROUGH. — le menace 
Exposition de l'Art anglais à Bagatelle, — Collection de M, Camille Groult 



et étincelant poète de la nature, il laissait échapper cette N'est-elle pas à citer aussi cette enthousiaste lettre de Dela- 

éloquente exclamation : « Ce Constable me fait grand bien ! » croix à Théophile Silvestre : « Constable, homme admirable, 



UN MUSEE A BAGATELLE 




HOPPNKR. PORTRAIT 

Exposilion de l'Art anglais à Bagatelle. — Collection de M. Camille Groult 



LES ARTS 



est une des gloires de l'École anglaise. Je vous en ai déjà 
parlé, et de l'impression qu'il m'avait produite au moment 
où Je peignais le Massacre de Scio. Lui et Turner sont de 
véritables réformateurs. Ils sont sortis de l'ornière des pay- 
sagistes anciens. » Et avec quelle vive sympathie il parle 
de Grand, de Leslie, de Williie, et- de l'école préraphaélite 
naissante, de sa « bonne foi, de son sentiment de vérité réel 
et tout à fait local ». Enfin, ce petit portrait en trois lignes 
lorsqu'il apprend la mort de Turner, portrait qui fera, s'il 
ne le connait déjà, la joie de l'amateur passionné qui a 
acheté les lunettes de l'auteur d'Ulysse raUlcitit Polyphcme, 
et jusqu'au garde-boue sur lequel, à l'entrée de sa maison, 
il grattait ses chaussures distraitement, pendant d'inter- 
minables minutes, ne pouvant pendant ce temps détacher 
son regard des miraculeuses fantasmagories du ciel londo- 
nien : « Je me rappelle avoir reçu Turner chez moi une 
seule fois, quand je demeurais au quai Voltaire; il me fît une 
médiocre impression ; il avait l'air d'un fermier anglais : 
habit noir assez grossier, gros souliers et mine dure et 
froide. » Turner chez Delacroix!... 

Mais nous ne saurions entreprendre ici une apologie de 
l'École anglaise pendant que les œuvres exposées à Bagatelle 
parlent si éloquemment pour elle, et qu'elles achèvent une 
démonstration commencée par les diverses expositions de 
chez Sedelmeyer, démonstration à laquelle le Louvre a 
malheureusement peu contribué. C'est justement pour 
combler cette lacune que notre musée laisse encore trop 
large, malgré l'acquisition de certains bons morceaux et 
d'autres beaucoup moins 
heureux (on devine assez 
desquels je veux parler), que 
le musée anglais de Baga- 
telle viendrait fort à propos. 
11 formerait la contre- 
partie, ou plus exactement 
la correspondance avec le 
merveilleux musée qu'est 
la collection Wallace, et 
ainsi l'œuvre entreprise 
serait harmonieuse à tous 
les points de vue. 

En effet, on a regretté 
tout d'abord et on avait 
hélas de bonnes raisons 
pour cela, que la maladresse 
administrative et, il faut le 
dire aussi, un accès intem- 
pestivement frondeur du 
public parisien, ait détourné 
naguère Sir Richard Wal- 
lace de donner à Paris les 
chefs-d'œuvre de l'art fran- 
çais qui rayonnent à Man- 
chester Square. Mais, tout 
compte fait, c'est pour nous 
une privation devenue glo- 




SIR TH. LAWRENCE — mrs. fohster 
Exposition de l'Art anglais à Bagatelle 



rieuse, car c'est une des plus belles conquêtes que l'art et la 
pensée de France aient jamais faites que l'implantation au 
cœur même de Londres, des Watteau et des Fragonard que 
l'on sait. 

Toutefois, pour que les choses soient complètes, il serait 
bon que, de même que nos maîtres triomphent à Londres, les 
maîtres anglais resplendissent à Paris; c'est en cela que la 
pensée du... groupe d'amateurs parisiens est spiriuielle et 
noble, et qu'il faut souhaiter sa réalisation prompte. Est-ce 
impossible ? Sans doute, à première vue, cela parait extrême- 
ment difficile. A supposer que le musée de Bagatelle s'enri- 
chisse, comme cette année, de deux ou trois œuvres par 
saison, cela ferait encore longtemps avant qu'il fût véritable- 
ment un musée. Puis, les belles œuvres de l'École anglaise 
sont devenues, sinon introuvables, du moins hors des prix 
abordables pour un État ; il n'est plus que les particuliers 
milliardaires qui les puissent conquérir, et ils ne les laissent 
point échapper, en étant des plus friands... Sans doute, nous 
savons tout cela, mais ce sont les arguments des sceptiques 
et des découragés, c'est-à-dire de ceux précisément en dehors 
de qui s'accomplissent infailliblement les belles tâches, 
quand elles ont, comme celle-ci, leur nécessité. 

Même en matière d'École anglaise, le précepte : « Cher- 
chez et vous trouverez » peut encore trouver d'heureuses 
applications. Puis il est des générosités sur lesquelles on 
peut compter, d'autant plus qu'elles sont inaccessibles à 
toute autre considération que la générosité elle-même. 

Nous assistions avant l'ouverture de Bagatelle à une bien 

curieuse conversation sur ce 
propos, entre un conseiller 
que je crois avoir nommé et 
un collectionneur que je 
crois n'avoir pas nommé. Le 
premier faisait un siège en 
règle et s'efforçait d'arracher 
la promesse que, si libéral 
qu'on etjt été, on le serait 
davantage encore. Et il 
faisait valoir que la Ville 
donnerait à la salle ou au 
musée, le nom de celui qui 
aurait rempli ce musée ou 
cette salle, des œuvres 
qu'on y allait admirer. 
L'amateur poussa un véri- 
table rugissement : « Si je 
savais qu'on donnât mon 
nom à une salle où j'aurais 
laissé des œuvres que je 
possède, j'aimerais mieux 
qu'elles fussent brûlées... à 
ma mort I » Nous ne savons 
dans quel sens il faut inter- 
préter cette parole, mais 
nous affirmons que le geste 
qui l'accompagna fut beau. 



LES ARTS 




TH. (iAIN'SBOROUGII. — ceoriu: mi 
Exposition de l'An anglais à Bagatelle, — Colleetion de M. Camille Groult 



Nous ne voulons pas même tenter ici une description des 
œuvres exposées à Bagatelle, car ce serait tronquer la mono- 
graphie qui s'impose d'une collection considérable. Au 
reste, quelques-uns des plus beaux morceaux sont reproduits 
ici : les ravissants Portraits de Femmes d'Hoppner; le por- 
trait de Sir Thomas Bell, de Lawrence; la charmante scène 



dans un jardin, le Menasse, où Gainsborough à la fois 
rappelle et fait oublier Hogarth ; deux des prestigieux 
Turner, une Vue de Venise, et cette Ancient Italy, qui 
provoqua naguère, exposé chez Sedelmeyer, de bien 
curieuses polémiques, oubliées aujourd'hui devant la splen- 
deur de celte peinture, etc., etc. 



UN MUSEE A BAGATELLE 



Les portraits de Reynolds, de Gainsborough, d'Hoppner, 
sont tous de premier ordre, et si Constabic est relativement 
peu représente-, « ce grand Constabie ■>, qui faisait « tant de 
bien « à Delacroix, comme le musc'e de Bagatelle n'est pas à 



la veille de fermer, et comme d'autres surprises se produi- 
ront sans doute, maintenantquc lasérieacommencé.on peut, 
au lieu de formuler un regret, escompter de nouvelles joies. 

ARSKNE ALEXANDRE. 




HOPPN'En — POBTUMT 

HxposUicn dt l'Art aiigtait à Bmgmitlle, — Collection à* M. CmmiUt Cmnil 



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B. COLI.IN. — ÉVOrATIO!» PAIBSWB 



LES SALONS DE 1905 

Société des Artistes français 



U SflSv/ 



I, y a d'excellentes choses, vraiment belles 
et délicates dans ce Salon; il faut les cher- 
cher dans le fatras des historiettes agran- 
dies et des petites idées boursouflées. Mais 
on est payé de sa peine. A la peinture 
comme à la sculpture, on trouvera des 
œuvres que l'on peut revoir avec une joie 
d'esprit toujours accrue. Pour mon compte j'en citerai plu- 
sieurs qui ont laissé dans mon esprit un souvenir profond et 
durable : le Vcrtumiie et Pomnite, lic Mademoiselle Claudel; 
le Rêve iie Jeunes.se, d'Alexandre Roche; la Pastorale, de 
Henri Martin; un portrait de femme, d'Ernest Laurent. 

Mais commençons cette revue rapide par les talents con- 
sacrés. La toile décorative d'Edouard Détaille est destinée au 
Panthéon. L'artiste déroule, sur trois panneaux séparés par 
le relief des piliers, la Chevauchée Je /d G/o/;-<?.' des cavaliers 
du premier Empire chargésd'étendardscnnemis. L'arabesque 
tournoyante de cette galopade monte vers la nue, du haut de 
laquelle une Gloire ailée leur tend des couronnes. Tout en 
admirant la verve et la science du dessinateur on reconnaî- 
tra que les formes se découpent un peu sèchement dans 
l'atmosphère et que le modelé de l'ensemble manque d'unité. 
Dans le Désastre, J.-P. Laurcns nous raconte le dernier 
chapitre de l'Epopée. La « morne plaine » de Waterloo 
s'étend sous les rayons indécis de la lune voilée de nuages; 
coupée à gauche par la tranchée (mais n'était-ce pas un 
chemin creux ?l où vint s'abîmer la charge suprême. A droite, 
au bout du champ de bataille, un tout petit Napoléon s'en 
va furtif sur un cheval blanc. J. Lefebvre met en prières la 
pudique TmJi' Godiva, dont il nous a conté jadis l'héroïque 
sacrifice. 

On appréciera dans l'Évocation paUcnne, de Raphaël 
Collin, la science attentive du modelé et la douceur cares- 



sante de la lumière qui baigne un beau corps de femme 
mollement étendu dans une clairière. Le Lever de l'ouvrière, 
de Robert-Fleury, a des qualités analogues de réserve et de 
délicatesse. La transparence de la demi-teinte et l'intimiié 
discrète de l'effet donnent à cette œuvre un cachet particu- 
lier de distinction. La Toilette, d'A\\\eue, est une savante et 
vigoureuse étude de nu. Les Noces de Psyché, de Gorguet, 
carton de tapisserie pour la manufacture des Gobelins, 
plaisent par l'arrangement ingénieux et la finesse gracieuse 
des figures. 

L'unité et la beauté du sentiment, l'art de nous rendre 
présente, sous la fleur des apparences, Tàme invisible des 
choses, c'est ce qui me charme dans l'œuvre de Henri 
Martin, et tout particulièrement dans ce Panneau décoratif 
destiné à la maison de E. Rostand. Pouvait-on mieux orner' 
la retraite d'un poète? Je reconnais celte douce vallée, ses 
peupliers frissonnants et fins, sa petite rivière encaissée et le 
chemin creux que suivent deux amoureux rustiques. Elle 
nous est familière et accueillante. L'imagination, qui 
dispose et manie librement les éléments de force et de 
grâce empruntés au réel, ne se joue pas moins heureuse- 
ment dans l'tcuvre d'une autre artiste. Associer au rythme 
d'un paysage le rythme des mouvements et des poses, 
évoquer une nature toujours en fête qui semble encourager 
l'homme à déployer ses énergies, telle est la vision de Made- 
moiselle Dufau. Il y a comme une animalité saine et vigou- 
reuse dans ces corps mollement couchés, ou tendus par 
l'effort. Il y a le sens de la Jeunesse, et si l'on peut dire le 
sens idéal des sports. La femme, au premier plan, ramassée 
dans une pose si souple et si vraie, est le plus beau morceau 
que l'artiste ait encore peint. 

Le Rcve de jeunesse, du peintre écossais Alexandre 
Roche, est le portrait d'une jeune fille assise, en plein air au 



revers d'un talus. Sous le grand ciel voilé de nuées blondes 
et grises, au-devant de collines lointaines doucement viola- 
cées, elle rêve un instant, elle écoute son cœur. C'est le plus 
délicieux/ut'/îH^'-, un charme innocent, une vérité naturelle, 
sans aucune sensiblerie, un art délicat, fort, traditionnel, 
mais renouvelé par la sincérité de l'esprit et par le vif 
sentiment de l'heure présente. Je voudrais trouver dans 
notre école beaucoup de portraits qui nous parlent un lan- 



gage aussi humain, aussi direct, qui nous fassent oublier 
l'art, qui nous dévoilent avec autant de tact et de poétique 
délicatesse, ce qu'il y a de plus intime et de meilleur dans 
une personne humaine. Il me semble que trop souvent nos 
artistes s'en tiennent à la vérité superficielle du costume, du 
métier, de la condition sociale; qu'ils ne nous montrent que 
la façade et l'apparence intérieure de la personne humaine 
qui a posé devant eux; et ce qu'elle croit ou ce qu'elle veut 




H. HARPIGNIES. — soleil (:ou( 
(Appartient à 

être plutôt que ce qu'elle est en réalité. Et l'on a souvent aussi 
la sensation que le modèle se tient sur la défensive, s'orne 
d'un sourire de convention ou s'arme d'une gravité factice ; 
refuse de livrer son secret et de nous faire l'heureuse confi- 
dence qui attacherait nos yeux à ses yeux. Peintre et modèle, 
ils ont trop l'air en vérité de penser surtout au public et de 
ne vivre ou de ne travailler que pour lui. 

Il y a cependant de remarquables portraits au Salon des 
Artistes français. Une des œuvresles plus distinguées de ce 
Salon est le portrait de jeune femme en blanc, par Ernest 
Laurent, excellent de geste, d'attitude, de grâce fine et 



■.HANT SL'R LKS lîORns l>R LA RIVIKRIÎ L Al\ 

MM. Arnold et Tripp' 

sérieuse, de lumière argentine. Du même artiste, un portrait 
de Jeune homme n'est pas moins remarquable par l'expres- 
sion de la vie intérieure, et de l'atmosphère intellectuelle. 
L'art de M. G. Ferrier est plus sévère; son dessin fort et 
serré s'attache au caractère et le met en relief. Le portrait 
de M. Ribot, énergiquement écrit, bien senti d'ensemble, 
est des plus convaincants. La pensée soucieuse de l'homme 
et son énergie morale ne pouvaient être mieux exprimées. Il 
n'y a pas moins de loyauté, et le plus charmant naturel dans 
le portrait de la comtesse de la Rochefoucauld par le même 
auteur. Dans ces deux œuvres, les mains sont remarqua- 



14 



LES ARTS 



blement belles, vivantes, expressives. Le portrait de 
M. G. Menier, par L. Bonnat, est encore une œuvre soli- 
dement construite, d'une vérité saisissante, plutôt que 
nuancée, mais où le caractère dominant est bien marqué. 
M. Humbert a toujours le tort, à mon sens, de séparer 
ses figures du paysage qui les entoure par une différence 
d'exécution, ici large et libre, là minutieuse et un peu froide. 
Les portraits de femme, de Flameng, sont toujours très 



élégants d'allure mais un peu tendus et lisses d'exécution.. le 
trouve au contraire une grâce animée, un juste accord de la 
figure et du fond, un métier souple et large dans un portrait 
de femme par Madame Le Roy d'Étiollcs; un joli sourire, 
une harmonie calme dans un portrait de jeune femme par 
M. Cazaban; un modelé très suivi, une vérité physiono- 
mique dans un portrait de vieille dame par Duvocelic. Le 
portrait de jeune femme en bleu, par M. Baschet, et celui 




M. BASCHET. — 



de Madame et M. J. Bail, par P. Chabas, sont des œuvres 
agréables, d'une exécution libre et coulante et d'une adroite 
présentation. 

Le vieux maître Hébert est doublement présent, à ce 
Salon, par l'effigie forte et vraiment émouvante qu'a tracée 
de lui Aimé Morot, et par deux portraits de femmes, que 
son imagination romantique a poétiquement rêvés. Pour être 
juste, citons encore les portraits de Bordes, de Guinier, la 
famille espagnole de Zo, un portrait d'homme de Déchenaùd, 
d'une couleur harmonieuse et forte, mais où la justesse 
des volumes est quelque peu sacrifiée à la qualité du ton. 



PORTRAIT DE M™" V... 



La peinture de la vie moderne tend de plus en plus à 
remplacer, même au Salon des Artistes français, les drames 
ou les comédies de l'histoire. 

Le changement de sujets ne sera pas un gain très sérieux 
si l'on reste dans l'anecdote sans généralité. Ici encore 
l'intérêt humain doit l'emporter sur la singularité des mœurs 
et descostumes. Il y a un agrément de couleur et d'harmonie 
dans un tableau de M. Hortbauer iSiir les toits) qui repré- 
sente des fashionables d'Amérique soupant dans la nuit 
claire sur une terrasse qui domine quelque cité et ses 
maisons à vingt étages. Le Marché, que nous conte 



LES SALONS DE njoS. — SOCIÉTÉ DES ARTISTES FRANÇAIS 



13 




U. MARTIM. — l'AX.XEAU DKCORXTIF POLH LA UAISOM DU PoicTE EDMOKO ROSTAND 



M. Ddclicnaiid, est fort bien observé. Dans une salle d'au- 
berge, un maquignon madré propose une afîaireà un paysan 
qui rumine, accoudé, tandis qu'un tiers le regarde en souf- 
flant la fumée de son cigare. C'est bien observé, bien dit, mais 
dans un format trop grand pour l'intérêt de la chose, .fe ferai 
le môme reproche à M. Cjrau : ses deux tableaux, les Halles 
d'Ypres et les Chevaux de lialage sont bravement et forte- 
ment peints, lourdement aussi et sans valeur principale d'in- 
térêt. Le Conter, de M. Avy; les Confidences, de M. Eiche- 
vcrry; le Doux Repos, de M. Cayron, sont des toiles pleines 
de mérite, mais ressemblent trop à des illustrations agran- 
dies. On appréciera aussi les Petites Filles de l'ile Markcn, 
d'un effet piquant de lumière et de costumes, par J. Bail. 
M. Devambez sait concentrer l'iniérct, construire un tableau 
d'une fas'on piquante par le jeu des lumières et des ombres. 
Il appuie trop; son comique est forcé, sa lumière rougeàtrc, 
ses personnages entassés. Son théâtre serait cependant une 
chose bien venue si les fonds étaient plus fuyants. Espagnols 
et Bretons sont de plus en plus à la mode. Ici nous avons 
l'Espagne de Sorolla, ruisselante de soleil, de soleil un peu 
trop vrai; celle de Berges; très piquante de motif et de cou- 
leurs, cette Mercedes bouffie et barbare, entrevue dans une 
maison de danses, à côté de la duègne sa grand'mèrc et de 
sa naïve petite sœur. Le Taureau de feu et le zigzag de ses 
fusées dans la nuit éclairée d'une fête, est une petite chose 
fort originale. Avec la marchande d'oranges de M. Zo, voici 
la Catalane d'Arreau de M. Dupuy. Passons en Bretagne. 
Les Bretonnes de M. Fauconnier assises M/-V-t',s- /w Vcprcsi 
sur la lande au-dessus de l'esiuaire, ont un charme de sim- 
plicité et de naturel. La Foj bretonne, de M. Bellemont, plait 
par l'expression concentrée des bonnes femmes qu'il age- 
nouille à la file dans une église, comme les donatrices des 
anciens tableaux. .l'aime surtout le Baptême breton, de 
d'Esiienne, riche de couleur, modelé avec une prudence 
attentive et d'un beau sentiment humain, et je préfère 
encore, du môme artiste, une œuvre très délicatement émue 
qu'il intitule : Après le bain. M. Bcsson a bien observé, 
bien délicatement peint les petites filles qui dansent (la Ca- 
pucine), et M. Fougerat, qui nous intéresse à l'entretien de 



deux amoureux, aurait dû laisser de côté le troisième per- 
sonnage, la mère, qui divise l'intérôi et coupe en deux le 
tableau. J'aime dans les Feuilles d'automne, de M. Ride!, la 
délicate harmonie qui relie la grâce pensive d'une jeune 
femme à la douceur attristée du jour. Que n'a-t-il supprimé 
aussi l'autre personnage si lourdement dessiné et peint? 
Je suis sûr qu'il y a des choses très délicates de couleur et 
de sentiment dans un petit tableau de M. Syna\e, Répétition 
cliCy MimiPinson. Pourquoi l'a-t-on juché si haut? Pourquoi 
aussi a-ton reculé des yeux une toile de Madame Tongue, 
un Moment heureux, et un Portrait en plein air. de L. Félix, 
deux (L'uvres distinguées que leur voisinage dans les airs ne 
console pas ? La Croisière de du Gardier est un tableau 
remarquable par la finesse des tons et la justesse des valeurs, 
un peu grand à mon avis et d'un effet moins mordant qu'i 
l'ordinaire. Je préfère ses eaux-fortes en couleurs, originales 
et piquantes. 

Le paysage français est ici plutôt traditionnel; à part 
quelques exceptions il s'inspire peu de l'impressionnisme. 
Cependant on trouve des colorations plus claires et la 
recherche des lumières diffuses est assez sensible, il con- 
vient d'abord de rendre hommage aux vieux maîtres qui se 
rattachent directement à l'école de i83o. Le Soleil couchant 
sur les bords de la rivière l'Ain est une œuvre magistrale- 
ment composée par Harpignics, une œuvre d'assiette solide 
et d'une belle ampleur. Les Prés communaux et le Sentier 
des Monts, de Pointelin, captivent par la beauté des plans 
horizontaux, évoquent le silence vaste des crépuscules. Le 
Novembre, de Louvrier de Lajolais, rappelle, par le nerf du 
dessin, certaines toiles de Théodore Rousseau. Le Soir 
d'Octobre et VAg^réable Matinée, de Morlot, ont gardé 
quelque chose de la grâce et de la poésie de Corot. Foreau, 
dont nous avons souvent loué la fine sensibilité visuelle, a 
trouvé, dans le Dac de Soubise, un motif des plus heureux, 
et toutes ses qualités se résument dans cette grande toile 
lumineuse et calme. 

Rarement aussi j'ai mieux goûté la force et la grâce de 
Gosselin qu'en cette Fin d'un jour d'automne, où les effets 
sont si bien distribués, les sonorités si justes, la poésie de la 



i6 



LES ARTS 



nature si présente. Son élève, Jacques Marie, a les mêmes 
qualités de finesse et d'ampleur. Le Vieux Moret et le Cal- 
vaire de Notre-Dame de flsle sont de très douces harmonies, 
et disent éloquemment le mystère charmant de l'heure qui 
plaisait tant à Cazin. Une Marine de Jacques Simon est 
tout à fait exquise et chantante. Le Linge, du même artiste, 
est bien juste aussi de plans et de lumière. Voici les peintres 




de la nuit : Cachoud et son Village endormi, sous le regard 
ami de la lune, près du groupe sombre des arbres; Hareux 
et son Lever de brouillard par une nuit d'été, très singulier, 
très vrai, très émouvant, et sa Fin du jour sur les quais de 
Grenoble, d'une impression grande et juste. La Hague, le 
Village d'Omonville, de Moteley, nous font sentir l'humi- 
dité salubredes brises marines; et dans la Chaumière isolée, 
de G. Lefebvre, on sent passer les frissons annon- 
ciateurs de l'hiver. 

En vérité, l'on ne rend pas assez justice à tous 
ces bons paysagistes qui, bon an, mal an, pro- 
duisent sans tapage tant d'œuvres distinguées, qui 
aiment sincèrement la nature, qui expriment avec 
délicatesse ses formes changeantes et ses aspects 
éternels. La place me manquerait s'il me fallait les 
étudier en détail. Je suis donc réduit à citer en bloc 
les nomsde Maillaud, Dulac, Dupont, Diéterle, Cos- 
son,Chigot, Charmaison, Rémond, Rameau, Marret, 
Cauvy, Paulin Bertrand, Bcauverie, Ruffe, Quost, 
Debon, Décanis, Marcel Bain, Bouché, Thiérot. 

Le paysage anglo-saxon est fort bien représenté 
aussi par Spenlove-Spenlove, Mosiyn, Hugues- 
Stanton, James Kay, Hill. Onconnait leur manière 
large, émouvante, parfois dramatique, d'interpréter 
la nature. 

A la sculpture, vous trouverez un chef-d'œuvre, 
le Vertumne et Pomone de Mademoiselle Claudel. 
Sentiment passionné, goût exquis, exécution serrée, 
large et forte oij l'on reconnaît, non le ciseau du 
praticien, mais la main de l'artiste, tout concourt à 
faire de ce groupe une chose admirable autant qu'é- 
mouvante. Que cela est chaste et passionné, puisé 
aux sources mêmes de la vie ! c'est de l'art le plus 
délicat, et l'on ne pense plus à l'art. 

M. Sicard a représenté avec goût, avec intelli- 
gence la George Sand des premiers jours, la Lélia 
rêveuse et romantique. Le Soir de M. Jacquot, une 
paysanne qui se recoiffe à la fin du jour, doit son 
charme à la beauté du geste, à l'inteHigente simpli- 
fication du modelé. Et de même la Consolation de 
P. David plaira par une douceur un peu continue. 
La grâce d'arrangement, le goùtdélicat ne manquent 
ni à la Nymphe de Levasseur, ni à la Bacchante de 
P. Charpentier; une auxve Bacchante, de Mac-Mon- 
niès, est bien vivante et bien bondissante ; un nu 
de l'Anglais Ayton, Morte était l'Espérance, est 
bien senti d'ensemble, modelé avec souplesse et 
largeur; un groupe de Blay y Fabréga, VEclosion, 
me plaît par la justesse du sentiment. C'est dans la 
petite sculpture que l'on trouverait encore le plus 
de vie, de jugement et de goût : la Musique et les 
Tritons de Gustave Michel, ÏEsclave de Loiseau- 
Rousseau, V Etude de Loysel, les Bavardes de 
Laporte-Blairsy, la Vendangeuse de Gauquié; les 
petits groupes d'animaux de Valton, de Gardet, de 
Harry Perrault, les spirituelles statuettes de Gou- 
veia, de Gréber et de Blondat, sont des œuvres 
fines, savantes ou fortes. 

MAURICE HAMEL. 



Cùpi/riiinl ivub by t. Huben-tiettry. 

T. ROBERT-FLEURY. - le lever de l'ouvrière 




nA»IÎ D'AIITRL POHTATIP. — ÂMAIL CIIAMPLEvi. — ART RniKAIf, XII» «IRCLI 



LA COLLECTION DE M. G. CHALANDON 



IL en est des 
collections 
comme des 
individus, cer- 
laines vous sont 
svmpathiques, 
d'autres antipa- 
thiques. D'ail- 
leurs, ne retlè- 
t e n t - e 11 e s pas 
souvent le carac- 
tère de ceux qui 
les ont formées ? 
n'y sent-on pas 
leur curiosité' 
d'crudits, sen- 
sibles à rintc'rèt 
arclic'ologique 
des choses; leur 
passion d'artistes 
qu'c'meuvent de 
belles formes ou 
de belles matiè- 
res ; ou simple- 
ment leur sno- 
bisme, tout de 
suite attiré par 
ce qui est à la 
mode, par ce qui 
fait les plus gros 
prix dans les 
ventes retentis- 
santes, par ce qui 
fe ra . l' e n c h è r e 
sensationnelle, 
dont parleront le 
1 e n d e m a i n les 
gazettes, et qui 
aura été l'objet 
d'un beau geste? 
M. Georges 
Chalandon ap- 
partient, n'en 
doutez pas, au 
premier groupe, 
dont on aurait 




1t 






f^ 



'^: ti 






II 








CADRK RBUQl'AIRi: EN Cl'IVRK DORK, — Mil' SIKCLI 

(CotUction ChataiiilùH) 



d'ailleurs très 
vite fait le tour. 
Et c'est plaisir 
de causer avec 
lui de ces choses, 
car on se sent 
out de suite 
intéressé par les 
mêmes ques- 
tions, aussi bien 
d'ordre artis- 
tique que d'ordre 
historique. Il 
n'est pas un des 
objets qui sont 
entrés chez lui, 
auquel il ait 
demandé une 
jouissance d'art 
sans longuement 
l'inierroger et le 
presser de lui 
livrer tous ses 
secrets. 

Mais avec un 
esprit ainsi fait, 
on ne constitue 
plus de collec- 
tions nombreu- 
ses, parce que 
l'objet nécessaire 
devient de plus 
en plus rare. 
Commencée par 
M. Chalandon 
père, un Lyon- 
nais qui fut de la 
génération de 
Carrand, la col- 
lection s'enrichit 
d'objets du 
moyen âge tout 
à fait impor- 
tants, dans les 
grandes ventes 
des vingt der- 



i8 



LES ARTS 



nières années, que M. Georges Chalandon suivit de sang- 
froid, et où il manqua rarement la pièce jque lui conseillait 
son instinct très sûr et son goût délicat. Telle qu'elle se 
présente aujourd'hui, elle est parfaite, et si pas un objet n'y est 
indifférent, quelques-uns sont même d'un intérêt considérable. 



Il nous faut, ainsi que nous l'avons tou- 
jours fait, parler tout d'abord de la peinture, 
que nous trouverons ici limitée à deux 
écoles et à deux époques, le quattrocento 
italien et la période primitive flamande du 
xv= siècle. 

Dans l'impossibilité de nous étendre, 
nous avons dû nous borner à ne parler que 
des pièces principales ; mais que de mor- 
ceaux savoureux ou délicats nous avons dû 
passer sous silence, qui feraient encore la 
joie d'amateurs moins fortunés ! 

Le Memling de la collection Chalandon 



de saint Jean dans une niche, au-dessus d'une armoirie de 
la famille des Gondi, un écusson chargé de deux masses en 
sautoir liées par une chaîne, surmonté d'un casque dont le 
cimier se fleurit de grands panaches en rinceaux. Ce qui 
indique bien à l'œuvre un état de possession italien; la 
famille des Gondi, d'origine florentine, 
ayant sans doute commandé l'œuvre en 
Flandre, par un de ces intermédiaires si 
nombreux alors à Bruges, qui entretenaient 
avec Florence des relations suivies. Le tri- 
ptyque d'Hugo Van der Gocs, aux Uffizi, en 
est la preuve la plus notable. Le panneau 
de revers s'étant fendu, a occasionné dans 
la figure un léger accident à l'œil droit. 

Ce panneau de sainte Catherine, tout à 
fait charmant et tout pénétré du sentiment 
angêlique de Memling, a appartenu jadis à 
M. Brun Dalbanne, conservateur du musée 
de Troyes. C'est à la vente Odiot que 
l'acquit, en i88g, M. Chalandon. 



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(p. 2 5) est célèbre; je ne crois pas qu'en 
dehors des collections Rodolphe Kann ou 
Goldschmidt, on rencontre actuellement à 
Paris d'autre œuvre du divin maître. C'est le 
volet d'un triptyque dont les deux autres par- 
ties sont à retrouver, si les hasards des temps 
ne les ont pas fait disparaître à jamais. On y 
voit représentée une figure debout de sainte 
Catherine, dont la roue gît brisée à ses 
pieds. Elle est appuyée de la main droite 
sur un glaive, et tient de la main gauche un 
sceptre. Sa tête, au masque large, au grand 
front bombé (type caractéristique du maître), 
porte une couronne constellée de perles 
qui repose sur des cheveux d'un blond très 
fin tombant en nappes bouclées sur ses 
épaules. Elle est vêtue d'une robe de velours 
rouge, fourrée d'hermine, et retient, prêt à 
glisser de ses hanches, un grand manteau de 
brocart génois ou vénitien décoré de grandes 
fleurs à l'orientale. Derrière elle s'aperçoit 
un charmant paysage de rivière et de côtes 
accidentées semées d'églises et de châteaux, 
tels que les Flamands aimaient à les donner 
comme fonds à leurs figures. — Le revers 
de ce volet est peint en grisaille d'une figure 



« i 



CROIX KX K.MAUX r.n.\MPLEvi':s 
Limoges. — xin« siècle 
{Collection Chalandon) 



.-.■'.: c 



L'École flamande est encore représentée, 
par un excellent petit tableau représentant la 
Vierge tenant dans ses bras l'Enfant Jésus, 
dont la bouche cherche la sienne (p. 24). 
Il y a, dans ce baiser que la Vierge semble 
donner avec une si profonde expression de 
tristesse, quelque chose de dramatique, 
comme une vision rapide de sa destinée. La 
qualité de ce morceau de peinture, où le 
modelé accompli des figures se complète par 
la beauté de ton du superbe manteau rouge, 
la précision avec laquelle sont représentés 
les fleurs et les fruits parsemés sur cette 
table devant la Vierge, font de cette œuvre 
quelque chose de parfait en son genre. 

Il y a lieu de la rapprocher d'une œuvre 
qui lui est étroitement parente, que les Arts 
ont donnée dans la livraison du mois de 
juillet dernier (n° 3i, p. 6), dans la collec- 
tion Carrand, au Bargello de Florence, et que 
M. Gerspach a attribuée à Hugo Van der 
Goes. J'y verrais plus volontiers, dans un cas 
comme dans l'autre, une œuvre de Thierry 
Bouts, attribution que rendent plus vrai- 
semblable la nuance de l'expression, de 
même qu'une certaine àpreté d'exécution. 



20 



LES ARTS 



L'art italien triomphe ici avec une suite de six panneaux 
delà plus grande importance, représentant des scènes 
de la vie de saint François (p. 26, 27), dont la délica- 
tesse et la grâce naïve, de même que la couleur suave 
des ors assourdis s'accordant si bien avec les roses 
tins, sont un pur enchantement pour les yeux. Une 
comparaison attentive a permis de rapprocher de ces 
six panneaux deux autres qui en ont été 
séparés etappartienncnt actuellement, l'un au 
musée Condé, à Chantilly, l'autre à M. le 
comte de Martel, au château de Beaumont, 
près de Blois. Dans le Manuel de la Peinture 
italienne, de M. Lafenestre, se trouve 
reproduit seulement, sans d'ailleurs être 
commenté, le panneau du musée, de Chantilly, le 
Mariage mystique de saint P'rançois et de la Pau- 
vreté, attribué par lui à un artiste siennois du début 
du xv= siècle, Sano di Pietro. Depuis lors, M. Bercn- 
son, dans une longue élude 
parue dans le Burlington 
Magasine de septembre, 
octobre et novembre 1903, 
s'est occupé de l'ensemble 
total de cette œuvre admi- 
rable, où il a cru retrouver 
toute l'expression sentimentale 

et dramatique, et la délicatesse d'un autre artiste 
siennois, Stefano di Giovanni, dit le Sassetta, qui 
mourut en 1450. 

Quoi qu'il en soit, il n'est pas contestable que 
nous avons là un ensemble de peintures sicnnoises 
du plus grand intérêt, toutes pénétrées du sentiment 




gothique dont l'École siennoise, à l'aube du quattrocento, 
était out imprégnée. Nous n'avons pu reproduire de 
cette suite que deux des panneaux les plus intéres- 
sants. L'un nous raconte les débuts de la vocation 
de saint François quand, aux portes d'Assise, il 
donne son manteau à un passant, alors qu'un second 
épisode se passe dans un coin de la composition : 
l'ange venant presser saint François, 
endormi, de prendre l'étendard de la Foi. 
L'autre panneau nous représente le pape 
Honorius, au milieu de ses cardinaux, 
sanctionnant la fondation de l'ordre dont 
saint François, suivi de ses frères, lui apporte 
les statuts. 
Les sujets des autres panneaux, qui, tous réunis à 
l'Exposition rétrospective organisée à Sienne au 
cours de l'été 1904, y avaient fait la plus grande 
impression, sont les suivants : 

Saint F'rançois renonçant 
à son héritage et accompagné 
de deux frères en religion, 
venant naïvement, après s'être 
dépouillé de ses vêtements, 
se réfugier nu dans les plis 
du manteau du Pape. 

Saint F'rançois devant le 
Sultan, qui, comme plusieurs autres sujets de la 
légende, fut également traité par Giotto à Assise et 
à Santa Croce de Florence. 

Saint François recevant les stigmates, agenouillé 
et les mains levées vers l'ange qui descend du ciel. 

El, enfin, la Mort de saint François, étendu 
dans son tombeau, entouré de ses frères en larmes, 
scène que Giotio avait traitée ailleurs avec un sen- 
timent si simple et si poignant. 

Le panneau qui se trouve en la possession de 
M. le comte de Martel, au château de Beaumont, 
représente l'épisode de saint François d'Assise et du 
loup de Gubbio. 

L'art ombrien a produit ce panneau cintré où le 
Christ, ponant au flanc la blessure sanglante, est 
soutenu par deux anges dont le visage rond, les yeux 




RELIQUAIRE DÉCORÉ d'ÉmAUX CHAMPLEVIÎS 

Art nioi^an. — Fin du xil- siùclo 



CROIX EX liUAUX CMAMI'LEVKS 

LimogL'S. — Via du xin» siéclo 
I Collection Chalandon) 



COLOMBE EUCHARISTIQUE 

Limoges. — XIV» siècle 



LA COLLECTION DE M. G. CHALANDON 



21 



largemo'nt fendus, cl les blonds cheveux touHus cl l'risds 
auréolant la figure, rappellent certainement le grand tableau 
d'autel, de la Madone et des Saints, que Giovanni Boccati 



da Camerino peignit en 1445 pour une confrérie fmuséc de 
Pérouse). ' 

Enfin, l'art florentin revendiquerait certainement comme 




PLAQtlK D*illAtl. PKtNT, PAR MOIfTAKM!»! 

Limoges. — xv» siècle 
fVolUi'tion Chirionitnmt 



sien ce fragment de fresque rentoilée où une jeune tille apparaît 
debout sur un chien qui lève vers elle de bons yeux fidèles 
(p. 28). Ce morceau, d'un charme très prenant, qui fit jadis 



partie d'une grande décoration, d'un art d'ailleurs assez cou- 
rant, où se trouvaient représentées toutes les Venus, appariini 
à la collection Leclanché.où M. Chalandon l'acquit en 1894. 



22 



LES ARTS 



J'ai dû faire trop 
rapidement le tour de 
la petite galerie de 
peinture de M . Cha- 
landon, exclusivement 
composée d'œuvres 
anciennes. Que de 
raisons nous aurions 
eues de nous y arrêter 
plus longuement, et ne 
nous contentant pas 
des tableaux qui se 
trouvent à Paris, 



■ 


9b 




ni 






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— «^ -^ 1 



d'interroger les toiles 
demeurées en pro- 
vince, achetées par 
M. Chalandon père au 
milieu du siècle, et 
qui forment un consi- 
dérable ensemble que 
la patience la plus 
obstinée ne parvien- 
drait plus à former. 



La collection d'ob- 



PLAQUE n'ivoine'. — FinuRRs d'orantbb 
Art copte. — v'-vi" sicclc. — (Cnllerlion Chalandon) 




PLAQUE D IVOIRE. — NATIVITE 

Alt bjzantiu. — vi"-vii« siècle. — (Collection Chalandon) 



jets d'art de M. Chalandon 
est connue en partie, par 
quelques-uns de ses monu- 
ments les plus considérables, 
grâce à deux [expositions 
rétrospectives qui les ont mis 
en lumière, une première 
fois à Lyon en 1887, la 
seconde fois au Petit Palais 
en 1900. Elle est de tout pre- 
mier ordre, et il est tel de 
ses oi?jeis, d'une rareté telle- 
ment insigne, qu'il n'est pas 
un ouvrage d'archéologie qui 
ne doive le citer et l'inter- 
roger. 

Le monument le plus 
fameux, que nous nous 
sommes dispensés de repro- 
duire ici, parce qu'il fut déjà 
fréquemment publié, est ce 




bel ange d'ivoire qu'on crut 
pouvoir rapprocher, à l'Ex- 
position rétrospective de 
1900, de l'admirable Vierge 
de la collection Paul Garnier, 
avec laquelle il composait 
une Annonciation, et qui, 
pour la noblesse du geste, 
la dignité de l'attitude et la 
grande allure du drapé, 
ne le cède en rien aux plus 
belles sculptures de notre 
statuaire monumentale du 
xiii= siècle (i). 

Les deux séries qui ont 
particulièrement intéressé 
M. Chalandon, et dont il 
a poursuivi la suite avec 



(l) Voir l'Exposition rétrospective de 
igoo au Petit Palais, par G. MlGEoN. — 
Manzi, Jovant et C'«, Editeurs. 



PVXIDE EN IVOIRE 

Art latin ou copte. — v«-vie siècle 
(Collection Chalandon) 



LA COLLECTION DE M. G. CHALANDON 



23 



obstination, sont les ivoires et l'orfèvrerie religieuse. 

Les deux pièces les plus anciennes de la sdrie des ivoires 
sont une pyxide et une petite plaque de coffret que je 
rapproche à dessein (p. 22). 

La pyxide, qui n'existe qu'à l'état fragmentaire, fendue 
par la moiiid, représentait une série de sujets successifs 
dont deux sont ici visibles : une Annonciation, avec cette 
particularité que la Vierge reçoit la nouvelle de l'ange 
assise sur un escabeau et tenant de la main gauche une 
quenouille qu'elle était occupée à filer, représentation très 
rare de ce thème iconographique, et une Entrée à Jérusalem 
avec les porteurs de palmes. 

La plaque de coffret représente, dans des médaillons 
séparés par un entrelacs, deux figures d'orantes, les bras 
étendus et les mains ouvertes les paumes en dehors, coiffées 
d'un bonnet à la grecque. D'un côté se lit S. Marga (reta), 
de l'autre S... ANA? 

La classification généralement adoptée autoriserait à 
rattacher à l'art latin du v« ou vi"= siècle la pyxide, et à 
l'art byzantin primitif de la même époque la plaque de 
coffret. Mais les recherches si intéressantes, poursuivies 
depuis plusieurs années par M. Strygowski, professeur à 
l'université de Gratz (Siyrie), tendent à ramener à un 
centre commun les ivoires de ces époques, à en unifier 





LB cnnisT rr i.ks apotiib» 
Ivoiro alleiuand. — x' sirrio 
(CoUtctinn Chatandon) 



D*PO»mO!« D« CROIX 

Ivoire bTitanlin. — x*-ti« «ièele 
iC.'Uertioa ClutUtmtUml 

l'origine et à les rattacher aux ateliers coptes, si florissants, de 
l'Egypte alexandrine. Dans tous les cas, il y a lieu de constater 
sur ces deux monuments deux influences bien distinctes : l'in- 
fluence de l'art romain arrivé au dernier terme de sa décadence 
dans la pyxide, et l'influence de l'art byzantin, qui bégaie encore 
et qui n'a pas trouvé ses formules définitives, dans le fragment de 
coffret. Cette constatation n'est pas, d'ailleurs, faite pour m'éloi- 
gner de l'avis de M. Strygowski, ayant été amené moi-même. 
quand je me suis occupé de l'Histoire du Tissu décoré, à 
dégager ces deux influences directes et manifestes dans les tissus 
coptes de la Basse-Egypte. 

Deux ivoires d'art byzantin, d'âges très différents, nous per- 
mettent de constater le chemin parcouru dans un inien-alle de 
quatre ou cinq siècles. Une grande plaque, qui fil jadis partie 
d'un coffret, nous offre une représentation intéressante de la 
Nativité : la Vierge est étendue et endormie sur une sorte de lit 
ou plutôt de siège très incliné, saint Joseph, assis sur un escabeau, 
veille à son chevet; à ses pieds est assise une femme qui som- 
meille, le menton dans sa main, et qui doit être une sage-femme, 
représentation très rare dans les Nativités de cette époque et que, 
dans une étude si intéressante, parue dans la Ga\ette des Beaux- 



24 



LES ARTS 



Arts il y a quelques mois, M. Emile Mâle constatait dans 
riconogiaphie de nos xiV et xv= siècles français. D'autres 
détails intéressants sont à noter dans la plaque d'ivoire qui 
nous occupe : l'Enfant Jésus est endormi, non pas sur les 
genoux de sa Mère, ni dans un berceau auprès d'elle, mais 
au-dessus d'un four à cuire le pain, à l'oritice duquel appa- 
raissent deux colombes, et le bœuf, en levant le museau, 
vient lécher la tète de l'Enfant. Enfin, derrière saint Joseph 





THIERRY BOUTS (atlribiic n|. — madone, xv siècle 
(Collection Chalandoiif 

s'éiagent des édicules hexagonaux et circulaires à coupoles, 
très caractéristiques, de l'architecture byzantine. En dehors 
de ces détails, d'une naïveté et d'un sentiment très touchants, 
l'art de cet ivoire est grossier, les personnages sont mal 
bâtis, la composition mal agencée ; mais tout y est significatif 
de l'art byzantin encore tout pénétré des formules romaines, 
et n'ayant pu prendre encore son libre essor. Nous sommes 
certainement alors à une époque antérieure au viii'' siècle, 
date à laquelle la querelle des Iconoclastes imprima à l'art 
bvzantin des directions nouvelles. 

Avec la belle plaque provenant de la collection Spitzer, 
représentant la Descente de Croix sous un édicule finement 
ajouré (p. 23), que nous voici loin des maladresses et de la 
lourdeur de la plaque précédente! Ici, tout s'ennoblit, s'élève 
en beauté plastique comme en beauté expressive. Le saint 
Joseph d'Arimathie se dresse pour recevoir le corps du 
Christ dans un mouvement d'élan et d'amour, pendant que 



SAINT jiîAN, — ivoinK. — France, xiv« siècle 
(Collection Chalandon) 



LA COLLECTION DE M. G. CHALANDON 



25 



la Vierge, drapde dans ses longs vêtements et la main recou- 
verte de son voile, tient pressée la main pendante du Sau- 
veur. Avec quelle justesse de mouvement et quelle précision 
de modelé ce jeune homme à demi courbé, le marteau levé, 
cherche à arracher les clous qui ont percé les pieds du 
Christ! Comme la science du drapé, devenue véritablement 
sculpturale, faisant décrire aux plis des vêtements des mou- 
vements souples et harmonieux, nous amène très près de ce 
qui va faire la gloire de nos ouvriers gothiques! Nous 
sommes là, à n'en pas douter, à la belle époque de l'art 
byzantin arrivée la pleine maturité de ses moyens d'expres- 
sion, le x'^ ouïe XI' siècle. 

Une plaque 
représentant le 
Christ debout, 
tenant un livre 
de la main 
gauche et 
bénissant de 
la main droite, 
entouré des 
figures en bus- 
tes des douze 
apôtres, exé- 
cutés en très 
fort relief et 
détachant 
leurs têtes 
presque en 
ronde bossedu 
fond de la pla- 
que p. 23), me 
semble pou- 
voir être uiile- 
m e n i rap- 
prochée d'un 
ivoire à date 
certaine, qui 
nous four- 
nira en même 
temps une 
communauté 
d'origine. C'est 
la belle plaque 
conservée dans 
la collection 
du marquis 
Tri vulzio, à 
Milan, où sont 
représentés le 
roi Othon et 
sa famille 
aux pieds du 
Christ, où se 
retrouvent 
exactement ces 
profils durs et 
brutaux, ces 
barbes en 
pointe, ces 
cheveux cou- 

MEMLINti. — SAINTE r.ATIIERIN£ 

(CoUeclinn Chalandon) 




pés en rond autour des têtes et formant comme une sorte de 
calotte, tous caractères très frappants dans ces figures des 
apôtres de la plaque de la collection Chalandon. Nous 
pouvons donc, sans hésitation, l'attribuer à l'art allemand, 
à l'époque des Othon, c'est-à-dire au x' siècle. 

Il nous reste enfin à citer un dernier ivoire, bien français, 
de notre xiv° siècle. C'est une délicieuse figure de saint Jean, 
debout et souriante, dont le bras droit retient le manteau 
relevé et décrivant ainsi la plus harmonieuse des courbes. 
Les cheveux sont légèrement enroulés autour de la tête et 
sur le front, et la figure est appuyée sur la main gauche 
levée (p. 24J. Cette statuette, si élégante et si fine, se trouvait 
anciennement 
dans la coUec- 
tiondeM. Des- 
mottes, avec 
une figure de 
Vierge qui a 
étéacquisepar 
Mademoiselle 
Marg u eri t e 
Hache. 



La série de 
monumen ts 
d'orfèvrerie 
religieuse et 
d'émailleriede 
M. Chalandon 
ne le cède nul- 
I e m c n t en 
intérêt aux 
ivoires que 
nous venons 
d'analyser. 

Nous y 
trouverons, 
éminemment 
représentées, 
les deux gran- 
des écoles 
d'émaillerie 
quiont illustré 
le moyen âge, 
l'École rhé- 
nane et l'École 
limousine. 

D'un grand 
autel portatif, 
dontellesdéco- 
raient la base, 
proviennent 
certainement 
ces six plaques 
cintrées repré- 
sentant des 
prophètes 
assis sur des 
sièges bas, les 
pieds posés 




oRisMiLC — mm* oc tolct DCSAiTrcc^Tmann 



i6 



LES ARTS 



sur un tabouret, Moïse seul tenant les tables de la Loi, les 
cinq autres tenant, déroulés devant eux, des phylactères por- 




tant leurs noms (p. 17]. Les types rudes et sauvages, les barbes 
hirsutes, les grands yeux dilatés, tout cela, ainsi que la tonalité 

des émaux, ne permet pas de 
chercher d'autre origine que les 
bords du Rhin, dans la région 
colonaise. 

De même origine et du 
xii<^ siècle également, sont deux 
petites plaques d'autels portatifs 
d'une extrême rareté, et dont 
l'une offre un dessin d'un carac- 
tère admirable (p. 19). Le sujet qui 
s'y trouve représenté est celui du 
Serpent d'airain, dont la forme 
symbolique se lord sur une 
colonne au centre de la compo- 
sition. D'un côté se tient Moïse 
debout, déroulant un phylactère 
sur lequel se lit : Moïses miste- 
riiim crticis serpens ; de l'autre 
côté, deux personnages, vêius 
de costumes verts rehaussés de 
jaune, dont les beaux émaux, 
puissants de ton, se détachent 
sur le fond réservé. Leur attitude 
et leurs mouvements, tout à fait 
exempts de raideur, sont d'un 
art distingué arrivé à ses moyens 
absolus d'expression. 

L'autre plaque représente le 
Sacrifice d'Abraham, dont l'ange 
vient arrêter le bras au moment 
où il s'apprêtait à frapper le jeune 
Isaac. Cette plaque, qui faisait 
partie de la collection Spiizer, 
est un parfait spécimen de 
l'émaillerie rhénane à l'époque 
romane. 

Un très beau et très rare 
monument d'émaillerie champ- 
levée est ce reliquaire polylobé 
dans lequel quatre anges, repré- 
sentant les Venus théologales, 
alternant avec des lobes de 
pierres cabochons enchâssés, 
encadrent un grand médaillon 
ovale où la Vierge assise, cou- 
ronnée et portant le sceptre, tient 
sur son bras gauche l'Enfant por- 
tant en ses mains le Globe (p. 19). 
Le caractère des figures, et sur- 
tout la coloration des émaux, 
apparentent ce très beau reli- 
quaire aux monuments très 
connus qui virent le jour dans 
la vallée de la Meuse et régions 
voisines, où de grandes abbayes, 
telles que celles de Stavelot, 
entretinrent des ateliers dont 
l'activité fut extrêmement grande 
à la fin du xii= et du xni« siècle. 



SASSETTA (attribué au). — lkcende de saint François d'assise 

Art sîennoîs. — l'« moitié du xve siècle 

(Collection Chalandon) 



LA COLLECTION DE M. G. CHALANDON 



27 



M. von Falke, dans le beau 
livre qu'il a consacre l'an der- 
nier à l'Histoire de l'émaillerie 
rhénane, a clairement délimité 
le champ d'action de cesdivers 
ateliers, et la part considérable 
qu'avaient prise au développe- 
ment de cet art les ateliers de 
la Meuse. Ce reliquaire, qui 
est une pièce capitale et fit 
jadis partie de la collection de 
la comtesse de Robiano, fut 
acquis par M. Chalandon à la 
vente Ducatel. 

L'objet d'orfèvrerie de la 
rareté la plus exceptionnelle 
de la collection (on pourrait 
dire unique) est un cadre reli- 
quaire en cuivre doré du 
X 1 1 1 ■= siècle, d'un intérêt 
archéologique incontestable. 
Il fut publié déjà par Giraud 
(Album de l'Exposition rétro- 
spective de Lyon, 18--, 
pi. XIV), et par le comte Riant 
(Mémoires de la Société des 
Antiquaires de France, 
tome XL). C'est un cadre de 
42 centimètres sur 3o, pré- 
sentant au centre une croix 
creuse à. double traverse, ornée 
de filigranes et de pierres, des- 
tinéeà contenir un fragment de 
la vraie croix (p. 17). Tout 
autour sont disposés, six à six 
sur cinq rangs, trente loculi 
à reliques encadrés de losanges 
à inscriptions gravées en creux, 
destinés tous à des reliques 
d'Orient : vêtements, cheveux 
de la Vierge, bois de lance du 
Christ, reliques des saints. Au 
bord rectangulaire du cadre 
court une longue inscription 
(dont la lecture a été donnée 
par M . Riant dans son 
Mémoire), sorte de récit anec- 
doiique dans le goût des mora- 
listes de l'époque goihiqii_\ 
racontant l'ijdvssée d'un préire 
ayant volé un morceau de la 
vraie croix, le rapportant en 
Europe, étant atteint de la 
peste à bord du voilier, vovant 
en apparition la N'icrge lui 
promenant guérison s'il res- 
titue son larcin, mourant après 
en avoir seulement versé le 
prix aux Templiers ; son corps 
est jeté à la mer, et ses compa- 
gnons rapportent à Brindes, 




SASSBTTA (attribué au). — LKatKDK DK sxixt Fnjk.tçois d'assis! 

Arl sionnois. — l™ moitié ilii xv» sirde 

(CotUcliom Chataniloml 



28 



LES ARTS 



où ils débarquent, la vraie croix, trouvée auprès de lui. 

Il s'agit sans doute ici d'une relique rapportée à la suite 
de la 4= croisade (l'inscription in fine donne la date de février 
12 14) et montée dans un reliquaire en Italie (Brindes est 
indiquée dans l'inscription) ou en Allemagne (où il demeura, 
à la cathédrale de Cologne, jusqu'à son entrée chez M. Cha- 
landon). 

Les travaux de nos ateliers limousins, qui rivalisèrent 
quand ils ne les dépassèrent pas avec ceux d'outre-Rhin, aux 
xiii'etxiv= siècles, ne sont pas moins bien représentés que ces 
derniers dans la collection Chalandon. La grande croix du 
xiii= siècle, où le 
Christ est repré- 
senté en réserve 
gravée, la tète 
seule étant en 
relief, rapportée 
sur un fond 
d'émail des deux 
bleus, bleu foncé 
et bleu turquoise, 
est une pièce mer- 
veilleuse par la 
puissance et la 
grandeur (p. 18). 
Je ne crois pas 
qu'il soit possible 
de trou ver plus 
beau comme réus- 
site d'émail. 

Peut-être un 
peu moins an- 
cienne est une 
plus petite croix à 
doubles bras, dont 
le revers surtout 
est tout à fait 
excellent, le Christ 
bénissant étant 
représenté dans 
le médaillon supé- 
rieur et l'Agneau 
portant la croix 
dans le médaillon 
central (p. 20). La 
tige et les deux 
bras étant occupés 
par de petits mé- 
daillons avec des 
bustes danges ai- 
lés gravés en ré- 
serve, les têtes 
rapportées. 

Une grande 
plaque de l'an- 
cienne collection 
ToUin, provenant 
d'une châsse, 
d'une grande 
beauté de cou- 
leur, nous offre 




UNE VEBTU TIIliOLOOALE 

Art iloreDtin. — Milieu du xv" siècle 
(Collection Chalandon) 



une disposition assez curieuse, la composition étant divisée 
en deux compositions indépendantes : à gauche, la Cruci- 
fixion, entre la 'Vierge et saint Jean ; à droite, le sujet si 
fréquent dans les émaux de Limoges, le martyre de Tho- 
mas Becket, sa décollation devant l'autel, les personnages 
étant réservés et gravés sur un fond d'un admirable bleu 
foncé semé de petits disques jaunes. 

Parmi les beaux objets sortis des ateliers de Limoges, 
la collection Chalandon peut encore montrer deux très 
beaux gémellions, bassins à recevoir l'eau versée des 
aiguières, où les sujets se détachent en réserve sur de 

beaux fonds émail- 
lés, et toute une 
très curieuse col- 
lection de mors 
de chapes du 
xiv siècle, sur 
lesquels se voient 
l'Annonciation, 
la Crucifixion, la 
Vierge, la Vierge 
et deux anges por- 
tant des cierges, 
la Vierge accostée 
de deux évéques, 
et trois figures 
d'apôtres en relief 
sur un fond 
émaiUé. Puis 
une très belle 
crosse, dont le 
crosseron enve- 
loppe dans sa 
volute une très 
intéressante repré- 
sentât! on de la 
lapidation desaint 
Éiienne, sujet très 
rare dans les 
crosses émaillées, 
dont les sujets 
sontgénéralement 
peu variés. 

Enfin la char- 
mante colombe 
émaillée, sur son 
plateau de cuivre 
doré, destinée à la 
réserve eucharis- 
tique, est un objet 
qui est devenu 
d'une extrême ra- 
reté (p. 20). Nous 
avons publié celle 
de la collection 
Martin Le Roy, 
qui était destinée 
à être suspendue, 
et nous pouvons 
citer deux pièces 
analogues conser- 



LA COLLECTION DE M. G. CHALANDON 



29 



vées dans la collection Chandon de Briailles et dans une 
collection anglaise, celle de M. Taylor, qui voulut bien 
la prêter à l'Exposition re'trospective de igoo. Une seule de 
ces colombes eucharistiques a conservé sa primitive desti- 
nation, suspendue toujours à son ancienne place, au-dessus 
de l'autel de la petite église de Laguennc, dans la Corrèze. 



Nous nous sommes contenté de choisir, dans une vitrine 
composée de remarquables spécimens d'émaux peints 
limousins, la pièce la plus curieuse qui, par la rudesse 
de son accent, son caractère barbare et la tonalité 



sourde de ses colorations, laisse un souvenir durable. C'est 
une plaque de cet artiste mystérieux qui signait Monvaerni 
des émaux dont les sujets étaient généralement inspirés par 
des estampes allemandes p, 21). 

Son identité relative car on ignore tout de sa personne 
et de sa vie) a pu être établie par la lecture de la signature 
Monvaer sur un émail de la collection Dzialinska. et de la 
signature Monvaerni sur un très important triptyque, qui 
Ht partie de la célèbre collection d'Ernest Odiot avant de 
passer dans celle de M. Cotiereau. Il est, d'ailleurs, 
permis de se demander si nous avons là une signature 
^ bien correcte. Néanmf)ins, ces deux objets ont servi de 



^:-j 




I,K l'.tIRIHT S<h:TK.\L* par I.Kft ANOKS 

Art omltricn. — Milieu du xv* sit*cle 
(Collection Chalandan) 



centres à un groupement de tous les émaux analogues, qui 
forment ainsi un groupe bien détini, sur lequel on est bien 
d'accord aujourd'hui. 

Ce n'est pas que ces œuvres soient très habiles, ni d'un 
beau style. Les ateliers limousins auront, un demi-siècle 
plus tard, de plus belles réussites avec les familles des Péni- 
caud et des Limosin. Mais si, malgré leur dessin maladroit 
et rude et la pénible application de leur facture, ces émaux 
sont si fort recherchés de nos jours et sont les objets de 
si folles enchères, cela s'explique par l'intérêt archéologique 
qui s'attache à eux et l'étape qu'ils marquent dans l'histoire 
de l'émaillerie peinte dans notre pays. 

La plaque qui nous occupe est une Mise au tombeau où 



tous les personnages, dune iconographie courante, réunis 
autour du Christ, présentent, dans leurs vêtements, ces har- 
monies un peu tristes de bleus palis et de violets mauves, 
et ces bordures de perles d'émail en relief, si caractéristiques 
de la manière de l'artiste. 



La collection de M. Georges Chalandonest une des der- 
nières collections de Paris auxquelles doit être épargnée la 
frivolité des banales visites: elle garde la dignité d'un beau 
sanctuaire d'étude. 

GASTON MIGEON. 




ipiSODI MILITAIRE, PAR NICOLO 

Dessin. — Musée du Louvre 



Les Origines de la Peinture française 



{>i 



i 




1 



IV' PARTIE. SUITE DE L ECOLE DE FONTAINEBLEAU Jl'SQU A 

LA MORT DE NICOLO 

L faut maintenant définir recelé de Fon- 
tainebleau. C'est un mot dont tout le 
monde se sert, et dont le sens n'a pour- 
tant pas reçu pour le public tout l'éclair- 
cissement qu'il faudrait. 

On la fait commencer dès le début de 
l'entreprise, avec le Rosso et le Primatice. 
Quelques auteurs y joignent Cellini, sans songer que des 
artistes d'origine si diverse et qui venaient en France tout 
formés, ne peuvent être réputés partie d'une même école, 
si l'on entend sous ce nom une ressemblance de style. De 
fait, la différence entre ces maîtres est très grande. Ecole si 
l'on veut, à condition de ne signifier rien de plus qu'un 
atelier où se mêlaient leurs travaux. De ce mélange devait 
naître, il est vrai, un style dont les traits uniformes justifient 
l'usage du nom d'école ; mais ce ne fut que plus tard, et par 
l'effet d'une seconde génération, en qui se confondirent les 
divers enseignements des maîtres. C'étaient principalement 
le Primatice et le Rosso ; pourtant il n'y faut pas omettre 
l'influence de l'école romaine, transmise par Lucas Penni, 
et surtout par cette grande quantité de tapisseries de Jules 
Romain, que François I" commandait. 

(l) Voir les Arts, n" Sy, p. 17, 39, p. 19 et 40, p. 18. 



L'école de Fontainebleau, entendue dans ce sens, ne com- 
mence qu'avec Henri II (monté sur le trône en 1547). L'ac- 
tion du Primatice, toujours vivant, et dont l'cEuvrene cessait 
de s'augmenter, y domine naturellement dans la peinture. 

Il poursuivait alors dans Fontainebleau l'immense tra- 
vail de la galerie d'Ulysse, et bientôt mit la première main 
à cette célèbre salle de Bal de Henri II, nommée mainte- 
nant galerie, on ne sait pourquoi, que tous les visiteurs du 
palais connaissent pour le plus important morceau de cette 
époque. 

En elle s'achevait magnifiquement la distribution de 
la demeure royale, et se couronnait la carrière du maître. 
Quoiqu'on ait pu reprocher à cette décoration une surabon- 
dance de figures et l'indigence extrême d'ornements de relief, 
il faut avouer que ce reproche ne touche pas les tableaux 
mêmes. Il est vrai seulement que ces tableaux, repeints en 
grande partie sur d'informes estampes, ne méritent plus 
aujourd'hui qu'on en parle. Tout le prix de cet ouvrage se 
renferme dans les dessins originaux, conservés en partie dans 
les collections. Neuf grandes compositions peintes au long 
des murailles, et cinquante-quatre petites dans les embrasures 
des fenêtres et aux côtés de la cheminée, y forment un, en- 
semble à quelque égard unique. L'étendue des surfaces 
peintes en fait un des premiers monuments de ce genre. 
Rien de pareil ne s'était vu et ne devait se voir de longtemps 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



3i 



en France. Ce qu'on exécuta sous le règne de Louis XIV ne 
l'a qu'à peine dépassé. Voici le sujet des grandes composi- 
tions : un P'estin de Bacchus et d'Ariane, Apollon sur le 
Parnasse, une Danse de Déesses, la Discorde aux Noces de 
Théiis et de Pelée, Pliilémon et Raucis, Phaéton suppliant 
le Soleil, Vulcain forgeant les traits de l'Amour, Cérès et la 
Moisson, enfin un Concert au-dessus de la tribune des musi- 
ciens. Les petits sujets offraient une variété de divinités de 
l'Olympe, de nymphes de fontaine, de héros et de figures 
allégoriques ingénieusement inventées, et dessinées d'après 
nature avec un art et dans un goût parfait. 



Tels sont les ouvrages d'importance que le nouveau règne 
vit éclore de l'invention toujours féconde du maître. Cette 
importance ne doit pas dissimuler une légère éclipse de la 
peinture dans les commandes royales d'alors. La cause en 
fut au moindre goût que le nouveau roi eut pour Fontaine- 
bleau. Quoiqu'il n'eût pas entièrement abandonné ce châ- 
teau, Henri II ne laissait pas de porter ailleurs ses préfé- 
rences, chez Diane de Poitiers, à Anet, que cette maîtresse 
royale faisait alors construire. Le célèbre Philibert Delorme, 
chargé d'en diriger le tout, appliquait dans ce château un 
genre de décoration différent de ce qui s'était pratiqué 




APOLLON 8UR LK PARNASHI, PAR LB PRIVATIOS 

Dessin origioal pour la Salte de bal (repeinte) à Footaioclilcau 
Musée Britannique (Lrndretf 



jusque-là. Des boiseries au.x murailles et des cheminées de 
marbre ne laissaient plus de place aux stucateurs, et rédui- 
saient presque à rien celle des peintres. 

Le Roi avait nommé Delorme son directeur des Bâti- 
ments, de sorte que ce style tendit à s'imposer partout. 
Cette importance rivale d'un architecte eût peut-être extrê- 
mement gêné l'infiuence grandissante du peintre, si la faveur 
des Guises, dont le crédit et les richesses jetaient déjà tout 
leur éclat, ne l'eût sauvé de cet amoindrissement. 

Ils lui donnèrent d'abord ;i55o) à diriger l'entreprise du 



tombeau du duc Claude, leur père, à Joinviile, premier 
ouvrage de marbre dont il eût pris le soin, puis (i55a) celle 
du château de Meudon, nommé la Grotte, que l'archevêque 
de Reims, depuis cardinal de Lorraine, commençait. Il est 
certain que ce château fut une des choses les plus magnifiques 
du temps. Cependant le détail nous en manque. Il faut se 
contenter de savoir qu'une grotte au rez-de-chaussée contenait 
des émaux, des arabesques de stuc, des mosaïques, et qu'une 
chambre au-dessus était peinte à la voûte, dans de nombreux 
caissons compartis, de raccourcis exquis et admirables. 



32 



LES ARTS 




ANOR TENAMT LA CROIX, PAR MCOLO 

Di'ssin oi-iginal pour les (finaux dits de la Sainlc-Chapcllc au Musée du Louvre 
CoLUctioH de M. Vattan 

Ces travaux continuaient de soutenir glorieusement la 
carrière du Primatice. Autre chose en marque la constance. 
C'est le recrutement qui continuait de se taire autour de lui 
d'artistes italiens pour la cour de France. Moins nombreux 
qu'au temps où l'atelier de Fontainebleau, entassant chambres 
sur galeries, commençait et poussait vingt ouvrages à la fois, 
ces nouveaux venus l'emportent certainement par l'impor- 
tance. Ce sont Salviati Florentin, le Vénitien Paris Bordone, 
Ruggeri, qu'on appela Roger de Rogery, de Bologne. 

Le premier ne resta que deux ans en France. Le cardinal 
de Lorraine l'employa et lui ht peindre son château de Dam- 
pierre, près Chevreuse. Ces ouvrages ont péri, et tout ce 
qu'on possède d'attestations de son passage ne consiste qu'en 
deux tableaux : une Incrédulité de saint Thomas, recueillie 
au Louvre et qu'il peignit à Lyon, une Descente de croix, 
faite pour les Célestins, et qu'on peut voir aujourd'hui à 
Paris, dans l'église Sainte-Marguerite. 

Paris Bordone parut vers le même temps. Il avait peint 
aussi pour les Guises. Enfin Roger de Rogery s'établit peu 
avant i55j dans notre pays, qu'il ne devait plus quitter. 
Il servit d'abord d'aide aux entreprises du Primatice. C'est 




ANGE TF.XANT LA i;ui:iU(.\.\E I>i:iIM:s, i ., 

Dessin original pour les émaux dits de la Sainte-Chapelle au Musée du Louvre 
Collection de M. Vallon 

vers ce temps-là qu'on peut croire que celui-ci avait entière- 
ment abandonné l'exécution de la fresque, et n'en donnait 
plus que les dessins. Plus que jamais sa grande fortune 
devait l'engager dans une pratique de l'art où des auxi- 
liaires plus habiles étaient requis pour le suppléer. 

Ce r51e fut tenu principalement par un homme dont le 
nom demeure dans toutes les mémoires, à l'égal du Prima- 
tice lui-même et du Rosso, c'est Nicolas dell' Abbate, dit 
Nicolo. 

Il vint en France en i552, la cinquième année du règne 
de Henri II. Il était de Modcne, et sans doute apportait de 
cette ville quelque imitation du Corrège, auquel le Prima- 
tice lui-même dut une si grande partie de ses talents. Cela 
peut-être fit qu'il montra tout de suite une parfaite docilité 
aux enseignements de ce dernier. 

On l'en a regardé comme l'auxiliaire unique et universel, 
et il est vrai que telle fut la collaboration d'où sont sorties 
quelques-unes des plus célèbres peintures de Fontainebleau. 
Mais il faut remarquer premièrement que de la part du 
Primatice cette pratique n'était pas nouvelle, que déjà sous 
le précédent règne il se faisait aider pour la fresque, et 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



33 




ANGi; TK.NAM LKS CLOUS, t'All MCOLO 

l)ossin orij^iual pour les émaux dits do la Saiatc-Chapolle au Miis<W' du Louvre 
Colleclion de M. Vallon 

que tout ce que Nicolo eut de plus que ces premiers auxi- 
liaires est une contiance plus entière du maître, fondée sur 
l'excellence de ses talents. N'omettons pas en second lieu 
que tout ce qu'on a mentionné d'ouvrages au précédent cha- 
pitre, et qui fait le plus gros de l'œuvre du Primatice, 
échappe par sa date à la collaboration de Nicolo. C'est 
diminuer notablement celle-ci, et rendre évident que la car- 
rière du disciple n'a pu se résumer, comme on aime à le 
dire, dans ce rôle d'interprète et d'artiste en second. Nul 
doute qu'il y ait eu de Nicolo des œuvres originales en grand 
nombre. La quantité de dessins qui subsiste de sa main 
en est une preuve suilisante, à défaut de témoignages écrits, 
qui manquent presque entièrement. 

On le mil d'abord à la galerie d'Ulysse, dont Vasari 
assure qu'il exécuta toute l'histoire sur les murailles, puis à 
la salle de Hal. (^uani à celle-ci, on a la preuve qu'il y prit 
un peu plus qu'une part d'exécution. Le Primatice ne faisait 
que les éludes et point de dessin arrêté, des petits sujets des 
embrasures; tout l'accessoire mythologique y était ajouté 
sur la fresque, et de l'invention de Nicolo. 

C'est vers le mcmc temps que sur ses propres dessins, ce 




ANOB TP.XANT LA COLONNR DE LA FLAOKLL ATIOIV. PAR XIrolO 

Dessin original pour les émaux diis de la Satnle-Clup«Ue an .Masév ea Loarrv 
Catlectiom <U M. rmtbm 

dernier dut peindre la chapelle du château de Flcury-en- 
Rière, près Fontainebleau. Je ne lui attribue cet ouvrage ^uc 
sur la considération du style, malgré la lettre d'estampes 
postérieures qui le donnent au Primatice. Depuis longtemps 
l'Enlèvement de Proserpine de la collection d'Orléans, main- 
tenant à Stafford-House de Londres, est regardée comme 
l'ituvre de Nicolo. Il faut y joindre, sur le même indice du 
style, une Continence de Scipion au Louvre, et Achille chez 
les filles de Lycomède, à Wilton-House en .\ngleterre. A 
coté de ces pièces subsistantes se placent quelques ouvrages 
perdus : le tableau peint par lui sur la cheminée de la 
chambre du Roi au pavillon des Poêles, et quatre grands 
paysages dans la chambre du Trésor, dite cabinet des Bagues, 
au second étage du pavillon de Saint-Louis. 

Dans tout ce qui reste de ces leuvrcs. on trouve une 
grande facilité de main, une composition consommée, un 
beau choix de formes et d'attitudes, l'exécution brillante et 
vivement touchée, avec ces décolorations dans les lumières 
que l'Italie pratiquait depuis un demi-siècle et qui fait un des 
traits notables de l'école. 11 faut ajouter chez Nicolo un talent 
pour le paysage, qu'il tirait, comme tout le monde alors, de 



34 



LES ARTS 



rimitaiioii des Vénitiens. Toutes ces qualités cependant ne 
rélèvent pas au niveau du Primatice et du Rosso. Son inven- 
tion est moins rare que la leur, et son dessin manque des 
vertus précieuses que communique l'étude assidue de la 
nature. Au reste, tout ce qui convient à de grandes entre- 
prises décoratives et à des applications industrielles, se 
rencontre chez Nicolo. Personne comme lui ne mérite dans 
l'école le nom de vulgarisateur. Par lui peut-être plus encore 
que par leur prestige original, les inventions et le style du 
Primatice s'emparèrent de toute la France; de lui, de son 



style particulier vint surtout l'unification dans les produits 
de l'école de Fontainebleau. 

En voici quelques traits du coté de l'industrie. La tapisserie 
de Cybèle, aux Gobelins, eut ses poncifs tracés par Nicolo. 
Un dessin de tapisserie pareillement, représentant Mercure, au 
Louvre, est certainement de sa façon. La Mort de Joab, aux 
Gobelins, montre son influence évidente. Quant aux émaux, 
il a fourni le dessin des célèbres pièces de la Sainte-Chapelle, 
exposées dans la galerie d'Apollon, qui datent des premiers 
temps de son séjour en France. 




LB PKRlî liTlîRNKI, ANNONÇANT LA NAISSANCE DU SAUVEUR, PAR LE PRIMATICE 

Dessin origÎDal pour la voi"itc de la chapeUe de Guise (détruite) à Paris 
Musée du Louvre 



Il est certain que cette espèce d'ouvrages est plus capable 
encore que les tableaux de transformer le goût public. Ajou- 
tons les décorations de fête, les figurations, les mascarades 
auxquelles prend part le Primatice lui-même. 

Au lendemain de la mort de, Henri II , on voit que 
celui-ci dessina pour Chenonceaux-lès costumes et l'architec- 
ture des triomphes ou entrée solennelle de Catherine et du 
jeune roi. A une époque qu'on ne peut déterminer, se placent 
pour une fête du même genre, des dessins de sa main qu'on 
conserve à Stockholm. Disciple du Primatice en ceci comme 



dans le reste, Nicolo allait bientôt donner ceux de l'entrée de 
Charles IX et d'Elisabeth sa femme à Paris, gravés au recueil 
imprimé de cette solennité. 

Il faut dire maintenant quelles imitations tant d'exemples 
de divers genres suscitaient parmi les Français. 

Dès les dernières années du règne de François l", on voit 
les comptes désigner nommément plusieurs des besognes que 
les peintres de notre nation exécutaient sous le Primatice. 
D'autres s'emploient aux tapisseries. Badouin, déjà nommé 
au chapitre précédent, Carmoy, Musnier, Rochetel, sont les 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



35 



noms qu'il convient de retenir. Hors de Fontainebleau d'autres 
se font connaître. 

C'est premièrement Geoffroy Dumoûtier de Rouen, 



souche d'une famille célèbre de peintres, et dont plusieurs 
eaux-fortes font connaître les talents. La dernière est datée de 
1547. Un dessin tracé pour un vitrail, au Louvre, est la seule 




LA aOXTl.YBNCS DE SCIPIO.V, P.VII MICOLO 

Mutit du Louvre 



36 



LES ARTS 



pièce de cette espèce qu'on ait de lui. Il a beaucoup de feu 
et d'adresse, mais peu de science. Son modèle principal est le 
Rosso. 

Jean Cousin, qu'on croit avoir fleuri principalement 
sous Henri II, ne saurait conserver aux yeux de l'iiisioricn, 
le premier rang que d'anciens biographes lui ont assigné 
dans la Renaissance française. On ne le trouve pourvu 
d'aucun poste de choix; nul protecteur de marque ne le fait 
travailler. Ce qu'on a de lui n'est que quelques estampes et le 
tableau du Jugement dernier du Louvre. Il a fait aussi un 
livre de perspective. La seule tradition lui attribue des 
vitraux. Il était né à Sens, et mourut, à ce qu'on croit, fort 
âgé, en i5()6. Son style est emprunté du Primatice surtout. 

Enfin Antoine Caron de Beauvais, quoique de petit mérite, 
ne peut s'omettre. Il travaillait à F'ontainebleau aux environs 
de i55o. La part qu'il prit au recueil des dessins de l'Histoire 
d'Artémise a fait sa renommée. Ce recueil parut en i562. 
Plusieurs mains v ont travaillé, toutes de pareille médiocrité. 

C'était le niveau commun de l'école en dehors des maitres 
directeurs, confirmé par la foule des ouvrages anonymes. 
Plusieurs cheminées peintes au château d'Ecouen, à Oyron 
la galerie de l'Enéide, quelques tableaux dans les églises de 
Troyes et aux environs de Sens, en sont de suffisants exemples, 
aussi bien que la Diane chasseresse du Louvre. Ajoutons 
l'Actéon de Rouen, en dépit d'uii tour agréable et des sou- 
venirs de l'école vénitienne qui en relèvent l'aspect d'une 
manière imprévue. Une seule exception doit être faite à ce 
jugement peu favorable : c'est la célèbre chambre des Arts du 
château d'Ancy-le-Franc en Bourgogne. 

J'ai cru cette chambre l'œuvre du Primatice. Le témoi- 
gnage d'un dessin conservé et la comparaison des tableaux 
depuis reconnus de ce dernier, obligent de le donner à quelque 
autre, que je ne crois pas être Nicolo. Cet anonyme, dont 
quelques dessins pour d'autres décorations subsistent, mérite, 
un peu au-dessous de ce dernier, un rang distingué dans cette 
histoire. On ne peut deviner s'il fut Italien ou Français. Son 
œuvre peint consiste en huit ovales couchés, environnés 
d'arabesques refaites, qui représentent les Sept Ans libéraux, 
et les Muses dans le huitième. L'exécution en est très bonne ; 
la fresque bien conservée est fraîche et délicieuse. 

Ainsi les nouveautés introduites par la cour se faisaient 
agréer partout. Elles s'étendirent jusqu'à la miniature, propre 
domaine de nos écoles primitives. J'ai remarqué en son 
temps la soudaine décadence de cet art. L'introduction des 
livres imprimés devait en précipiter la chute. Cependant 
l'usage se maintenait chez les grands de faire peindre, outre 
des livres d'Heures, quelques manuscrits d'ordre profane, de 
sorte que cette branche de l'art mérite encoi'e une mention. 
On assure communément qu'elle a pâti de l'italianisme. Rien 
n'est moins justifié que cela. Au contraire, une critique atten- 
tive reconnaît dans les Heures de Henri II, dans celles de 
Dinteville, au Cabinet des Manuscrits, dans celles du conné- 
table de Montmorency à Chantilly, autant d'ouvrages beau- 
coup meilleurs que ce qui parut depuis Fouquet et fut exécuté 
même pour la reine Anne. Il convient d'ajouter les gouaches 
rehaussées, les dessins lavés sur parchemin, nombre de pièces 
même à la plume seule, qui dans cette époque avancée de nos 
arts, renouvellent le souvenir des anciens manuscrits « his- 
toriés d'encre » de Charles V. 

En ce genre brille Etienne Dclaune, universellement 
fameux pour le mérite de ses petites estampes. Agé de qua- 



rante ans quand Henri II mourut, il dut fournir vers ce 
temps-là le premier éclat d'une carrière dont ses gravures ne 
datent que les dernières années. Il est à croire que le manus- 
crit des Troades, gardé à Chantilly, est illustré de sa main. 
Les grisailles incontestées abondent. Elles sont parfaites 
d'invention et de stvle, et d'une exécution qui enchante. Seul 
parmi les Français d'alors, Delaune mérite le nom d'un grand 
maître. Une fois de plus, la dernière il est vrai, il faut que 
l'historien de l'art français réserve ce nom à l'auteur d'aussi 
petits ouvrages. 

Depuis la mort de Henri II, survenue en iSJq, l'activité 
du Primatice, déjà ralentie dans le domaine de la peinture, 
semble s'y etfàcer tout à fait. Son dernier grand ouvrage en 
ce genre doit être placé sur cette limite. C'est la chapelle de 
l'hôtel de Guise, depuis de Soubise, à Paris. Elle a subsisté 
jusqu'au début du siècle écoulé, et on peut encore l'étudier 
dans quelques dessins et copies que les descriptions anciennes 
ont permis de reconnaître. Elle comportait un ensemble où 
la voûte, le dessus d'autel et les frises formaient une seule 
composition. Le cortège varié des rois mages dans celles-ci 
s'avançait vers la crèche du Sauveur, sous une gloire d'anges 
ei quelques apparitions célestes, que la figure du Père Éternel 
dominait. 

Depuis lors on ne connaît aucune peinture du maître, 
que deux tableaux à fresque dans la chambre de Madame 
d'Etampes à Fontainebleau, exécutés dix ans plus tard à la 
place de deux fenêtres murées à cette époque. L'un repré- 
sente Alexandre entretenant une femme nue. l'autre ce héros 
faisant serrer les ouvrages d'Homère. 

Cette abstention définitive s'explique par des raisons 
diverses, où le soin que donnait au Primatice sa nouvelle 
charge de directeur des Bâtiments du roi, tient la princi- 
pale place. Il l'eut en remplacement de Delorme, dans les 
premiers jours du nouveau règne. Peu après, la reine mère 
Catherine de Médicis, devenue toute-puissante sous des 
princes enfants, y ajouta la direction de ses bâtiments parti- 
culiers. Une autre diversion de son activité fut la sépulture 
de Henri II, et des monuments de bronze et de marbre exé- 
cutés dans l'atelier de Nesle, pour contenir le cceur des feux 
rois. Dans ce nouvel emploi de ces talents, le Primatice ne 
laisse pas de soutenir avec plus de résultat que jamais, 
l'influence de son école. 

En i56i, Nicolo le remplace tout à fait aux peintures de 
la galerie d'Ulysse, dont une grande partie d'ornement res- 
tait à faire. On peut croire que Roger de Rogery entreprit 
alors dans une des salles hautes du pavillon des Poêles la 
suite détruite de l'Histoire d'Hercule. A l'étage au-dessous, 
Catherine augmente les appartements commencés par son 
mari. Elle bâtit dans le jardin la Laiterie ou Mi-voie. Des 
peintres de peu de renom, Mazery, Renout dit Fondet, tra- 
vaillent à ces divers ouvrages, les derniers qu'on ait vus avant 
que la Saint-Barthélemv (1572!, en portant à son comble le 
trouble des guerres civiles, eut achevé de nover l'autorité 
royale. 

Charles IX n'v devait survivre que deux ans. Peu avant 
cette fin de règne s'achève la carrière du Primatice et celle 
de Nicolo. On a vu les effets de celles-ci pour la France; il 
convient d'ajouter maintenant ce que l'Europe en recueillit. 

Vasari conte qu'après la mort du Rosso, on vit paraître 
en Italie un grand nombre de gravures de l'école de Fon- 
tainebleau. C'était comme un retour que cette école rendait 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



37 



à la nation dcjni on la vit sortir. Cependant tout porte à 
croire que l'influence qu'elles eurent ne dépassa pas le 
domaine de l'ornement. Du côte des Flandres au contraire, 
cette influence s'dtendit à tout. 

La cause n'en est pas seulement dans les estampes et 
dans les dessins qu'on transportait, mais dans les voyages 
bientôt multiplies des artistes qui venaient étudier en France. 
Le prestige de l'Iialie les attirait depuis un demi-siècle, et 



sous l'influence de celle-ci, l'art des Pays-Bas avait renouvelé 
entièrement ses méthodes et ses aptitudes. La longueur du 
voyage fut cause qu'on saisit bientôt l'occasion de recueillir 
d'un lieu plus rapproché, ces enseignements. Ce que le Rosso 
et le Primatice avaient mis de fameux modèles à portée du 
nord de l'Europe, pouvait jusqu'à un certain point tenir la 
place de l'Italie même. Si l'on y joint l'attrait de la nou- 
veauté, on ne s'étonnera pas de ce que dit M. Hymans, qu'en 




L SNLKVKUE.NT DK PROSKnpIXK, PAR XICOLO 

Collection du duc de Suthertand t Londresi 



ce temps-là Fontainebleau fut l'Italie des Flandres. Tout ce 
qui ne voulut ou ne put aller plus loin, s'alimenta de cette école. 
Léonard Thiry, qui travailla sous le Rosso, était retourné 
à Anvers, où il mourut en i55o. Nul doute que (le premier 
peut-être) il n'ait rapporté chez ses compatriotes quelque 
chose des les'ons d'un si excellent maître, dont plusieurs 



estampes de sa main le montrent plein. L,e célèbre Stradan 
vint en France aux environs de 1548. et Spranger peu après 
i565. Lambert Lombard, .■Vdam Verburcht visitèrent aussi 
notre pays. Adrien Crabeth y mourut à Autun. en i353. Le 
vieux Breughel, Pierre VIerick y parurent également. En 1 566 
on voit Aper Fransen, Jérôme Franck, Jean Demaeyer, 



38 



LES ARTS 



Denis d'Utrecht et Corneille Kétel, séjourner pour le soin 
de l'e'tude à Fontainebleau. A Jérôme Franck, qui se fixa 
chez nous, il faut joindre alors son frère Ambroise, et Cor- 
neille Floris, neveu de Frank-Flore, envoyé expressément à 
Paris pour le même effet. Les visites que Lucas De Heere 
faisait à la résidence royale sont mentionnées par Van 
Mander; Thierry Aertsen, fils de Long Pierre d'Amsterdam, 
y vint comme étudiant, avant d'y être comme peintre. 

L'effet de ces rapports fréquents se reconnaît dans les 
œuvres. De quelque manière qu'elles se soient exercées, les 
influences de Fontainebleau sont parfaitement sensibles chez 
Frank-Flore. Spranger et son élève Van Aak portèrent aux 




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extrémités de l'Europe et jusque dans le xvii= siècle, une imi- 
tation que les estampes de Goltzius prolongèrent et éten- 
dirent encore. Corneille de Harlem, Lambert Van Noort, 
Van Hemessen, le graveur Wierix, tiennent plus ou moins 
du même style. Ainsi, on ne doit pas s'étonner si ce qui devait 
reparaître à Fontainebleau d'une école italianisante sous 
Henri IV, fut en grande partie soutenu par les Flamands. 
Sous-colonie de l'école dont j'achève l'histoire, le rameau des 
Flandres, nourri d'une meilleure sève, allait bientôt nous 
être rapporté, et servir à ce renouveau. 

En Angleterre la même action se fait sentir. De grandes 
décorations de stuc commecelles qu'on voit à Hardwick-Hall, 



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M 



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Photo Giraudon 



LA OÉOMKTRIB, PAR KTIENNB DELAUNE 

Dessin. — Musée Condc tChaniillyi 



sont un effet de l'importation directe des exemples du Prima- 
tice. Un dessin de décoration pareille se trouve dans les car- 
tons du Louvre, avec la rose de Lancastre et la devise Honni 
soit qui mal y pense. Lucas Penni, quand il quitta la France, 
s'en alla travailler, dit-on, pour les graveurs en Angleterre. 
En 1 566, on voit que Gilles Godet, imprimeur français, faisait 
à Londres commerce d'estampes du genre de celles que la rue 
Montorgueil mettait en vente, dans le style de Fontainebleau. 
Ainsi cette école, à peine fondée, se répandait partout au 
dehors. La mode imposait ses exernples en différents points 
de l'étranger. Ce qu'elle eut d'effet en sculpture n'a pas sa 
place ici. Ce que dès l'origine Jean Goujon tint d'elle, ce 



qu'un Germain Pilon, ce que l'atelier de Nesle recueillit de 
son dessin et de son style, appartient à d'autres ouvrages. 
On ne doit pourtant pas l'oublier, quand on traite de son 
importance. L'influence sur les autres arts, qui sous le Pri- 
matice revenait à la peinture, est cause que le sujet s'étend 
bien au delà des bornes de cette histoire. 

Il faut avouer que quelque chose de tant d'éloge doit être 
rapporté à la France. Quoiqu'elle n'ait pas donné naissance 
aux maîtres auteurs de cette école, ils n'ont travaillé que pour 
lui plaire, et cette direction de leurs talents eut pour effet 
de mêler quelque chose du génie français dans leurs œuvres. 
Des historiens de l'art primitif remarquent volontiers la 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



39 






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rho(o Btiiitrt. Clrmiitl el Cit. 



UI.Y3SH l'.VSKVBLISS.VNT LES PHKTRNDANT», PAR LE PRIUATICK 

Oossia ori}j;iDal pour la Galeriu d'I'lysso (détruite) à Footaioebleau 
Collection Àlhertiiit (Vienne) 



md'mc chose de Bcauncveu et des Limbourg, qu'ils vont 
là-dessus jusqu'à tenir pour Frani;ais. Sans accorder au Pri- 
maticc non plus qu'à eux cette qualitti, n'oublions pas que 
ce maître vdcut quarante ans en France, que les suffrages de 
nos compatriotes ont bàii toute sa renommée et inspiré tous 
ses efl'orts, que de chez nous rayonna le foyer qu'il allumait, 

et que l'autorité et le prestige ' 

de son œuvre ne sauraient être 
distingués de ceux que prenait 
le goût français dans le monde. 
D'autres Italiens, venus plus 
tard, ne purent que s'y ranger 
et prêter leur concours. Ce 
qu'ils apportèrent de chez eux 
se confondait dans cette déri- 
vation désormais indépendante 
de l'art italien. Ainsi, quoique 
étrangère de race, l'école de 
Fontainebleau se francisait d'a- 
doption, autant qu'avait pu le 
faire celle des vieux enlumi- 
neurs de Flandre. La France 
n'a pas plus le droit de rejeter 
l'uneque l'autre. Quant à l'hon- 
neur qu'elle tire d'un pareil 
patronage, il était cette fois au- 
dessus de tout ce qu'on avait 
jamais vu. 




APOLliiN IXNS I ( »IO^F DC IION. PAR IR PRIUATICI 

Oossin original pour la '• compartiment do 1* \oiU« de la Galorio d'Ulvase (détraita) 

à FonlaÎDcbleau 
CeiUttlio» Àlherline (rU»n»> 



Le Primatice s'était accoTumodé en France au point de 
n'y plus même passer pour étranger. Il y vivait sur un grand 
pied, dans l'incessante fréquentation de la cour. Un de ses 
neveux s'y maria et fit de son nom, anobli par le roi, le nom 
d'un baron français, dont la descendance s'éteignit bientôt il 
est vrai. Le maître lui-même mourut en 1570, à l'âge de 

soixante-cinq ans. Nicolo le 

suivit l'année d'après dans la 
tombe. C'était la fin de ce qu'on 
doit appeler la première école 
de Fontainebleau. 

On ignore qui recueillit du 
côtédc la peinture le poidsd'un 
siéclaiani héritage. Une menue 
descendance de peintres de- 
meurait pourfournir aux com- 
mandes de la cour. Le désordre 
aigu des guerres civiles ne les 
éteignit pas tout à fait. Mais 
avant de passer au détail de ce 
qui suivit ce grand changement, 
il faut retourner en arrière, et 
joindre, pour le temps qu'on 
vient de parcourir, l'histoire 
d'une école différente, que sa 
gloire plus réduite n'cmpèche 
pas de mériter toute Tattention 
des connaisseurs. 

L. DIMIER. 
iA suivre.) 



HOUDON ANIMALIER 



HoinoN a-t-il été animalier? Dans une brochure ré- 
cente, intitulée: Un Lévrier, terre cuite originale 
de Jean-Antoine Hoiidon, M. Georges Giacometti, 
statuaire-expert, s'est posé cette question et l'a 
résolue avec un luxe de démonstration peut-être un peu inu- 
tile, puisqu'il eût suffi de relever la mention de « plusieurs 
animaux en marbre » exposes par Houdon au Salon de 1777, 
le curieux passage (déjà cité par Montaiglon) de la Corres- 
pondance de Grimm relatif à une certaine grive sur laquelle 
nous allons revenir tout à l'heure, enfin les indications des 
ventes faites par Houdon en i 795 ou par ses héritiers en 1828, 
dans lesquelles figurent, outre la fameuse grive, deux oiseaux 
morts, un cerf et un 
chien. 

A ces textes sou- 
vent cités, nous en 
pouvons ajouter 
quelques autres qui 
sont inédits ou à peu 
près, M. Délerotles 
ayant utilisés mais 
non publiés com- 
plètement dans sa 
notice parue en 
i856. Ils sont tirés 
d'une liste manus- 
crite d'œuvres de 
Houdon rédigée par 
lui-même et que 
nous publierons 
bientôt in extenso. 
Le no 28 porte : un 
Petit Chien en 
marbre. Le 
n» 3o, lin Serin 
couché sur un 
tombeau en 
marbre. — Une 
Perdrix e n 
marbre. 

Qu'est-ce que ce 
petit chien ? Serait- 
ceceluidontM. Gia- 
cometti a remarqué 
très ingénieusement 
une image parmi les 
bustes, urnes ou mé- 
daillons dont s'en- 
combre l'atelier de 
Houdon dans le cu- 
rieux tableau de 
Boilly de la collec- 
tion Emile Peyre? 
Cela est possible. 
Nous ne savons rien 
delà perdrix; quant 
au serin, nous ne 
pouvons nous em- 
pêcher de songer en 
lisant la mention de 
son tombeau, à ce 
curieux petit céno- 
taphe en terre cuite 
exposé au Musée de Cluny, où se lit l'inscription : Cy-git 
Fiji, et sur le sommet duquel trois serins singent si drolati- 
quement la pantomime macabre des tombeaux classiques 
à la manière de Slodtz ou de Pigalle. L'exécution seulement 
un peu froide et sèche des animaux, dans la terre cuite de 




HOUDON. — 
Appartient à M. le 



Cluriy, ne nous permet pas de la donner sans hésitation à 
Houdon, étant donné surtout que nous avons ici le point de 
comparaison indiscutable qui faisait défaut à M. Giacometti 
pour étayer la laborieuse, plausible, mais malgré tout un peu 
vaine attribution de son lévrier au maître sculpteur. 

La grive, en etfet, la fameuse grive qui faisait l'admiration 
de Grimm, qu'il déclarait « d'un effet prodigieux », au sujet 
de laquelle il citait des mots d'enfant, demandant « si l'on 
faisait des plumes avec du marbre » et que M. Giacometti 
invoquait sans la connaître, elle existe et la preuve en est 
dans la reproduction que nous pouvons mettre ici sous les 
yeux des lecteurs des Arts, grâce à la très courtoise auto- 
risation de M. le 
comte Gabriel de 
Castries qui la pos- 
sède aujourd'hui et 
qui nous a permis, 
il y a déjà long- 
temps, de l'étudier 
chez lui à loisir. 
C'est bien « l'oiseau 
mort,lespaitesatta- 
chées à un clou » 
que désigne, sans 
indication de ma- 
tière, le catalogue 
de 1828. M. de Cas- 
tries croit que l'ob- 
jet était bien avant 
i828danssafami]le. 
Il est possible, en ce 
cas, que Houdonait 
gardé dans son ate- 
lier une répétition 
en marbre, une terre 
cuite, peut-être le 
plâtre original et 
que nous ayons ici 
le marbre même du 
Salon de 1777. 

Il est signé seu- 
lement Houdon. f. 
en caractères cur- 
sifs, dont l'allure 
bien reconnais- 
sable, ne laisse au- 
cun doute sur la 
qualité de l'inscrip- 
tion. Quant au mé- 
rite du morceau en 
lui-même, ilesi frap- 
pant et parle à nos 
yeux ainsi qu'à ceux 
de l'enfant dont 
Grimm invoquait le 
témoignage comme 
<i plus flatteur pour 
l'artiste que les 
éloges exagérés des 
connaisseurs ». Il 
prouve surtout, du 
reste, à côté de la 
passion de réalisme 
innée chez Houdon, son extraordinaire virtuosité; c'est un 
tour de force, une sorte de chef-d'œuvre dans le traitement 
du marbre que le bon ouvrier a prétendu, sans doute, exé- 
cuter dans ce morceau savoureux et caressé à plaisir. 

PAUL VITRY. 



LA nmvR i marbre) 
comte Gabriel de Castries 



TRIBUNE DES ARTS 



De Francesco Laurana 



(I) 



Londres, le l>> juin, 1905. 

Monsieur le Directevr, 

Vos anciens abonnés ne peuvent manquer 
de se souvenir de la controverse si intéressante 
qui se poursuivit, en 1902, dans les pages de 
votre revue, au sujet des œuvres attribuées 
par M. Bode à Francesco Laurana. 

En mars 1902, vous reproduisîtes par la 
photographie, ce merveilleux buste d'une prin- 
cesse de Naples, qui est'une des gloires du 
Musée royal de Berlin. 

Deux mois plus tard, vous avez publié de 
remarquables lettres traitant le même sujet et 
émanant d'autorités apparemment fort compé- 
tentes, qui se prononçaient contre la » manie 
attributive » de M. Bode. 

Voir I.CS Arts, n"* 2, 4 et 12. 



Quoi qu'il en soit, il me parait intéressant 
de vous signaler ma découverte, en Angle- 
terre, d'un autre chef-d'œuvre de Laurana, 
qui est une des perles de la collection d'un 
amateur éclairé, lecteur assidu de votre jour- 
nal. Il s'agit d'un autre masque de marbre 
blanc, aussi parfait que ceux à Berlin et à 
Villeneuve-lez-Avignon. Ce masque de femme, 
aux yeux à moitié fermés, a bien la pureté de 
lignes, la génialité, la profondeur du senti- 
ment et de l'expression, avec un sens juste 
de la vérité dont parlait un de vos correspon- 
dants. 

Je ne sais si la publicité que vous pourrez 
donner à ma note fera quelque chose pour 
hâter la solution du problème de la paternité 
des œuvres que l'éminent M. Bode attribue à 
Francesco Laurana, mais il m'a paru juste de 
faire connaitre à vos lecteurs l'existence d'une 
autre de ces exquises effigies, aux yeux baissés, 
que tous — maîtres et profanes — peuvent 



admirer sans réserve et louer sans arrière- 
pensée. 

Veuillez agréer, .Vionsieur le Directeur, 
l'assurance de ma haute considération. 

GEORGE FERRIER. 




MA8UUB UK FKMMK (inarbrv blanc) 
Attribue a FRANCESCO LAURANA 



Le Retable du Parlement " 

Monsieur le Directeur, 

Je n'ai pas qualité pour intervenir, au point 
de vue de l'œuvre elle-même, dans le débat 
que vous avez institué au sujet du Retable du 
Parlement de Paris. La logique des déductions 
de M. Amédée Pigeon ne m'est d'ailleurs pas 
apparue clairement. 

Je ne relèverai qu'un point de détail. Pour 
donner plus de force à sa démonstration et 
établir l'identité du sceptre que tient le Roi 
dans le retable, avec le sceptre du couronne- 
ment des rois de France qui se trouve exposa 
dans la galerie d'.Apollon, M. .\médée Pigeon 
suppose que la statuette d'or qui le surmonte, 
et qui ne se trouve pas dans le sceptre du 
retable, est une addition postérieure au 
xiv= siècle. .Affirmons une fois de plus que, 
dans l'étude des œuvres d'art, de bons yeux 
valent mieux que la plus serrée des dialec- 
tiques. La figure du patron de Charles V qui 
surmonte le sceptre, ce Charlemagne,d'attitude 
si noble et si grande, dont le manteau tombe 
avec de si beaux plis, porte le caractère formel 
des plus belles œuvres peintes ou sculptées de 
la deuxième moitié du xiv siècle. 

Le sceptre de Charles V est resté intact, tel 
qu'il était au xiv siècle, si l'on veut bien se 
reporter aux termes de l'inventaire des joyaux 
du trésor de l'abbaye de Saint-Denis, dressé 
en i38o. 

GASTON MIGEON. 

m Voir Us Arit. n— .''7. ?<( cl 41. 



Chronique des Ventes 



Depuis ma dernière chronique, nous avons 
traversé la grande saison des ventes. Aussi les 
vacations importantes se sont elles succédé 
sans interruptions, amenant cet encombre- 
ment, ce surmenage annuel de deux mois, 
contre lequel on tente vainement de réagir. 

.\u début d'avril. MM. Lair-Dubreuil et 
Bing vendent les antiquités de la collection 
Philip qui donnent 190,000 francs comme 
résultat. Un buste d'homme en prime d'éme- 
raude de la i8« dynastie égyptienne est adjugé 
1 5,000 francs; une tète colossale d'.Mexandre 
le Grand, en marbre de Paros, monte à 
19,300 francs. Une tcte de Sérapis et une tète 
de Dvonisos en marbre font 14,700 francs 
et 1 3,700 francs, et un bronze représentant 
un griffon ailé, travail du iv« siècle, est poussé 
à 1 3,000 francs. Entre temps on opère la 
vente de la bibliothèque Daguin où un 
libraire de Londres se fait adjuger 33.800 fr. 
un exemplaire de l'édition originale du Cid, 
daté de 1637. MM. Delesire et Durel 
obtiennent là un total de près de 3oo,ooo fr. 



42 



CHRONIQUE DES VENTES 



Au milieu d'avril, une vente, dirigée par 
M= Chevallier et MM. Mannheim et Ferai, et 
compose'e d'objets d'art et tableaux provenant 
de diverses collections, donne un chiffre de 
43 r, 000 francs. Les tapisseries plus en vogue 
que jamais se payent cher. Un panneau d'Au- 
busson du xviii= siècle représentant le Colin- 
Maillard, d'une qualité rare comme compo- 
sition et coloris, est poussé à 33,(3oo francs, 
doublant la demande. Un salon en tapisserie 
de la fin du xvni= siècle grimpe à 3 i ,600 francs, 
et un autre en Beauvais à médaillons de fleurs 
à 23,000 francs. Trois tapisseries verdures du 
xvi<^ siècle, de la fabrique de Bruxelles, sont 
enlevées à 19,500 francs. Un pastel. Portrait 
de Mademoiselle Huqiiier, par Perronneau, 
est adjugé 19,000 francs. 

Les amateurs du xv!!!"-' siècle se trouvent 
réunis à la fin d'avril, à la salle Petit, où 
M= Chevallier et M. Mannheim dispersent la 
collection Guttierez de Estrada qui produit 
487,000 fr. en deux vacations. La moyenne 
des prix est excellente. Une surprise se pro- 
duitavecune petite pendule époque LouisXVI, 
en marbre blanc et bronze doré, qu'un mar- 
chand enlève de haute lutte au prix de 
32,000 francs, sur une estimation de 6,000 fr., 
et contre le prix de i 1,000 francs à la vente 
Marquis en 1889. On adjuge à 20,5oo francs 
deux tapisseries flamandes époque Louis XIV 
et 19,500 francs deux autres analogues. Les 
porcelaines anciennes de Chine voient chaque 
jour leur prix augmenter. C'est ainsi que l'on 
pave 27,000 fr. un pot de la famille verte à 
réserves fleuries, et 20,5oo francs deux poti- 
ches de la même famille, décorées de réserves 
sur fond bleu soufflé. 

Quelques jours avant, à la vente de la col- 
lection de feu le peintre Giacomelli, avait passé 
un très beau portrait, par Madame Vigée- 
LeBrun, représentant Madame de Gourbillon, 
qu'un amateur a fait monter à 23, 000 francs 
sur une demande de la moitié. A cette même 
vacation, un dessin par Millet a atteint 
12,100 francs. 

Avec le mois de mai, commence la grande 
poussée et l'on ne connaît plus ni trêve ni 
repos. La vente de la collection de feu M. Ro- 
chard ouvre la série. Les gros prix sont là 
pour des tapisseries. On acquiert pour 
33,000 francs ■ une tenture flamande du 
xvii= siècle tissée de métal. 

Vient ensuite la collection de Madame 
Warneck qui produit 202,000 francs et donne 
de beaux prix pour des bronzes italiens des 
xv= et xvi= siècles. Le principal est une sta- 
tuette d'Arion enlevé par un cheval marin, 
travail vénitien du xv" siècle, qu'un antiquaire 
paye 21 ,200 francs. 

Dans le même temps, M'^ Lair-Dubreuil 
adjuge 52,200 francs une suite de sept belles 
tapisseries d'Aubusson du xvin« siècle a 
sujets chinois, d'après Leprince. 

Mais le grand événement de la saison est la 
vente de la collection Michel Boy qui occupe 
la salle Petit pendant neuf jours et fournit un 
total de 1,407,000 francs, sous la direction de 
M« Chevallier assisté de M. Mannheim. Cette 
vente est une sorte de répétition de la vente 
Lelong, celui qui forma cette réunion d'objets 
étant lui aussi un ancien antiquaire. Jamais, 
de mémoire d'amateur, on ne vit pareil em- 
ballement pour les objets d'art des époques 
gothique et Renaissance. Le moindre bibelot 
se paye cher et quant aux pièces de qualité 
rare on ne connaît plus pour elles aucune 
limite. Le premier jour on s'arrache les 



faïences orientales et italiennes. Un plat de 
Valence du xv= siècle atteint 9,000 francs; un 
bassin hispano-mauresque, 7,200 francs et une 
coupe de Faenza, 8,000 francs. 

Pour les ivoires, les émaux champlevés et 
peints, la verrerie, etc., on fait des folies. 
Dans les ivoires, un autel portatif en forme de 
coffret, travail arabe du xv= siècle, est adjugé 
40,000 francs à un antiquaire de Florence sur 
une estimation de 20,000 francs. Grande 
bataille aussi pour un groupe du xiv« siècle, 
La Vierge au berceau, que l'on pousse à 
62,500 francs, le double de la demande. Pour 
les émaux champlevés, la lutte est aussi vive. 
On fait monter à 37,25o francs une chasse du 
xn« siècle décorée de personnages en relief, et 
à 18,000 francs une petite boiie aux saintes 
huiles du xni= siècle. On paye 1 5, 000 francs 
une petite châsse du xni= siècle et 2o,5oo fr. 
cinq plaques de ceintures en émail cloisonné, 
de travail hispano-mauresque du xv^ siècle. 
Même ardeur pour les émaux peints dans 
lesquels un triptyque, par Nardon Pénicaud, 
représentant la Crucifixion, est poussé à 
64,000 francs. Une plaque, par Monvaerni, le 
Baiser de Judas, atteint 27,600 francs; une 
autre, par Léonard Limosin, 25,5oo francs, et 
une autre, par Jean Pénicaud, 20,000 francs. 
La verrerie offre une pièce remarquable sous 
la forme d'une aiguière en verre bleu émaillé, 
de travail vénitien du w" siècle, qu'un de nos 
grands antiquaires parisiens paye 53,2oofr. 
Dans les bronzes, le numéro de vedette est une 
statuette de saint Sébastien en bronze alle- 
mand du commencement du xvi' siècle, que 
l'on paye 61,000 francs sur une estimation 
de 40.000 francs. Comme tapisseries, deux 
grandes tentures du xvi= siècle à grands per- 
sonnages sont enlevées à 24.000 francs et 
32,000 francs. 

Le 25 mai, passe, sous le marteau de 
M= Chevallier, la collection de tableaux an- 
ciens de M. Edwards. On obtient un produit 
de 194,000 francs et des adjudications dépas- 
sant les demandes de l'expert, M. Ferai. On 
donne là 27,500 francs pour une nature 
morte de Chardin. La Soupière d'argent, qui 
avait été payée 2,35o francs en 1869. Un por- 
trait de Largillière. par lui-même, atteint 
18,200 francs ; un petit tableau, par Wouwer- 
man, le Maréchal ferrant, fait 18,000 francs: 
un portrait de jeune homme, par Reynolds. 
1 3,200 francs; un grand portrait d'homme, 
par Goya, 16,100 francs et deux scènes de 
courses de taureaux, par le même, 14,000 et 
1 1,000 francs. 

Le peintre espagnol Goya est en ce mo- 
ment grand favori et ses œuvres sont très recher- 
chées. Aussi, dans une vente qui avait lieu, le 
27 mai, à l'Hôtel Drouot, on a vu la sensa- 
tionnelle enchère de 77,000 francs pour un 
Portrait présumé de la duchesse d'Albe, par 
Gova, dont l'expert, M. Paulme, avait 
demandé 3o,ooo francs. A cette même vaca- 
tion, un pastel, Portrait de femme, par Ro- 
salba Carriera, a atteint 2 5, 000 francs. 

Plusieurs ventes de tableaux modernes se 
sont aussi produites en mai, celles des collec- 
tions Pasquier, Madame S..., Bérard, Heugel, 
et Blanquet de Fulde, toutes dirigées par 
M= Chevallier, assisté dans une de M= Lair- 
Dubreuil et avec le concours des experts 
Georges Petit, Haro et Bernheim jeune. 

A la vente Pasquier, l'œuvre principale est 
la Danse de l'Aimée, par Fantin-Latour, qui 
monte à 2 i,3oo francs. Parmi plusieurs Ziem, 
un fait 14,700 francs, tandis qu'un Corot 



atteint io,5oo francs et un pastel de Lher- 
mitte, 10, 100 francs. 

La vente de la collection de Madame S... 
donne un total de 211,000 francs. Une toile 
importante de Jacque, la Bergerie, n'atteint 
pas la demande avec 48,000 francs. Des Ziem 
se payent de 6,000 à 10,000 francs. 

Avec la collection Bérard, l'école impres- 
sionniste remporte un succès, surtout en ce 
qui concerne les œuvres de Renoir, dont la 
Fête de Pan, fait i5,ooo francs; une Fillette, 
1 3,200 francs, et une grande composition, 
l'Après-midi des enfants à Vargemont, 
14,000 francs. On fête aussi Claude Monet et 
l'on donne 27,100 francs pour la Débâcle, et 
i5,5oo francs pour les Bords de l'Epte. La 
Petite Cigale, de Berihe Morizot. trouve 
preneur à 11,200 francs, et deux Sislev dé- 
passent 10,000 francs. 

La collection Heugel produit 289,000 fr. 
avec quelques tableaux très importants de 
l'école romantique. Une œuvre maîtresse, par 
Eug. Delacroix, la Chasse aux lions, est adju- 
gée 65. 000 francs, tandis qu'une autre, le 
Christ en croix, reste à i5,ooo francs sur une 
demande de 35, 000 francs. Un marchand de 
New-York paye 61,000 francs la Baigneuse, 
par Millet, qui avait fait 48,000 francs à la 
vente Saulnier en 1892; la Petite Gardeuse 
d'Oies, par Millet, . grimpe à 56, 000 francs 
contre 38, 000 francs en 1894. Dans la Forêt, 
par Rousseau, fait 3o, 000 francs; un Paysage 
de l Artois, par Corot, 32,5oo francs. 

A la vente Blanquet de P'ulde, le résultat 
se chiffre par 227,000 francs. Un paysage, par 
Daubigny, la Terrasse d'Andresy, reste à 
20,000 francs; la Rafale, par Corot, demeure 
à 18,000 francs, et Mont-de-Marsan, du 
même, à i5,ioo francs. 

A Londres, il y a eu aussi des ventes im- 
portantes qui ont donné des adjudications 
sensationnelles dont la principale a été celle 
de 406,875 francs, obtenue par un biberon en 
cristal de roche gravé, ayant la forme d'un 
animal fantastique avec monture en or, 
émaillé de travail allemand du xvi= siècle. 
C'est le plus haut prix obtenu par un objet 
d'art en vente publique. La vente de la col- 
lection Huth qui a produit plus de trois mil- 
lions avec des objets d'art, tableaux et 
estampes. & é\é \q great event de \& saison. 

Le clou a été le prix de 147,500 francs 
donné pour un vase en ancienne porcelaine 
de Chine a fond bleu décoré d'une branche de 
prunier fleurie. Deux coupes et un vase en 
vieux Chine, fond vert, à feuillages en mauve, 
ont fait 67.500 francs, et une paire de vases à 
fond bleu décorés de réserves, 48,550 francs. 
Dans les tableaux, un portrait du danseur Vcs- 
tris, par Gainsborough, a atteint 119.415 fr. ; 
un paysage par Crome, 78,000 francs; un 
tableau par Morland, 52, 5oo francs; un Cons- 
table, 44,000 francs; deux paysages par Corot 
ont dépassé 5o,ooo francs chacun. Dans 
les estampes de l'école anglaise, on ne connaît 
plus de limite de prix, et l'on pave 3i,5oo fr. 
une épreuve de Lady Bampjylde, d'après 
Revnolds, par W'atson. D'autres épreuves, 
d'après le même, ont dépassé 20,000 francs. 
Enfin, dans les premiers jours de juin, à la 
vente de la collection Twemouth, on a battu 
tous les records avec un prix de 222,375 francs 
pour un Portrait de Lady Raeburn, par 
Raeburn. et celui de 173.250 francs pour un 
Portrait de la comtesse de Bellament. par 
Revnolds. 

A. FRAPPART. 



Directeur : M. MANZl. 



Impriiueria Manzi, Joyant de C", Asoiéres. 



U ùittaX : G. BLONDIN. 



LES ARTS 



N" 4 3 



PARIS — LONDRES BERLIN — NEW-YORK 



Juillet u)o«s 



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^^^^^^ME^ <^^^^^^^H 











RODIN. — nusTE DE VICTOR H l' G o (itiarbre) 
(Collection de M. Henri Rochefori) 




p.-?. PRnD'HOV. — 1,1! THinvpnr nri arts /ilessiiil 



LA COLLECTION DE M. HENRI ROCHEFORT 




II, n"v a guère que deux espèces de colleciionneurs : ceux 
qui achètent ei ceux qui dénichent. Si j'avais eu de 
la fortune, je l'aurais certainement employc'e à acheter, 
mais comme je n'en avais pas, je me suis perfectionné de 
mon mieux dans l'art de dénicher. 

La chasse aux tableaux, marbres et terres cuites, est 
d'ailleurs de beaucoup plus intéressante que les autres, mais 
elle est aussi inrinimcnt plus difficile, d'autant qu'on n'a ni 
chien d'arrêt pour faire lever le gibier, ni chien courant pour 
vous le rapporter et qu'on est tenu de ne se fier qu'à son 
coup d'œil. 

Il faut avoir longtemps pratiqué le sport artistique pour 
se faire une idée des ruses d'Indiens Chacias auxquelles un 
amateur un peu passionné est obligé de se livrer pour 
arriver à suivre une piste et finir par débusquer l'ennemi. 

En principe, on peut admettre que sur cent toiles qu'on 
vous propose, il s'en trouve à peine une seule qui soit sus- 
ceptible de vous séduire, et encore les toiles qui vous 
séduisent sont elles presque toujours celles qu'on ne vous 
propose pas. 

C'est là une école qu'il est indispensable de faire en per- 
sonne si on veut qu'elle vous profite. A l'instar des photo- 
graphes, on est dans l'obligation d'opérer soi-même. On 
n'apprend pas dans les livres à apprécier les tableaux. On 
doit reconnaître la touche d'un peintre comme on reconnaît 
sur l'enveloppe d'une lettre l'écriture d'un ami. 

Toutefois, avant de parvenir à cette science, encore bien 



DAVID TENIEHS. — i.i; itmi-ik 
(Collcctinn de M. Henri Rocfiffnrt) 




J.-B 



-S. CHARDIN — PIERKOT EN PRISON 

(Collection Je M. Henri Roche/oriJ 



LES ARTS 



précaire ei bien l'ragiic, que d'iiorreiirs encadrées ou non 
vous ont passé sous les yeux! Sans compter que si le goût 
du public change souvent, le vôtre se moditie aussi. Les 
mêmes peintures qui m'enthousiasmaient dans mon jeune 
âge me portent aujourd'hui sur les nerfs, et j'ai frôlé jadis, 
sans m'y arrêter, des œuvres qu'il m'eût été loisible d'obtenir 
pour presque rien, que je trouve superbes maintenant, et 
qui, malgré mes 
dédains d'une 
autre époque, 
sont montées à 
des prix considé- 
rables. 

Il m'est tombé 
dans les mains, 
je m'en souviens, 
une superbe An- 
n on dation d u 
Greco, signée en 
toutes lettres 
Théo toc opuli- 
Greco, que j'ai 
donnée je ne sais 
plus à qui et qui, 
à l'heure où nous 
sommes, a une 
valeur sérieuse. 

Je me suis fait 
adjuger il y a 
bien près de qua- 
rante ans, non 
malheureusement 
pour moi, mais 
pour un ami, un 
David et Saitl de 
Rembrandt, pour 
la somme alors 
importante de dix 
mille francs. Il y 
a trois ans, j'étais 
allé en Hollande 
en ma qualité de 
président du Co- 
mité Boër afin de 
m'entendre avec 
nosamisduTrans- 
vaal et j'ai retrou- 
vé, au musée de 
la Haye, où il oc- 
cupe une place 
d'honneur, à côté 
de la Leçon d'ana- 
tomie, mon David 
et Saitl, que la 
ville avait payé 
deux cent quinze 




AUG. PAJOU. — iiusTH ui! 
(Collection de 



mille francs. Habent sua fata libelli. On peut en dire 
autant des tableaux. David, qui fut à la fois un très bon 
peintre et un très grand criminel, ayant avec ses Satines, 
ses Serments des Horaces, et ses pompiers fait tomber 
à rien les plus délicieux Boucher, les plus exquis Frago- 
nard et les plus adorables Lancret, a permis aux amateurs 
comme le docteur La Caze que j'ai beaucoup connu, 

comme M. Mar- 
cille et M. Wal- 
ferdin, chez qui 
j'ai été rei,-u dans 
ma toute jeu- 
nesse, d'ac- 
quérir à des prix 
dérisoires des 
merveilles du 
xviii= siècle. 

Croirait-on 
ijau la fameuse 
Servante de Hais, 
que L a C a z e a 
laissée au Louvre 
et qui se vendrait 
aujourd'hui un 
quart de million, 
il l'avait payée 
trois cents francs? 
Les Baigneu- 
ses, de Frago- 
n a r d , u n e des 
perles du Louvre, 
il les avait ache- 
tées trois mille fr. 
à M. Ferai père, 
en 1854. On se- 
rait, en 1905, heu- 
reux de les acqué- 
rir au centuple. 

Ces évolu- 
tions de la mode 
ont eu, du reste, 
leur revers. Des 
maîtres comme 
Van der Wertf, 
comme le petit 
Van Dyck, comme 
les M i e r i s qui 
faisaient prime, 
ont subi une dé- 
gringolade dont 
ils ne se relève- 
ront probable- 
ment jamais. 

Le flair de 
l'amaieurconsiste 
précisément dans 



SON MouEi.ii uHDhNAïul-; (lerrc cuitei 
Jtf. Henri Rochefort) 




■B.-S. CHARDIN. — pierrot volsur 
(Collection de M. Henri Rochefort) 



LES ARTS 



la prescience de l'avenir 
Ce dont j'aimerais le plus 
des articles d'art qu'il me 
la gloire de Millet et de 
Corot, alors méconnus, 
quand ils n'étaient pas in- 
juriés. J'avais à vingt ans 
occupé au n° lo de la 
rue des Beaux-Arts, une 
ciiambre d'étudiant con- 
tiguë à l'atelier de Corot. 
J'y entrais quelquefois 
ayant peine à ne pas en- 
foncer mes semelles dans 
les toiles éparpillées sur 
son parquet. Et il me di- 
sait avec un rire mélan- 
colique que je ne compre- 
nais pas alors : 

« Vous pouvez en ra- 
masser tant que vous vou- 
drez : ça ne se vend pas. » 
Je n'en avais pas moins, 
pour cet admirable maître 
dont un paysage suffit à 
aérer une pièce, une sin- 
cère admiration et lors- 
qu'un peu plus tard je fis 
mon apprentissage de 
journaliste, j'écrivis dans 
le Figaro, Je crois, cette 
phrase qui étonna les ar- 
tistes : 

« Rien n'est plus beau 
qu'un beau Corot. » 

Plus tard encore, je 
me rencontrai chez des 
amis avec le peintre RoU 
que je ne connaissais pas, 
et qui me dit : 

« Sans vous en douter, 
vous avez e.xercé une vé- 
ritable influence sur moi. 
Vous avez écrit : « Rien 
« n'est plus beau qu'un 
« beau Corot. » Jusque-là 
j'avais considéré sa pein- 
ture comme négligeable. 
Je me suis mis alors à 
l'étudier et j'ai reconnu 
qu'en effet rien n'était plus 
beau. » 

Millet avait exposé le 
tableau superbe intitulé le 
Bûcheron et la Mort. 
Toute la presse élégante 



des peintres, morts ou vivants, 
à me vanter, c'est d'avoir, dans 
serait facile de retrouver, prédit 




ei pommadée avait poussé des hurlements. Je fus presque 
seul à prendre la défense de ce merveilleux artiste qu'on 
peut appeler : le Prud'hon des paysans. Et je formulai ce 

pronostic : 

« Malgré ces railleries 
et ces attaques, l'heure est 
proche où les toiles de 
Millet se couvriront 
d'or. » 

Et je me trompais en 
ceci : qu'elles sont au- 
jourd'hui couvertes non 
pas d'or, mais de bank- 
notes et de paquets de 
billets de mille francs. 

C'est ma fierté, je l'a- 
voue, de ne pas m'être 
montré trop mouton de 
Panurge. Toutefois, mes 
prédilections m'ont tou- 
jours porté vers les ta- 
bleaux anciens à l'exclu- 
sion des modernes. D'a- 
bord parce qu'il est plus 
facile d'acheter des gloires 
toutes faites, peu de gens 
ayant le temps d'attendre 
qu'elles se fassent. 

En second lieu, parce 
que les Hollandais, les 
Italiens, les Flamands et 
les Français des derniers 
siècles ont produit des 
œuvres réellement incom- 
parables. Un Velasquez, 
un Van Dyck, un Ru- 
bens, un Rembrandt — 
Rembrandt surtout — 
vous donnent à première 
vue ce qu'on appelle « un 
coup dans l'estomac », 
que j'ai bien rarement 
subi devant une œuvre de 
nos jours. 

Il est en outre une 
considération à laquelle 
j'ai bien été obligé d'obéir : 
celle du manque d'argent. 
Qui a bu, boira ; qui a 
joué, jouera; et qui a 
acheté des tableaux, en 
achètera. Mais si on a 
écrit la biographie du 
gentilhomme pauvre et de 
l'étudiant pauvre, celle 
de l'amateur pauvre serait 



AUG. PAJOU. — DlooliMi (marbre) 
(Collection de M. Heur i Roc he fo r t) 




J.-H. FRAGONARD. — l'amour dans les roses 
(Collection de M. Henri Rochefori) 



LES ARTS 



au moins aussi intéressante. Comme le joueur décavé 
autour des tables de roulette, il rôde aux expositions de 
l'hôtel Drouot, cherchant le tableau faussement attribué 
dont il reconnaît le véritable auteur et dont la valeur pour- 
rait échapper au public. 

Il a le déboire quand l'objet vous passe entre les doigts, 
mais il y a aussi le triomphe quand il vous reste entre les 
mains. J'ai eu plus que personne peut-être de ces angoisses 
et de ces joies. Étant tout jeune, il m'est échu à la barbe du 
plus gros enchérisseur, une superbe étude du Saint Siméon 
de la Présentation au Temple^ de Rembrandt, et que j'ai 



acquise pour cette chose d'ailleurs relative et indéterminée 
qui s'intitule : un morceau de pain. 

Mon vieil ami Armand Fréret, membre de la Commis- 
sion du Louvre et que je considère comme le plus fort de 
nos connaisseurs, et moi, avons récemment eu la chance de 
nous faire adjuger une étonnante vue d'un quartier de 
Rome, œuvre de Velasqucz, qui a longtemps voyagé en 
Italie et qui a souvent peint des sites et des études de villes 
avec personnages. 

Ce tableau, d'une intensité extraordinaire de ton, repré- 
sente des gens du peuple se lançant des boules de neige, 5 




A. -F. CALLET. — P[li>.lKT Dlî IM.M-'OND 

(Collection de M. Henri liochefort) 



exercice assez rarement praticable dans cette partie de 
l'Italie. Dans le lointain, on aperçoit la silhouette du Coli- 
sée. La perspective est, dans ce beau morceau, tout 'a fait 
impressionnante. Il était resté pendant plus de quarante 
ans accroché sous la poussière et le chanci au chevet du lit 
d'un vieil Américain mort l'an dernier à près de quatre- 
vingt-quinze ans. L'œuvre était intacte mais tellement sale 
qu'il a fallu l'œil expérimenté d'Armand Fréret pour en 
diagnostiquer l'auteur. 

Les amateurs sans fortune ont des satisfactions que les 
amateurs riches sont hors d'état de se procurer. Acheter un 



tableau au prix d'estimation constitue un simple échange 
de valeurs. La chose amusante, en dehors de toute question 
d'économie, c'est de mettre la main sur ce qui a passé 
inaperçu. On éprouve le juste orgueil de pouvoir dire aux 
concurrents qui en somme sont l'ennemi : 

« Je vous ai soufflé ce Guardi ou ce Tiepolo. Donc j'y 
vois plus clair que vous. » 

. La collection que je me suis faite et que les échanges ont 
quelque peu transformée — car on se lasse quelquefois 
d'avoir toujours les mêmes tableaux sous les yeux — a été 
ainsi en majeure partie composée de trouvailles que sou- 



LA COLLECTION DE M. HENRI ROCHEFORT 




I-OUIS BOILI.Y. — PORTRAIT PRiiSUUé ou PKINTRK PAR LUI-MÈMB 



(Collection de M. Henri Roche/ori) 



10 



LES ARTS 



vent le hasard seul m'a procurées. C'est celles auxquelles je 
tiens le plus. 

A côté des déceptions, on a aussi de douces surprises. 
Vous achetez une peinture ou une terre cuite dont l'aspect 
vous a séduit. Une fois portée chez vous, un examen plus 
minutieux vous démontre que la peinture est criblée de 
repeints et que. la sculpture est un vulgaire surmoulage. 
Que celui qui n'a pas souffert de cet « entôlage » ose lever 
la main ! 

En revanche, il arrive, ce qui m'est arrivé il y a quelques 




P.-P. PnUD'HOX. — L'ixxoniixcE (dossin au crayon noir 
(Collection de M, Henri Hoche fort) 



années, à savoir que sous des badigconnages à la détrempe 
ou au vernis, on voit, après un léger nettoyage, surgir 
quelque beau portrait original dont les possesseurs ont 
confié la retouche à un restaurateur endurci qui a cru 
devoir remplacer le pinceau du premier maître par le 
sien. 

J'avais acheté sans conviction, pour un prix très doux et 
surtout pour le plaisir de dépenser mon argent, un portrait 
de la Du Barry, dont après inspection je vis bien que la tête 
était moderne et même fraîchement peinte. Un peu d'essence 

de térébenthine sur du 
coton suffit à enlever tout 
ce maquillage, et la Du 
Barry se transforma en 
une vieille diaconesse hol- 
landaise coiffée d'un serre- 
téte qui lui bridait les 
rides du front. 

Ces fâcheuses décou- 
vertes ne se produisent 
pas seulement dans les 
peintures ; les marbres et 
les terres cuites ont aussi 
leurs retoucheurs. J'ai 
rencontré dans mesdéam- 
bulations bibelotières, un 
petit groupe de Clodion 
représentant une « gim- 
blette », c'est-à-dire une 
jeune femme tenant entre 
ses deux pieds levés en 
l'air un petit chien auquel 
elle présente un masse- 
pain qu'on appelait alors 
« gimblette ». 

Boucher, Fragonard, 
Challe, Baudoin, ont 
peint des gimblettes et 
les sculpteurs de leur 
époque s'y sont mis éga- 
lement. On pourrait s'é- 
tonner de tant de coïnci- 
dence, si une lettre du 
temps que j'ai eue sous 
les yeux ne m'avait appris 
que c'était de la part de 
ces charmants artistes un 
acte de courtisanerie à 
l'adresse de la Du Barry, 
qui avait acclimaté à la 
cour de Louis XV cette 
étrange distraction. 

Ma gimblette à moi 
portant l'authentique si- 
gnature de Clodion, creu- 
sée en pleine pâte, était 

rehausse do blanc) 



LA COLLECTION DE M. HESRl ROCHEFORT 






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1 




JEAN DE BOLOGNE («ttribue à). — lucrbck expirant ^marbre, \vi« 


siè>:lc) 


iColleclion de M. Henri Rochefort) 





12 



LES ARTS 



recouverte d'un enduit grisâtre tellement épais qu'il était 
impossible de distinguer les finesses ordinaires de l'ébau- 
choir du maître. Je supposai naturellement que cette croûte 
impénétrable avait été appliquée sur mon groupe afin d'en 
cacher les brisures ou les réparations. Pour en avoir le 



cœur net, je me décidai à la faire ce qu'on appelle « décaper », 
et j'eus la plus agréable surprise en voyant après l'opération 
que ma gimblette n'avait jamais subi la moindre avarie et 
qu'elle était aussi pure et complète que si elle sortait de 
l'atelier du grand sculpteur. 




CLODION. — FAU.Mîssiî HT l'iîTiT FAUNE (terre cuite) 
(CnUectioii de M. Henri Bnchefnrt) 



Probablement, car la bêtise humaine est insondable, le 
premier possesseur de cette delicie14.se figurine avait-il voulu 
atténuer la nudité de la jeune femme en lui passant ce badi- 
geon sur le corps comme il lui aurait passé une chemise. 



Dans mes divers séjours en prison, ce dont je souffrais 
certainement le plus, c'était la privation complète de toute 
récréation artistique. Aussi, dès mon arrivée à Londres, 
lors de mon dernier exil, n'ai-je pas perdu un moment pour 







LA COLLECTION Dit M. HENRI ROCHEFORT 


li 


aller me régaler 


des trésors d'art qui abondent en Angle- j'ai di3, la mort dans l'âme, me défaire 


de cette perle. 


terre. La maison 


Christie, qui est là-bas l'hôtel des ventes. Mais, si jamais occasion de laisser une fortune à mes | 


est celle où 




héritiers s'est 


aboutissent 




offerte à moi. 


^^^^^^HHI^H^^^^^^^^^^^^^^Hi^^^^^^^^^^^HHillHHHHII^H^^H^H^^HI^I^^^^^H 


presque 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^H 


c'est bien 


toutes les 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^H 


pendant mon 


œuvres sor- 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^H 


séjour en An- 


tant des gran- 


^^^^^^^^^if^^^^H 


gleterre. J'ai 


des collec- 


dans plu- 


tions. J'y ai 


^^^^^^^^^^^^^^H ^^^^^^^^^^^^^^^1 


sieurs articles 


contemple 


^^^^^^^^^H "^^^^^^^^^H 


publiés à 


d'admirables 


^^^^^^^m ^ l^^^^^^H 


Paris mais 


Reynolds, des 


^^^^^^^H È ' I^^^^^^H 


reproduits 


C n s t a b 1 e 




dans un grand { 


impression- 


n o m b r e de ; 


nants, comme 


^^^^^^^■l^ ^m^ ma ^^^^^^H 


journaux de 


des Corot et 


H^r^^'^H 


Londres, si i 


des Gainsbo- 


ardemment 


rough res- 


décritetvanté 


plcndissanis. 


^^^^^^ ^^iP"^ -''^'^T^^^H 


les charmes 


Les An- 


^^^^ £!v ^^H 


de la pein- 


glaisontpour 
ainsi dire dé- 


^m m. .-<r ^^ H 


ture anglaise 
que presque 


couvert l'Ita- 


^^m ^^^^ ^\ >fl 


du jour au 


lie d'où ils 


W ^r/M 


lendemain. 


ont rapporié 


les yeux des 


les plus déli- 


H // V 


Londonniens 


cieuses vues 


^m / ^ V 


se sont ou- 


de Venise, de 


W xs.^ '^^^à.M 


verts sur le 


ce Guardiqui 


mérite de 


est pour moi 


^L. iJ \ ^L.^Bk:!S 


beaucoup de 


le Rossini de 


^^k. jm ' ^'"^^^^^i^BfeiH 


leurs artistes 


la peinture. 


^^^^4|k Vl^^^^^^^l 


dont la grande 


A mon arri- 


^^^^^^^^HhBié ^(^^I^L£_^^^^^^^^^^^h 


valeur leur 


vée à Londres 


^^^^^^^^^^ ^^^^flHI^^^^^^^^H 


avait échappé. 


il se vendait à 


^^^^^^^^^^^^^^ -«*^É^^^^^^^^^^^^^^^^^^I 


Je n'avance 


un bon mar- 


^^^^^^^^^^^^^k '' ^^^^ .^^^^^^^^^^^1 


rien là qui ne 


ché relaiif et 


^^^^^^^^^^^^^^k ^^^^^^^^^^^^H 


soit exact : 


j'y ai acquis 


^^^^^^^^^^^^^^É '''^ct^^toM^^^^^^^^^^^H 


M. Woods, 


en vente pu- 


^^^^^^^^^^^^^^F '^«wpâMWl'^^^^^^^^^^^^^^^H 


l'expert si 


blique une 
« Piazzciia " 


^^^^^^^^^^^Lx^^^^^-^^^^mm^^^^^^^^^^ 


connu en .An- 
gleterre, où 


^^^^^^^^^^^^^F^ ^ f^^^^^^^^^^^^H 


dont j'aurais 


^^^^^^^^^■^^^ I^^^^^^^^^^^H 


il a longtemps 


bien \' o u 1 u 


^^^^^^^^^^Hv ^ ^ ^ J0^^ ^^^^^^^^^^1 


dirigé les 


donner ici 




ventes les plus 


u ne repro- 


^^^^^^^^^^^^^^m ^^^^^^^^^^^1 


retentissantes 


duction pour 


^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^H^^^j^^jtjK^ ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^H 


et à qui je fai- 


les lecteurs 


^^^^^^^^^^^^^^^H|^^^^H|^^^^^|^__|^|^^^^^^^^^^^H 


sais remar- 


des .1 ;• / .V . 
C'est peut- 


^^^^^^H^^IB^^^^^^^H 


quer les prix 
inabordables 


être le plus 
b e a u tn o r- 
ceau qu'il y 
ait à Paris du 


HH^^^H^H^I^^Hi^l^H^^I^H 


q u ' a 1 1 c i - 
gnaicnt tous 
les jours les 
tableaux de 


cil \ni i:s II, noi ii'woi.rTKRHK (marbre) 
ICotltctlom i* M. Htoti HtKktfari) 


peintre de Veni 


se «» la Rouge ». Malheureusement j'étais ses compatriotes, me répondit: « De qu( 


)i vous plaignez- 


proscrit , exposé 


comme tel à toutes les vicissitudes ci vous ? ce sont vos articles qui les ont fait n 


lonter. » 


1 j 



14 



LES ARTS 



Oui, j'ai pu acheter chez M. Coinaghi, le marchand de 
Trafalgar Square, moyennant quatre ou cinq cents francs, 
un Raiburn, Une Jeune Mère et sa Fille, qui aujourd'hui se 
vendrait couramment cent mille. 

Le même revirement s'est opéré sur les Thomas Law- 



rence, longtemps négligés et aujourd'hui avidement recher- 
chés. Sans mon imprudent emballement, il m'eût été assez 
facile, malgré la modicité de mes ressources, de me com- 
poser une importante collection de maîtres anglais dont 
j'aurais ensuite eu tout le loisir de célébrer le talent. 




LENAIN. — rAMiLi.E de i'aysans 
(CoUectinn de M, JJenri Hochefort) 



Comme il arrive souvent, j'ai mis la charrue avant les 
bœufs. 

Mais une de mes meilleures captures est celle de deux 
superbes décorations de Chardin représentant l'histoire de 
Pierrot, les personnages de la comédie italienne étant alors 
très en vogue. Ce triptyque — car il contient trois toiles 



séparées dont l'une fait depuis peu de temps partie de la 
collection de M. Henri de Rothschild, — se compose d'un 
Pierrot profitant de l'absence de ses maîtres pour voler dans 
un bocal étonnant de transparence, de beaux poissons 
rouges qu'il se prépare à plonger vivants dans une poêle à 
frire pleine de graisse. 



LA COLLECTION DE M. HENRI ROCHEFORT 



i5 



Dans un auire cadre, Pierrot (c'est celui de la collection 
Rothschild) est à sa cuisine, épluchant des oignons dont les 
émanations lui tirent des larmes. 

Enfin, ayant été surpris au milieu de ses méfaits. Pierrot 
est en prison, montant, auprès d'un tonneau, la garde avec 



le balai dont il vient de nettoyer sa cellule. Son costume 
blanc, tranchant sur le noir du cachot éclairé par une petite 
fenêtre grillée, jette dans cette demi-obscurité une lumière 
d'une finesse extraordinaire. 

Cette ravissante fantaisie française m'a largement dédom- 




PUGET. — KNr.v.NT coiniiK (marlircl 
(CoUtclioH d* M. lUitri Bochtforl) 



mage des tableaux anglais que j'avais eu la maladresse de 
laisser passer sans les arrêter en chemin. 

Ma passion artistique demeure d'ailleurs confinée dans 
les tableaux et les sculptures. Je ne me suis jamais intéressé 
aux meubles anciens, si élégants qu'ils fussent, non plus 
qu'aux tapisseries devant lesquelles tant d'amateurs s'exta- 
sient. J'aime, dans une œuvre d'art, sentir palpiter l'àme et 
la personnalité de celui qui l'a créée. Un meuble, même du 



faire le plus délicat, a toujours nécessité la collaboration 
d'un certain nombre d'artisans qui y ont, chacun de son 
côté, apporté leur savoir. Une terre cuite où Ton voit 
encore le coup de pouce du maitre m'impressionne bien 
autrement. J'ai acquis chez un marchand de la rue de 
l'Abbaye, un Diogène de marbre en haut relief, ponant au 
revers cette mention gravée très profond : Inivitlé et cont' 
mencé par M. Saly, sculpteur ordinaire du Roi, professeur 



i6 



LES ARTS 



à son ancienne Académie de peinture et sculpture en i~46. 
Fini par Pajou, sculpteur ordinaire du Roi et professeur de 
son Académie de peinture et sculpture en 177g. 

On reconnaît tout de suite, dans cet intéressant mor- 
ceau, le ciseau si original de Pajou. II a dû dire à Saly : 
« Ce n'est pas ça, laissez-moi arranger votre Diogène à ma 
façon. » 

J'ai depuis retrouvé le nom de Saly sur un buste d'en- 



fant, mais on y chercherait en vain ce grand air et cette 
noblesse de formes qui s'imposent dans tous les marbres du 
sculpteur ordinaire de la Du Barry. 

Le Moïse du même Pajou voisine dans mon cabinet de 
travail avec le dernier buste qui ait été fait de Victor Hugo, 
lequel est un Moïse aussi, et qui le représente à l'âge d'en- 
viron quatre-vingts ans. Ce beau marbre, signé Rodin, 
m'est d'autant plus précieux que le statuaire y a travaillé 




CABLE VAN LOO. — DANAii 
(CoUei^tion de M. Henri Rochefort} 



sous mes yeux. Victor Hugo coniinuellcmcnt sollicité de 
prêter sa tête aux artistes de tous genres et de toutes 
nationalités, avait fini par leur refuser nettement la pose. 
Mais Rodin qui ne tenait pas à avoir le poète immobile 
devant lui et aimait .beaucoup mieux le surprendre en 
pleine vie, s'était installé dans la véranda de la maison et 
saisissait les traits du maitre pendant que nous déjeunions 
et causions dans la salle à manger,- séparée seulement par 
une glace de cet atelier improvisé. 



Il en est rJsulié une image tellement frappante que 
lorsqu'elle est, le soir, éclairée par une lumière de côté il me 
semble que je suis encore à table à côté de lui et que nous 
continuons la conversaiion. 

J'ai été bien heureux le jour où Rodin a consenti à me 
céder cette œuvre palpitante qui est en même temps pour 
moi un touchant souvenir. 

Seulement tous les amateurs me comprendront. Quand 
on se met à acheter on ne s'arrête plus. J'ai dans des 



LA COLLLECTION DE M. HENRI ROCHEFORT 




F. BOUCHER. — LE MARIAGE DE LA VIERGE 

(Collection de M. Henri Rochefort) 



réserves et des sous-sols des tas de toiles qui m'avaient 
d'abord séduit, que j'ai remisées n'importe où, puis oubliées. 
Depuis même que j'ai écrit cette notice, je me suis adjugé 




AUG. PAJOU (attribué à). — ckcile Renault dans sa prison (terre cuite) 
(Collection de M. Henri Roche fort) 



plusieurs peintures qui ont actuellement toute ma faveur, 
notamment un délicieux portrait de jeune patricien de 
Venise, par Jean-Baptiste Tiepolo, qu'il faut se garder de 
confondre avec Domenico Tiepolo son fils dit le « Tiepo- 



letio ». Le personnage est vu de face, les doigts élégamment 
posés sur les cordes d'une mandoline et il a l'œil noir 
cynique et langoureux de ces figures sceptiques et déver- 
gondées dont on re- 
trouve les types dans 
les Mémoires de Casa- 
nova. 

Je me suis également 
enrichi d'un Canaletto, 
une Vue de Venise, de 
tout premier ordre. Trop 
souvent le public non 
initié prend pour des 
Canaletto des tableaux 
de son neveu Belotto, 
qui a surtout laissé des 
vues de Dresde dont la 
qualité est sensiblement 
inférieure aux magis- 
trales peintures de son 
oncle. 

La National Gallery 
de Londres possède de 
ce dernier deux toiles 
d'une rare beauté, dont 
l'une est une procession 
passant devant un grand 
monument d'une touche 
puissante et d'une cou- 
leur rutilante. Par une 
erreur que j'ai vue se 
reproduire plusieurs 
fois, le directeur du 
musée anglais a écrit sur 
le cartouche adapté au 
cadre cette mention : 
« Figures de Tiepolo. » 
J'ai eu beau répéter aux 
collectionneurs london- 
niens que Canaletto 
peignait ses figures lui- 
même, qu'il était facile 
de constater que celles 
de la procession ciaient 
du même pinceau que le 
monument, qu'enfin on 
n'y reconnaissait en quoi 
que ce soit la main de 
Tiepolo, rien n'y a fait; 
les Anglais ont le culte 
de la tradition et la men- 
tion indiscutablement 
erronée continue à s'épanouir au bas du cadre. 

Bien qu'ayant une sympathie restreinte pour les primi- 
tifs allemands ou flamands dont les diptyques, triptyques 
et panneaux confinent à l'archéologie, il m'a été impossible 



LA COLLECTION DF M. HENRI ROCHEFORT 



«9 



de passer indifférent devant une Vierge ait donataire qu'on 
attribuait à Lucas de Leyde, mais dont je n'oserais garantir 
l'auteur, bien qu'il en porte la marque et pour ainsi dire la 



signature, laquelle se composait d'un paon faisant la roue 
et de deux cygnes fendant l'eau d'un bassin. Les anciens 
remplaçaient ainsi souvent un monogramme par une figure 




CLODION. — LA aiVRLiiTTE (terre cuile) 
(ColUtliom de ». llrmri Recttrforl) 



de leur choix. Lucas de Cranach signe d'un serpent. 
Garofolo d'une églantine blanche, de Bresse d'une chouette, 



Lucas de Leyde d'un paon et de deux cygnes, mais en fait 
d'achat de peintures, il faut avoir l'oeil défiant, et il est encore 



20 



LES ARTS 



plus facile d'imiter un oiseau ou un reptile qu'une signature. 
Les Arts veulent bien reproduire de moi deux bustes 
pour lesquels j'ai posé devant les deux plus célèbres sculp- 
teurs de ce temps, 



Dalou et Rodin. 
Exposés, l'un au 
Salon de 1889, 
l'autre à celui de 
igo3, où elles 
eurent un gros 
succès, ces deux 
œuvres accusent 
nettement la diffé- 
rence, je ne dis 
pas entre le talent, 
mais entre l'art 
comme le com- 
prenaient ces deux 
maîtres. Le buste 
de Dalou qui a 
pour ainsi dire 
jouéaveclebronze 
est fouillé avec 
une sûreté et une 
puissance extra- 
ordinaires dans le 
« coup de pouce ». 
La ressemblance 
estaussidelaplus 
scrupuleuse exac- 
titude. C'est le 
simple journa- 
liste, l'homme 
privé et intime. 

Dans le bronze 
beaucoup plus 
grand que nature 
dont Rodin a fait 
une sorte de vi- 
sion, apparaît 
plutôt l'homme 
public. C'est 
comme la syn- 
thèse de toute une 
vie qui fut quel- 
que peu agitée. 
On sent là que le 
modèle a passé 
par des chemins 
où il y avait pas 
mal de pierres. 

.le n'ai jamais 
donné dans les 
dessins, aujourd'hui très courus, surtout quand ils sont de 
Watteau et qui ont atteint des prix peut-être exagérés, étant 
donné qu'ils ne traduisent d'ordinaire que la toute première 




THEOTOCOPULl un LE GRIXO. — 
(Collection de M. 



pensée de l'artiste. J'en ai pourtant récolté un très petit 
nombre parmi lesquels un charmant profil de jeune fille 
au crayon blanc et noir, par ce Prud'hon, qui sait donner 

à ses têtes de 
femmes des lignes 
si pures et des re- 
gards si candides. 
J'ai aussi de lui 
un projet tracé sur 
papier à décalque 
Ju Triomphe des 
Arts, dont la 
grande esquisse 
fait partie du mu- 
sée de Chantilly 
laissé par le duc 
d'Aumale à l'Aca- 
démie française, 
et c'est à peu près 
tout. 

Les pastels ac- 
tuellement plus 
en vogue que ja- 
maisnemetentent 
non plus guère. 
Presque tous les 
peintres, sauf La 
Tour et Péron- 
neau, spécialistes 
de cet art compli- 
qué, y perdent 
leur personnalité. 
Il est très difficile, 
à moinsd'y décou- 
vrir une signature, 
de différencier un 
pastel de Vanloo 
d'un autre de Ma- 
dame Vigée-Le 
Brun. Or,onaime 
généralement sa- 
voir à qui l'on a 
affaire. 

A force de s'i- 
nitier aux procé- 
dés des grands 
peintres dont le 
Louvre nous 
montre de si bril- 
lants spécimens, 
le goût s'épure et 
on en arrive à éli- 



S^'.NT l'IlANÇOIS !t ASSISIi HT UN .NOVlCi; 

Henri Itochefort) 

miner peu à peu 
de sa collection tout ce qui ne cadre plus avec l'aspect définitif 
sous lequel vous voyez la nature. Le rêve devient ainsi 
l'assemblage d'une vingtaine de toiles choisies entre toutes 



LA COLLECTION DE M. HENRI ROCHE EORT 



21 




RODIN. BUSTK DE HENRI ROCHEFORT ^brODZe) 

(Collection Je M. Henri Roche/ort) 



et qu'on garderait à l'exclusion des autres dont on s'est 
généralement encombré. Malheureusement à cette heure la 
rage est venue à tout le monde d'avoir sa galerie et la suren- 
chère a fait 
montera des 
prix absolu- 
ment inabor- 
dables et ou- 
trancters 
toute œuvre 
un peu re- 
marquable. 

Il yaquel- 
ques jours, 
j'ai assisté à 
l'adjudica- 
tion d'un 
Goya certai- 
nement sé- 
d u i s a n t , 
quoiqued'un 
dessin bien 
incertain et je 
me suis rap- 
pelé qu'il y 
a quarante 
ans un de 
mes amis, 
l'ingénieur 
Oudry, m'a- 
vait prié d'al- 
ler le pous- 
ser pour lui 
à une vente 
qui avait lieu 
dans une des 
salles du bas 
de l'Hôtel 
Drouot. Le 
tableau — 
une jeune 
Espagnole— 
peut-être la 
d uc h esse 
d'Albe — 
noncbalam- 
ment éten- 
due sur un 
divan — fut 
adjugée je 
crois quinze 
cents fr., plu- 
tôt moins. Il 
a été récem- 
ment vendu au même hôtel, mais dans une salle du haut, 
soixante-seize mille francs '. 




UALOO. — Hcxtii aocHEroKT (bmaze) 
(CaUeeOam de M. HemH Moehtfort) 



Goya, dont j'avais acheté à Londres un très intéressant 
portrait du toréador Romero, le Frascucllo de celte époque, 
est certainement un peintre d'une véritable orii;ina]iic, mais 

la fantaisie 
ne compense 
pas toujours 
le talent so- 
lide. Orcelui 
de l'impres- 
sionniste des 
corridas et 
des combats 
contre les 
troupes fran- 
çaises en Es- 
pagne man- 
que essen- 
tiellement de 
solidité. 

Seulement 
en fait d'art 
il est de plus 
en plus ma- 
laiséd'entrer 
dans la vie 
avec une opi- 
nion toute 
faite. On 
commence 
par suivre 
celle du pu- 
blic. Puis, 
après de 
nombreuses 
écoles qu'on 
f a i t à ses 
risques et pé- 
rils, on s'a- 
perçoit que 
le public s'est 
trompé et on 
se décide à 
avoir une 
opinionàsoi. 
C'est encore, 
du reste, la 
méthode la 
plus logique 
à employer. 
On s'assure 
d'abord par 
ses propres 
yeux si 
l'œuvre est 
belle et on s'inquiète seulement après cette constatation de 
savoir de quel pinceau elle est sortie. 

HENRI ROCHEFORT. 




r4i« j UvMt ■•«u . 



JC*N DE JCNL — is 



— t'ii nM » ! <èK • t'CatenwBfat 4b Chràt •. — Bm>- — «tr 9»>ct> 



JfcM> ^ l\<>^i|»||îil. — 



LE MUSÉE DE VALLADOLID 



I! 




vLGRÈ sa population de 75.000 habitants qui 
essaie ea vain de lui donner quelque ani- 
mation. Valtadolid est une ville morte. 
L'herbe croit sur ses places publiques et 
• -^ -.- ■ -lies rues; ses antiques palacios 
- !. rii.i'itès, ses tK>tnbreuses églises 
désertes, ses innombrables couvents vides. 
Les nunmiuenis qu'elle doit au temps où elle «ftait ta 
capitale de l'Espagne, quoique intéressants, sont loin d'avv^r 
la valeur de ceux de nombre de \ et moins 

impv^rtanies. Mais ce que Vallado. .ians toute 

la péninsule, c'est un incomparable musée de sculptures 
nationales. 

L'ancien collcge de Santa-Cruz. autrefois Tan îles six 
principaux collèges de l'Espagne, fondé par le cardiiMl 
Mendoxa à la tin du w* siècle et cditié dans le riche et beau 
style de la Renaissance castillane, sert d'écrin è œs îoyaux 
sans prix. Le veiK'rable édifice, dont la porte d'entrée est sur^ 
monttft de l'effigie de son fondateur, a^cenouillé devant une 
statue de la V tiiquement des $culp~ 

turcs: il don Lires fort intéressantes 

ntatgrè leur c nous en «.^ccuperv»os 

pas îct. Il ce. — c. ...^ .^c collection archév»K>- 

gh^ie et la bibliothèque proviiKiale tr^ heoreusement 
aiaèmgtée dans de superbes s.iî' ^ 

Les sculpture* ra<^<ombL ~ ( plupart on 

bois: il ne faut < 

ont de tout te m j.'^ _ . ^. ^ , a 

pierre et au marbre, sans doute t« trouvaient-ils plus souple. 

ou peut-être ■■ ■ • ■•; ■- ■ -'- ; ■- '' ' ' - >• - - - ; 

qui en usèi. 
aussi que. avec k 
taches, qui dirtèrent , 



..^-:;:s ess<accs,leboàpennet - i. .; .: -^^ .::.:- 

bien mieux que le bfooze et >q 'bre. D'aspect pkn 

l'rairtie, il brave anicvx les c4br: naoms lomri, U 

est dTan transport pltts CKÎle. > les 

■luaes et par conséquent les mtoia^ <. . ai ks 1 

leurs résultats an pomt de vtK ar , lin. par sa 

nature mime, il permet an sculptetu- et i l'architecte des har- 
diesses <)u'il n'oserait pas avec la pierre ou le marbre. 

Sans remonter plus Imim, le ansée de Valladolid montre 
q uel qu es curicnx bn»-f«licii du zr* siècle, saas donae des 
t ragnients de tetaMes. D'abord, nn Christ mÊmt, dTiMi réa- 
lisme naïf et <|neli|ue peu excessif, éacndn sur les gtn n ni. de 
sa mère, accompai^iéede la Madeleine ponau des w oma Ki ; 
wae X<a<nrâé ée te ViergK, dTnn uMMiafisaBe lo i T «totem, 
d^un scncnncm pins tcndic, qui fciaknt wyr nnx écoles 
rhiâaanes si les tèies n'ékaieni pus ansai aBonfiées; enfin, nne 
£tjH* Je BelUétm. d^»nc exécution pfeks souple et pins fine. 

De l'aurore du xvt* siècle. ciHMB une l onîj nr fme fi^n- 
tant de nombreux pefso«ma|>cs en costumes duicmps^ donc 
«m pape, une reme. des jcig n enis et des girandcs dames d\in 
camciète puissant et un peu mnfd. mas dwae rare macnaMe 
de vie, lappriuM înn|n'à un certain poàm ftil^ppe de Banr- 
|EO|tae; notons encore de la même époque, une seconde Uîae 
représentant des enta n ts nus iouant à la jjtnerre. d'une exécu- 
tion ptns libre. Ces dtiercnts mocccnni, sunona ks trois pre- 
micfV se tcsscnaent dTiane 



MA ap pa ra î t Akmso BcrrufEiwte. r< 
maîtres de la Rembsance française et i 
commence la Renaissance caitillanc d'oà 
tc»|ne si or%inai et si pntticnlier. 

De ce gmnd anine. à la fais 
tecte. 



et avec 
rart 



24 



LES ARTS 



sculpturales renfermées dans l'ancien collège de Santa-Cruz, 
bien qu'on y trouve aussi quelques-unes de ses peintures. 

Ce sont pour la plupart des fragments du retable élevé 
entre i5 26 et i528 dans l'église du couvent de San Benito- 
el-Real, recueillis par le Musée lors de la désaffectation 
des maisons religieuses. De ce magnifique ensemble, il ne 
reste donc plus que des parties isolées, des vestiges n'oc- 
cupant plus la place qui leur avait été destinée, et cela fait 
encore davantage regretter sa destruction ; mais, par eux, on 
peut juger de la beauté de l'ensemble et du génie de l'artiste 
qui l'éleva. 

Voici d'abord une colossale statue de Saint Benoit sous le 
froc de son ordre, le capuchon rabattu sur la tête, la main 
droite levée pour bénir, la main gauche tenant le bâton pas- 
toral ; puis de nombreuses statues plus petites que nature, de 



saints et de prophètes, des bas-reliefs représentant des épi- 
sodes de la vie du fondateur de l'ordre des Bénédictins, des 
miracles opérés par lui ou par son intercession, des scènes 
de l'Ancien ou du Nouveau Testament. 

Dans cette belle boiserie, le coup de ciseau est toujours 
ferme et voulu, le relief saisissant et ressenti, accrochant la 
lumière aux bons endroits. On pourrait peut-être reprocher 
à l'artiste quelques exagérations dans les mouvements et les 
musculatures; mais, quoi qu'il en soit, certains morceaux, 
tels que le Sacrifice d'Abraham, Saint Christophe portant 
l'Enfant .lésus sur ses épaules, Saint Sébastien, criblé de 
flèches, attaché à un arbre, sont parmi les œuvres les plus 
puissantes et les plus expressives que l'on puisse rencontrer, 
tout à fait dignes du maître auquel est due la moitié des 
stalles de la cathédrale de Tolède. 




Vholo .1. hiineitl (Madrid J. 



PRISES. — (Bois). — XVI" siècle 
(Musée de Valladnlid) 



A côté des restes du retable se trouvent les stalles de San 
Benito-el-Real, c^ui peuvent prendre rang parmi les plus par- 
faites des œuvres de ce genre que la Renaissance espagnole 
ait produites. Elles ont longtemps passé pour être, comme le 
retable, d'Alonso Berruguete ; mais c'était une erreur, car il 
est prouvé aujourd'hui qu'elles ont été taillées entre t522 et 
i528 par Andrès de San-Juan, plus connu sous le nom 
d'Andrès de Najera. 

Ces stalles, les unes hautes, les autres basses, comprennent 
au centre un siège plus important où devait s'asseoir l'évêque 
ou le prieur. Au-dessus de chacune d'elles se trouvaient, 
soutenues par de riches supports, les armoiries coloriées de 
l'un des monastères soumis à la règle de saint Benoit. Sur le 



dossier des stalles hautes, dans une niche, figure, taillée en 
ronde bosse, l'effigie du fondateur de l'un de ces monastères 
ou d'un saint appartenant à l'ordre ; trois cependant font 
exception et montrent, la première, la Vierge, la seconde, le 
roi Juan I", qui établit l'abbaye, et la troisième, le roi Juan II, 
son ardent protecteur. La stalie de l'évêque ou de l'abbé 
mitre est, contrairement à l'habitude, peinte et dorée. Le 
panneau placé au-dessus de la figure porte, au lieu de rin- 
ceaux et d'arabesques comme les autres sièges, deux vaches 
affrontées de carnation sur un fond d'or et séparées par une 
crosse épiscopale. Les stalles basses représentent des sujets 
du Nouveau Testament : l'Annonciation, la Visitation, la 
Nativité, le Massacre des Innocents, la Purification, la Cir- 



LE MUSEE DE VALLADOLID 




l'hutit J. /^uiriif fXtanfiil. 



ALONSO HERRUGUETE. — i.e sacrifice o'abraham. — saint Sébastien 
Fragment d'un Retable. — Bois provenant de t'éi-lisc San Bcnito-el-Real. — xvi' siècle 

t. \ fusée de WilljJolidl 



26 



LES ARTS 



concision, la Fuite en Egypte, Jésus enseignant les Docteurs 
dans le Temple, les Noces de Cana, Jésus et la Samaritaine, 
Jésus et la Madeleine, le Lavement des Pieds, Jésus devant 
Pilate, le Golgotlia, le Crucifiement, la Descente de Croix, 
la Résurrection ; puis d'autres scènes empruntées à l'Ancien 
Testament et aux Évangiles, telles que Adam et Eve chassés 
du Paradis terrestre, la Parabole des Vierges sages et des 
Vierges folles. Deux de ces bas-reliefs sont traités avec un 
caractère et un genre d'esprit tout particuliers. L'un, la 
Purification, montre au haut d'un escalier à vis, la Sainte 
Famille devant le grand prêtre; l'autre représente le Christ 
en avant d'un édifice sur le toit duquel se démène un démon 
qui essaie de le transpercer de sa lance; à côté du Fils de 
Dieu, une femme et deux hommes nus sortent d'un puits, et 
derrière eux une énorme tête de monstre s'cntr'ouvre pour 
les engloutir. Au-dessus, dans les nuages, plane un terrible 
diable, les ailes grandes ouvertes. 

Les frises et les corniches sont capricieusement décorées 




Vhilo .1. Liijiyeitt (Miuhid]. 

POMPEIO LEONI, JUAN DE ABFÉ et L. FEhNANDEZ DF.L MOI! Al. - 
Statue de bronze doré, provenant de l'église San Pablo. — xvi 
{.Musée de VaUadolid) 



d'arabesques, de rinceaux, de figures d'enfants, de feuillages 
et de fleurs. Les bras de sièges, les accoudoirs, les miséri- 
cordes, les consoles, présentent des cariatides, des enfants, 
des chimères, des chiens, des hippogriffes, des oiseaux, des 
feuillages, des têtes d'hommes, de femmes, des volutes, etc. 
Ainsi qu'à la cathédrale de Burgos, les sièges sont en mar- 
queterie composée de bois d'essences variées. 

Si d'ordinaire on laissait aux stalles la couleur naturelle 
du bois, il en était autrement pour les retables; ils étaient 
presque toujours peints et dorés, ainsi que les statues et les 
bas-reliefs qui les meublaient, afin de relever sans doute le 
ton sombre, triste et roux de la matière qui, vu le peu de 
lumière répandu le plus souvent dans les églises et les 
chapelles, aurait empêché d'en discerner les détails. Aussi 
celte enluminure n'est-elle, le plus souvent, que partielle. 
La dorure n'était pas davantage placée à plein, mais seu- 
lement aux endroits voulus pour rehausser les bordures à 
ornements ou à dessins, faire saillir un accessoire, surtout 
pour aider certaines parties à tour- 
ner, à sortir de l'ombre, au besoin 
même pour obtenir une sorte de 
coloration ou d'effet. 

Ici, où ces retables, ces groupes, 
ces statues, ces bas-reliefs n'occupent 
plus les places pour lesquelles ils ont 
été conçus, où nous les voyons en 
pleine lumière quand ils avaient été 
destinés à des jours mystérieux et 
adoucis, leur aspect nous étonne, 
leur coloriage nous froisse presque, 
mais la réflexion fait bien vite tomber 
nos préventions. 

Parmi les ouvrages les plus dignes 
d'attention que renferme la collection 
provinciale de VaUadolid, se trouvent 
les deux statues en bronze doré du 
duc et de la duchesse de Lerme, pro- 
venant de leurs tombeaux élevés dans 
l'ancien couvent de San Pablo. Tous 
deux sont nu-tête, agenouillés sur un 
coussin, les mains croisées, la colle- 
rette godronnéc au cou, les man- 
chettes de dentelles aux poignets, le 
manteau d'hermine sur les épaules 
recouvrant le costume d'apparat de 
la duchesse et l'armure du duc, dont 
le casque repose à ses côtés. 

Ces effigies, exécutées, d'après les 
dessins et les modèles de Pompevo 
Leoni, par le fameux orfèvre Juan 
de Arfé aidé de son gendre Lesmes 
Fernandez del Moral, et terminées 
par ce dernier à la monde son beau- 
père, témoignent d'un puissant senti- 
ment décoratif, d'un grand sens du 
modelé des formes, mais aussi, hélas! 
de l'amour du théâtral, de l'ostenta- 
tion et du faste dont étaient impré- 
gnées les écoles de la décadence ita- 
lienne. 

Est -il réellement de Pompevo 
Leoni, le superbe Christ d'ivoire de 
3o centimètres de hauteur fixé à une 
croix d'ébène dont le pied sert de 
reliquaire? La tradition le prétend, 
et l'œuvre est assez belle, assez dans 
le goût et le sentiment du maître 

LG DUC DE LGRMB 

- siècle 



LE MUSEE DE VALLADOLID 



27 



italien pour qu'elle soit de lui. Si elle n'est pas de Pom- 
peyo Leoni, elle est assurément de l'un de ses disciples. 

Arrivons à Juan de Juni, Gregorio Fernandez, Gaspar 
de Tordesillas et Pedro de la Cuadra. Ces artistes, person- 
nels au suprême degrd, envahis par une fougue involon- 
taire, par une sorte de fureur concentrée qui les emporte 
parl'ois jusqu'à leur faire perdre tout goût et toute mesure, 
subjugués par une passion sensuelle de la vie, vont parfois 
jusqu'à ses limites extrêmes, jusqu'à son paroxysme le plus 
ardent, le plus absolu. Ils ne cherchent pas leur vision, elle 
s'impose au contraire à eux avec toutes ses outrances. Aussi, 
dans leurs productions enfiévrées, dans leurs statues ou 
dans les personnages de leurs bas-reliefs aux gestes violents, 
aux expressions exagérées et contorsionnées, ils demeurent 
d'ardents et absolus spiritualistes, au sentiment religieux 
profond et austère, toujours attirés par la souffrance et la 
douleur, bien différents en cela des artistes italiens de la 
même époque, élégants et voluptueux. 

De Juan de Juni, probable- 
ment d'origine flamande et ayant 
travaillé en France avant de venir 
s'établir dans les Castilles, le mu- 
sée possède une œuvre hors de 
pair : c'est le groupe de l'Enseve- 
lissement du Christ, provenant de 
l'ancien retable du couvent des 
Franciscains de Valladolid qu'il 
exécuta en 1 543-44. Ce superbe 
travail, composé de figures plus 
grandes que nature, est malheu- 
reusement incomplet, les deux sol- 
dats chargés de veiller sur le sé- 
pulcre ont disparu ; de plus, il n'est 
plus réuni en un groupe compact, 
et les différentes statues qui le 
composaient sont disséminées. Le 
principal morceau, le corps du 
Christ, est étendu sur la pierre du 
tombeau que recouvre un suaire ; 
les épaules pèsent sur un double 
coussin, la tête inclinée sur la 
droite, un bras replié sur la poi- 
trine, l'autre tombant inerte sur le 
coié. Il a toute la rigidité du 
cadavre ; de la plaie qu'il porte 
au flanc s'est échappé un sang 
opaque, figé et noirâtre ; le masque, 
fort et puissant, laisse une impres- 
sion inoubliable, avec ses yeux 
tumétiés, son nez pincé, ses lèvres 
livides et fiasques. Auprès du divin 
supplicié se trouvaient saint Nico- 
dèmc à genoux et saint Pierre 
d'Arimaihie, prêts à l'oindre 
d'huiles parfumées; la Vierge 
éplorée, soutenue par saint Jean, 
l'apôtre bien-aimé, la Madeleine 
et Marie Salomé. Ces divers mor- 
ceaux formaient certainement, 
quand ils étaient réunis, un en- 
semble qui pouvait être mis au rang 
des œuvres les plus énergiques que 
la sculpture ait produites, car ses 
parties sont encore aujourd'hui 
autant de chefs-d'œuvre. 

Voici, de ce même artiste, un 
Saint François d'Assise, puis un 



Saint Bruno. Celui-ci est représenté debout, en véicmenis 
blancs, le capuchon rabattu, la icte inclinée en avant, les 
yeux fixés sur un crucifix qu'il tient de la main droite, 
un livre ouvert dans la main gauche. Ce morceau de bois 
donne réellement l'illusion de la vie. Le sentiment religieux 
ne peut guère aller au delà. Notons, toujours de cet artiste 
véritablement supérieur, un Saint Antoine de Padoue por- 
tant dans ses bras l'Enfant Jésus et tenant à la main un 
livre sur lequel reposent les pieds de son précieux fardeau. 
Ce groupe est d'une expression douce et suave, que ne 
font certes pas présager ses autres ouvrages. 

A côté de ces chefs-d'œuvre de Juan de Juni, le musée 
montre de nombreuses productions de Gregorio Fernandez. 
qui se distinguent aussi par le sens de la vie, la fermeté 
et la vigueur de leur exécution aussi bien que par i'enienie 
des draperies, mais qui sont néanmoins d'une sève moins 
âpre et moins violente. 

D'abord une Sainte Thérèse, provenant de l'e'glisc du cou- 




POMPEIU LEONI, Jl'AN DE AHFÉ Et L KEBNANDEZ DEL MOHaL. — la DOcanM M uaa« 

SUtue d« broDio dor4, provenant d« l'ëgliu San P*l>lo. — XTI* «Md* 

(Mmsét à* TtUuiulUH 



vent des Carmélites, d'une expression religieuse intense ; 
une seconde Sainte Thérèse à genoux, revêtue d'un costume 
brode' d'or d'une richesse inouïe^ un crucifix dans les mains, 
la place du cœur évide'e et servant de reliquaire ; un Christ 
en cvo/jT, jadis au monastère de San Beniio-el-Réal, d'une 
exécution impeccable, d'une impression poignante ; une 
Madeleine, de mouvement quelque peu exagéré, mais qu'il 
est difficile de juger en connaissance de cause, car elle fai- 
sait partie d'un ensemble qui n'existe plus. Vient ersuiie un 
Saint Pierre colossal, dans la pose et l'attitude du fameux 
bronze placé à l'entrée de la basilique vaticane. L'apôtre est 




l'fi'jt'j J. Liitrenl (Slajnd}, 



assis dans un large fauteuil doré et orné de gros clous de 
style Renaissance. Revêtu de ses vêtements sacerdotaux 
décorés de sujets modelés et peints avec une conscience qui 
n'exclut pas la largeur du faire, il lève le bras droit, les pre- 
miers doigts allongés pour bénir. Sa tête à demi chauve, le 
visage encadré dans un collier de barbe noire frisée, exprime 
à la fois la fermeté, la puissance, la bonté et même la bon- 
homie ; tout proche du chef de l'Église, sur un escabeau, 
sont posées sa tiare, haute au moins d'un demi-mètre, et 
ses clefs, longues à proportion. Egalement de dimensions 
colossales sont les deux statues de Sainte Monique et de 
Sainte Scholastique, toutes deux de- 
bout, en vêtements noirs lisérés d'un 
ornement doré, un voile blanc sur la 
tête retombant sur les épaules, la pre- 
mière une fleur et un mouchoir dans la 
main droite, la seconde un livre dans 
la main gauche. 

D'autres ouvrages de Gregorio Fer- 
nandez sont tout au moins à noter : 
une Vierge tenant sur ses genoux le 
corps lie son fils mort, taillé pour l'é- 
giiseducouventdeSan Diego; un grand 
et superbe bas-relief du Baptême liu 
Christ, jadis au monastère des Carmes 
déchaussés ; un autre bas-relief, de 
pareilles dimensions, représentant 
Saint Simcon Stock, recevant le sca- 
pnlaire des mains de la Vierge; enfin, 
un buste naturaliste de Sainte Anne, la 
tête enveloppée dans ses voiles, certai- 
nement le très fidèle portrait d'une 
vieille Castillane. 

A coté de ces œuvres indiscutables 
du maître, le musée montre de curieux 
pasos, ou plutôt des fragments de pasos 
qui passent pour être sortis de ses mains. 
Si ces figures ne sont pas de lui, il faut 
tout au moins admettre qu'elles ont été 
laites dans son atelier et sous sa direc- 
tion. 

Le paso est une production parti- 
culière et spéciale à la sculpture espa- 
gnole. Il consiste en une suite de sta- 
tues en bois, ordinairement peintes et 
réchampies d'or, représentant, réunies 
en groupe, les principales scènes de la 
Passion : le Jardin des Oliviers, le 
Jugement de Càiplie, le Couronnement 
d'épines, les Stations de la \'oic dou- 
loureuse, le Crucifiement, la Mise au 
Tombeau, etc., que l'on faisait figurer 
dans les processions de la Semaine 
sainte. Il n'était pas de cathédrale, d'é- 
glise paroissiale, de chapelle, de cou- 
vent qui n'en possédât un et même plu- 
sieurs. 

Dans ces pasos. Judas et les bour- 
reaux, sous leurs costumes de sou- 
dards, de brigands de grand chemin, 
de vagabonds picaresques, ont des 
expressions si basses et si crapuleuses, 
des faces si impudentes et si patibu- 
laires, que lors des processions, le 
peuple cherchait à les mettre en pièces 
et qu'il était dithcile de les ramener 
intacts au point de départ. On dut 



GnEGORIO FEitNANDEZ. - i.e bai-témc du cithist 
Haut relief bois, pioveoant du monastère des Carmes docliaussés. — Fin du 
(Musée de VaUadoUd) 



wi" siècle 



LE MUSEE DE VALIADOLID 




riiolii J. /..iiiroiu 'Shin.l;. 



ALONSO BERKUCjUliTE. — i.e saint sacrihcb et i^ messe. — ladoration des rois. — un saint. — on prophèts 

Retable bois, provenant de l'église San Benito-el-Real. — xvi« siècle 

(Musée de Valladolid) 



3o 



LES ARTS 



même, pour en empêcher la desiruciion, se résigner à ne 
plus les faire sortir. 

Ed. de Amicis raconie, dans son livre sur l'Espagne, qu'à 
la vue de ces statues il crut cire enirc dans un hagnede géants. 

Parmi les ligures des pasos de Gregorio Fernandez ou de 
ses élèves, il faut faire une place au.K deux larrons crucifiés, 
épouvantables suppliciés se tortillant lamentablement à de 
hauts gibets à peine équarris, dont l'un, le mauvais larion 
sans doute, à l'expression basse et ignoble, à la langue 
sanguinolente et enflée sortant de lèvres tombantes, livides 
et tuméfiées, est véritablement sinistre et repoussant. 

La peinture et la dorure de ces statues et de ces groupes 
n'étaient pas une mince affaire. Ils étaient préalablement esto- 
l'ados. Sous cette désignation, qui n'a pas son équivalent en 
français, il faut entendre l'opération que l'on faisait subir 
au bois avant de le recouvrir de couleurs et de feuilles d'or. 
On y faisait adhérer, sur toute sa surface, une toile plâtrée, 
i^ue l'on polissait ensuite jusqu'à lui donner l'aspect de la 
pierre ou du marbre. Ce n'était qu'après ce travail que l'on 




Vholii J. Lattreid (MudrltJJ. 



JUAN ALON'SO VILLABRU.LE. — TlVrE de saixt p 

Bois provonant du cou\cnl do San Pablo. xvlli» 

(Musée de Vatladolid) 



\ui. 
siècle 



procédait au coloriage et à la dorure. Les peintres les plus 
célèbres ne dédaignaient pas de se livrer à cette occupation, 
et les cstofadores habiles étaient fort appréciés. Chaque 
sculpteur avait son estofador de prédilection. Celui de Gre- 
gorio Fernandez était Diego Valentin Diaz, qui jouissait 
d'une grande réputation à Valladolid. 

Un peu au-dessous de Juan de Juni et de Gregorio Fer- 
nandez, il convient de placer Gaspar de Tordesillas, qui 
vivait dans la seconde moitié du xvi'= siècle, dont le musée 
possède une colossale statue de Saint Antoine abbé, à 
allure légèrement tourmentée, au geste emphatique, prove- 
nant d'un retable latéral de l'église San Benito-el-Real, 
source d'une partie de cette galerie provinciale. Couverte à 
profusion de peinture, de dorure et d'ornements de toutes 
sortes, elle témoigne d'une véritable force et d'un caractère 
michelangelesque indéniable. Il est à regretter que, placée 
un peu trop haut et un peu trop à l'écart dans une étroite 
galerie, derrière une porte, on ne puisse l'étudier comme 
elle mériterait de l'être. 

Dans le voisinage de ce Saint 
Antoine abbé, des productions 
d'artistes ignorés méritent d'être 
signalées. D'abord, une très 
noble Vierge, en robe bleue re- 
couverte d'un manteau rouge, la 
tête enveloppée dans des voiles 
blancs et gris; ensuite, deux sta- 
tues de moines, en froc de bure, 
au\ têies ascétiques pleines de 
caractère, aux mains et aux pieds 
d'un dessin très châtié et très pur. 
De Pedro de la Cuadra, con- 
temporain de Gaspar de Torde- 
sillas, le musée renferme un bas- 
relief représentant {'Apparition 
de la Vierge à saint Pierre No- 
lasquc, le fondateur de l'ordre 
pour le rachat des captifs, pro- 
venant de l'église de la Merced 
de Valladolid, d'un beau ca- 
ractère, quoique lourd et sur- 
chargé. 

Ayons garde, quelque répu- 
gnant que soit l'objet, de passer 
sous silence une macabre figura- 
tion de la Mort, au crâne vide 
d'yeux, à la bouche édentée, une 
lamentable guenille autour des 
reins, dont la peau flasque et par- 
cheminée se colle contre le sque- 
lette. De la main gauche, elle 
tient une corne dorée pour l'ap- 
pel du .lugement dernier. Détail 
horrible, des vers grouillants lui 
fouillent les entrailles. Ce mor- 
ceau, d'une rare perfection de 
rendu, a longtemps été attribué, 
mais certainement à tort, à Gas- 
par Becerra. Il provient du mo- 
nastère de San Pablo. 

Pour le faire oublier, signa- 
lons vite une angélique ligure de 
fillette de treize à quatorze ans, 
dont nous regrettons de ne pas 
connaître la légende, Santa Li- 
bcrata, attachée sur une croix, 
la tête tombant sur les épaules, 



LE MU SI-: F. DI-: VALLADOLin 



3i 



les cheveux épandus sur le bois du s;ibet, le corps virginal 
recouvert d'une longue robe blanche à ramages brodés d'or, 
les manches relevées aux poigneis, les mains ci les pieds 
percés, laissant couler des filets de sang. 

Remarquons aussi un délicat et élégant Saint François 
d'Assise, sous la robe de son ordre, à la tête mélancolii.]ue, à la 
bouche légèrement entr'ouvcrte, les mains et les pieds nus, 
conçu dans le style d'Alonso Cano, ci peut-être l'œuvre de 
son disciple Pedro de Mena. 

Nombre d'ouvrages anonvmcs mériteraient encore l'at- 



tention. Deux statuettes de moines, l'un écrivant, l'autre 
lisant, aux visages attentifs, aux mains vivantes, que l'on 
pourrait croire arrachées du tombeau de quelque Philippe 
Pot ; une petite Piedad, d'un faire minutieux ei délicat. 
occupant le centre d'un temple minuscule à colonnes doriques 
et à coupole de style romain. 

Du commencement du xviii« siècle, le musée délient une 
œuvre superbe, d'un réalisme puissant et d'une expression dou- 
loureuse; c'est une tête de Saint Pau/, posée sur une sorte de 
tablette inclinée en marbre strié. Datée de Madrid, — 1 707, — 




/'/,()/(» J. ï,inttf»l 'yaftfiil 



UHEli )niO FERVANDEZ. — le rimisr mort sur lis niNOUX DS la ïiiir.. 
llois prov'onaut ilo l'ogtiso San Diego. — Pin du \vi« siccle 
IMuicc dt Valladdidl 



clieosi dueà un artiste à peu près inconnu, Juan AlonsoVilla- 
brillc. L'apotre des Gentils est représenté agonisant, le front 
dénudé, avec une longue barbe enroulée, les yeux levés vers le 
ciel et la bouche entr'ouverie. Ce beau tiiorceau, qui pro- 
vient du couvent de San Pablo, en a manifestement inspiré 
un autre, figurant le même sujet, qui se trouve également ici. 
Cette seconde effigie de Saint Paul, signée d'un certain 
Felipe Kspinavete et modelée en i 760, cinquante ans après 
la première, est loin d'avoir sa valeur. Si celle de Villabrille 
n'existait pas, personne ne ferait attention à cette dernière. 



Bien d'autres ouvrages seraient à signaler, dans ce riche 
musée de Valladolid : les peintures d'abord, puis les objets 
d'art décoratif, qui s'élèvent si souvent jusqu'au grand 
an, dont il renferme de superbes spécimens. Peut-être les 
passerons-nous en revue plus tard : pour l'instant, conten- 
tons-nous de nommer une splendidc croix en cuivre, d'un 
demi-mètre de haut, sur laquelle sont tîgurcs des person- 
nages, des fleurons et des rinceaux, et dont le fond est 
émaillé de bleu turquoise et de bleu foncé. 

PAUL LAFOND. 



Chronique des Ventes 



Conformément aux usages établis, la saison 
des ventes s'est terminée à la fin du mois de 
Juin, quelques jours plus tôt cependant que les 
années précédentes, où l'on voyait des ventes 
encore assez importantes se faire dans les pre- 
miers jours de juillet. Cette fois, contraire- 
ment à l'habitude, on a fini avec des vacations 
de premier ordre, puis, sans transition aucune, 
on est passé d'un mouvement d'affaires très 
actif au calme le plus complet. 

Les ventes qui ont eu lieu dans le courant 
de juin et dont j'ai à rendre compte dans cette 
chronique, ont donné, en général, des résultats 
très satisfaisants, bien que venant tard dans la 
saison et à une époque où, amateurs et mar- 
chands, sont quelque peu encombrés des 
achats faits durant l'année. Malgré cela, les 
belles pièces ont toujours trouvé acquéreurs à 
des prix dépassant les prévisions. 

Au commencement de juin, MM. Cheval- 
lier, Mannhcim et Falkenberg dispersent la 
collection de Mademoiselle..,, qui comprend 
de magnifiques bijoux et des tapisseries. Les 
joyaux produisent ySo.ooo francs et les tapis- 
series près de 3oo.ooo francs. Je laisserai de 
côté les bijoux pour ne m'occupcr que des 
tapisseries qui se vendent très cher. Le numéro 
de vedette est un meuble de salon couvert en 
tapisserie de Beauvais du temps de Louis XV 
à sujets d'amour et de scènes tirées des fables 
de La Fontaine. Misen vente sur une demande 
de So.ooo francs, il est adjugé 78.000 franc à 
un grand antiquaire parisien. Dans les ten- 
tures se trouvait un panneau des Gobelins de 
la tenture des Dieux, d'après Claude Audran, 
de la fin de l'époque Louis XIV et représen- 
tant, sur fond Jaune clair, la déesse .lunon 
assise sur des nuées. Un marchand la paya 
62.000 francs sur une estimation de So.ooo fr. 
Deux très grandes tapisseries flamandes du 
xviii= siècle, se faisant pendant et offrant des 
sujets militaires se sont vendues à des prix 
bien différents que l'on ne s'explique pas, 
étant toutes deux de même qualité. Pour la 
première, on donna 35. 000 francs, tandis que 
la seconde restait à ig.Soo francs. Cinq pan- 
neaux d'Aubusson du xviii= siècle à sujets de 
marines ont atteint 32. 000 francs, et une 
tapisserie de Bruxelles du xvii<: siècle repré- 
sentant une allégorie des parties du monde a 
fait 17.700 francs. Quelques Jours après, on 
vendait la deuxième partie de cette collection 
comprenant des objets de vitrine. Un bijou du 
xvi« siècle en or émaillé composé d'un cen- 
taure formé d'une perle baroque reposant sur 
un motif ajouré y fut payé i8.85o francs et 
une boîte en or gravé et émaillé du xvui« siècle, 
lo.Soo francs. 

Le 10 juin, on obtint l'adjudication sensa- 
tionnelle de 121.000 francs dans une vente de 
modeste importance faite par MM. Boudin et 
Blée, pour un salon composé d'un canapé et 
quinze fauteuils couverts en ancienne tapis- 
serie très fine d'Aubusson à corbeilles de 
fleurs. L'estimation était de So.ooo francs seu- 
lement. Peu de temps après, un secrétaire en 
marqueterie de bois de couleur du temps de 
Louis XVI orné de très nombreux bronzes 
atteignait 43.000 francs, bien que l'expert, 
M. Mannheim, eût déclaré qu'il était possible 
qu'il y ait eu des additions dans les bronzes. 

Au milieu du mois, M. Lair-Dubreuil, 
assisté de MM. Sortais et Duplan, vendait des 
tableaux et objets d'art provenant des succes- 



sions Delahanteetducomte de H... Le produit 
s'éleva à 172.000 fr. avec des prix impor- 
tants. Dans les tableaux, une grande com- 
position par Oudry, Le Cerf aux abois, fut 
payée 16.000 francs, et deux grandes pein- 
tures par Lépicié, 1 1 .000 et 8.200 francs. Une 
toile par Murillo monta à 10.000 francs et un 
simple dessin rehaussé d'aquarelle par Moreau 
le Jeune, représentant l'enlèvement d'une 
montgolfière aux Tuileries, atteignit i2.5<)0 fr. 
Dans les objets d'art, une pendule en bronze 
ciselé attribuée à Gouthière, formée de deux 
faunes tenant un vase, trouva acquéreur à 
16.000 francs et une paire de vases époque 
Louis XVI en marbre blanc et bronze doré à 
9.500 francs. On donna aussi 10.000 francs 
pour une boîte époque Louis XVI en émail 
vert, montée en or et décorée en camaïeu par 
Sauvage. 

Avec la vente de la collection Bayer, qui 
produisit i 32. 000 francs, passèrent quelques 
tableaux modernes d'importance moyenne. Le 
prix principal fut celui de 22.000 francs donné 
pour une toile de Corot, Le Matin dans la 
Vallée, qui dépassa légèrement la demande. 
Un autre petit Corot se paya 8.000 francs. 
Une peinture de Diaz, Enfants turcs jouant 
aux Boules, fit 14.100 francs, tandis qu'un 
autre. Chiens griffons en forêt, restait à 
6.100 francs. On donna encore io.25o francs 
pour Dans le Désert, par Decamps; i 3. 100 fr. 
pour un paysage par .Iules Dupré et 9. 000 fr. 
pour une composition par Delacroix, Ovide 
en exil che:{ les Scythes. 

Trois ventes de tableaux anciens de diverses 
écoles terminèrent la série des vacations artis- 
tiques et, en même temps, la saison de 
MM. Chevallier et Ferai, qui les dirigeaient. 
La première se composait uniquement de trois 
portraits par David, œuvres de la jeunesse de 
l'artiste, qui devait être plus tard le peintre 
officiel de l'Empire. On ne leur réserva pas 
un accueil très favorable, car aucun n'attei- 
gnit le prix de demande. Le plus important, 
Portrait de M. Desmaisons, (in payé 40.000 fr. 
Les deux autres, Portraits de M. et Madame 
Duron, restèrent à 6.000 et à 8.5oo francs. 

La seconde de ces ventes fut celle de la 
collection Galloiti qui donna un total de 
1 12.900 francs. On poussa là à 25.100 francs, 
sur une demande de 20.000, un beau portrait 
déjeune fille par Van Ravestein. Un portrait 
d'homme, par Van Dyck, fut acquis pour 
6.5oo francs, et un portrait de femme, par 
Rubens, pour 6.400 francs. Dans l'école ita- 
lienne, un panneau de l'atelier de Carlo Cri- 
velli resta à 7.900 francs et, dans l'école 
anglaise, on fit monter à 8.100 francs un por- 
trait de jeune femme sans attribution. 

Le lendemain passa aux enchères la collec- 
tion d'Hautpoul qui, pour venir la dernière, 
n'en donna pas moins un brillant résultat et 
un total de 248.000 francs. Tous les honneurs 
revinrent là à l'école française du xv!!!"-' siècle. 
Le goût du jour pour les peintures de Drouais 
se manifesta d'une façon éclatante, puisqu'un 
amateur paya 41.000 francs un portrait de 
Jeune femme par cet artiste, signé et daté de 
1760. Une petite composition par Lancret, 
Plaisirs champêtres, fut poussée à 40.000 fr. 
et une fort jolie chose par FVàgonàrd, Le 
Confraf, à laquelle pourrait bien avoir colla- 
boré Mademoiselle Gérard, trouva preneur à 
29.000 francs. Quatre dessus de portes, par 



Carie Van Loo, furent payés 13.700 francs; 
une tête de jeune fille, par Greuzc, 1 1 .000 fr.; 
un petit portrait présumé de Louis XVI, par 
Duplessis, 8.000 francs, et deux grandes toiles 
attribuées à Rigaud, 7.000 francs chacune. 
Dans l'école flamande-hollandaise, on s'est 
vivement disputé un petit panneau par Wou- 
werman, Le Camp, que l'on a mené ainsi à 
8.750 francs. De même pour une peinture de 
Ténicrs, Les Fumeurs, et pour une composi- 
tion de la jeunesse de Metzu que l'on a 
payées 6.o5o et 6,000 francs. Moins heureux, 
un portrait présumé de Gaspard de Crayer, 
par Van Dyck, est resté à 6.5o() francs au- 
dessous de la demande. 

A Londres, il y a eu un bon courant de 
ventes chez Christie, mais rien de sensa- 
tionnel. Cependant, des tableaux ont donné 
lieu à des prix élevés, surtout pour l'école 
anglaise. C'est ainsi qu'un portrait de dame, 
par Hoppner, a atteint i 52. 25o francs ; un 
portrait de Robert Burns, par Nasmyth, 
42.000 l'^rancs; un portrait de la comtesse de 
Minto, par Raeburn, 40.675 francs; un por- 
trait de lady Waldegrave, par Reynolds, 
33.325 francs; un portrait de lady Garrow, 
par Opie, 21.875 francs; un portrait de lady 
Hamilion, par Romney, 18.900 francs. Dans 
les autres écoles, un portrait par Macs a fait 
18.900 francs; un paysage par Ruysdael, 
14.700 francs; un portrait d'homme, par 
Tournières, 16.000 francs, et un portrait de 
la maréchale de Luxembourg, par Watteau, 
I 5,225 francs. Pour les tableaux modernes, la 
vente Galloway a fourni des prix intéres- 
sants. Deux paysages, par Corot, ont été 
payés 34.125 et 14.425 francs; un paysage, 
par Troyon, a fait <).i75 francs ; une. vue de 
Saint-Malo, par Lhermitie, 14.000 francs, et 
des Fantin-Latour, aux environs de 10.000 fr. 
Un pastel de Degas a atteint presque 7.000 fr. 
Avec la fin de la vente Hawkins, il y a eu 
quelques prix pour des objets de vitrine et des 
porcelaines. Une tabatière en or ciselé et 
émaillé, époque Louis XVI, a été adjugée 
27.500 francs et d'autres entre 5. 000 et 
10.000 fraiVcs. Deux assiettes en ancienne 
porcelaine de Chine coquille d'œufs ont fait 
8.25o francs et six assiettes en ancienne por- 
celaine tendre de Sèvres à fond rose Du Barrv 
se sont payées 20.000 francs. 

Au moment de mettre sous presse, la nou- 
velle nous arrive de Londres que l'on vient de 
vendre chez Christie, la collection de lady 
Ashburton.DeuxportraitsparVan Dyck, repré- 
sentant le roi Charles L'i^ et la reine Henrietta- 
Maria, ont obtenu le prix sensationnel de 
442.000 francs, achetés par un grand mar- 
chand de Londres. 

A F'rancfort, à la vente de la collection Lut- 
teroth, un tableau par Schreyer, L'Attelage 
russe, aétépoussé à 38. 600 francs; un paysage 
de Calame à i2.3oo francs, et un autre par 
Achenbach à 9.500 francs. A .Amsterdam, dans 
une vente de gravures anciennes, on a donné 
9.870 francs d'une épreuve de Jésus guéris- 
sant les malades, pièce aux Cent florins, par 
Rembrandt, sur papierdu .lapon. Ine épreuve 
de Chaumière et Grange à foin, par le même, 
a atteint plus de 5. 000 francs. Une estampe en 
couleurs, de l'écoleanglaise, par Smith, ^/wc- 
ria, a dépassé 4.000 francs. Enfin, aux envi- 
rons de Lisbonne, on a vendu dernièrement 
35.000 francs deux tapis anciens de la Perse. 

A. FRAPPART. 



DincUur : M. MANZI. 



Imprimerie Manzi, Joyant & C'*, Asnières. 



Le Gérant : 0. BLONDIN. 



LES ARTS 



N° 44 



PARIS — LONDRES — BERLIN — NEW-YORK 



Août 1905 




Pkt>ti^ BraMji, CUmtml f Ci* 



BOTTICELLI i^attribué à). — i.A bki.i.k simonktta 
(Collection de Sir Frederick Cook) 



U COLLECTIOH DE SIR FREDEHiCR COOR, VISCO* È MODSerrale 



.A- I^icliLirxiozxca. 



LA vaste collection de tableaux et d'objets d'art de Doughty 
House, Richmond, près de Londres, a été formée par 
feu Sir Francis Cook, le premier baronnet, vicomte 
de Monserrate en Portugal. La majeure partie fut réunie 
entre 1860 et 1890; il y eut peu d'additions après cette date 
et aucune depuis la mort de SirFrancisen 1901. Depuislors, 
au contraire, il a été fait de judicieuses éliminations, et l'on 




Pholo Brou», CUmenI f Cie 



peut dire que le propriétaire actuel, Sir Frederick, possède la 
collection particulière la plus nombreuse et la plus complète 
d'œuvres des maîtres anciens qui se trouve en Angleterre. 
D'autres collections peuvent contenir des chefs-d'œuvre plus 
célèbres ou des tableaux d'une plus grande valeur historique; 
aucune ne représente aussi complètement toutes les époques 
de la peinture, — l'art moderne excepté, — et son caractère 

général, sévère et pondéré, reflète 
admirablement les goûts et les 
prédilections de son distingué 
fondateur. 

Le noyau de la collection (une 
centaine de toiles) fut acheté en 
bloc à Sir J. Charles Robinson, 
le curateur des galeries de pein- 
ture de feu la reine Victoria, dont 
Sir Francis Cook consulta les 
lumières et rechercha les avis dans 
toutes les acquisitions qu'il fit 
plus tard. Il ne reste qu'un petit 
nombre de ces premiers tableaux, 
car, comme tous les collection- 
neurs avisés. Sir Francis amé- 
liorait constamment l'ensemble 
de sa collection en se débarras- 
sant des œuvres inférieures et, 
comme le nombre des tableaux 
croissait rapidement, il fallait 
faire de la place en sacrifiant ju- 
dicieusement les moins précieuses 
des premières acquisitions. Néan- 
moins il fallut ajouter des gale- 
ries aux galeries jusqu'à ce que la 
collection prit les vastes propor- 
tions qu'elle a actuellement ; et, 
dans ces deux dernières années, il 
a fallu faire de nouvelles modifi- 
cations, de façon à gagner de 
l'espace et à permettre une dispo- 
sition plus avantageuse des ta- 
bleaux. 

Quelques-uns des chefs- 
d'œuvre de la collection sont si 
connus et ont été si souvent gra- 
vés dans les catalogues illustrés, 
les journaux et les revues, qu'il 
a paru plus intéressant de repro- 
duire ici un certain nombre des 
œuvres les moins connues. Nous 
citerons, parmi les premiers, les 
tableaux célèbres, tels que les 
Trois Maries au Sépulcre, d'Hu- 
bert Van Eyck, la Madone à l'I- 
ris, d'Albert Durer, et la Femme 
aux Omelettes, de Velasquez. 

11 nous semble également 
inutile de reproduire les trois 



PIERO DELLA FRANCESCA. (attribué à). — portrait d'une DAmb 

(CoUection de Sir Frederick Cook) 

















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PtM9 Brmmm, Oémni f Ctê, 


TINTORETTO (JACOPO ROBUSTl dit). — portrait d'un stNATitR viMTiK» 
(Collection de Sir Frederick Cook) 





LES ARTS 



Rembrandt, c'est-à-dire le Portrait de la Sœur de l'Artiste, 
le Portrait d'Alotte Adriaans et l'Intérieur avec V Histoire 

de Tobie. . 

L'exposition récente à Paris de la Femme au Bain 
(Gabrielle d'Estrées, peut-être), par François Clouet, a fami- 
liarisé le public avec une remarquable œuvre française, de 
même que la nouvelle publication de l'Arundel Club a fait 
connaître à un grand nombre d'amateurs de l'art italien 
l'important tondo de l'Adoration des Mages de Filippo Lippi 
et la touchante Pietà de Moretto de Brescia. La petite pre- 
della de Raphaël, avec une scène de l'histoire de saint 
Nicolas de Tolentino, a un intérêt historique considérable, 
car elle est (avec un fragment correspondant à Lisbonne) 
tout ce qui rrsie d'un retable jadis fameux, peint dans sa 




Photo Braun, Clément ^ de. 



FBA FILIPPO LIPPI. — SAINT BER^ARD ET SAINT MICHEL 

{Collection de Sir Frederick Cook) 



jeunesse par Raphaël pour Città di Castello. Elle a été repro- 
duite, il y a quelques années, dans la Ga:{ette des Beaux- Arts. 
On peut citer parmi les autres belles œuvres italiennes de la 
collection, la Sainte Famille de Fra Bartolommeo, signée et 
datée de i5i6 qui, avec la Sainte Famille, appartenant au 
comte Cowper, représente dignement ce maître dans les gale- 
ries particulières d'Angleterre, et rachète la pauvreté du 
spécimen que possède la National Gallery ; le Christ couronné 
d'Épines d'Antonello da Messina ou Solario ; le Mars, Mer- 
cure et Bellone de Paris Bordone et le retable avec la Nati- 
vité (signé et date de i534) de Perino del Vaga. De Signorelli 
il y a deux admirables fragments d'un Baptême qui sont 
supérieurs à tout ce qu'on voit à la National Gallery; de 
CrivcUi une ravissante Madone et d'Ercole de Roberti, 

Médée et ses Enfants, d'un su- 
perbe coloris et d'un beau dessin. 
Mais il est temps d'arriver aux 
œuvres reproduites ici. Commen- 
çons par les Italiens et quelques 
peintres Espagnols et P'rançais. 
Les deux saints, Michel et Ber- 
nard de Fra Filippo Lippi, ne 
sont pas seulement des œuvres 
d'une grande beauté; ils ont aussi 
la plus haute valeur historique. Il 
est peu de peintures du xv= siècle 
dont l'authenticité soit aussi par- 
faite, car nous possédons une lettre 
autographe de l'artiste, adressée 
à Jean de Médicis, en date du 
20 juillet 145-, dans laquelle il 
donne une description et un petit 
croquis de la composition en- 
tière, où l'on voit une madone et 
des anges entre ces deux saints. 
Il serait intéressant de retrouver 
la partie centrale et de reconsti- 
tuer ce triptyque dans son cadre 
gothique. Ces deux saints pro- 
viennent d"une collection particu- 
lière de Madrid et, avec l'impor- 
tant tondo du même peintre, font 
d'une visite à la collection de 
Richmond un pèlerinage obliga- 
toire pour ceux qui étudient l'art 
de Fra Filippo Lippi (1). On 
pourrait croire que Burne-Jones 
a été inspiré par le saint Michel, 
car il est des œuvres de maître 
moderne qui présentent beaucoup 
de traits communs avec ce ta- 
bleau au point de vue du senti- 
ment artistique et même du co- 
loris. Quoi qu'il en soit, on ne 
peut nier que le saint de Fra 
Filippo ne soit une des plus belles 
créations de l'art florentin. 



(1) Cependant M. Edward Strutt, qui pré- 
tend être le dernier des biographes de l-'ilippo, 
ne fait même pas mention de ces tableaux. 



LA COLLECTION DE SIR FREDERICK COOK 




M.iM r.Mun, ri.'nmi y 



TITIEN (attribué au). — portrait d'un jklnk chevaukr de maltk 
(Collection de Sir Frederick Cookj 



LES ARTS 



Pour nous en tenir toujours à cette école, mentionnons 
le séduisant portrait de femme, dit^e//a Simonetta, attribué 
à Botticelli. C'est incontestablement un des plus attrayants 
des portraits qui passent pour la représenter; par le coloris 
et le sentiment, il attire l'admiration du spectateur comme 
autrefois celle de Laurent de Médicis. Bien que, par les traits, 
il diffère un peu du portrait de Chantilly qui porte son nom, 
il n'est pas impossible de concilier les deux effigies si l'on 
tient compte du fait qu'ils sont dus à deux artistes différents, 
et surtout si l'on se souvient de la puissante personnalité de 
l'être étrange que fut Piero di Cosimo, lequel a dû commu- 
niquer à son modèle quelque chose de sa nature romanesque. 
D'ailleurs, le portrait de Richmond est moins un portrait 
qu'une brillante improvisation sur une jolie femme, jointe à 
une allégorie qui n'est pas facile à interpréter. 

On peut certainement affirmer l'identité de la Dame de 
Sébastian del Piombo avec la fameuse Foniariua du même 




Vhtilo Bi-rtim, CUmenI J* Cie. 



SEBASTIAN DEL PIOMBO. — portpait de 
(Collection de Sir Frederick Cookj 



artiste qui est au Musée des Offices. Même type et même 
attitude dans les deux tableaux, bien que celui de Richmond 
soit antérieur à l'autre de quelques années. On en peut fixer 
la date avec exactitude car, au point de vue du coloris et de 
l'ordonnance générale, cette dernière œuvre se rapproche de 
la Fille dHérodiade, prêtée par M. Salting à la National 
Gallery et qui est datée de i5io. La Dame de Richmond. 
qui a l'attitude d'une Madeleine, a donc été peinte par 
Sébastian del Piombo, alors qu'il était encore élève du Gior- 
gione à Venise, et ce tableau fournit un point de comparaison 
important pour ceux qui veulent se faire une idée juste de 
l'art de Sébastian del Piombo au début de sa carrière. 

Le Sénateur du Tintoret est un bel exemple de la pein- 
ture vénitienne de la fin du xvi= siècle ; il est plein de vigueur 
et de caractère. Il est instructif de comparer ce portrait d'un 
vieillard, largement et puissamment traité, avec celui d'un 
faire plus guindé, mais non sans noblesse, d'un jeune patri- 
cien, désigné sous le nom 
de Chevalier de Malte, 
attribué non sans raison 
au Titien, bien que, en 
réalité, fort peu dans sa 
manière. A la vérité, ce 
jeune noble vient de Flo- 
rence et non de Venise, 
et malgré la signature 
TITIANVS (évidemment 
ajoutée après coup), il 
faut chercher le peintre 
parmi les disciples du 
Rronzinoetde Pontormo. 
Il est probable que nous 
nous trouvons en face 
d'une œuvre de Fran- 
cesco Salviati, dont l'é- 
lève, Giuseppe Porta, 
surnommé aussi Salviati, 
a fait de ce portrait une 
réplique qui est au musée 
de Berlin. Van Dyck a 
fait dans son album (au- 
jourd'hui à Chatsworth) 
un croquis de cette toile, 
ce qui prouve que ce char- 
mant tableau avait alors 
pour les Flamands le 
même attrait qu'il a de 
nos jours pour les gens 
du Nord. 

Une étrange et atti- 
rante Télé du Christ, une 
des plus émouvantes et 
des plus impressionnantes 
qui existent, nous ramène 
à Venise. On dirait 
presque que c'est un por- 
trait; peut-être l'auréole 
qui l'entoure a-t-elle été 
ajoutée après coup pour 
donner un caractère sa- 
cré à ce qui n'était à 




rholo llniuii.CIcmtttt J( Cie. 



SODOMA (GIOV. ANT. BAZZI dii). — saint georcks kt le dragon 
(Collection de Sir Frederick CookJ 



LES ARTS 



l'origine qu'une simple ressemblance. Ce qui donne un intérêt 
particulier à cette supposition, c'est l'analogie des traits du 
modèle avec ceux d'Albert Durer, et ce problème devient 
encore plus inte'ressant quand on a constaté que l'auteur de 
cette tête est Jacopo de Barbari. Cela semble prouvé par un 
mélange de styles du Nord et de Venise, et par le caractère 
général de 
l'œuvre qui rap- 
pelle le maître 
du Caducée. On 
a aussi attribué 
cette œuvre à 
Lo 1 1 G ou à 
Cima, et on lui 
a prêté une ori- 
gine milanaise, 
mais il y a de 
puissantes rai- 
sons pour com- 
battre ces opi- 
ni o n s, et le 
sentimentgéné- 
ral confirme 
l'attribution 
qu'on en a 
faite à Barbari. 
Quant à savoir 
s'il convient 
d'établir un 
rapport à ce 
sujet entre le 
nom de Durer 
et celui de Bar- 
bari, c'est une 
énigme dont le 
mot est encore 
à trouver. 

Sodoma est 
représenté par 
une belle pein- 
ture. Saint 
Georges et le 
Dragon, dans 
laquelle il a 
déployé de 
grandes quali- 
tés d'imagina- 
tion. Sauf à 
Sienne, cet ar- 
tiste ne peut 
être jugé nulle 
part mieux qu'à 
Richmond, car 

aucune galerie européenne ne possède de lui une œuvre com- 
parable à celle-ci pour la beauté du coloris et le charme délicat 
du paysage. Le manteau de saint Georges, d'un rouge flam- 
boyant, jette une note éclatante de. défi dans la composi- 
tion, et si le cheval paraît appartenir à la race porcine, le 
sujet n'est-il pas du domaine de la légende ? Des documents 
existants prouvent que ce tableau a été peint par Sodoma 
en i5i8. 




Photo Braun, Clément ^ Cie. 



JACOPO DE BARBABI. — tête du christ 
{Collection de Sir Frederick Cookj 



Voici, par Césare da Sesto (comme Sodoma de l'école 
milanaise originairement), un retable qui est son œuvre la 
plus considérable après le polyptyque deMelzi. Son art, mila- 
lais, vénitien et romain, y est résumé en éléments fort recon- 
naissables qui donnent une impression, de décousu peu 
agréable. Césare da Sesto fut le premier des éclectiques et finit 

ses jours en Ita- 
lie méridio- 
nale, dans un 
milieu con- 
forme à son ca- 
ractère. Ce ta- 
bleau, comme 
celuideNaples, 
parait avoir été 
peint pour une 
église de Mes- 
sine ; on voit 
encore aujour- 
d'hui, aumusce 
de Palernie, 
une curieuse 
transcription 
de celte com- 
position. La 
Vierge et l'En- 
fant sont déri- 
vés de Léonard 
d e V i n c i ; le 
saint Georges 
est emprunté à 
Paris Bordone, 
et ensuite au 
saint Georges 
de Castelfran- 
co, du Gior- 
gione. Lesbas- 
reliefsetlesaint 
Jean-Baptiste 
rappellent Ra- 
phaël et la der- 
nière manière 
des S t a n z e . 
Certes, il fallait 
un génie supé- 
rieur à celui de 
Césare daScsio 
pour faire de 
tous ces élé- 
ments dispa- 
ratesuneœuvre 
réussie. Et 
malgré tout, le 
caractère ambitieux de celte œuvre, joint à une certaine 
majesté, à une certaine sobriété dans le coloris, fait de ce 
retable le tableau principal des dernières années de l'artiste. 
La galerie de Richmond renferme aussi un exemple capital 
de sa première manière, un Saint Jérôme peint sous l'in- 
fluence directe de Léonard de Vinci. 

L'Inspiration de saint Jérôme, traitée d'une façon si 
remarquable et si originale, fait penser au Corrège, et c'est 



LA COLLECTION DE .SIR FREDERICK COOK 




Pifltft Bran». CUi»ent y i:î 



LE PERUGIN (attribué au). — i.a flagellation du christ 
(Collection de Sir Frederick Cook) 



comme étant de lui que ce tableau a été gravé dans la 
galerie de Le Brun; il passa ensuite dans la collection de 
Sir Thomas Baring, à qui Sir Francis Cook l'acheta, il y a 
bien des années. Il n'est guère douteux maintenant que ce 
tableau est l'œuvre d'un habile élève du Corrège, Rondani, 
dont on voit des peintures authentiques à Parme et ailleurs. 
Les inscriptions dans le coin et sur la banderole sont incom- 
préhensibles et ont probablement été défigurées quand le 
tableau a été restauré. 

Passant à l'Italie centrale, nous constatons que Signo- 
relli est admirablement représenté par deux fragments de ce 
qui a dû être un Baptême du Christ. Ces figures révèlent si 
parfaitement les meilleures qualités de ce grand maître, qu'on 
doit préférer ces fragments à tous les exemples que possède 
la National Gallery. Nous en reproduisons un dans lequel il 
est intéressant de noter le motif de l'homme qui se dévêt, 




f'Iiolo llraun, Clémtnt ^ Cie. 

CESAUE DA SESTO. — la vieroe et l'enfant, entre saint jean-baf 
I Collection de Sir Frederick Cook) 



motif qui se retrouve dans le Baptême du Christ de Piero 
délia Francesca, qui est à la National Gallery. Mais Signorelli 
montre des connaissances anaiomiques bien supérieures, et 
réussit à faire, d'un incident banal, une chose d'une grande 
beauté. Ces fragments sont fort bien conservés et ne sont 
inférieurs à aucune des œuvres de Signorelli. 

Le Portrait d'une Dame, attribué, suivant la tradition et 
comme tous les profils de cette époque, à Piero délia Fran- 
cesca, a donné lieu à bien des hypothèses. Quelle est cette 
femme à la coiffure bizarre? Quel artiste peignait de celte 
façon? La difficulté est telle que les critiques ne peuvent se 
mettre d'accord sur l'école à laquelle appartient ce portrait, 
et encore moins sur l'identité du modèle. Ce tableau est-il 
vénitien, ombrien, florentin, siennois ? Chacune de ces 
écoles a ses partisans. Une chose, en tout cas, semble claire, 
c'est que ce n'est pas le portrait d'Isotta de Rimini, comme on 

le désignait quand il figurait dans 
la collection Barker, et qu'il n'est 
pas l'œuvre de Piero délia Fran- 
cesca. Et cette constatation néga- 
tive faite, on ne peut en dire autre 
chose à présent. 

Pour finir, nous reproduisons, 
parmi les œuvres des maîtres ita- 
liens, un charmant petit tableau 
de l'Italie centrale, représentant 
la Flagellation du Christ. Autre- 
fois, quand il figurait dans la col- 
lection Norihwick, il passait pour 
un Raphaël, attribution que la cri- 
tique moderne repousse. 11 est 
malaisé de dire s'il est du Pcrugin 
ou de Lo Spagna. Le fait est que 
ce petit tableau est d'une si exquise 
facture que ces deux noms ne 
nous satisfont pas. Nous sommes 
en présence d'une autre énigme 
qui vaut la peine d'être devinée. 
La même incertitude plane sur 
l'Apollon et Marsyas, du Louvre, 
œuvre comparable, sous bien des 
rapports, au tableau de Rich- 
mond ; et si la première de ces 
œuvres est, comme bien des cri- 
tiques l'affirment, du Pérugin, la 
seconde peut l'être également. Au 
point de vue du fini de l'exécution 
et de son état de conservation, 
cette peinture est des plus remar- 
quables; elle attire par la beauté 
du coloris beaucoup plus qu'on 
ne pourrait le croire à la vue de 
la reproduction, qui fait apparaître 
la pauvreté du dessin de certaines 
parties. 

Il va sans dire que ces douze 
tableaux sont loin d'épuiser la 
série intéressante d'ituvres ita- 
liennes que possède la collection 
de Richmond, car, outre les neuf 
autres peintures importantes dont 

TISTE et saint GEORGES 









LA COLLECTION DE SIR FREDERICK COOK 


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l'holo Brauit. CUmtnt y 


Cit. 


VEl-ASQUEZ. — MENIUANT ESPAGNOL 

(Collection de Sir Frederick Cook) 





il a été parlé au début de cet article et que nous ne repro- 
duisons pas ici parce qu'elles sont plus connues que celles 
que représentent nos illustrations, il serait facile d'en citer 
une douzaine d'autres, qu'une galerie moins importante 
serait fière de posséder. Telle est, par exemple, la jolie 
peinture de la Vierge et VEnfant, entourés d'anges musi- 
ciens, attribuée à Fra Angelico, ou encore de précieux 
exemples de l'art siennois, parmi lesquels sont la Madone, de 
Ceccarelli (signée et datée de 1347), et la Nativité, de Kran- 
cesco di. Gior- 
gio. L'école de 
Ferrare, aussi, 
est bien repré- 
sentée par des 
oeuvres authen- 
tiqués de Marco 
Zoppo et de 
Cosimo Tura, 
ainsi que par 
un grand re- 
table d'Ercole 
di Giulio Gran- 
di, et une série 
d'œuvres de La- 
nini, le Domi- 
niquin, Palma 
le jeune, Ca- 
listo da Lodi, 
A n n i b a 1 Ca r- 
r a c h e , C i m a , 
Bassano, Rocco 
Marconi, et, 
parmi les Mila- 
nais, Liiini et 
Gianipetrino, 
complète la 
longue liste des 
pein t u re-s ita- 
liennes. 

Nousallions 
oublier une des 
retivrcs histo- 
riques les plus 
importantes de 
la collection, le 
portrait de Lau- 
ra de Dianti par 
le Titien, qui 
maintenant, 
aprèsdclongues 
hésitations, est reconnu pour l'original qui jadis ornait les 
galeries de Christine de Suède et de Philippe d'Orléans. 
Malheureusement il est dans un état qui est loin d'être par- 
fait. Cependant on peut établir que c'est bien là le portrait 
peint par le Titien poiir Alphonse de Ferrare, vers i523, ce 
qui en fait un document d'une grande importance au point 
de vue de la carrière du maître. En tout, la collection con- 
tient environ cent soixante tableaux italiens. 

La salle espagnole renferme une cinquantaine d'œuvres, 
dont quelques-unes de grandes dimensions et d'une véritable 
importance au point de vue de l'histoire de l'art de la pénin- 




l'Iinlo Bioii.i, Clément i' C, 



JlONDANi lEcoIo du Corrogc). — 
{Collection de Sir 



suie. A commencer par un retable complet en vingt-quatre 
panneaux (chose unique hors d'Espagnei, presque tous les 
meilleurs artistes espagnols_^sont représentes, et il y a même 
des exemples caractéristiques de l'art de Valdcs Leal, Gran 
Vasco et Pedro Campai'ia. 

Nous avons déjà parlé du célèbre Intcrieur de cuisine 
ou Btuiegone, de Velasquez; il est si connu que nous ne 
le reproduisons pas ici, malgré sa très grande importance. 
Deux autres tableaux attribués à Velasquez sont reproduits 

dans ce numé- 
ro ; le premier 
est le Mendiant 
esyagnol ; le se 
cond le portrait 
de la reine Ma- 
rianne d' A II- 
triche. 

En ce qui 
concerne le pre- 
mier, les avis 
sont partagés, 
et il n'est même 
pas certain que 
le tableau soit 
d'origine espa- 
gnole. On ne 
peut niercepen- 
dant que ce soit 
uneœuvred'une 
grande puis- 
sance, quiexciie 
l'admiration du 
visiteur. Le su- 
jet est un peu 
obscur ; mais il 
semble repré- 
senter un vieux 
mendiant, dont 
le seul plaisir 
est la bouteille. 
La sphère pour- 
rait rappeler les 
scènes de sa 
jeunesse, qu'il 
contemple avec 
un regret ému. 
Ce tableau est 
venu d'Espagne 
en I 8 I 8 ; les 
analogies qu'il 
présente avec la première manière de Velasquez l'ont fait 
attribuer à ce maître; bien des critiques, à commencer par 
Jusii, condamnent celte attribution, et l'on n'est pas encore 
fixé sur sa véritable origine. 

On peut en dire autant d'une grande nature morte, qui 
est une des plus remarquables qui existent. Il est au moins 
singulier qu'on l'attribue traditionnellement à Velasquez, 
et si réellement elle est de lui, c'est incontestablement son 
chef-d'œuvre en ce genre. 

La Marianne d'Autriche est regardée comme le premier 
en date des portraits existants de la petite reine; il fut peint 



l'inspiration de saint JKHOUi: 

Frederick Cook) 



LA COLLECTION DE SIR FREDERICK COOK 




VKLASQUEZ 



PORTRAIT HE MARIANNE I) AUTRICHE, EPOISK DK PHII IPPE IV, ROI D ESPAGNE 

{Collection de Sir Frederick Cookj 



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LES ARTS 



par Velasquez au moment où la princesse se rendait à 
Madrid, en 1649. Elle est encore coiffée à la mode autri- 
chienne et porte dans les cheveux la perle historique. 

La collection de Richmond possède aussi un portrait de 




Photo Draun. Cément J" Cie. 



SIGNORELLI. — LB BAPTÊME DU ciiRisT (fragment) 
(Colle et itin de Sir Frederick Cookj 



la même princesse par Carrciio; elle a revêtu un costume 
de religieuse à la suite de la mort du vieux roi Phi- 
lippe IV. Un tableau du même artiste représente leur fils 
Charles II, peint en pied. 

Parmi les autres peintures 
espagnoles de la collection de 
Richmond, on peut citer une 
belle œuvre de Valdes Leal, re- 
présentant le chanoine Bona- 
ventura ressuscité des morts et 
écrivant les mémoires de saint 
François; deux spécimens du 
Greco, dont l'un, le Christ chas- 
sant les marchands du Temple, 
est très lisiblement signé ; un re- 
table de l'Assomption de la 
Vierge, qui est probablement le 
chef-d'œuvre d'Alonso Cano ; 
plusieurs beaux Murillo, parmi 
lesquels le portrait de l'artiste, 
et quelques tableaux primitifs 
espagnols et portugais, y com- 
pris un triptyque par le légen- 
daire Gran Vasco, qui est signé 
Vasco Fernandez. 

Il n'existe nulle part, en 
dehors de l'Espagne, une série 
aussi complète d'exemples de 
l'art espagnol, quoique bien des 
collections publiques possèdent 
des œuvres plus importantes de 
Velasquez, Zurbaran et Ribera. 
La section française contient 
environ vingt-cinq tableaux. Le 
plus ancien est un Saint Pierre, 
de l'école de Nicolas Froment, et 
qui, par le style, se rapproche 
beaucoup du Miracle de Saint 
A/ î"/;v, récemment exposé à Paris. 
A la même exposition, on voyait 
le prétendu Portrait de Diane 
de Poitiers par François Clouet, 
document de la plus grande va- 
leur pour les amateurs de l'art 
français du xvi« siècle, qui est 
reconnu comme l'original de 
plusieurs répliques et copies qui 
se trouvent à Chantilly, à Ver- 
sailles et ailleurs. Le modèle 
n'est certainement pas Diane, 
mais c'est probablement Ga- 
brielled'Estrées; et MM. L. Di- 
mier et Durand-Gréville sont 
d'accord pour voir dans cette 
œuvre la main de François 
Clouet. Il y a, d'une époque 
moins lointaine, quatre Poussin 
de premier ordre, dont un, de 
grandes dimensions, est repro- 
duit ici. Il était autrefois dans 
la collection Borghèse et Sir 



i6 



LES ARTS 



Francis Cook l'acheta à lord Beaunîîxit. Le grand artiste 
français apparaît ici dans toute la perfection de son génie 
classique, s'inspirantde Raphaël et de Jules Romain comme, 



dans un beau Mariage de Sainte Catherine, également à 
Richmond, il s'inspire du Titien. iS Enlèvement des Satines 
et la Peste d'Asdod sont des œuvres qui brillent par le dessin 




l'hotu ISraun, CIthficnt y Cic. 



W. HOGARTH. - sahaii malcolm 
(Collection de Sir frederick Cook) 







LA COLLECTION DH SIR FREDERICK COOK 






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(Collection de Sir Frederick Cookj 









20 



LES ARTS 



et font ressortir les grandes qualités de Poussin autant que 
n'importe quel chef-d'œuvre du Louvre ou de Dulwich. En 
réalité, les sept tableaux de Nicolas Poussin que renferme 
la galerie de Richmond, présentent un résumé de son art 
dont il serait difficile de trouver l'équivalent en dehors des 
collections publiques de l'Europe. 

Les autres tableaux français comprennent quatre bons 
Claude Lorrain, deux petits Chardin, un Le Nain, deux 
Greuze et un J. -François Millet de premier ordre. Le mérite 
de ce dernier sera plus complètement reconnu quand le 
progrès du goût fera rendre justice à ceux qui ont cherché à 
faire renaître l'art classique en France, en Italie et ailleurs. 

Telles sont, en peu de mots, les sections italienne, espa- 
gnole et française de la galerie de Richmond. Passons main- 
tenant aux écoles anglaise, allemande, flamande et hollan- 
daise, chacune desquelles est bien représentée dans cette 
grande collection. 

Sur vingt-cinq tableaux anglais, six sont reproduits ici, 




PhoU' Brmm. Oiment ^ Ci, 



G. nOMNEY. — VIEILLE RAME PRISANT 

(Collection de Sir Frederick Cook) 



la première place étant attribuée au Moulin à vent et écluse 
de Turncr. Ce tableau, peint en 1806, montre que Turner a 
vu et étudié le fameux Moulin à vent de Rembrandt, actuel- 
lement à Bowood. Un tableau antérieur, la Cinquième 
Plaie d'Egypte, peint pour M. Beckford en 1800, montre 
l'amusante idée que Turner se faisait de la grande pyramide 
qu'il n'a Jamais vue; mais comme œuvre d'imagination dra- 
matique et même tragique, cette peinture a un grand mérite 
et, sans ses dimensions, n'aurait probablement pas quitté la 
collection du marquis de Westminster pour passer dans celle 
de Richmond. 

Plusieurs beaux W'ilson et un paysage de la première 
manière de Gainsborough représentent cette phase de l'art 
anglais ; les portraitistes sont représentés par la Sarah 
Malcolm d'Hogarth, la Vieille Dame prisant, de Romney et 
la jolie Dame en bonnet de Reynolds. Les deux premières de 
ces toiles sont reproduites, ainsi que flnspiration de 
Saint Jean, par Reynolds. 

Le Portrait de Sarah Malcolm, 
un des chefs-d'œuvre d'Hogarth, 
a été peint peu de temps avant 
l'exécution de cette célèbre crimi- 
nelle. Il a appartenu à Horace 
Walpole >Stra\vberrv Hill'; par la 
spontanéité et l'éclat de la tech- 
nique, il met Hogarth au pre- 
mier rang des portraitistes de 
toutes les époques. Cette femme 
impérieuse qui assassina sa mai- 
tresseet les domestiques, ses com- 
pagnes, ne méritait guère ces 
honneurs posthumes, et cependant 
Hogarih a immortalisé ses traits. 
La Vieille Dame prisant, de 
Romney, est remplie de charme. 
L'artiste a su faire ressortir la per- 
sonnalité de cette vieille femme 
dont la dignité et la foncière 
bonhomie s'allient heureusement 
à une gaieté tranquille. Très An- 
glaises, les Sœurs, peintes par 
William (Jwen, de l'Académie 
royale; ce sont des femmes raf- 
finées et aimables, dont l'identité 
n'est pas établie, mais qui méri- 
teraient que leurs noms fussent 
connus. On a cru un moment que 
ce tableau était de Hoppner, dont 
il a le stvlc. 

L'Inspiration de Saint Jean 
appartient à un genre peu com- 
mun dans l'œuvre de Reynolds et 
il en existe un croquis dans la 
collection Wallace. Il n'en est pas 
moins fort authentique, de même 
que le Portrait d'une femme en 
bonnet exposé récemment au Bur- 
lington Fine Arts Club. 

Avant de quitter la section an- 
glaise, il est bon de faire remar- 
quer que Sir Francis Cook n'a 



LA COLLECTION DE SIR EREDERICK COOK 



21 




Pkolo Brauti, Ctt^menl { Cit. 



WILLIAM OWKN. — i.ks sœurs 
(Collection de Sir Frederick Cook) 



22 



LES ARTS 



jamais été disposé à acheter des Reynolds, des Gainsbo- 
rough ou des Romney de dix mille livres, ni tenté d'acquérir 
à des prix de fantaisie des Van Dyck en pied. Les achats 
judicieux faits il y a quarante ans ont leur récompense 
aujourd'hui dans la plus-value considérable des œuvres bien 
choisies, et il est peu douteux que, bien que la collection de 
Richmond ne doive pas être mise en vente, sa valeur mai = 
chande a triplé ou quadruplé. 

Si nous passons maintenant à l'École allemande, nous 



trouvons deux tableaux qui l'emportent sur tous les autres. 
L'un d'eux, la Madone à l'Iris^ d'Albert Durer, dont il a été 
question au début de cet article comme étant un des chefs- 
d'œuvre de la collection, est trop connu pour que nous en 
donnions une reproduction. Il n'est cependant pas inutile de 
faire remarquer que l'opinion hostile qu'a exprimée à son 
sujet M. Sturge Moore dans son livre sur Albert Durer n'est 
appuyée par aucun de ceux qui (y compris des critiques 
autorisés comme M. Campbell Dodgson et M. Lionel Cust) 




rholo Braun, LUnml f Cit. 



ECOLE FLAMANUE. — l'auoration uiîs magks itnpt^qiiej 
I Collection de Sir Frederick Ccckj 



ont vu le tableau de Prague qui est incontestablement une 
copie de l'original de Richmond. La société Durer a publié 
ce dernier tableau et en a donné une description complète, 
amsi que de l'autre Durer de la collection, la Montée au 
Calvaire, que M. Sturge Moore lui-même appelle « le 
superbe original d'après lequel la copie plus connue de 
Dresde a été faite ». C'est certainement le chef-d'.euvre 
monochrome de Durer, peint en grisaille à l'huile. Il porte 
une longue inscription avec signature et est daté de 1527. 
Les^recherches des critiques modernes ont fait découvrir à 
Berlin un dessin à la plume dans lequel se trouve la partie 
gauche de la composition et dans la collection des Offices 



un autre dessin indiquant comment Durer a modifié la 
disposition des personnages en exécutant son tableau. Ce 
petit trésor appartenait au duc de Saldanha, de Lisbonne, à 
qui Sir Francis Cook l'a acheté en 1871; mais on ne sait 
comment il arriva en Portugal. Aujourd'hui que l'on se 
plaint souvent que les quelques tableaux authentiques de 
Durer possédés par les Anglais ont été enlevés par les 
Allemands, il est satisfaisant de savoir que la galerie de 
Richmond renferme encore deux œuvres importantes dues 
à son pinceau qui, avec le portrait d'Hampton Court et le 
portrait si discuté de la National Gallery, le représentent 
assez bien en Angleterre. 



LA COLLECTION DE SIR FREDERICK COOK 




HANS HOLBEIN. — portrait d'homme 
(Collection de Sir Frederick CookJ 



24 



LES ARTS 



Après avoir vu une grande Bataille de Pavie, par Jan 
Vermeycn, et plusieurs portraits par Aldegrever, Hans 
Von Scliwaz et autres, on arrive à un autre chef-d'œuvre, 
un Portrait d'Homme d'Holbein, dont nous donnons une 
reproduction. 

Celte œuvre superbe est remarquable par son faire exquis 
et son parfait état de conservation. Elle attire principale- 
ment par sa surface unie, son coloris riche et harmonieux 
où les tons de chair et le fond de marbre se fondent si 
heureusement. Le modek' de la main est bizarre et certains 
autres détails ont amené de bons juges à voir dans ce 
tableau l'ouvrage, non 
d'Holbein, mais de 
Mabuse, et il y a beau- 
coup à dire en faveur 
de ce point de vue. 
Ce qui est certain, 
c'est qu'il est l'œuvre 
d'un maître et digne 
d'Holbein ou de Ma- 
buse. Une tradition 
dont l'origine n'a pu 
être établie, veut que 
ce portrait soit celui 
d'un des Fugger, les 
grands banquiers 
d'Augsbourg. 

Ce portrait fait une 
transition naturelle 
entre les écoles alle- 
mande et flamande. 
Celle-ci est représen- 
tée à Richmond par 
un chef-d'œuvre au 
moins : c'est, cela va 
sans dire, les fameuses 
Tjois Maries au Sé- 
pulcre d'Hubert Van 
Eyck, tableau qui, 
dans ces d e r r. i ères 
années, a été très dis- 
cuté et sur lequel on 
a écrit un volume. 

Il est encore trop 
connu pour que nous 
le reproduisions ou 
que nous discutions 
les questions d'his- 
toire, de topographie, 
de botanique et de cri- 
tique auxquelles il a 
donné lieu. Qu'il suf- 
fise de dire que les 
inscriptionsen hébreu 
sur les vêtements ont 
été récemment déchif- 
frées comme suit : Jésus, l'homme' d'Ephrata, Messie, 
Pierre le premier..., apôtre Jean ici, dans la terre d'Israël 
en l'an de... ce qui semble confirmer la théorie d'un critique 
qui croit que Van Eyck a peint cette vue de Jérusalem 
et le Saint Sépulcre en Terre Sainte. S'il en est ainsi, ce 




l'hijiif liraun. Clément ^ (lie. 

MAITitE DE FLÉMALLE (atlribué : 
{ CoUection de Sir 



serait le pavsage le plus ancien du monde, puisqu'il date 
d'avant 1426. 

Le grand triptvque de Sainte Catherine a été attribué 
jadis à Mabuse, puis à Meisys, puis à un maître flamand 
inconnu. C'est une grande et importante peinture et quoique 
personne à Bruges n'ait pu en fixer la paternité, il est 
certain qu'un jour on arrivera à la connaître. On peut en 
dire autant d'un délicat petit triptyque de l'Adoration des 
Mages également atlribué autrcfois'à Mabuse, mais qui est 
certainement d'un autre. Il vient de Lisbonne et peut être 
reconnu plus tard comme l'ct'uvrc d'un Espagnol ou d'un 

Flamand travaillant 
en Espagne. Il est 
d'un fini très poussé, 
les détails sont comme 
ceux d'une miniature, 
le coloris en est riche 
et harmonieux, et il 
est parfaitement con- 
servé. 

Parmi les autres 
ijeuvres de cette école, 
on peut citer un bon 
exemple de Mabuse 
de l'époque de l'Adam 
et Eve d'Hampton 
Court. C'est un petit 
tableau représentant 
Hercule et Omphale, 
daté de 1 5 1 7 et 
très caractéristique. 
N'ienncnt ensuite une 
belle variante du petit 
retable de Roger Van 
d e r W e y d e n , de 
Francfort, connu 
sous le nom de retable 
de Médicis, et une 
autre et plus récente 
variante d'une cu- 
rieuse Madone habil- 
lant l'Enfant Jésus à 
Saint-Pétersbourg, 
qui parait être du 
Maître de Flémalle ; 
puis une jolie petite 
Madone d'Iscnbrandt 
et une belle trans- 
cription de la Madone 
aux Cerises, annbuée 
aussi à Mabuse; un 
beau Lambert Lom- 
bard, la Cène, daté 
de i53i, dont il 
existe des répliques a 
Bruxelles, Liège, Nu- 
remberg et au château de Belvoir, et enfin un grand 
panneau, peint des deux côtés, par Henri Met de Blés, 
dont la signature, un hibou, se voit dans un coin. Le 
sujet, le Choix de Saint Joseph, comme prétendant à la 
main de la Vierge Marie, est assez rare en peinture. 



iu) . — VIERC.E HABILLAKT Lli^FA^T 

Frederick Cotik) 



26 



LES ARTS 



Il est temps maintenant de nous occuper des Hollandais, 
représentés par i 5o tableaux dont nous ne pouvons donner 
que quelques reproductions. Avant tout il faut citer, de 
Rubens, le Portrait de son frère Philippe. 



Cette majestueuse image d'un gentilhomme à large 
fraise, assis devant une riche tenture, donne une bonne 
idée du mérite de Rubens comme portraitiste. S'il e.xisie 
de plus beaux portraits de ce maître, il n'en est aucun t)ui 




Vlwlo Bvau», Clément ^ Cie. 



VAN DYCK. — PORTRAITS DU FAMILLE 

I Collection de Sir Frederick Cookj 



surpasse celui-ci en vérité ou qui soit plus sobre et 
indique moins d'exagération et de fougue. C'est essentielle- 
ment un portrait de famille et non une œuvre de parade. 
Cette galerie renferme encore un profil du Bourgmestre 



Nicolas Rockox qu'il est de mode maintenuiu d'attribuer à 
Van Dyck à l'époque où il peignait à la manière de Rubens, 
ainsi qu'une brillante ébauche d'une Chasse au Sanglier et 
quelques autres oeuvres de valeur. Mais celles-ci sont 







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28 



LES ARTS 



cependant moins importantes que les tableaux de Van Dyck, 
dont la collection possède plusieurs belles œuvres de sa pre- 
mière manière, au premier rang desquelles est la superbe 
élude sur la Trahison du Christ, dont le tableau achevé est à 
Madrid. Comme cela arrive souvent, l'étude a une puissance 
et un éclat qui manquent à l'œuvre définitive. Elle jaillit des 



mains de l'artiste et a toute l'inspiration, tout le brio d'une 
création originale. Les Portraits de famille, dont nous 
donnons une reproduction, ne lui sont pas inférieurs. On 
lésa longtemps attribués à .lordaens et même à Cornélius de 
Vos, mais il est hors de doute que c'est une œuvre superbe 
du commencement de la carrière de Van Dyck. Ces portraits 




rhfu> itrfiM]>. arment y cif. 



GABRIEL METSU. — d.vme jouaxt db l'iîpiniîtth 
(Collection de Sir Frederick Cook) 



plaisent à l'artiste comme au simple curieux; l'attitude des 
enfants est naturelle et l'exécution -magistrale. Il y a des 
groupes d'un charme égal à Munich, à Cassel et à Saint- 
Pétersbourg — des portraits de famille, évidemment, mais 
dont l'identité n'est pas certaine. 

Un autre groupe beaucoup plus grand est celui que 



présente le tableau de Cuyp, le Bourgmestre et les Con- 
seillers de Dort, qui est un remarquable complément de la 
fameuse série de groupes de Rembrandt et de Van der 
Helst que possèdent les galeries hollandaises. Ces portraits, 
presque de grandeur naturelle, sont d'un réalisme extraor- 
dinaire, leurs yeux suivent le spectateur, de quelque côté qu'il 







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LES ARTS 



regarde le tableau. L'art si varié de Cuyp est bien repré- 
senté à Richmond, où il y a de lui non seulement des 
paysages mais aussi des portraits et des tableaux de 
genre. 

Metsu et Terburg sont représentés, le premier par une 
Dame jouant de l'Epinette, le second par une Fileuse. Nous 
les reproduisons tous les deu.x, ainsi qu'un superbe Nicolas 
Maes, la Fille aux Pommes. Ces trois tableaux représentent 
l'art hollandais dans ce qu'il a de plus caractéristique, c'est- 
à-dire des scènes d'intérieur, et se recommandent par leur 
touchante simplicité. On aurait de la peine à surpasser le 
petit Terburg au point de vue de la peinture, et les gris et les 
tons doux des Metsu rappellent les plus remarquables (ouvres 
de Vermeer de Delft qui n'est malheureusement pas repré- 
senté à Richmond. En revanche, il y a cinq tableaux de 




photo Braun, dément «f Ci>. 



GEHArtD TERIH'nrr. — LA FILEUSB 

(CoUection lie Sir Frederick Cook) 



Macs appartenant à ses différentes manières et plusieurs 
paysages de Ruysdaël. 

Nous avons déjà parlé des trois Rembrandt authentiques 
de la galerie de Richmond ; elle en renferme un quatrième, 
un petit portrait d'un vieillard assis, dont une variante se 
trouve à Berlin. Elle contient aussi plusieurs autres œuvres 
d'école dont la plus grande est l'Enfant prodigue, de 
Govaert Flinck, et un Vertumne et Pomone probablement 
d'Eeckhout. 

Parmi les peintres secondaires, Eglon Van der Neer est 
représenté par un Intérieur avec personnages, Van der 
Cappelle par une magistrale Scène d'hiver, Adrien Van de 
Velde par un sujet semblable et Paul Potter par deux vaches 
datées de 1641. Le Portrait d'un homme qui lit. par Fabri- 
cius, est une rareté, comme le sont aussi des (cuvres de 

Cornélius Picolet, Pieter Van den 
Bosch, Knupfer, Jan Lapp et 
W'yntrack. Les peintres de nature 
morte, Weenix, Van Bcyeren et de 
Heem, sont représentés par plu- 
sieurs toiles exceptionnelles, toutes 
placées dans la salle à manger et 
qui soutiennent la comparaison 
avec le grand tableau attribué à 
Velasquez, dont il a été parlé. Un 
Garde-manger de Snydcrs, de di- 
mensions colossales, avec des 
personnages par Rubens mérite 
aussi d'èire noté, ainsi qu'une 
Cour de ferme, par Bloemart, 
et un Paysage avec ruines, par 
Breemberg. 

C'est ainsi que l'on peut résu- 
mer les œuvres marquantes de la 
section hollandaise de la collection 
de Richmond ; pour la plupart, elles 
sont disposées dans des petits 
compartiments formant alcôves et 
éclairés par en haut, ce qui con- 
serve aux tableaux leur caractère 
d'œ'uvre de chevalet ; il en est 
beaucoup, cependant, qui sont 
dans les appartements privés et 
que le visiteur ordinaire ne voit 
pas. 

Depuis deux ans on a fait de 
la place en construisant, sous la 
galerie, un musée où se trouve 
une partie de la collection de 
marbres et d'antiquités. On y voit 
des pièces célèbres, notamment 
des stèles de l'Attique et des sculp- 
tures grecques. Quelques-unes 
des plus belles ont été exposées 
dernière ment à l'exposition grecque 
de Burlington Fine Arts Club et 
figurent dans le catalogue illustré; 
d'autres, y compris un remar- 
quable tombeau d'Asie Mineure, 
sont trop lourdes pour être trans- 
portées ou d'une date trop récente 



LA COLLECTION DE STR FREDERICK COOK 3i 






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p. -P. RUBENS. — PORTRAIT DK SON FRÈRE PHILIPPX 








(Collection de Sir Frederick Cook) 





32 



LES ARTS 



pour être des œuvres grecques pures plutôt que romaines. 
Les bronzes anciens et du moyen âge qui faisaient à 
l'origine partie de la collection sont passés, selon le testa- 
ment de Sir Francis Cook, entre les mains de son fils cadet, 
M. Wyndham Cook, de même que les miniatures, missels, 
objets d'argent, majoliques, ivoires, émaux, bijoux, pierres 
précieuses et autres objets d'art. Mais il reste assez d'œuvres 
d'art, dans les peintures et les marbres, les tapisseries et les 
terres cuites, les verres et les mosaïques, pour composer une 
galerie qui est la collection particulière la plus nombreuse 



et la plus variée d'Angleterre et qui, par le nombre, la 
diversité et l'intérêt peut soutenir la comparaison avec 
n'importe quelle collection privée. Elle est toujours ouverte 
à ceux qui en font la demande par lettre à son propriétaire, 
qui est généralement prêt à prendre part aux expositions 
anglaises et étrangères dont peu manquent de demander et 
d'obtenir le prêt de quelques objets provenant de cette 
grande collection de trésors artistiques. 

HERBERT COOK. 




Pholo B, ou». Clémenl If Cit. 



NICOLAS MAES. — jkiijib fille tenant un panier rempli de pommes 
f Collection de Sir Frederick Cook) 



Le « Samson trahi par Dalila », de Rembrandt 

AU MUSEE DE ERANCFORl-SUR-LE-MEIN 



NOUS avons la bonne fortune de donner ici une repro- 
duction nette et fidèle (il n'en existait pas jusqu'à 
ces temps derniersi du tableau Samson trahi par 
Dalila, de Rembrandt, que le musée Stxdel, de Francfort- 
sur-le-Mein, vient d'acquérir du comte Schunborn-Buchheim, 
de Vienne, grâce aux négociations de son éminent directeur, 
M. Ludwig Justi, et à la générosité de nombreux amateurs 
locaux, qui, tandis que la ville offrait 40,000 marks, contri- 
buèrent pour la plus grande partie à l'achat de l'œuvre, 
payée la somme de 33o,ooo marks. 

C'est une des toiles les plus importantes (2"'72 de lar- 
geur (i) sur 2^38 de hauteur) et les plus intéressantes du 
maître hollandais. Elle est, en outre, dans un admirable état 
de conservation. M. Bode, dans son grand ouvrage 
L'Œuvre complet de Rembrandt, pense que ce tableau est 
celui que l'artiste, par une lettre du 12 janvier 1639, envoyait 
à Constantin Huygens, secrétaire du prince Frédéric-Henri 
d'Orange, en dédommagement des dérangements qu'il lui 
avait causés et en témoignage de sa gratitude. 

Signée Rembrandt f. i63('), celte composition date d'une 
époque où l'artiste attectionnait particulièrement les sujets 
dramatiques peuplés de personnages de grandes dimensions 
et — contrairement à ce qu'il fera dans sa dernière période, 
où, renonçant à toute action mouvementée, il concentrera 
sur la physionomie de ses personnages toute leur émotion 
intérieure, — cherchait à en tirer le plus d'effet tragique 
possible : de la même année date le Samson menaçant son 
beau-père appartenant au Musée de Berlin; des deux années 
précédentes, le Festin de Baltha^ar de la collection de lord 
Derby, à Knowsley House, et les deux Sacrifices d'Abraham 
de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg et de la Pinacothèque de 
Munich. 

Ce thème de Samson et Dalila avait déjà été traité une fois, 
en 1628, c'est-à-dire tout à ses débuts, parle jeune Rembrandt, 
dans un petit tableau appartenant aujourd'hui à l'Empereur 
d'Allemagne. On y voit Samson reposant sur les genoux d'une 
Dalila assez insignifiante, tandis que les Philistins se glissent 
sans bruit dans la chambre. Dans le tableau de Francfort, 
nous assistons à la suite de l'aventure, au drame lui-même : 
Samson renversé et aveuglé par ses ennemis. Au premier 
plan, l'hercule juif, à demi nu, a roulé à terre sur le dos, 
entraînant dans sa chute un des soldats qui l'avait saisi à 
bras le corps par derrière; à gauche, un des sbires, en 
armure comme tous les autres, le menace d'une pertuisane, 
tandis qu'un troisième, à droite, enchaine son poignet droit, 
qu'un quatrième se précipite, roulant des yeux terribles, 
l'épée levée et le bouclier en avant, et qu'un autre, le saisis- 
sant par la barbe, enfonce un poignard — une belle arme 
orientale, à lame ondulée, à manche orné d'une figurine 
ciselée, que Rembrandt, sans doute, possédait parmi ses curio- 
sités — dans l'œil droit de Samson, dont le visage et tout 
le corps, jusqu'aux orteils crispés du pied lancé nerveuse- 
ment en l'air, se contractent sous l'ertroyable douleur : 
jamais, peut-cire, des pieds et des mains ne furent aussi 
expressifs ; ils crient, autant que la face convulsée, une telle 

(Il Celle Jimcnsion nvail été purli.; Ti 2"'S- par radjonction, au xviii» siècle. Je 
deux bnnJcs étroites qui sont maintenant cachées par le caiire. 



souffrance, qu'on croit entendre le hurlement du malheu- 
reux. Mais, comme l'observe un excellent historien de Rem- 
brandt, M. Cari Neumann, les nerfs des contemporains 
de la guerre de Trente Ans étaient plus résistants que les 
nôtres. Au fond, dans un mouvement oblique, qui accom- 
pagne en sens opposé celui du corps tombé de Samson et 
tire de ce contraste un effet saisissant, Dalila, dont le visage 
pâle et les yeux agrandis reflètent, en une expression inou- 
bliable, à la fois la sensualité et la joie de voir réussir sa 
trahison — « la femme à l'état de séduisant animal féroce », 
remarque M. Justi, qui admire ici en Rembrandt non seule- 
ment le peintre magistral, mais encore le psychologue 
génial, — s'enfuit en brandissant de la main gauche la che- 
velure coupée de Samson. Rembrandt, comme il fit en 
beaucoup d'autres œuvres, lui a donné les traits de sa jeune 
épouse Saskia. 

Placé trop haut et mal éclairé dans la galerie Schonborn, 
ce tableau a repris, sous un jour favorable, dans sa nouvelle 
demeure, toute sa puissance dramatique, à laquelle con- 
courent la savante construction des lignes de la composition 
et la distribution de la lumière, habilement concentrée sur 
le corps de Samson et sur Dalila. De plus, il s'est révélé 
comme une œuvre tout à fait rare au point de vue de la 
coloration : le fond, d'un gris neutre, qui sert de base à la 
composition, le gris plus foncé et plus brillant des armures, 
la jupe bleue brodée d'or et la chemisette blanche, aux tons 
plus chauds par endroits, de Dalila, qui font, avec sa car- 
nation blonde, des accords très fins; Tétoffe bleu clair 
tendue en arrière; la chemise jaune clair, les hauts de 
chausses grisâtres et la carnation brune de Samson, le rouge 
diversement nuancé du vêtement du soldat debout au pre- 
mier plan, concourent à une harmonie générale à la fois des 
plus riches et des plus délicates, très dirtérente de la tonalité 
brunâtre habituelle aux œuvres de la période moyenne de 
Rembrandt, et témoignent de ses dons tout particuliers de 
coloriste. On peut aussi se rendre mieux compte, main- 
tenant, des qualités techniques d'exécution : admirer, par 
exemple, l'habileté avec laquelle est rendue la transparence 
de la chemisette plissée de Dalila, et certains détails de colo- 
ration, où Rembrandt, dans la juxtaposition de tons com- 
plémentaires très vifs, se montre aussi audacieux que nos 
peintres les plus « modernes ». 

Il n'y a plus à ajouter foi à la légende — reprise derniè- 
rement par les journaux — suivant laquelle un des ancêtres 
du comte Schonborn aurait acquis ce tableau, pour le prix de 
la toile, sur un marché devienne où il ser\'ait d'emballage à 
des denrées venues de Hollande. Un érudit viennois, 
M. Th. von Frimmel, en a fait depuis longtemps justice. En 
réalité, cette œuvre provient de Wurzbourg, où elle figura 
dans la galerie de tableaux du prince-évêque de cette ville, 
F'riedrich-Carl von Schonborn; à la mort de ce dernier, 
en 1746, elle émigra à Vienne, où elle fut grave'e, en 1760, 
par Landerer. 

Ajoutons qu'une réplique (qui passa longtemps pour 
l'original du tableau est au MuséedeCassel, où elle figurait 
déjà en 1749. 

AUGUSTE MARGUILLIER 



Dinetanr :H. MANZT. 



!mpriai«ri« Manu, Jotant j[ C><, A>ai«r«s. 



U (Mtnt : e. BLONDIN. 



LES ARTS 



N« 4^ 



PARIS — LONDRES — BERLIN — NEW-YORK 



Septembre 1905 




J.-B. CHARDIN. — LE CHANSONNIER panard 
(Collection de M. et A/"»« George Duruyl 



LA COLLECTION 
SAINT=ALBIN=JUBINAL=QEORGE DURUY 



OR.MER de nos jours une collection, comme 
l'a dit Edmond Bonaffé, c'est faire acte 
de bon citoyen. Plus que jamais, la mode 
est de collectionner, et chaque jour voit 
apparaître de nouveaux amateurs. Il n'en 
est que plus intéressant, au milieu de 
toutes ces collections forme'es depuis un 
quart de siècle au plus, d'en voir une qui 
fut commencée il y a près de cent ans, dans un temps où l'art 
de la curiosité était le dilettantisme de quelques esprits déli- 
cats, l'heureux privilège d'une minorité intelligente. 

La collection de M. et Madame George Duruy a été 





DnOUAIS. — POUTRAiT d'enfant 
(CotUction de M, et M"' George Duruy) 



commencée sous le premier Empire par leur grand-père, 
M. Alexandre Rousselin de Saint-Albin, qui la continua 
pendant la Restauration. Contemporain et ami de Berna- 
dotte et de Carnot, dont il fut le secrétaire, il fut aussi l'ami 
de Danton et de Barras, qui, par testament, lui laissa, avec 
tous ses papiers, le soin de publier ses Mémoires. M.George 
Duruy a assumé la noble tâche léguée par le grand conven- 
tionnel à M. de Saint-Albin et ses Mémoires de Barras sont 
la plus belle et la plus intéressante histoire que l'on ait écrite 
de la France depuis les premières années de la Révolution 
jusqu'à la Restauration. 

Amateur raffiné, M. de Saint-Albin avait, en véritable 
curieux, acheté le bel hôtel de 
Madame de Sérilly, au Marais, 
pour y installer ses collections. 
Sa fille. Madame Achille Jubinal, 
hérita de cet amour pour les 
œuvres d'art et les charmants 
petits souvenirs du temps passé. 
Pendant près de trente ans, elle 
augmenta chaque jour avec un 
goijt des plus délicats cette col- 
lection si originale qu'elle a laissée 
après sa mort à sa fille. Madame 
George Duruy. 



Parmi les tableaux du 
xviii= siècle, le plus beau est, sans 
contredit, le portrait du chanson- 
nier-vaudevilliste Panard, par 
Chardin. Assis à son bureau, sur 
lequel sont en desordre livres, 
morceaux de musique et chan- 
sons, celui qu'on appelait en son 
temps le La Fontaine du Vaude- 
ville semble répéter une chanson 
dans un volume ouvert devant 
lui. La physionomie de cet homme 
qui, de modeste bureaucrate, 
était arrivé à se faire une grande 
réputation comme chansonnier 
des travers de son époque, des 
ridicules et des vices de ses con- 
temporains, est pleine de carac- 
tère, pleine d'esprit et de vie. 

Les portraits authentiques de 
Chardin sont très peu nombreux ; 
celui de Panard est un des plus 
beaux qui nous aient été conser- 
vés. Il ne figure pas sur les listes 
de ceux que Chardin exposa aux 
Salons de l'Académie, et il est 
bien regrettable que tous ceux 
dont nous trouvons mention sur 
ces listes n'aient pas, jusqu'à pré- 
sent, été retrouvés. 

Un bonportrait est celui d'une 
jeune femme ressemblant à Marie- 
Antoinette, mais qui ne nous paraît 



LA COLLECTION SAIN T-A LBIN-J UBINA L-GEORGE DURUY 




DROUAIS. — PORTRAIT DE FGMMK 

(Collection de M. et .\/nie George Duruy) 



LES ARTS 



pas être un de ses nombreux portraits authentiques. La 
légende nous représente ici Marie-Antoinette toute jeune 
fille, encore archiduchesse d'Autriche; ce tableau aurait ete 
envoyé en présenta Louis XVI avant sesfiançailles. Un excel- 
lent travail de M. J. Flammermont sur les Portraits de 
Marie-Antoinette, publié dans la Ga:{ette des Beaux-Arts, 
en 1897-98, nous a permis de comparer les traits du tableau 
de la'collection Duruy avec ceux qui nous représentent 
indiscutablement Marie- Antoinette jeune fille. Un seul 
portrait a, avec celui qui nous occupe, une certaine ressem- 
blance, c'est une charmante petite miniature appartenant a 
la comtesse de Nod ; mais cela ne suffit pas à nous con- 
vaincre que cette jeune femme soit Marie-Antoinette. 

Une femme portant une coiffure très haute et un char- 
mant enfant à la figure spirituelle, habillé d'un vêtement de 
velours gris, sont deux agréables peintures de Droiiais. Un 
très lumineux portrait de femme par Raoux est très yoisin 
de la Femme lisant une lettre, de la collection La Gaze, au 

Louvre. 

Les deux portraits de David sont superbes, quoiqiJ ils 
soient d'une facture bien différente. Celui de Boissy 
d'Anglas est une adinirable peinture, bien que ce ne soit 
qu'une esquisse. Le joli dessin de celte figure énergique, 
encadrée par des cheveux gris qui tombent en boucles sur 
ses épaules, le ton gris de tout le portrait en font un des 
plus beaux morceaux de peinture que le pinceau de David 
nous ait laissés. Le portrait de Saint-Just est certainement 
d'une beauté moins puissante, mais il a peut-être plus de 
charme. David a dû le peindre peu de temps avant que 
Saint-Just ne montât sur l'cchafaud. Il ne semble pas avoir 
loin de vingt-six ans, son âge lorsqu'il mourut. 

La série des pastels est peut-être ce qui charme le plus 
dans la collection Duruy. Le portrait de la comtesse de 
Saint-Albin est un très beau pastel des dernières années de 
Perronneau. 11 porte, avec la signature du maître, la date 



de 1772. Il a le charme et l'incomparable fraîcheur des meil- 
leurs pastels de Perronneau. 

M. Rousselin de Saint-Albin, celui qui fut le premier a 
former cette collection, a son portrait tout enfant, âgé 
d'environ quatre ans. Ce délicieux petit pastel, d'un joli 
coloris, dont l'auteur nous est inconnu, est amusant par le 
costume que porte l'enfant : sur une chemisette en dentelle 
entr'ouverte au cou se rabattent dés petits revers en velours 

rose. . 

Deux petits pastels sur vélin, a peine plus grands que 
les reproductions que nous en donnons, nous représentent 
deux petits enfants, le fils et la fille du peintre Mérelle, 
peintre du xviii= siècle peu connu aujourd'hui. Comme on 
sent l'amour avec lequel le père a fait ces deux petits chefs- 
d'œuvre, sous les traits de ses enfants. Les charmants 
costumes de fête qu'ils portent avec un air sérieux et étonné, 
la fraîcheur délicieuse et la douce harmonie des tons font de 
ces deux petits pastels de véritables bijoux. 

Il faudrait s'arrêter devant chacun de ces pastels, que 
nous devons nous contenter de mentionner seulement en 
passant : deux pastels de Boucher; une tête de jeune femme 
et une petite fille tenant un chat dans ses bras et quatre 
petits pastels de Rosalba Carricra. 

Une gouache de Boucher, qui représente Jupiter sédui- 
sant Antiope, est d'une fraîcheur de tons et d'une harmonie 
de couleurs très heureuses. La composition ingénieuse met 
en valeur la figure d'Antiope, nonchalamment étendue, sou- 
tenue par les nuages, tandis qu'on ne voit que la tête de 
.lupiter et, au-dessus des nuages, l'aigle accompagné d'un 

amour. 

Une série de dessins de la fin du xviii'= siècle et des 
premières années du xix= siècle complète heureusement 
cette collection de tableaux formée avec un goût exquis. De 
Moreau le Jeune, nous voyons plusieurs dessins, parmi 
lesquels le Chanteur ambulant, daté de 1772, et un autre qui 





MÉRELLE. — PoiiTRAiT du fils de l'autbur 
(CoUection de M. tt Si^» George Duruy j 



MÉRELLE. — PORTRAIT de la fille de lalteur 
fCoUection de M. et if»° George Duruy) 





LA COLLECriON SAIN 1- A LBINJ U BIN ALG FORG F DURUY 


5 




1 




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LOUIS DAVID. — SAiNT-jusT 






(Collection de M. et M'"' George Duruy) 





LES ARTS 




HEÏNSIUS. — PORTRAIT DE FEMME (1794j, miniature 
(Collection de M. et M^* George Duruy) 

Lesyeux verts, le teint pâle, habit nankin 
cravate blanche rayée rouge. (Croquis 
diaprés nature à une séance de la Con- 
vention.) 

La miniature représentani un homme 
assis à son bureau, écrivant, le bras 
gauche appuyé sur un livre, est une des 
plus belles que Hall ait signées. Les 
cheveux bouclés, un fichu noué sur la 
tête, cet écrivain, qu'il ne m'a malheu- 
reusement pas été possible d'identifier, 
porte un pourpoint en velours vieux 
rouge, qui contribue à faire valoir ce 
portrait. 

L'acteur Paolo Mandini , célèbre 
ténor italien, fit fureur pendant plusieurs 
années au théâtre de Monsieur. Il est 
intéressant de rapprocher la miniature 
de la collection Duruy qui le représente 
et qui est signée Dumont, l'anJ'"', de 
celleque Dumontfit verslaméme époque 
— le portrait en pied de l'acteur Man- 
dini — exposé au Louvre. 

Le portrait d'une jolie femme, coil- 



porte la date de 1774. De Ma- 
rinier est un joli dessin fait en 
1775 pour une illustration des 
Victimes de l'Amour ou Lettres 
en vers de quelques amants 
célèbres. D'autres dessins sont 
signés deLebarbier, de Grave- 
lot, de Duplessis-Berthaux, 
dont il y a un très beau des- 
sin à la sanguine représentant 
un patineur. Enfin les por- 
traits de Danton et du maré- 
chal Brune sont deux admi- 
rables dessins de David et celui 
de Robespierre, le plus beau 
de tous, légèrement rehaussé 
d'aquarelle, est attribué au 
baron Gérard. Il porte ces 
lignes qui complètent cet éton- 
nant portrait de Robespierre : 
rayé vert, gilet blanc rayé bleu, 





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M"» VIGEE-LEBRUN (Attribué à). — i-orirait de femme 
{Collection de M. et M"' George Duruy) 



ANONYME. — juuB TALMA (miniature) 
{Collection de M. et Jlf"* George Duruy i 



temps du premier Empire, 
de Mademoiselle Le- 
normand, la célèbre 
devineresse qui pré- 
dit à l'impératrice 
.Joséphine son éléva- 
tion, toutes mérite- 
raient mieuxque cette 
rapide énumération. 
A côté de ces 
œuvres charmantes 
du xvin= siècle, nous 
devons nous arrêter 
un instant devant un 
délicieux spécimen de 
l'artdécoratif de cette 
époque. C'est un bou- 
doir décoré entière- 
ment par Salambier 
pour l'hôtel de Cau- 
martin. Madame .lu- 
binai, qui habitait en 



HALL. — PORiRAiT d'homme (miniature; 
i Collection de M. et Jlf«" George Duruy i 

fée de boucles lui retombant sur les 
épaules et portant trois rangs de perles 
en diadème dans les cheveux, est une 
charmante miniature signée : Heinsius 
pin xi t I ~()4. 

Cette très jeune fille, coiffée d'un 
grand bonnet blanc, portant nouée autour 
du cou une cravate blanche, assise sur 
un canapé bleu et tenant à la main 
un bouquet de roses, fut une femme 
légère, célèbre à la fin du xviii' siècle. 
Julie Talma, qui, pendant quelques an- 
nées, portalégitimementlenom du grand 
acteur, était, de l'avis unanime de tous 
ses contemporains, une femme pleine de 
charme, de grâce et d'esprit, autant que 
de tact et de modestie. 

Un portrait en émail peint delà Pom- 
padour ; une femme jouant du piano, 
miniature dans le goût de MadameVigée- 
Lebrun; le portrait d'une femme cou- 
ronnée de roses, portant un costume du 
par Dumont; enfin, le portrait, par Adam, 




DUMONT. — l'acteur mandim (miniature) 
(Collection de M. et tt"" George Duruy) 



LA COLLECTION SAINT- ALBIN-JUBINAL-GEORGE DURUY 




F. BOUCHER. — jiPiTER SÉDUISANT ANTioPK (gouachc) 
(Collection de M. et Af"* George Duruy) 



LES ARTS 




ALMANACII BXl'ER.MIi DANS UN l^TUI EN OU CISCLli, U:MAlLm ET GARNI DE PERLES, AYANT APPARTENU A L'iMPiiRATRiCE MARIE-LOUISE 

(Collection de M. et Jlfn»o George Duruy 



1878 l'ancien hôtel de Caumar- 
tin, à l'angle des rues Bou- 
dreau et Caumartin, avait eu 
la grande joie de découvrir, sous 
plusieurs épaisseurs de papiers 
de tenture, dont l'une datait de 
la Révolution, cette décoration, 
que cette superposition de pa- 
piers peints avait heureusement 
conservée dans un état par- 
fait. Chacun des six panneaux 
montre des fleurs et des attri- 
buts variés ; chacun porte un 
monogramme différent, dans 
lequel on retrouve toujours 
l'initiale C de la famille de 
Caumartin. 

Bien qu'il soit impossible, 
dans une étude aussi rapide, 
de citer tout ce qui mériterait 
l'attention, notons en passant 
quelques-uns des plus jolis 
meubles du xviii= siècle qui 
ornent les salons de Madame 
Duruy : un bureau de dame, 
en bois rose et marqueterie à 
dessins de fleurs, à plusieurs 
tiroirs s'ouvrant très ingénieu- 
sement à secrets ; une de ces 
charmantes petites tables à 




DOITE DE MIROIR EN EMAIL PEINT 

Art français, xvii" siècle 
(Collection de M, et M^" George Duruy) 



ouvrage en bois de violette, 
que leur forme originale a fait 
appeler table-papillon ; enfin 
une petite table-toilette en bois 
de roseet marqueterie à dessins 
de fleurs, dont la partie supé- 
rieure se soulève pour pouvoir 
se poser sur le lit d'une malade. 
La partie supérieure de ce joli 
petit meuble enlevée laisse appa- 
raître un plateau en laque du 
Japon de toute beauté, repré- 
sentant un paysage avec des 
personnages traversant un pont. 
Ce meuble, qui est un véri- 
table petit chef-d'œuvre d'ébé- 
nisterie, porte l'estampille de 
l'ébéniste Péridiez, dont le plus 
beau meuble que nous con- 
naissions est une grande com- 
mode en laque du Japon ornée 
de bronzes dorés, qui se trouve 
aujourd'hui dans les salons du 
Ministère des Finances. 



Toutes les séries des menus 
petits objets de la vie usuelle 
d'autrefois que Madame Jubinal 



LA COLLECTION SAINT-ALBI N-J UBINALGEO RGE DURUY 




J.-B. PERRON NKAU. — la comtesse de saint-ai.bin (17721. — Pastel 
{Collection Je M. et .V™» George Duruy) 



10 



LES ARTS 



réunissait avec amour forment la partie la plus curieuse 
de cette collection si originale. Nous y voyons des petites 
enseignes du xvi= siècle, des bijoux de toutes sortes — 
bagues, colliers, pendentifs, — une agrafe en pierres de 
lune pour relever et maintenir la jupe, dans son vieil écrin 
en cuir fleurdelisé. Un petit coffret en fer damasquiné d'or, 
s'ouvrant à secret, porte cette inscription : Vous ne con- 
naisse^ pas tous mes secrets, le plus beau est caché. Malheu- 
reusement, le portrait manque derrière ces mots qui le 
cachaient aux yeux indiscrets. Dan's un écrin au chiffre de 
Marie-Antoinette sont, en or et émail bleu pâle, le dé et 
les deux bagues que les dames portaient au quatrième et au 
cinquième doigt pour empêcher le fil de les couper. La série 



des mille petits bibelots du xv!!!"^ siècle est charmante avec 
ses boîtes en or, étuis, navettes pour faire de la frivolité, 
bonbonnières et boîtes à mouches. 

Un petit objet bien intéressant, parce qu'il a toute une 
histoire, est un tout petit calendrier fait pour l'Impératrice 
en 1811, à l'occasion de la naissance du roi de Rome. Le 
calendrier, de très petite dimension, a une reliure en or et 
émail bleu et n'offre de particulier que la Saint-Napoléon, 
marquée le 16 août et non le i5. L'Empereur avait donc 
avancé son anniversaire d'un jour pour ne faire qu'un jour 
de féie. L'alrnanach est enfermé dans un étui richement 
émaillé et orné de pcrks fines, l-n sujet allégorique svmbo- 
lise le grand événement que fut alors la naissance du roi de 




BANDES DE TAPISSERIE AU PETIT POINT 

Art français, xvl« siot-le 
ICoUcction de M. et M"' George Duruy) 



Rome. Au milieu de personnages vêtus de costumes antiques, 
un Amour tient le berceau sur lequel on voit la lettre N 
couronnée. A la partie inférieure de l'étui, s'ouvre une petite 
cassolette; en haut, deux colombes tiennent un cartouche 
portant la date 181 i : au revers de l'étui sont les signes du 
zodiaque. 

L'écrin dans lequel se trouve cet almanach historique est 
en maroquin rouge avec les armes de l'Empire frappées 
en or. r rr 

M. Frédéric Masson, qui est l'historien le mieux docu- 
menté sur l'époque napoléonienne, a eu la bonne fortune de 
i-etrouver l'acte de naissance de cet almanach. Dans le Livre- 
Journal manuscrit intitulé : Bijoux achetés pour le service 
de S. M. l'Impératrice et payes sur les fonds de ses 



dépenses particulières et extraordinaires , M. Frédéric 
Masson a trouvé l'almanach ainsi désigné : « Un alma- 
nach renfermé dans un étui en or ciselé, émaillé et enrichi 
de perles. Peinture sur émail, sujet allégorique relatif à la 
naissance de S. M. le Roi de Rome, fourni par Nitot, joail- 
lier, le 17 avril 181 1. Pour or, perles, émail, peinture et 
façon, jSo francs. » 

Puis, dans un autre manuscrit intitulé : Écrin de 
S. M. l'Impératrice et Reine, M. Frédéric Masson a relevé 
des renseignements précis sur ce Nitot, joaillier-bijoutier et 
nullement artiste, qui fut un des principaux fournisseurs de 
l'Empereur. Il vendait pour faire fortune et pour que sa 
fille pût épouser un comte de l'Empire. 

Madame Jubinal avait collectionné toute une série de ces 



LA COLLECTION SAINT-A LJiJN-JUBJNAL-GEORGE DURUY 



M 




[.ouïs DAVID. — boissy-d'anoi.as 
(Collection de M. et Af™» Georf;e Duruy) 



12 



LES ARTS 



petits affiqueis en bois, en ivoire, en fer et en argent, que 
les femmes mettaient jadis à leur ceinture pour y renfermer 
leurs aiguilles à tricoter. Au xviii« siècle, affiqitet avait pris 
ensuite le sens de luxueuse et frivole parure : 

Vous avez de riches manteaux, 
Vous avez de belles cornettes, 
Vous faites d'affiqucts nouveaux 
Toujours d'inutiles emplettes. 

La collection de montres de Madame .lubinal est, après 
la très belle et très complète collection de M. Paul Garnier, 
la plus intèressanic que nous connaissions. Elle comprend 



i3o montres et 35 châtelaines du xvi<= au xviii"^ siècle, qui 
nous permettent de reconstituer toute l'histoire de la 
montre depuis ses premières apparitions jusqu'au début 
du xix': siècle. D'abord, les montres de la Renaissance 
en cristal ou en argent gravé ; les unes en forme de 
croix ; d'autres, en argent, représentant gravés des des- 
sins de l'époque ; l'une est en jaspe avec une monture 
d'or; une autre, en cristal monté en or, porte cette inscrip- 
tion : Les yeux à tout, le cœur pour un. Puis ce sont les 
montres en émail à dessins de fleurs sur fond bleu ou jaune. 
Parmi celles de l'époque de Louis XIH, une charmante 
petite montre en émail porte, d'un côté, un portrait d'homme. 




l'adoration des dergbrs et des rois maoes 

Tapisserie flamande (xvi» siècle) 

(CoUection de M. et M"' George Duruy) 



de Tauirc, une lemnie qui serait une des Mancini, eiT.ourcs 
d'émail vert translucide. Nous arrivons ensuite à la très belle 
série des montres en émail peint de Genève, dont les plus 
riches sont des ceuvrcs des frères Huaud. lue Danaé est 
signée : Hiintid l'aisiic pinxit Gcncvc. Inc femme tenant 
dans ses bras un vieillard, symbolisant peut-être la Clia- 




TAIILE-PAPII.LON (XVIII' sicclu) 
(CoUtction il, M. c( *■• (icurge ;>«tiiy> 



rite, porte la signature : Les deux frères Huaud les Jeunes. 
Huaud le Puisné fecit se lit sur une montre émaillée, 
Decomba^ pinxit Genève i-j4g sur une autre. Ine très 
belle montre en porcelaine de Saxe nous représente un 
paysage; un émail d'après le Pédicure de Téniers, des 
scènes d'intérieurs, des scènes champêtres, le Colin-Mail- 
lard, les Baigneuses de Boucher sont joliment 
traités. 

Enfin cette précieuse collection comprend toutes 
les sortes de montres de l'époque de Louis XVI, 
Jmaux imitant l'écaillé blonde ou brune, bagues, 
montres en forme de boules, poires, lyres, pen- 
sées, fraises et marguerites, et, sur une délicieuse 
petite montre ronde en émail noir, une ronde d'en- 
fants dans de charmants costumes. 

La série des châtelaines est unique. Comme 
l'étaient souvent les montres, les châtelaines furent 
la plupart du temps offertes en cadeau de mariage 
au xvii^- siècle. La plus ancienne en or est de l'é- 
poque de la Régence. Puis, en ne citant que les 
plus belles, celle qui provient de la collection la 
Béraudière en or et émail champlevé à dessins 
de Heurs, une autre en or et porcelaine de Saxe, 
un très bel émail de Petitot provenant de la vente 
Dupré de Tours, en i885. Sur le boîtier d'une 
montre, nous voyons deu.x colombes se becquetant; 
sur le médaillon pendu à une châtelaine, nous 
voyons une rose de laquelle sort un bébé avec 
ces mots : Qu'elle soit pour toi un doux souvenir. 
Enfin, un curieux porte-clef en argent a appartenu 
à une fille de France qui fut abbesse ; il est orné 
d'un cœur, une croix et une ancre, symboles des 
trois vertus théologales. 

La reproduction que nous donnons d'un pan- 
neau, où le beau portrait de Chardin et deux petits 
pastels de Boucher se trouvent encadrés par une 
série d'instruments de musique du xvu' et du 
wni' siècle, montre avec quel goût est arrangcc 
cette collection. La curieuse série des bâtons de 
chef d'orchestre débute par le bâton de maitre de 
chapelle du xvn' siècle en ivoire, entièrement 
gravé dune nuée d'anges musiciens jouant des 
instruments variés: un autre, également en ivoire 
de l'époque de Louis XIH, porte gravé un air de 
musique. Puis, nous voyons les bâtons de chef 
d'orchestre de Fétis, avec l'inscription : .Adolphe 
Samuel à son illustre maitre: hommage de recon- 
naissance ; de Rossini, en corne avec filigranes 
d'or et les initiales G. R.; enfin celui de Verdi, 
en ébène et argent surmonté d'un petit buste du 
compositeur italien, cadeau offert par Verdi à une 
de ses grandes amies. 

Nous apprenons aussi à connaître les différents 
accessoires des maîtres de danse du xvni' siècle: 
la canne, qui se démonte et renferme un violon 
et son archet; la canne-flûte, les petites pochettes 
et l'éventail-pochette. L'n petit tambour porte sur 
la bretelle en cuir qui le maintient les armes de 
France. 

La collection des miroirs comprend toutes les 
sortes de miroirs, depuis ceux en ivoire du 
xiv« siècle jusqu'aux miroirs de mariage du xviii'. 
l ne très belle boite de miroir du xiv siècle nous 
offre, comme beaucoup de ces charmants peiiis 
objets, une scène tirée du Roman de la Rose — 
le Château d'.Xmour. In miroir en émail peint 
du wii'^ siècle à fond bleu pâle, a décor de ticurs 



14 



LES ARTS 



de couleurs variées est superbe. Un autre miroir, très simple, 
en ivoire, porte, gravé sur une bordure d'argent qui l'en- 
cadre, cette inscription : Che ben ti rendo, Quel che tu mi 
dai, dime non ti Doler, Donna Giamai. 

Le buse, cet instrument de gêne et de torture, que les 
femmes de l'antiquité ne connaissaient pas, a pénétré dès le 
moyen âge dans la toilette des femmes, au temps où, pour 
la première fois, la mode fut de se serrer la taille dans un 
corset. Madame Jubinal avait réuni une série des plus 
curieuses de ces buses. Le plus ancien remonte au xii= siècle 
et a probablement appartenu à une abbesse si l'on en juge 
par les sujets religieux qui le décorent. Le buse était alors 
très recourbé, il devint ensuite droit et rigide et servit non 
pas seulement aux femmes, mais aux jeunes élégants, comme 
nous l'apprend Montaigne dans le chapitre des Essais inti- 
tulé Des Coitstumes anciennes. Aux xvii- et xviu= siècles, les 
buses richement gravés étaient offeris en cadeau de mariage. 
L'un de ceux-là, en ivoire, est orné de deux cœurs avec ces 
mots : L'Amour les joint, d'une flèche perçant deux cœurs 




i.VBi.E-ToiLEriE, PAU pERiDiLz. — Époquo do Louis XVI 
(Collection de M. et Jtf".« Gcurge Duruy) 



avec : Elle nous unit et d'une fleur et un soleil avec ces mots : 
Vous voir et jnourir. 

Sur un buse en acier gravé du temps de Louis XIII, on 
lit ces vers curieux : 

Les nymphes que la chasse attire 
A l'ombrage de ces forests, 
Cerchant des cabinets secrets 
Loin de l'embusche du satire, 
Tout auprès le jaloux deslire, 
Pressé d'un amoureux tourment, 
A faict mourir un jeune amant 
Que lui-mesme encore soupire. 

D'autres buses renferment des stylets; l'un de ces buscs- 
poignards porte sur sa lame un cœur gravé. Un autre, en 
baleine, a appartenu à Anne d'Autriche et porte, avec les 
portraits d'Anne d'Autriche et de Louis XIII et différentes 
devises, ces vers bien amusants : 

Je suis ce beau buse curieux 
Aussy chaque jeune amoureux 
Me baise avec force tendresse. 
Je sers de divertissement 
Et ma place ordinairement 
Est sur le cœur de ma maîtresse. 

Sur le buse en fer que portait la grande Mademoiselle, 
au milieu de plusieurs devises, on lit ces vers charmants : 

Combien je porte envie au bonheur qui te suit, 
Etendu mollament seur se blanc sein d'yvovre, 
Partageon entre nous s'il te plaît cette gloire. 
Tu y seras de jour et gi sere la nuict. 

Un autre buse en fer porte encore gravé ces vers : 

Ai de Madame ceste grâce 
Destre sur son sein longuement 
Doux jouis sopirer un amant 
Qui voudrait bien tenir ma place. 

Les peignes que collectionnait Madame Jubinal forment 
une série intéressante, depuisle peigne liturgique du moyen 
âge jusqu'aux luxueux peignes d'écaillé du xvii= siècle. \'n 
curieux peigne de mariage en ivoire, de travail français de 
la tin du xv= siècle, représente, en son centre, sur une 
face, le mari accompagné de son fauconnier faisant tom- 
ber des fruits d'un arbre dans la besace du valet de la 
mariée, qui tient son cœur à la main; sur l'autre face, le 
marié porte la quenouille et la discipline, le valet tient à la 
main le peigne, tandis que la femme tient son cœur et son 
valet sa fortune. Un autre peigne français en ivoire de 
la même époque représente, sur une face, une scène de 
chasse; sur l'autre, un roi, une reine et leur fou. Un 
peigne en buis a appartenu à Marie de Bourgogne, fille 
de Charles le Téméraire; il porte gravés en argent les 
chiffres et armes de France et de Brabant. Parmi les peignes 
français en buis du xvi= siècle, l'un porte ces mos : Prene- 
à gré ce petit don, un autre : De bon cœur la donne. Entin^, 
le peigne de Christine de Suède en écaille et en corne ajou- 
rées est décoré d'une scène de chasse avec cette inscrip- 
tion : Utinam te patriamque fortunet numen supremum. 
Anno i63o. Johann Hammer. Chaque dent de ce peigne 
est terminée par une boule pour qu'il ne blesse pas la 
tête. 

Citons en passant toute une collection de marottes des 



LA COIJ.KCTION SAINT-ALRINJUIilNAL-GEORGE DURUY 



i5 




VITRINE DKS GHATELAINliS Dl" XVIII' SIÈCLE 
(Collection Je M. et A/"" George Duruy) 



xvii° et xviii= siècles, en buis et en ivoire, avec les sifflets, 
les grelots de fou, les médailles de la fcle des fous, une 
grande balte de la Mère Folle de Dijon, qui porte encore 
les cachets de la ville de Dijon. 



La très inicressantc collection de couteaux de Madame 
Jubinal, qui fui exposée en 1871 à Londres, au Kcnsington 
Muséum, mériterait à elle seule une étude sérieuse, car ce 
serait faire Tliistoire de la coutellerie en Italie, en Alle- 




VITIIINE DES BUSCS, DTCS MIROIRS HT DES 1 HAISES 
IColleclion de M.' et M-»* (icorgi; Uurinj) 



magne,^ en Orient et surtout en l'iance, du xvi-' au 
xvuie siècle. Je ne citerai ici que la curieuse série de dou/.c 



couteaux cl une fourciieite, dont les manches sont formés 
des siaïuellcs en ivoire des apôtres et de saint Christophe, 



LA COLLECTION SAIN T-ALlilNJ UIIIN AL-GEORGE DURUY 



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VI 1 RINE DES MONTRES 1)1 X\ le Al XVIIh SIKCI.K 
(Collection de M. et A/"' George Durujr) 



i8 



LES ARTS 



de travail français de la fin du xvi'^ siècle, dans leur étui en 
cuir gravf? et doré ; et la très intéressante trousse de veneur 
du xvi" siècle dans son vieil étui de cuir. Les lames de 
chacune des pièces qui composent cette trousse sont gravées 
et damasquinées d'or et d'argent, les manches sont en 
ivoire; sur le grand couteau de venaison sont gravés avec 
la date de iSSj les croissants de Henri II et de Diane de 
Poitiers. 

Toute une série d'objets en fer fait suite à la collection 
de couteaux, les clefs, les fers à friser de toute sorte, avec les 
curieux fers à papillotes et les fers à moustaches du 
xvni'^ siècle. Un petit tourillet porte les armes de Cosmc 
de Médicis, qui fut amateur passionné d'horlogerie et auquel 
il a appartenu. 

La partie de la collection que nous avons conservée pour 
la fin de cette rapide étude et qui en est certainement l'une 
des plus curieuses, formerait à elle seule un véritable musée 
du costume. La vitrine des gants nous fait connaître 
l'histoire du gant depuis l'époque où les hauts dignitaires 
ecclésiastiques étaient les seuls à en porter jusqu'à l'époque 
de la Révolution. Un très intéressant gant d'évcque est ana- 
logue à celui que conserve le trésor de Saint-Bertrand de 
Comminges. Cn gant de fauconnier en cuir avec les doigts 
articulés nous montre encore le dessus de la main arraché 
par le faucon. Puis, nous voyons toute la série des gants et 
des longues mitaines élégantes du xviii" siècle, l ne paire de 
gants est en dentelle, des mitaines sont ornées de sujets de 
chasse du temps de Louis XV, les unes sont en peau rouge, 
d'autres en soie gorge de pigeon et, pour finir, les gants en 
peau à longues rayures de l'époque de la Révolution. 

La série des jarretières de mariées du xv!!!"^ siècle est 



amusante avec des devises telles que celles-ci : L'union de 
nos cœurs fait tout mon bonheur. — Ma devise est de vous 
aimer et de ne jamais changer. — Je serai tout de même 
aussi content que fidèle, et, entourés de fleurs, ces mots : 
Ces fleurs sont l'image de l'amour qui m'engage. 

Nous voyons encore mille autres petits objets ayant 
servi à la toilette des femmes et des enfants au temps passé, 
des bonnets de toute sorte, bonnet de coureur du xvni= siècle 
avec armoiries en argent, béguins, manchons, robes d'enfant 
et toute une collection de petits souliers, parmi lesquels ceux 
du roi de Rome en velours rouge avec la couronne entourée 
de branches de lauriers. 

Des dentelles de toute beauté complètent cet ensemble 
aussi original qu'intéressant. Nous voyons plusieurs fraises 
de l'époque de Louis XIV en dentelles, dont l'une a conservé 
sa monture, qui permettait de la porter même avec une 
toilette décolletée. Un charmant encadrement de tablier de 
mariage en milan, à dessin de personnages, nous repré- 
sente le marié tenant l'arc et la mariée un coeur enflammé. 
Les costumes en sont très amusants, les bonnets et les 
manches de chaque personnage sont en relief. Parmi les 
plus belles dentelles, citons encore un camail d'évêque en 
point d'Alençon, de l'époque de Louis XIV, un bas d'aube 
cn Venise et ,un l'ond de bonnet en argentan représentant 
Orphée charmant les animaux, de la même époque. Un 
admirable coussin de mariage porte les armoiries d'une 
famille de Bohême, celle du prince de Lobkowitz, comte 
princier de Sternstein. Enfin, d'une finesse surprenante et 
d'une qualité exceptionnelle, est un très beau rabat en 
Venise de l'aube de Mazarin. 

La collection Duruy possède encore une très belle tapis- 




PBIONE DB MARIAOE EN IVOIIIR 

Art français. — xv" Bièch' 
iloltcclion lie M. cl M"" (George Dumyj 



série tissée dans les Flandres au xvi<^ siècle. La disposition 
des sujets en est curieuse; la tenture est séparée inégale- 
ment en deux parties par un pilastre richement décoré. 



PKIONE DE MARIAGE FN IVOIRE 

Art Irançais, — xv« siècle 
(CoUection de M. et iU"'« George Duruxj) 



d'un côté duquel est représentée l'Adoration des bergers, de 
l'autre l'Adoration des rois mages. Le beau dessin et l'écla- 
tante tonalité de cette tapisserie la placent au rang des 



T. A COI.T.FCTION S A IN T- A I.ni\-Jl' lilN AL-GEORG E DURUY 







PANNEAU DES INSTRUMENTS DE MUSIQUE 
(Collection de M. et AI-" George Durtiy) 



LES ARTS 




VITRINE DES GANTS ET DES BONNETS 
(Collection de M. et M""- George Duruy) 



I.A COLLECTION SAINT ALBIN-J UBIN AL-GEORGE DURUY 



21 




meilleures tentures 
sorties des ateliers fla- 
mands au x\i' siècle. 

Citons aussi quatre 
bandes étroites et lon- 
gues de tapisserie au 
petit point, de travail 
Irançais du xvi« siècle. 

Elles nous repré- 
sentent toute une 
série de personnages 
vêtus de riches cos- 
tumes, qui sont de 
précieux documents 
pour l'histoire du cos- 
tume au temps de 
Henri II. 



Nous terminerons 
cette étude en men- 
tionnant les tableaux 
les plus intéressants 
parmi ceux qui ornent 
le cabinet de travailde 
M. George Duruy et 
qui mériteraient tous 
d'être étudiés sérieuse- 
ment. L'n tableau très 
important, qui repré- 
sente un saint Eusta- 
chc.n'estpasuneœuvre 
de Durer, comme l'in- 
dique le monogramme 
de l'artiste ajouté pos- 
térieurement, mais un 
tableau des plus in- 
téressants lait au 
xvi« siècle par un ar- 
tiste de l'école de Co- 
logne, peut-être celui 
qui est connu sous le 
nom du Maître de la 
Mort de Marie, d'a- 
près une gravure d'Al- 
bert Durer. La Vierge 
et l'Enfant à la pomme. 
avec un joli petit fond 
de paysage, est un char- 
mant tableau de Ma- 
buse. D'une qualité 
exceptionnelle est un 
petit tableau de Jor- 
daens représentant une 
Bacchanteetun Silène. 
Entîn, de l'école fran- 
çaise, sont un portrait 
de la célèbre Laure de 
Noves, de rouge vêtue, 
tenant un oeillet à la 
main, et un beau petit 
portrait de Charles IX 
par Clouei. 

CARLE DREYFUS. 



VIIRI.NB UiS UKNTlLLtS 

(CoiUctioH de M, et !(-•• George Dmrmy) 



Les Origines de la Peinture française 




V": PARTIE. l'art nr PORTRAIT Al" TEMPS DE LA 

RENAISSANCE <'' 

voi^uc des ponraits est un des traits frap- 
pants de la renaissance des arts en France 
Elle a ses commencements au temps de 
ravènement de François I". On la voit se 
déclarer tout d'un coup, et ce lait, joint à 
l'origine étrangère du peintre qui la diri- 
gea, fait de ce genre alors une nouveauté 
égale aux décorations de Fontainebleau. 

.lean Clouet dit .lanet, qu'on peut croire F"lamand. était 
en France dès i5i6. Comme il demeura d'abord à Tours, 
quelques-uns ont pensé le rattacher à l'école de peinture de 
celte ville. Cependant tout ce qu'on peut attribuer à ce 
maître est extrêmement différent de Bourdichon et de Fou- 
quet. Le faire disciple de Perréal est un parti moins raison- 
nable encore, puisqu'on manque d'oeuvres même probables 
de ce dernier, et que rien dans les textes n'y fournit d'ouver- 
ture. Les ouvrages dont il sera parlé sont au contraire très 
rapprocfiés de ce qui s'exécutait alors, dans les Pays-Bas et 
sur le Rhin. Leurs parentés certaines sont avec Van Orley, 
avec Mabuse, avec le Mostaert présumé de M. Gluck, en 
général avec les P'iamands qu'une première influence de 
l'Italie, quelquefois de Léonard, a touchés. L'œuvre présumé 
de Janet présenté comme une suite des enseignements go- 
thiques en France, est un paradoxe historique. Il est sur 
que rien dans le drapé ni dans le contour des visages n'y rap- 
pelle la sécheresse et le heurté des miniatures de l'âge pré- 
cédent. A le prendre en général, on y reconnaît l'esprit du 
classicisme et de la Renaissance autant que dans Schorel ou 
dans Holbein. 

Le principal de cet œuvre consiste dans des crayons 
reconnus pour l'ouvrage d'une même main, et dont le temps 
de production s'étend depuis i5i5 environ jusque vers 1540. 
Ces dates sont garanties tantôt par le costume, tantôt par 
l'âge apparent des personnes représentées. Elles s'accordent 
parfaitement avec celles entre lesquelles les textes resserrent 
la carrière de Jean Clouet. Si l'on y joint l'excellence des 
pièces, qui cadre avec le renom du maître, et la qualité des 
personnages, qui répond au rang qu'il tenait à la Cour, on 
concevra quelle vraisemblance pressante conseille de recon- 
naître Janet dans l'anonyme auteur de ces crayons. C'est 
pour marquer cette vraisemblance que je désigne cet ano- 
nyme sous le nom de présumé Jean Clouet. 

Le présumé Jean Clouet est également auteur des mi- 
niatures du Roi et des Preux de Marignan au manuscrit de 
la Guerre Gallique (Musée Briiannique et Cabinet des 
Estampes de Paris), et de cinq lableaux, joint un sixième 
peut-être, dont voici le compte. 

Le Dauphin François enfant, mal nommé F'rançois II par 
le musée d'Anvers à qui il appartient, est de i52o ou à peu 
près; de la même époque date Madame Charlotte, fille de 
France, sa sœur, propriété de M. Aghew. Le petit François I" 
du Louvre se place vers i525 ; l'excellent Claude de Guise, 
des Offices, vers i53o; vers i538 l'anonyme au Pétrarque, 
ornement précieux du château d'Hampioncourt, pièce mai- 
tresse de l'œuvre tout entier. Enfin le petit portrait du Roi à 

(I) Voir ks Arts n<» 3-j, 39, 40 et 42. 



cheval des Oflices, que je ne joins ici qu'avec doute, précède 
de peu l'année 1540. 

C'est la dernière de la vie de Jean Clouet. On trouve 
mention de sa mort dès 1541. Le détail de sa vie est presque 
inconnu. Il eut le titre de valet de chambre du Roi, et parait 
s'êire transporté à Paris depuis i322. C'est là que, désormais 
tenu pour un des premiers maîtres du temps, il mit au jour 
cette grande quantité de portraits dont le souvenir, confondu 
plus tard avec les ouvrages de son fils, devait assurer à leur 
nom une gloire impérissable. 

L'œuvre qu'on doit présumer de sa main reçoit un prin- 
cipal appoint de ce que Chantilly garde de préparations 
au crayon pour ses peintures, presque toutes disparues. 
Ces dessins, qui proviennent pour la plupart des collec- 
tions de Castle-Howard, représentent dans la pratique du 
temps la partie originale et comme la plus importante de 
l'œuvre. Janet se rendait chez les personnes, et tirait aux 
crayons de couleur cette espèce de portraits avec le plus 
grand soin. L'ouvrage fait, c'était pour toujours que le 
modèle avait lini déposer. Le portrait à l'huile s'achevait dans 
l'atelier, au moyen quelquefois de notes manuscrites qui 
dirigeaient le choix des couleurs. Outre la peinture com- 
mandée, le dessin conservé servait, entre des mains moins 
habiles et fort souvent grossières, à tirer des copies pour ces 
sortes de recueils où la bonne société d'alors rassemblait les 
portraits de ses relations et de ses proches. 

Quant aux crayons de Chantilly, leur nombre autant que 
leur perfection en fait quelque chose d'incomparable. Toute 
la Cour du temps se donne rendez-vous là. Le Roi, la Reine 
sa femme, sa sueur et ses enfants, les preux de Marignan, 
vingt familles illustres, Vendôme, Guise, F'oix, Gié, Nevers, 
Tavannes, les dames d'honneur de la reine Éléonore, celles 
de lapetile bande du Roi, des hommes d'église, des docteurs, 
nombre d'inconnus s'y montrent, dans un désordre fait 
comme à la mesure de la vie dont on y cherche l'image. 
Près des dauphins à la bavette paraissent les duègnes de 
cour dans leurs atours vieillis, près du regard de fer des 
capitaines la jeunesse fringante des courtisans, près de la 
majesté grasse des prélats de cour la fraîcheur malicieuse 
des beautés en renom, près du front soucieux des ministres 
d'Etat le charme attendri des jeunes tilles. 

A cette séduction de l'objet, un art discret joint ses pres- 
tiges. Il ne faut pas comparer Janet à Holbein; même à le 
juger sur ces ouvrages, on doit convenir que sa science est 
restreinte et ses moyens assez limités. Seuls les traits prin- 
cipaux du visage, sont indiqués chez lui d'un trait léger et 
sîtr, le reste n'est ajouté qu'avec incertitude; la barbe et les 
cheveux, comme la plumeau chapeau, ne rendent aucun sen- 
timent de la nature. Seulement il faut avouer que jamais petit 
avoir ne fut mis en œuvre avec plus de soin et d'adresse. 
Le crayon surtout est agréable. D'une simple et allègre allure, 
on le voit se porter sur toutes choses et n'y toucher que dans 
sa mesure, bombant les fronts, creusant le pli des paupières, 
soulevant doucement les ailes du nez, mettant aux coins des 
bouches ces tournants agréables qui font reculer et s'asseoir 
les fuyants larges du visage, balançant finement les traits 
égaux, et dans l'asymétrie des trois quarts, rappelant en 
modelé d'un côté ce qu'il trace en contour de l'autre, avec 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



23 



une cltfgance parfaite. Pierre noire et sanguine y mêlent 
leurs travaux. Le maître les assemble en parfait coloriste. 
Mille aspects ingénieux, mille couleurs nouvelles naissent 
sous ses doigts de leur rencontre. 

Le coloris dans les tableaux à l'huile n'ajoute en général 
que peu à cet agrément. La pâte en est belle, comme c'est 
l'habitude chez les peintres des Pays-Bas; l'exécution est 
ti n e et plate. 
Tout le surcroit 
de plaisir qu'on 
y prend, n'est 
que Te If et du 
prestige ordi- 
naire des cou- 
leurs. 

On a repré- 
senté à tort 
François \" 
commeéprisdes 
productions de 
la seule Italie. 
Dans son goût 
vraiment uni- 
versel, il faut 
ajouter le cas 
qu'il faisait des 
tableaux de 
P'iandre, attesté 
par plusieurs 
c o m m a n d c s 
dans ce pays. 
Curieux, comme 
il paraît, de don- 
ner à .lanet des 
émules, il avait 
sollicité Schorel 
de s'engager à 
son service. Ce 
peintre refusa ; 
une autre invita- 
tion, faite vers 
I 5 3o, à Josse 
Van Clèvcs 
d'Anvers, obtint 
un meilleur suc- 
cès. Celui-ci vint 
en France et pei- 
gnit, dit Gui- 
chardin, le roi, 
la reine et les 
autres princes 
du royaume. On 
est en peine de 
dire si des por- 
traits de grande taille, où se montre l'influence italienne, 
deux F'rançois I" du Louvre, une Marguerite sa sœur, à 
Liverpool, une reine Éléonore à Hamptoncourt, émanent 
de quelque peintre de ce genre, ou d'un de ces Italiens 
médiocres, tixés en France dès le commencement du règne, 
dont j'ai fait mention en leur place. 

Tandis que tlorissait dans Paris Jean Clouet, un autre 




PA<i/i> ,>'iMr(T»iflkrf, 



LE PRESUME JICAN CLOUET. — iharlotte ds FitAKcr. mi» dr fiiam-ois i" 
Collection Agncsv iLon^rcst 



peintre, étranger comme lui, comme lui travaillant dans le 
genre du portrait, commençait d'emplir Lyon de son renom. 
C'est Corneille, natif de la Haye, nommé Corneille de Lyon 
dans l'histoire. Ce qu'on lui attribue de plus ancien remonte 
peu avant r536. Il peigni' .n ce temps-là le Dauphin, le duc 
d'Orléans et Madame Madeleine, tous trois enfants de Fran- 
çois \" et âgés de seize à vingt ans. Depuis 1541 il eut le titre 

de peintre de 
Henri, dauphin 
par la mort de 
son frère, qui 
régna depuis 
sous le nom de 
Henri IL 

Les contem- 
porains avaient 
gardé le souve- 
nir d'un voyage 
que la cour fît à 
Lyon en 1 548 au 
lendemain de 
son avènement, 
et dans lequel 
Corneille pei- 
gnit entreautres 
la nouvelle reine 
Catherine de 



Médicis, sans 
douteaussi Mar- 
guerite sœur du 
roi, dans un 
tableau qui est 
à Chantilly. 
Nombre des 
portraits subsis- 
tants sous son 
nom tirent peut- 
être leur origine 
de la même cir- 
constance. D u 
moins c'est un 
fait que quinze 
ansplustard.ee 
peintre était en 
mesure d'expo- 
ser dans une 
chambre, « le 
portrait, dit 
Brantôme, de 
tous les grands 
seigneurs et de 
toutes les gran- 
des daines de la 
cour ». Hors de 
pareils voyages, qui à vrai dire n'étaient pas rares, c'est 
une question de savoir de quelle manière Corneille prenait 
copie de ses modèles. J'ai la preuve que quelquefois au 
moins l'un de ses confrères tirait le crayon pour lui. Il ne 
suivait pas la manière de Janet, et on n'a de sa main aucune 
préparation distincte de ses peintures. On peut supposer 
qu'il a peint sur ces préparations mêmes, de bons juges 



H 



LES ARTS 



inclinant à croire que plusieurs sont sur papier à l'aqua- 
relle sous le vernis. 

On manque d'indications bien certaines sur les œuvres 
de cet artiste. Ce que Gaignières, au xvii= siècle, a remar- 
qué comme son ouvrage, est de mérite trop inégal, et 
trop bas comparé à d'autres pièces du même genre, pour 
qu'on prenne cette mention autrement que comme une 
attestation d'atelier. Pour débrouiller dans le nombre 
l'œuvre propre du maître, l'excellence de l'art reste le seul 
indice. C'est un fondement parfaitement raisonnable, sur 
lequel il est au moins permis d'établir la liste suivante : 
Madame de Martigné-Briant, à Chantilly; Béatrice Pachéco, 
comtesse d'Entremont, et Suzanne d'Escars, dame de Pom- 
padour, à Versailles; Antoine de Bourbon, roi de Navarre, 
chez le comte Lanskoronski, à Vienne ; la Duchesse 
d'Étampcs à M. de Montbrison ; Charles comte de Randan, 
à M. Doistau : ces deux derniers exposés aux Primitifs 
français. 

Tous ces tableaux sont datés par le costume, des envi- 
rons de i55o. On les a loués souvent, parfois avec excès. A 
vrai dire, le talent dont ils témoignent est faible. Nuls d'in- 
vention, de dessin timide, tout l'agrément qu'on leur trouve 
ne tient qu'à une fraîcheur d'exécution, à une légèreté de 
main qui va parfois jusqu'à la séduction. Peu de science et 
beaucoup de ménagement, c'est Corneille de Lyon plus 
encore que Janet. On trouve ici le triomphe d'une ccrtninc 




I.t: MATTItE DE niEUX-CHATEAUNEUI'-. - le comti; de iiEniioRD 
iliisce Wallace (Landres) 




LE PRESUME JEAN CLOfET. — cialde de LonnAiNF, uvc de orisE 
râlais nui (Florence) 

routine, d'un tour perfectionné par la répétition, auquel 
l'ariisic ne saurait rien changer, ni dans la perspective des 
traits, ni dans l'équilibre du maintien, sans courir risque 
de tout gâter. Encore ceci ne procure-t-il que la perfection 
du visage ; le dessin du reste, buste et épaules, est le plus 
souvent détestable. 

Il ne faut donc pas demander si certains rares portraits, 
conçus dans le dessin général de Corneille, mais dont le 
style et la façon rappellent les plus excellents maîtres, sont 
de sa main. J'en compte neuf entièrement conformes pour 
la manière, dont la liste sera donnée ici. Deux anonymes au 
musée de Vienne, un autre à l'Académie de Venise, un au 
palais Pitti de Florence, un cinquième dans la collection 
Cumberland à Hanovre, un sixième à M. Hutteau, exposé 
aux Primitifs français ; dans la collection Wallace, le comte 
de Hertford ; naguère chez M. Butler, à Londres, Jean de 
Rieux, 'baron de Chàteauneuf ; enfin, venant neuvième, 
dans de grandes dimensions jusqu'à présent exceptionnelles, 
un triomphant anonyme du musée d'Avignon, longtemps 
attribué à Holbein, et qui n'eût pas fait honte à ce grand 
maître. Je nomme, pour la commodité, l'auteur inconnu de ces 
chefs-d'œuvre (dit pseudo-Amberger chez M. de Frimmel), 
]e peintre de Rieux-Chàteauneiif. Rien n'assure qu'il ait été 
Français. Ses modèles semblent allemands pour une partie; 
d'autres paraissent ou sont anglais. La date portée sur un 
des tableaux de Vienne est rédigée en italien. Cette diversité 
de référence ne fait qu'accroître le mystère. S'il doit revenir 
un jour à nous, ou prendre place parmi les étrangers qui ont 
tiré leur renom de France, son rang sera marqué dans 
l'école fort au-dessus de tout ce qu'on y met à présent, au- 
dessus de Corneille, au-dessus de l'un et de l'autre Janet. 

Du reste, on aurait tort de croire petite la liste des 
peintres d'alors approchants de Corneille. Ce qu'on soup- 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



25 




FRANÇOIS GLOl'ET. — charlks ix, roi db frange 
Musée Impérial i Vienne) 



26 



LES ARTS 



çonne de maîtres oublie's derrière un grand nombre de 
pièces du même genre, ne doit pas être négligé. Des por- 
traits comme celui du duc d'Enghien au Louvre, ceux d'une 
main différente,que M. Benson avait prêtés aux Primitifs fran- 
çais, ne peuvent manquer de former quelque jour le centre 
de classements nouveaux, où des mains anonymes marque- 
ront leur existence. Plusieurs y devinent une part de maî- 
tres anglais. Il sera curieux de reconnaître ce que ceux-ci, 
regardés comme disciples de Holbein, ont pu tenir d'une 
autre formation, à quel point des leçons émanées des Fla- 
mands qui florissaient chez nous, ont pu toucher les Bettes, 
les Stretes et les Hilliard. 

Cependant, l'école du vieux Janei, que vingt-cinq ans 
d'une production fêtée avait établie à la cour, refleurissait 
sous son fils. François Clouet eut dès 1541 le titre de 
peintre du Roi et les appointements de son père. Ce qu'on 
doit lui attribuer de crayons commence aux environs 
de i53o. 

N'omettons pas que, pour l'un comme pour l'autre, on 
manque de témoignages certains de leurs ouvrages. Ce qui 
sert à constituer l'œuvre de Janet le jeune, c'est d'abord la 
parfaite ressemblance de style entre un assez grand nombre de 
dessins du Cabinet des Estampes de Paris, et d'ailleurs. Ces 
dessins d'une part vont des débuts présumés de la carrière 
de François Clouet jusqu'à sa mort; d'autre part on y 
trouve tous les portraits des princes qui régnèrent en France 
de son vivant, tracés avec un art supérieur. Si l'on joint à 
cela la tradition, flottante il est vrai, qui place le nom de 
.Tanet sur les plus célèbres de ces morceaux, peut-être on 
trouvera que c'est assez pour ne conserver qu'un douic 
abstrait, qui s'efface dans le langage ordinaire. Celui qu'on 
présume être François Clouet, à bien plus de titres qu'on 





Plailo Kimin, CUmeiu J" Cic. 

CORNEILLE DE LYON. — madame dk MARTiami-BRiANi 
Musée Condé (Chantilly) 



FRANÇOIS CLOUET. — jeanne d'albrkt 
Musée Condé IChanlilly) 

n'en eût pour son père, sera donc appelé ici simplement de 
ce nom, les réserves faites une fois pour toutes. 

Le plus ancien tableau qu'on lui assigne, est celui de 
Catherine de Médicis encore dauphine, à Versailles. De 
portrait peint de Henri H, on n'en connaît pas avant i SSq, qui 
fut la dernière année de ce prince. L'ouvrage dont il s'agit, peu 
connu jusqu'ici des historiens de l'art, est aux Offices de Flo- 
rence. Il représente le Roi en pied et de grandeur naturelle. 
Les copies de ce portrait sont nombreuses, mais deux seule- 
ment, réduites au buste, l'une aux Offices encore, l'autre à 
Versailles, peuvent passer pour sortir de l'atelier du maître, 
.l'ajoute ici le portrait du musée de Turin, représentant 
Marguerite sœur du Roi, en deuil blanc. 

Tout porte à croire que le règne de Henri II vit la for- 
tune faite de François Clouet. Les gens de cour commen- 
cèrent à n'avoir plus que son nom à la bouche. Les poètes 
le célébrèrent dans leurs vers. Les imitateurs lui vinrent en 
foule. Le plus ancien, que j'appelle, faute de mieux, l'ano- 
nyme de i55o, emplit de ses crayons le moderne château 
de Chantilly. Denisot, Bouteloup, Germain Lemannier, se 
placent à la même époque. Enfin le fils de Geoffroy Dumoù- 
tier, Etienne, en qui commence dans cette famille les géné- 
rations de peintres portraitistes, commence de se faire admirer. 

La vogue des recueils de crayons continue de s'étendre, 
et de donner naissance aux mêmes fâcheux ouvrages, dont 
un doit être distingué pourtant, œuvre peut-être de l'anonyme 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



27 



J^i Ji kanfçtML m3k^. 







r/<tf/« Girawtfon. 



■Vi>. 



LE PRÉSUMÉ JEAN CLOUET. — le maréchal ue montkjean (dessin) 
Musée Condé (Chantilly) 



28 



LES ARTS 



de i55o, dont les débris figurent encadres aux murailles de 
la Galerie du Logis, à Chantilly. 

Il faut remarquer que cette branche de l'art ne laissait pas, 
en prenant de rimportance, d'ecarier pcrsévéramment tout 
mélange d'ita- 
lianisme. C'est 
un des traits cu- 
rieux du temps 
et qui se conce- 
vrait à peine au 
sein d'une école 
établie. Rien 
n'est si différent 
que l'œuvre 
d'un Pri malice 
et celle d'un 
C 1 o u e t . Ces 
peintres, dont 
la carrière com- 
mence vers le 
même temps, 
qui dans le 
mcmetempsdé- 
barrassés l'un 
d'un rival, 
l'autre d'un 
père, prirent en 
main le sceptre 
de l'art au mi- 
lieu de la même 
cour, qui mou- 
rurent (chose 
notable) pres- 
que la même 
année, chargés 
des faveurs des 
mêmes princes 
et d'une gloire 
avouée par la 
même société, 
sontrestéscons- 
tamment éiran- 
g e r s l'un à 
l'autre. Le plus 
habile n'exerce, 
ainsi qu'on eut 
pu cro're, nulle 
influence sur 
celui de talent 
moindre. Les 
écoles qu'ils 
soutiennent et 
qu'étendent 
leurs exemples, 
ne se main- 
tiennent pas 
moinsTigou- 

reusemént distinctes. Jusqu'à la tin cette distinction subsiste, 
rompue çà et là seulement par quelques ouvrages rares et 
si bien isolés, qu'ils n'ùtenl rien de cette remarque. 

La toute-puissance de Catherine s'annonce, dans l'œuvre 




CORNEILLE DE LYON. — 
Musée de 



de François Janet, au lendemain de là mort de Henri II, par 
le fameux portrait en deuil de cette princesse, dont la meil- 
leure réplique, a-uvre d'atelier peut-être, appartient à M. le 
baron d'Albenas. De François II et de Marie Stuart on n'a de 

la main du mai- 
tre les portraits 
qu'en crayon. 
Je parle du por- 
trait de celle-ci 
en deuil blanc, 
le seul qu'il con- 
vienne de main- 
tenir à Clouet, 
et dont sub- 
sistent plu- 
sieurs répliques 
à l'huile. A la 
liste des enfants 
royaux, il faut 
joindre l'admi- 
rable crayon re- 
haussé de Mar- 
gueri te leur 
s ( e u r , p i è c e 
d'i mportance 
égale au pan- 
neau le plus 
achevé, hon- 
neur de la Gale- 
rie de Psyché à 
Chantilly. 

Au lende- 
main de la mort 
du jeune roi 
prend place l'ex- 
cellent petit 
portrait de 
Charles IX, son 
frère, au musée 
de Vienne, daté 
de I 3 tJ I . D e 
i366, malgré 
l'inscription 
fausse, est 
Charles IX, en- 
core au même 
musée, dans le 
célèbre portrait 
de grandeur na- 
lu relie, où le 
nom de Jannct 
inscrit a long- 
temps passé 
pour une signa- 
turc. Une par- 
faite réplique 
en petit de ce 
morceau est au Louvre. Outre ces portraits royaux pour 
toute cette époque, on doit joindre, d'un mérite égal et d'une 
pareille authenticité, celui de Jeanne d'Albret, à Chantilly 
(1570), celui d'Anne d'Esté, duchesse de Ferrare,à Versailles; 



LA COMTliSSi: U C.NTitEMOM 

Versailles 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 




rluKit Viirnudom. 



FRANÇOIS CLOUET. — marguerite de frasce, fille de henri it (dessin) 

Musée ConJé (Chantilly) 



3o 



LES ARTS 



celui de Claude de Beaunc, duchesse de Roannais, au Louvre. 
François Clouet se montre, dans tous ces ouvrages en pleine 
possession de ses talents. 

Il faut avouer qu'ils ont, du côté de la science, une supé- 
riorité qui manque à ceux de son père. Le dessin du deuxième 
Janet est un des plus approfondis, des plus exactement 
mesures qui soient. Il a, dans le trace du visage humain, la 
capacité d'un spécialiste, à qui le long exercice d'un art 
moins étendu que profond fait entasser les remarques et 
l'expérience. La mise en place exacte de toutes les parties 
déliées, fuyantes et mobiles du visage, la recherche atten- 




Pholo Sauvanaud. 



LE PRÉSUMÉ JEAN CLOUET. - l'inconnu 
Château d'Iiamptoncourl 



tive des relations plus subtiles, d'où le gros des formes tire 
sa solidité et l'aptitude à façonner l'ensemble d'une physio- 
nomie et d'un type, vont chez lui à la perfection. Dépourvu 
comme il est de la grâce italienne, ses attaches flamandes ne 
lui valent non plus rien du ragoût et de la solidité des 
Flandres ; mais la probité de son dessin confère à ses 
ouvrages une force qui, quoique moins propre à éblouir, est 
aussi capable de satisfaire le goût plus longtemps. Même des 
agréments de couleur se révèlent chez lui à l'examen. Sa 
touche des traits du visage est légère, le fondu de ses lèvres 
est beau; dans les meilleurs de ses ouvrages, le bord et le 

dessous des 
paupièresvont 
sans séche- 
resse ; dans le 
crayon deMar- 
guerite enfant, 
les mains sont 
de vraies mer- 
veilles d'exé- 
cution aimable 
et fine; enfin 
partout les ac- 
ce s soir es, le 
drap du vê- 
tement, la 
p 1 u m e sont 
imités avec 
beaucoup de 
charme, les 
bijoux touchés 
très délibéré- 
ment et avec 
art. Tous traits 
qui, sans por- 
ter le maître 
au niveau 
d'une compa- 
raison que les 
ouvrages con- 
temporains, 
ceux de Moro 
et de quelques 
autres appel- 
lent, compo- 
sent l'intéres- 
sant spectacle 
d'un art maître 
desoi, profond 
plus qu'il n'a 
l'air, où la mi- 
nutieuseaiten- 
tion n'empê- 
che pas que 
beaucoup 
de sûreté ré- 
side. 

Entre plu- 
sieurs traits 
qui marquent 
le cas qu'on 

AU PKTRAKQUE 



LES ORIGINE'S DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



3i 




PAo/rt Gitaudan, 



LE PRÉSUMÉ JEAN CI.OUET. — jkan sirk dï canaples (dessin) 
Musée Condé (Chantilly) 



32 



LES ARTS 



faisait de François Clouet, il faut noter la commission qu'il 
eut aux funérailles des souverains, de prendre le moule des 
visages de François I" et de Henri II, ainsi que l'avis qui lui 
fut demandé par la Cour des Monnaies sur un coin à 
l'efligie de Charles IX. Quelques auteurs là-dessus ont 
supposé à tort qu'il fut contrôleur des monnaies. La vérité 
est que ses services s'étendaient à toutes les occasions où se 
débattait la ressemblance d'un visage. Pour le reste, on le 
voit assumer assez de travaux différents, la peinture d'un 
coffre, des bannières, dont le soin montre en lui le succes- 
seur de nos plus vieux peintres français; des miniatures 
enfin, dont deux échantillons sont conserves au musée de 
Vienne. Ce sont les portraits adossés de Catherine de Mé- 
dicis en veuve et de Charles IX, incomparables d'aisance et 
de délicatesse. Les autres travaux de ce genre qu'on a cités 
de lui, ne résistent pas à l'examen. 

François Clouet ne fut jamais marié. Toute sa famille 
était de deux filles naturelles, et d'une sœur qui fut mère de 
Benjamin Foulon, peintre de portraits comme son oncle. 
Outre la protection du Roi, il jouit sans doute de celle de 
plusieurs grands seigneurs : le fait est attesté pour le duc 
de Roannais, Claude Gouffier de Boisy, dont il a peint la 
femme. 

Les dernières années de Charles IX inarquent la fin de sa 
carrière. Dans le dernier portrait de ce roi, son oeuvre en 
reflète la tristesse et l'horreur. On n'en possède que le 
crayon, en deux exemplaires, au Cabinet des Estampes. 
C'est une des belles et fortes choses qu'on puisse voir. Le 
dessin et l'exécution y sont d'une largeur admirable; l'expres- 
sion d'angoisse intérieure et de langueur physique d'une 
vérité parfaite. En 1 5-1, l'agréable figure de la nouvelle reine 
Elisabeth d'Autriche, dont le portrait est au Louvre, met sa 
sérénité dans ces tempêtes. Vers le même temps, le portrait 
de fantaisie de je ne sais quelle favorite ou grande dame, 
Marie Touchet peut-être, tour à tour prise à lort pouf Diane 
de Poitiers ou Gabrielle, fournit au maître l'occasion d'es- 
sayer (cette seule fois en toute sa vie) quelque imiiaiion du 
Primatice et des peintres de Fontainebleau. Sir Francis Cook 
possède ce tableau, devenu plus tard le tvpe d'innombrables 
copies avec variantes de toutes sortes, reconnaissables pour- 
tant à la même poitrine nue plongeant dans l'étroite perspec- 
tive d'une baignoire, tandis que les mains jouent avec les 
fleurs que présente un petit garçon. 

Dans cette dernière époque de la carrière du maiirc, on 
voit que plusieurs émules nouveaux partageaient avec lui la 
faveur qui revenait à leur commun métier. 

C'est d'abord Marc Duval du Mans, surnommé le Sourd 
ou Bertin, auteur de la célèbre estampe des Trois Coligny, 
sans doute aussi du crayon original pour le visage de l'ami- 
ral et de quelques autres pièces de même style. Il était pro- 
testant et jouit d'un renom distingué. L'unique mention d'un 
Jean Scipion trouve également sa place ici. 

L'auteur de quarante-huit crayons d'un recueil autrefois 
à M. Lécurieux, que le Cabinet des Estampes conserve, veut 
être mentionné aussi. Le Louvre et Saint-Pétersbourg mon 
trent un assez grand nombre d'ouvrages de la même main, 
dont un porte la date inscrite de i58i. L'anonyme Lécu- 
rieux a peint une Diane bâtarde de France, et une femme 
inconnue, au Louvre, ainsi que deux miniatures dans la col- 
lection Wallace. 

Je nomme peintre de Luxembourg-Martigues, l'auteur de 



plusieurs excellents crayons et de quelques tableaux que 
voici : Jean Babou delà Bourdaisière (i 5 5 3) au Louvre; Louis 
prince de Condé, François III duc de la Rochefoucauld, 
M. de Carnavalet, à Versailles; Jacques duc de Nemours, 
à Chantilly. Ce maître, dont le nom sera peut-être connu 
un jour, mérite de grands éloges pour son dessin solide et 
le ragoût de sa couleur. 

Jean Decourt, révélé comme peintre en émail depuis 
1 55 .", tient la place de premier disciple de Clouet. Sa fortune 
dès ce temps-là semble faite. Il avait suivi Marie Siuart en 
Ecosse, et fut jusqu'en iSjZ (comme des pièces encore iné- 
dites l'attestent) pensionné de cette malheureuse reine. Si les 
cravons que je réunis sous son nom présumé sont de lui, il 
faudra reconnaître dans le célèbre portrait à la natte de cette 
princesse (mal attribué jusqu'ici à Clouet), un premier ed'et de 
ses soins auprès d'elle, et l'origine peut être de la faveur 
qu'il eut. 

Ce goût public pour les portraits, que prouve l'abondance 
des peintres, eut alors un effet nouveau, dans la mode qui 
vint de se faire peindre en émail. Le nombre de ces pièces 
fragiles parvenues jusqu'à nous, en dépit du dégât, atteste 
leur grande quantité d'autrefois. Léonard Limousin se 
plia à ces exigences nouvelles, et copia les modèles émanés 
de Janet, comme il avait copié Raphaël et Jules Romain sur 
les estampes d'Augustin Vénitien ou de Marc de Ravenne. 
Cette fois, les interprètes de son original étaient d'une 
étrange faiblesse, et les plaques qu'il en a tirées attestent les 
copies de dernier rang qui leur ont servi de modèles. 

Mais ce qui frappe le plus dans cette époque, c'est la pré- 
sence de plusieurs peintres flamands, établis à la cour de 
France ou chez quelques grands seigneurs, tantôt pour peu 
d'années seulement, tantôt jusqu'à la fin de leurs jours. Outre 
quelques-uns nommés au chapitre précédent, que l'histoire du 
portrait réclame autant que celle de la décoration, comme 
Jérôme Franck et De Heere, il faut compter Georges Vander 
Straeten, dit de Gand, peintre de la reine de France; Georges 
Boba, qui fleurit dans Reims aux gages du cardinal de Lor- 
raine; Vander Mast, qui servit Catherine de Mcdicis et le 
président de la Guesie. Tous ces peintres semblent avoir prati- 
qué un genredifférent des Clouets et de leurs imitateurs. Deux 
tableaux de Vander Mast, récemment retrouvés et exposés au 
musée d'Amsterdam, d'autres conservés à Reims sous le nom 
de Maître Georges, qu'on ne peut douter être Boba, décèlent 
surtout l'imitation de Venise, et leur assignent une place 
dans cette partie de l'école des Pays-Bas que l'exemple de 
Moro avait entraînés de ce côté. 

Cette comparaison est instructive. Elle montre les tradi- 
tions flamandes que la France entretenait depuis un demi- 
siècle, parvenues au même point de différence avec ce que la 
Flandre produisait, que celui qui séparait de l'Italie nou- 
velle les Italiens de Fontainebleau. Le même écart qu'on 
trouve de Nicolo aux Zuccres, se remarque entre ces Fla- 
mands derniers venus et les productions de l'école de Fran- 
çois Clouet et de Corneille de Lyon. 

Le premier mourut en 15/2, le second peu après 074. 
C'est le moment où l'on voit disparaître les grands maîtres de 
Fontainebleau. Ainsi l'époque de la première Renaissance 
se fermait en même temps de toutes pans, laissant vides de 
maîtres et pleines d'ceuvres les différentes provinces de l'art. 



(A suivre.) 



L. DIMIER. 



Directeur : M. MANZI. 



Imprimerie Manzi. Joyant & C'«, AsDières. 



Le Gérant : G. BLONDIN. 



LES ARTS 



N° 46 



PARIS — LONDRES — BERLIN — NEW-YORK 



Octobre 1905 




PINTURICCmO. — I.K PAPE ALKWNDRK VI (Détail de la Résurreclion) 
(Appartement Borgia. — Salle des Aiystèresj 




SALLK DSs PONTIFES. — Tapissorles flainandos : Histoire de CéphaU et Procris. — Plafonds peints par Pierin del Vaga et Jean d'Udine 



L'APPARTEMENT BORGIA AU VATICAN 




\ Renaissance, — dont la première aube fut 
un chef-d'œuvre d'élégance et de grâce, 
sous le protectorat du magnifique 

Alexandre VI et avec la virtuose ordon- 

-A Y^a^^^à nance du merveilleux Pinturicchio, — 
yi- -L„^^!!-5KSi doit à ces deux incomparables maîtres de 
manières la plus exquise introduction du 
siècle des Primitifs, mourant aimablement au seuil du siècle 
des Modernes, qui devaient, après Raphaël et Michel-Ange, 
finir de si désagréable autre manière. Trois chambres, où le 
magique élève de l'Ombrien Perugino continua les pures 
grâces de son maître, furent les trois écoles que ce magister 
elegantiarum ouvrit à ses contemporains heureux d'ap- 
prendre, selon la mode espagnole des Borgia ou la manière 
italienne des La Rovcre, les plus désinvoltes attitudes en 
lesquelles un siècle de grands et beaux seigneurs se soi* 
jamais campé. Ces trois chambres de parfaite élégance et, 
mieux, ces trois reposoirs sacrés où la grâce divine sem- 
blait se faire femme et homme tout ensemble, s'appellent, 
dans l'histoire encore trop mal lue du Pinturicchio, l'^/T^a;-- 
tamento des Borgia, les Camere du Château Saint-Ange 
et la Libreria de Sienne. 



Une récente et pontificale restauration des Chambres Bor- 
gia, — les premières en date dans l'œuvre de ce maître, — 
nous permet de leur consacrer une première visite et d'uti- 
liser, à leur louange, les notes que nous en avons rappor- 
tées. Au surplus, les chefs-d'œuvre que le Pinturicchio 
peignit au Château Saint-Ange, pour servir à l'histoire de 
Charles VIII et à sa descente en Italie, n'y existent plus. 
Quant aux peintures, heureusement intactes, de la cathé- 
drale de Sienne, elles nous permettent de remettre à plus 
tard notre pèlerinage à l'œuvre maîtresse de cet initiateur 
de la plus parfaite Renaissance, mais aussi au tombeau où 
sa mémoire sacrifiée repose. 

Le Pinturicchio, arrivé à Rome en 1481, pour y com- 
mencer les peintures de la Chapelle Sixtine, sous les ordres 
du Pérugin et avec la collaboration de Ghirlandajo, de 
Signorelli, de Botiicelli et de Cosimo Roselli, connut, de 
Sixte IV à Alexandre VI, une suite de patrons donataires. 
Les moindres d'entre eux ne furent pas les cardinaux 
Innocent Cibo, Basso-Rovere, Giorgio Costa et Dominique 
de La Rovère qui lui firent peindre leurs chapelles de famille 
à Sainte-Marie-du-Peuple, et les Bufalini qui lui comman- 
dèrent aussi leur chapelle privée à l'Ara-Cœli. Quelques 



L'APPARTEMENT BORGIA AU VATICAN 



travaux suppldmcniaircs au Dôme d'Orvieto, où il fréquenta 
SignorcUi, et aux palais Scossacavalli et des Douze Apôtres 
appartenant aux La Rovère et Colonna, à Rome, et enfin 
à celui que le cardinal Rodrigue Borgia venait d'ériger à 
Montegiordano ; et le Piniuricchio ne connut plus, à la 
Capitale, d'autre maître que le neveu de Calixte III, devenu 
pape à son tour, en 1492, sous le nom d'Alexandre VI. 
Et, à la fin de cette même année 1492, le peintre des Borgia 
fut invité à installer ses échafaudages dans l'appartement 
du Vatican que le nouveau pape s'était choisi, au-dessous 
de celui que Nicolas V avait occupé et que Piero dclla 
Francesca et le Pérugin avaient illustré d'admirables pein- 
tures, sacrifiées malheureusement plus tard au vandalisme 
génial d'un Raphaël qui n'hésiia pas à en effacer les chefs- 
d'œuvre pour y superposer les siens dans ces chambres 
appelées, depuis, les stan:{c de Jules II. 

Plus heureux que ses devanciers, dans ce Vatican si 




UNK i-ORTB 

(ÂpforUmtnt Borgia. — Sali* des Myslires) 



vaste et cependant trop étroit pour contenir toutes les mer- 
veilles d'art que l'avenir y déposerait, le Piniuricchio, qui, 
de la fin de 1492 à la fin de 1494, allait, à lui seul, peindre 
et ornementer, des paves aux voûtes, les sept chambres de 
cet immense Appartement Borgia, serait aussi le seul qui 
en conserverait le mérite à travers les âges. Malgré la malice 
du sort ou plutôt grâce à elle, rostracisme de THisioire 
a confiné cette œuvre loin des yeux, dans ces salles inter- 
dites , jusqu'à ce que la clairvoyante libéralité de Léon XIII 
réparât enfin, avec les peintures de ce maître et la mémoire 
de ce pape, deux injustices flagramment commises autant 
par les amis que par les ennemis de l'Eglise. Une simple 
visite dans cet Appartement mémorable va nous fournir 
l'occasion de répartir, entre le Piniuricchio et Alexandre 
Borgia, la part de gloire qui revient à chacun d'eux; sans 
oublier, dans ces sept salles restaurées par Léon XIII, le 
tribut de reconnaissance que l'histoire doit à ce dernier 

pape, bien digne de figurer dans 
les Annalesdes Pontifes romains, 
protecteurs traditionnels des 
beaux-arts. 



La première salle de l'Appar- 
tement Borgia est appelée la Salle 
des Ponti/<is. Elle ne conserve 
rien du Piniuricchio, qui, appa- 
remment, n'y laissa rien. Vasari 
(Edit. Milanese, VI, 559-56o)dit 
que Giotto y avait représenté di- 
vers papes martyrisés pour la foi 
du Christ, et que, pour cette rai- 
son, cette salle avait longtemps 
porté le litre de Salle des Mar- 
tyrs. Les peintures qui y figurent, 
en grotesques du style et de 
l'œuvre même de Pierin del Vaga 
et de Jean d'Udine, furent com- 
mandées par Léon X à ces deux 
peintres rivaux de Giovanni 
Mono, qui passe pour le rénova- 
teur de ce genre de peintures an- 
ciennes retrouvées alors dans les 
excavations de la vieille Rome 
des Césars, autrement dites 
grottes, dom\e nom fut appliqué 
à ces nouvelles peintures. Ce 
qu'il y a de certain, c'est qu'au 
temps d'Alexandre VI, cette Salle 
des Pontifes, remarquable sur- 
tout par son immensité corres- 
pondante à celle de l'étage supé- 
rieur où Raphaël a peint les 
grandes victoires de Constantin, 
était recouverte, non par une 
voûte, mais par un plafond sur 



LES ARTS 



poutres ou caissons. La preuve en est fournie par le Journal 
de Burchai-dt qui raconte, au 29 juin i5oo, l'accident de ce 
même plafond, 'crfevé par la chute d'une cheminée supé- 
rieurcj pendant un violent orage de ce jour, et ensevelissant 
sous ses de'combres le pape Alexandre, qui donnait audience 
en cette salle et qui en' fut relevé sain et sauf. Les plus 
remarquables ornements de cette première salle, qui sert 
aujourd'hui d'antichambre aux huissiers du Secrétariard'Etat 
installé à l'Appartement Borgia, consistent dans le carre- 
lage imité heureusement, par MM. Tesorone et Cantagalli, 
des anciennes poteries de Faenza. Des tapisseries de vieux 



flandres, empruntées à l'ancien trésor du Vatican, et des 
cuirasses prises à VArmeria des papes en sont le plus bel 
ornement. Dans le nombre de ces armures, il faut noter 
celle dont se couvrit le guerroyant Jules II, pendant le siège 
de Bologne, et celle que le connétable de Bourbon portail 
au siège de Rome et que Benvenuto Cellini aurait percée, 
dit-il, d'une ballede son meurtrier falconet. Le trou y figure, 
mais n'est-il pas aussi bien l'œuvre d'un autre que du génial 
orfèvre, travesti en bombardier, comme il s'en vante dans 
ses trop humoristiques Afenjo/rej? 

C'est à la seconde salle dite des Mystères que commence 




PINTURICCHIO. — U.N PL\FOXD ifresquu) 
t Appartement Baréta, — Salle des Mystères) 



l'œuvre maîtresse du Piniuricchio. Moins disproportionnée 
que la précédente, elle ne paraît que plus précieuse dans l'har- 
monie totale de son art éblouissant; et cependant recueilli. 
Sans nous attarder à l'ensemble de la décoration dont le 
Pinturicchio fut l'heureux et égal distributeur dans toutes 
ces salles si admirablement uniformes, nous signalerons, de 
préférence, maints détails peu connus des peintures où ce 
maître portraitiste s'est plu à représenter les plus originales 
personnalités de son temps. 



Sur la muraille faisant face à l'unique fenêtre qui s'ouvre 
dans cette chambre, figure VAtinonciation de la Vierge où 
nous ne nous attarderons pas à magnifier l'œuvre si riche en 
attitudes élégantes et en éblouissant coloris d'un maître 
unique en son art d'incomparable magicien. Remarquons 
seulement que l'ange d'idéale beauté, qui y salue, avec un lis 
fleurissant dans ses mains, la Vierge plus idéale en quelque 
sorte que son divin messager, fut répété, en la même attitude 
de grâce, dans la chapelle des Baglioni, à Santa Maria Mag-r 



L'APPARTEMENT BORGIA AU VATICAN 




PINTURICCHIO. — LA VISITATION (fresque) 
(Appartement Borgia. — Salle des Saints) 



LES ARTS 



giore de Spello. Le Pinturicchio, — qui lui en voudra? — 
aimait à se recopier. Était-ce pour mieux faire, sans y jamais 
mieux réussir? La Nativité, qu'il a peinte dans cette salle, se 
trouve refaite, à peu près de même à Santa Maria del 
Popolo. — Dans VAdoratioti des Mages, et dans un des trois 
rois qui se prosternent à genoux, J'ai cru reconnaître le 
portrait de Louis XI, roi de France, à son masque particulier 
et à l'hermine de son chapeau aussi original que le visage 
qu'il recouvre. — Nul doute que, dans la Résurrection, le 
maître n'ait fait, d'Alexandre VI à genoux, en chape et les 



mains jointes, le plus ressemblant portrait que nous possé- 
dions de ce beau pape, — après celui qui figurait jadis dans 
un tableau de la chapelle dite de Santa Lucia, à Sainte-Marie- 
du-Peuple, où la fameuse Vanozza Caetani avait trouvé son 
tombeau. Le coup de dague dont l'a honoré, au front, un 
des reîtres du connétable de Bourbon qui campèrent ici, 
est peut-être de trop pour signaler ce portrait à notre atten- 
tion. Il faut aussi s'arrêter devant les deux soldats, gardiens 
du tombeau du Christ, et qui sont certainement deux por- 
traits. Dans le même style, la Pinacothèque du Vatican 




SALLE DES MYSTICRES. — FRESQUES DU PINTURICCHIO 

(Appartement Borgia) 



possède une autre Résurrection où, dans des attitudes sem- 
blables, Raphaël fit le portrait du Pérugin, et le Pérugin, 
celui de Raphaël. On ajoute même que les deux autres sol- 
dats, qui figurent dans ce tableau, représentent, l'un le père 
de Raphaël, l'autre le Pinturicchio lui-même. — Enfin, dans 
ÏAssomption de la Vierge qui, avec VAscension, complète 
les fresques de cette Salle des Mystères, il faut particuliè- 
rement noter le prélat agenouillé, les mains jointes, dont 
la beauté du visage et sa ressemblance avec Alexandre VI 
laisse croire que nous sommes — et l'érudit Schmarzow est 
loin de contredire notre supposition — devant un des por- 
traits les plus expressifs de François Borgia. 

En pénétrant dans la Salle des Saints, — qui fut le cabi- 
net d'Alexandre VI et où le Pinturicchio semble avoir voulu 



faire resplendir sa plus merveilleuse palette, — nous allons 
droit au chef-d'œuvre de toutes ces peintures. C'est la Dis- 
pute de sainte Catherine et de l'empereur Maximien. Cette 
idéale vierge, aux longs cheveux blonds qui flottent sur son 
élégante tunique de bysse, n'est autre que le portrait réel de 
l'exquise Lucrèce Borgia. Et ce charmant jeune empereur, 
blond comme sa sœur naturelle, et assis sur un trône aux 
significatives têtes du bœuf des Borgia, n'est autre aussi que 
ce perfide autant que fascinateur César. Sans doute, la sœur 
n'avait que 14 ans et le frère 17, quand le Pinturicchio en- 
treprit, en 1492, les peintures de cet appartement. Mais est- 
ce à dire qu'il commença par cette fresque; et ne put-il pas, 
au contraire, la réserver pour la fin, comme le morceau pré- 
féré auquel le maître se réserva de revenir jusqu'à la fin, 




DELLA ROBBIA. — Lli SIKMMA DIXNOCBMT VIII |CIBO) 

(Appartement Borgia. — Salle des Arts Uhirauxi 




SALI.» DES ARTS LIUKRACX. — FRKSQIItS nU PlmOlUCCnlO 

(Aff^mtmtmt aoTfimf 




PINTURICCHIO. 



- DETAIL DK LA FRESQUK : LA DISPUTE DE SAINTE CATHERINE 

(Appartement Bor^ia. — Salle des Sair.ls) 




PINTUniCCHIO. — LA RIIKTORIQUB ifrcsqiic) 
(Appartement Borgia. — SaLte des Arts Libéraux) 



c'est-à-dire deux ans plus tard. Quelle contradiction y trou- 
vent, avec Stevenson et Ehrle, les partisans d'un Apparte- 
ment Borgia sans les portraits de cette même Lucrèce de 
i6 ans, et de ce même César de 19, que leur père ou leur 
oncle, — que nous importe la version de Gregovorius ou 
celle de Lconetti?— appelait sa Jilia naluralis et son filiiis 
naturalis dans les nombreuses bulles de donation qu'Alexan- 
dre VI fit notaricr si minutieusement, en leur faveur? 

Cette importante fresque est, d'ailleurs, pleine de por- 
traits contemporains; et qui voudra bien y chercher, v 
trouvera toutes les personnalités artistiques, littéraires et 
politiques du règne d'Alexandre VI. Dans le groupe gauche, 
qui se cantonne derrière le trône de l'empereur, il est facile 
de reconnaître, à leurs toques de mode florentine et om- 
brienne ou à leurs simples tuniques d'artistes, et le Pérugin, 
et le Pinturiccho, et Raphaël, et Ruonfigli, et Fiorenzo, et 
Torregiano, et Volaterrano, et le Sodoma. Deux person- 
nages occupent deux places d'honneur auprès du trône; ce 
sont, le premier, André Paléologue, despote de Morée, neveu 
et héritier de l'infortuné Constantin qui fut le dernier empe- 
reur de Constantinople; l'autre, le prince Djem, frère de Ba- 



jazet II, que le pape Innocent VIII avait hospitalisé au \ati- 
can en 1489 et qui, depuis, s'y faisait remarquer par sa 
mélancolie toujours silencieuse et surtout par son turban de lin 
lin auquel il employait, dit la chronique, un nombre d'aunes 
invraisemblable. Enfin, — s'il est permis de passer par-dessus 
d'autres groupes oij il ne serait pas impossible de préciser le 
signalement de Machiavel, de l'Infessura, de l^ierrc Bembo 
et de bien d'autres politiciens et littérateurs en renom à 
cette époque, — nous devons observer, sur un coin de la 
fresque, ce beau cavalier au destrier blanc et au blanc turban 
qui le précise, non moins que son visage à profil borgia- 
nesque, si nous nous rappelons ce qu'en écrivit mainte fois 
Burchardt dans son Journal et, entre autres jours, le 5 mai 
1495 : « Proeesserunt Djem sultan, apiid SS. D. N. deten- 
tits, et Johannes Borgia in liabilu Tiircartim, a sinistris. » 
Ce compagnon de Djem en chevauchées, qui s'habillait en 
Turc, comme son ami, n'est autre que Jean Borgia, duc 
de Gandie, frère premier-né de César et de Lucrèce. Le 
Pinturicchio en a fait le portrait dans cette fresque, comme 
il y avait aussi représenté ceux du frère et de la sœur. 

N'avons-nous pas dit que cette salle était celle où Alexan- 



L'APPARTEMI-.NT UORGIA AU VATICAN 



1 1 




ANDREA BREGNO, élève de Ninoda Fiksole (?). — cheminée de marbre 
(Appartement Borgia. — 5j//<; des Arts Libéraux) 



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PINTURICCHIO. — LK MARTYRE DE SAINT SÉBASTIEN. (Détail dc U frcsque.) 
(Appartement Borgij. — Salle des Saints) 



dre VI séjournait, de préférence, et ne convenait-il pas d'y 
réunir tous les portraits les plus chers de la famille du pape? 
Et c'est pour rester fidèle à ce cénacle intime que le Pintu- 
ricchio peignit aussi, sur un dessus de porte, une Vierge au 
Bambino, sous les traits de la belle Julie Farncse, à la garde 
de qui avait été confiée Lucrèce Borgia, par la Vanozza 
Caetani, sa mère. Vasari, qui prétend tout savoir, veut que 
ce portrait ait été peint dans cette chambre particulière et à 
de particulières intentions du pape Borgia qui pouvait bien 



témoigner sa reconnaissance à Julie Farnèse, pour les soins 
affectueux donc elle comblait la jeune Madame Lucrezia, sa 
parente. « L'artiste, dit l'auteur de la Vita dei Pittori, pei- 
gnit Jiilia Farnese nel volto di una Nostra Donna e, nel 
medesimo quadro, la testa d'esso papa clie fadora. » La 
malechance, qui desservit souvent cette mauvaise langue de 
Vasari, veut que cette Nostra Donna soit encore dans sa 
lunetta, sur la porte d'une salle toute différente de celle où, 
dans une autre fresque, le Pinturicchio peignit la tête du 




PINTURICCHIO. — LA MUSIQUE (fresque) 
(Apparlemenl Borgia. — Salle des Arts Libéraux) 



pape qui « adore », non la Madone de la Salle des Saints, 
mais la Résurrection de la Salle des Mystères. Ceci à part, 
le reste est vrai peut-être. 

Mais passons outre, car beaucoup d'autres beautés nous 
attendent dans cet appartement splcndide où l'histoire d'un 
siècle, — et des plus féconds, — se trouve résumée en fres- 
ques merveilleuses. 

La quatrième salle des Chambres Borgia qui vont en 
enfilade droite, jusqu'à celles de la tour dont elles se com- 
plètent, s'appelle la Salle des Arts Libéraux. Peinte dans 
le même ordre et avec la même richesse que les précédentes, 



cette salle, don't les belles fresques représentent en six sujets 
les sciences du Trivium (grammaire, rhétorique et dialec- 
tique) et du Quatrivium (musique, astronomie, géométrie et 
arithmétique) servait de cabinet d'étude à Alexandre VI qui 
y mourut si rapidement empoisonné, dit-on, par de mauvais 
aliments, pris la veille. N'oublions pas que ce pape, si fas- 
tueux et si prodigue d'or pour les beaux-arts qui lui ont dû 
leur première renaissance, se traitait personnellement avec 
une parcimonie à laquelle Burchardt est obligé de rendre 
hommage, malgré la légende borgianesque qui s'est accré- 
ditée sans preuves. 



L'APPARTEMENT BORGIA AU VATICAN 



i5 



Chaque éventail de ces harmonieuses fresques représente 
les sciences, même les plus abstraites et arides, en un sym- 
bolisme de grâces incomparables; et l'ensemble n'en est pas 
moins une galerie complète des savants et des artistes de ce 
temps. Dans la Dialectique et la Rhétorique, à coté d'Aris- 
totc et de Cicéron qui précisent ces sciences littéraires, il 
faut voir se grouper des portraits pleins de précision et 
d'exactitude. Voici Luigi Podocatario, secrétaire d'Alexan- 
dre VI, qui, né à Chypre, mourut cardinal à Rome où le 
beau monument de Santa-Maria-del-Popolo conserve sa 
mémoire. Voici le docte grec Ressarion et l'élégant latin 
Pomponio Leto, fondateur de l'Académie Romaine. Autour 



d'eux se groupent les célèbres professeurs de l'Université 
pontificale : Timolao Barbare, l'annotateur de Pline, Adrien 
Castelli de Corneto, Théodore Gaza, Barthélémy de Montc- 
pulicano, Georges de Trébizonde, Laurent Valla, combien 
d'autres? Et les chroniqueurs du temps n'y étaient-ils pas 
représentés par ce Goritz de Luxembourg dont les journaux 
manuscrits furent malheureusement brûlés, pendant le fa- 
meux sac de Rome, en 1 527 ? Et les poètes n'y figuraicnt-ils 
pas aussi, en la personne d'Aurélien Brandolini et de ce 
Séraphin de l'Aquila, mort à trente-quatre ans en i5oo, que 
ses contemporains ne craignirent pas d'élever même au- 
dessus de l'immortel chantre de Laure ? 




S\l.l.l< DO r.RliDO. -• RBSr\UR\TIOX D APRaS LB COtlM' SlITt 

(Appartement Borgia) 



La fresque de la Géométrie nous conserve indiscutable- 
ment un portrait de Bramante au front chauve, tel que 
Raphaël l'interpréta aussi dans les salles supérieures du 
Vatican où nous pouvons confronter ces deux œuvres. Il est 
impossible aussi de douter que le Pinturicchio n'ait refait là 
le portrait de son maître et ami Pérugin, bien reconnaissable 
à son bonnet rouge coiffant une figure de contemplatif bien 
mangeant et, ajoutent quelques-uns, peut-être un peu scep- 
tique. Un nouveau venu, du nom de Michel-Ange, dont le 
cardinal de La Groslaye occupait alors la jeunesse à une 
Pieta terminée seulement en 1499, ne se peut-il découvrir 



en quelque coin de ce Panthéon des grands hommes du 
xvi« siècle que nous représente cet Appartement Borgia et 
cette œuvre du Pinturicchio, si précieuse pour l'histoire? 

A coup sûr, on n'hésitera pas à reconnaître Léonard de 
Vinci, dans ce noble visage à barbe vénérable, malgré les 
quarante ans à peine que marquent les traits encore jeunes 
de ce portrait figurant, un livre ouvert en mains, à côté de 
Y Astrologie. Et c'est bien la place énigmatique de ce maître, 
moitié artiste et moitié savant, qui connaissait l'art des cou- 
leurs comme un Apelle et celui des chiffres comme un Eu- 
clide, et qui, pareil à un nécromancier, écrivait ses secrets 



i6 



LES ARTS 



mathématiques à rebours des lignes, comme l'attestent le 
Codex Atlantico de lahibUothèque de Milan et ce même livre 
que le Pinturicchio lui fait tenir aux Chambres Borgia et où 
j'ai lu son propre nom de Lionardo, le seul lisible de cette 
double page. — Il faut aussi reconnaître, dans cette fresque, 
le portrait de Copernic représenté sous les traits du person- 
nage qui tient, en main, un globe stellaire. Sans doute, la 
présence de Copernic à Rome et à l'Université ou Alexan- 
dre VI alla l'entendre, n'est signalée que vers l'année i 5oo. 
Mais si les Chambres Borgia furent terminées et remises à 
la fin de 1494, quelle difficulté s'oppose à croire que, même 
après cette date, le pape, par considération pour un tel 
savant, ouvrit encore cette galerie de grands hommes et invi- 



tât le Pinturicchio à y fixer les nobles traits de Copernic?] 
On ne se résout pas à quitter cette Salle des Arts Libé- 
raux, où la. Musique et les autres sciences sont figurées par 
des femmes de supérieure beauté. Devant ces fresques, on se 
demande si le peintre n'y prit pas, pour ses admirables mo- 
dèles, ces grandes dames dont la galanterie fut si conquérante 
que la légende même, après l'histoire, prétendit les servir au 
prix de mille calomnies. C'était la Vanozza Caetani, cette 
fameuse mère de Lucrèce, de César, de Jean et de Joffrè, 
qui, après les hommes, voulut aussi servir Dieu en la per- 
sonne des pauvres dont elle dota les hôpitaux romains, et se 
fit inhumer dans la chapelle latérale droite du chœur de 
Santa-Maria-del-Popolo où le frère sacriste se défend, 




VOUTE DE LA SALLE DES PROPHETES ET DES SIBYLLES 
(Appartement Borgia) 



aujourd'hui, d'en avoir conservé les beaux restes. C'était 
Julie Farnèse, fille de Pierluigi et sœur d'Alexandre Farnèse 
qui lui dut, ajoute-t-on, de s'appeler Paul III; et si le Pin- 
turicchio, séduit par une si souveraine beauté, la peignit 
deux fois dans les Chambres Borgia, ce n'était pas à Vasari 
qu'il appartenait d'en formuler le moindre reproche, lui qui 
la peignit aussi de mémoire dans la Salle des Cent Jours du 
Palais de la Chancellerie, — certes, moins bien que ne l'avait 
sculptée Jean délia Porta sur le tombeau même de Paul III, 
dans la basilique de Saint-Pierre. C'était Adrienne Orsini, 
fille de Pietro Borgia, un des neveux de Calixte III au 
même titre que son cousin le cardinal Rodrigue; elle fut 
mariée avec Ludovic Orsini, seigneur de Bassanello, qui 
préféra son château à sa femme, alors que celle-ci aimait 



mieux fréquenter la cour fastueuse des Borgia, ses parents, 
que les terres paysannes de l'irréductible campagnard, son 
mari. 

Par les deux dernières salles du Credo et des Prophètes 
et Sibylles, — en raison des phylactères sacrés que ces 
saints bibliques et ces filles profanes tiennent en mains, dans 
un goût n'accusant que les élèves du Pinturicchio qui n'y 
peignit probablement rien, ■ — nous arrivons au terme de 
l'œuvre du maître, en ces chambres qui furent le premier 
coup de clairon de sa gloire. Et pourquoi ne pas dire le der- 
nier? Ne savons-nous pas que cette première œuvre, qui finis- 
sait au seuil même de la tour Borgia érigée par Alexandre VI 
pour lui servir de refuge en cas de siège du Vatican, y 
trouverait aussi sa prison séculaire; au même titre que 



L'APPARTEMENT nORGIA AU VATICAN 



'7 



César qui, ayant lait clirc 
là son père ou son oncle 
pontife romain, y devait 
trouver sa détention, sous 
le pontificat de Jules II, 
ennemi juré du marrano? 
Pour terminer notre vi- 
siteàl'Appartement Borj^ia, 
nous devrions pénétrer 
dans les deux salles atte- 
nantes qui servent, aujour- 
d'hui, de chambrées aux 
Gardes-Nobles et qui com- 
plétaient, jadis, l'apparte- 
ment des cardinaux-neveux. 
Mais encore que moins 
décorées que les précé- 
dentes, ces pièces atten- 
dent un autre restaurateur. 
Et nous arrêterons là notre 
course. 



Nous avons dit, au dé- 
but de cette étude som- 
maire, que la deuxième 
œuvre du Pinturicchio 
fut, au Château Saint- 
Ange, l'historique de la 
Descente de Charles VIII 
en Italie, dont il ne reste 
aujourd'hui rien. L'his- 
toire de France y a perdu, 
autant que l'histoire des 
beaux-arts qui n'a con- 
servé, de ces fresques un 
temps célèbres, que les 
inscriptions tracées sous 
ces granaioses peintures et 
déposées par un savant 
d'un autre siècle aux ar- 
chives de la Principauté 
de Monaco. 

La troisième œuvre où 
le Pinturicchio a donné 
toute la mesure de son gé- 
nie incomparable, pour 
l'élégance des manières et 
la virtuosité de l'ornemen- 
tation, est heureusement 
intacte à la Libreria de 
Sienne. Mais là encore le 
mauvais sort n'a-t-il pas 
poursuivi sa victime, en 
laissant croire que Raphaël 
avait fourni au Pinturic- 




U^lUCLOCJUti: PEINT EN camaïeu DANS L IUBRAECRB D DHI FE.NKTHE 

(Appartement Borgia, .— Salle des SihylUs) 




SUJET MVTIIOIOOIUI'R PEINT EN CAUAIEI' DANS L'OIDHASI'III D't'l» FtN£TII< 

lÀpparttment Borgia. — Satie âts SitgtUtI 



chio ses cartons, pour une 
œuvre si digne du seul 
maitre qui avait peint les 
Chambres Borgia et le 
Chàieau Saint-Ange, avant 
même que le iîls du Sanzio 
ne fût né au monde des 
arts ? On n'est trahi que 
par les siens. Et l'on sait si 
le Pinturicchio aima ce 
Raphaël dont il se plaisait 
à pressentir la gloire et 
qu'il célébra le premier, en 
le portraiturant si gracieu- 
sement dans presque toutes 
ses compositions de grand 
style. 

Heureusement pour la 
maliieureuse mémoire de 
ce maitre ignoré, la clef 
d'or des Chambres Borgia 
n'était pas à tout jamais 
perdue. Au Vatican, où les 
successeurs d'Alexandre VI 
se défendaient, avec la nuit 
intense de ces salles inex- 
plorées, contre une mé- 
moire maudite plutôt par 
l'ignorance de la légende 
que par la vérité même de 
l'histoire, un pape plus 
hardi surgirait bien, tôt 
ou tard. Et Léon XIII a 
ouvert, du même coup, les 
Archives sécrètes du Vati- 
can où l'histoire vraie des 
Borgia parle enfin, et l'Ap- 
partement d'Alexandre VI 
où le Pinturicchio, se ré- 
veillant aussi dans une 
splendeur sans rivale, dit 
que, si la Renaissance des 
Jules II et des Léon X a 
engendré un Raphaël, c'est 
parce que le peintre mer- 
veilleux des Borgia fut, 
dans l'or des somptueux 
costumes et dans l'outre- 
mer des voûtes lumineuses, 
le magnifique introducteur 
de la grâce se faisant femme 
et homme tout ensemble, 
au seuil divin de ce xvi* 
siècle qui n'avait plus qu'à 
paraître. 

BOYER DAGEN. 




DUBREUIL, — l'amour et psvgué. — Dessin. — Musée di* Louvre 



Les Origines de la Peinture française 




Vl« ET DERNIERE PARTIE. 



DE LA MORT DE NICOLO AU RETOUR DE VOUET"! 



AMBROISE DUBOIS. — victoire 

Poniif pour la voûte de la galerie de Diane 

(démolio) à Fontainebleau 

Musée du Louvre 



LES années qui suivirent sont parmi les plus mal connues de cette histoire. 
On y voit dans la de'coration, près de Roger et de Caron toujours vivants, 
figurer .lacques Patin, connu par ses seules estampes des Noces de Joyeuse; 
Jérôme Bollcry, auteur de plusieurs dessins du Tournoi de Sandricourt, au 
Louvre; Jacques Romain, dont on n'a que le nom; Henri Lerambert, qui fit les 
cartons de la tenture des Actes des Apôtres, conservés en recueil au Cabinet 
des Estampes; le Flamand Jérôme Franck, fixé dans notre pays depuis i566, 
et qui peignit une Nativité sur Fautel des Cordeliers de Paris. Le nom de Nicolo 
continue de vivre dans Camille dell' Abbate, son fils, dans Christophe Labbé, et 
peut-être aussi dans Jean Labbé, rencontrés à la même époque. 

On ne sait précisément quelle carrière nouvelle le règne de Henri III, com- 
mencé en 1574, avait ouverte pour les artistes. De passage à Venise, à son retour 
de Pologne, dont il fut roi d'abord, ce prince avait commandé au Tintoret 
quelques tableaux, qui prouvent un certain goût des arts. Dans le portrait, il 
hérita de son frère les services de Jean Dccourt, à qui le poste et les gages de 
François Clouet échurent. 

J'ai de bonnes raisons de croire le portrait de Henri III peint l'année d'avant 
son avènement, que Chantilly expose sous le nom de duc d'Alcnçon, un ouvrage 

(l)Voir Us Arts n" 'i-j, 39, 40, 42 et 45. 









'^.:^£^^*Mmf>-r^rM 



Phûlo Giraudon. 



L'ANONYME PRÉSUMÉ FLAMAND. — femme inconnus (dessin) 
Bibliothèque Nationale (Paris) 



20 



LES ARTS 



de cet artiste. Madame de Montlaur, mal nommée la conné- 
table de Montmorency, à Versailles, est de la même main, 
ainsi que quelques autres crayons. On ne trouve plus men- 
tion de Decourt passé i585. 

Les Dumoûtiers, vers le même temps, continuaient de 
fleurir et de multiplier. On a cru jusqu'ici que d'Etienne 
et de son frère Côme, tous deux enfants du vieux Geoffroy, 
n'étaient issus que Pierre et Daniel en troisième génération. 
C'est une erreur, que des pièces certaines découvertes par 
M. Guiffrey, obligeront bientôt de corriger. D'Etienne, 
nommé au précédent chapitre, viennent premièrement 
Etienne le fils et Pierre, le premier né en \5^5. De celui-ci 
naquit Pierre le neveu, en i585 : c'est une quatrième généra- 
tion. Toutes ces corrections ne touchent point à Daniel fils 
de Côme, né en 1574, cousin du premier Pierre et du second 
Etienne, oncle à la mode de Bretagne du second Pierre. 
Vers le temps où nous sommes, paraissent quelques crayons 
d'exécution violente et de science médiocre, où tout engage 
à voir la main d'Etienne le fils. Le plus curieux est le 
portrait de lui-même 
avec son frère, à Saint- 
Pétersbourg. 

Les Quesncl com- 
posent une autre fa- 
mille d'artistes. Fran- 
çois et Nicolas, l'un 
et l'autre fils de Pierre, 
la représentent en ce 
temps-là. Nicolas a 
signé un cravon de 
son père, qui donne 
une faible idée de son 
talent. Le rang tenu 
par Benjamin Fou- 
lon, neveu de Fran- 
çois Clouet, semble 
avoir été dû à cette 
parenté plutôt qu'à 
des mérites, que son 
œuvre authentique 
dénonce comme ex- 
trêmement bas. Il 
jouit de la protection 
deScipion Sardini,et, 
quand durait la guerre 
civile,suivit Henri IV 
aux armées. On le 
voit vers le même 
temps élever des pré- 
tentions au Contrôle 
général des monnaies, 
et pousser dans le 
nouveau règne une 
carrière fructueuse et 
honorable. On voit 
aussi Nicolas Belon 
peindre des portraits 
pour la Cour. Nico- 
las Leblond, aussi 
peintre de portraits 
et beau-frère de Ger- 




DUfiîîKUII,. — iip.ncui-i-: sur i.h i 
Musée du Louvre 



main Pilon, est peut-être la même personne. Maiire Ber- 
nard, dont on ignore le nom, et certain anonyme anglais, 
requis de modèles pour la gravure de deux portraits du duc 
et de la duchesse de Nevers, font un appoint mystérieux à 
cette liste. 

Il est remarquable que Hilliard, miniaturiste fameux en 
Angleterre, et qui servit la reine Elisabeth, figure vers ces 
temps-là sur les états du duc d'Alençon, frère du roi. Le 
même prince fut peint par Pierre Pourbus; et un autre por- 
trait de lui, avec celui de quelques gentilshommes français, 
parait dans l'inventaire de François Pourbus le vieux. 

Pour la cour de Navarre, au service de Henri plus tard 
roi sous le nom de Henri IV, continue de besogner Marc 
Duval jusqu'en iSjS. François Bunel de Blois peignit en 
ce temps-là, sur quelques documents anciens, un portrait de 
ce prince enfant, peut-être celui qu'on conserve à Versailles. 
On ne trouve plus mention de ce peintre après iSqo. 

Un fait digne de remarque, c'est le goût du crayon qui 
remplace au temps de ces artistes, celui de la peinture elle- 
même. On ne saurait 
assurer qu'il com- 
mençât seulement. 
Jusque chez Je pre- 
mier des Clouets quel- 
ques-uns croient re- 
connaître des crayons 
qui ne servaient point 
à des peintures. Avec 
les Dumoûtiers, cette 
mode prend une évi- 
dence inconnue jus- 
qu'alors. On se de- 
mande si quelques- 
uns de ces maîtres 
ont jamais touché le 
pinceau. En même 
temps commence de 
fleurir la gravure de 
portraits, peu répan- 
due auparavant. Tho- 
mas de Leu et Léo- 
nard Gautier en sont 
les nouveaux repré- 
sentants : gendres 
tous deux d'Antoine 
Caron, et partisans 
de la Ligue, ainsi que 
Gourdelle, graveur 
comme eux, peintre 
médiocre, auteur d'un 
Thomas Gayant, à 
M. le baron Cerise. 
Rabel de Beauvais, 
aussi graveur et pein- 
tre, ne doit pas non 
plusêtre omis. 

Ce nouveau moyen 
de diffusion des por- 
traits fut cause peut- 
être du discrédit où 
tombaient les aaciens 



a'i^MER. — Des? 




TAoro Gù-avdan. 



I^E PRKSUMK JF-'AN DECOURT. — henri, duc d'anjou, depuis hexri m 

Musée Condé f Chantilly) 



recueils de seconde main. En revanche commence le goui 
des galeries historiques, où paraissent les grands hommes 
de toutes sortes, à l'imitation du Musée de Paul .love. Cathe- 
rine de Médicis à l'hôtel de Soissons, Duplessis-Mornay à 
Saumur, formèrent des galeries de ce genre. 

Au.\ peintres de portraits dont on connaît les noms, il 
faut joindre des anonymes : l'un auteur d'un crayon du duc 
dcloyeuse à notre Cabinet des Estampes, et dedeu.x ou trois 
autres pièces; l'autre que j'ose présumer Flamand, auteur 
de quatre admirables chefs-d'œuvre, les premiers de tout le 
siècle en ce genre. Ce sont, une fausse Louise de Lorraine, 
une dénommée Marie Touchet, une jeune princesse, pcut- 
ctre Elisabeth fille de Charles IX, enfin la mère de celle-ci, 
Elisabeth d'Autriche en veuve : toutes quatre à la Biblio- 
thèque. La main d'un troisième anonyine se découvre dans 
trois peintures, qui sont : un inconnu du musée de Ver- 
sailles, longtemps dénommé cardinal de Guise; une jeune 
femme en chaperon du palais Pitii ; une autre, coiffée d'une 
toque à plume, de la Pinacothèque de Munich, cette dernière 
marquée A.C. i5~4. La critique allemande noinme l'auteur 
Antoine Caron, d'après ce monogramme, qui signifie peut- 
être anno Christi. 

Toutes ces peintures font comme le testainent de la 
monarchie Valoise finissante. Les troubles de la Ligue, 
l'horreur des guerres civiles allaient emporter à la fois le 
pouvoir royal et ce patronage des arts, qui depuis soixante- 
di.x ans en était l'apanage. Un règne nouveau, commencé 
dans les camps et qui laissait Paris aux mains des dissidents, 
ne pouvait marquer aucun rétablissement des arts. Il fallut 
que Henri IV, enfin triomphant par la politique et par la 
guerre, eût achevé de restaurer l'ordre en France, pour que 
le cours des grands travaux de peinture, comme des autres 
arts, fût renoué. 

L'année i5g5 vit ce recommencement après sept ans 
d'interruption. Alors on voit les Comptes des bâtiments du 
Roi rouvrir les anciennes mentions de bâtiment et de pein- 
ture. Celte année même ou aux environs, des peintres d'im- 
portance marquent leur apparition soit sur les états du Roi, 
soit dans quelques autres documents. Ambroise Dubois 
d'Anvers. Jean de Hoey dit Dhoey, petit-fils de Lucas de 
Leyde, Jossc de Voltighen dit Voltigeant, aussi Flamand, 
font à cette époque précise leur entrée dans l'histoire de l'art 
français. L'appoint de ces trois Flamands, dont un compte 
parmi les plus célèbres du temps, fournit le trait singulier 
que j'ai promis. Ils rapportaient à F"ontainebleau le fruit 
des enseignements que les Flandres, plus fécondes en 
peintres que la F'rance, avaient tirés de cet endroit. La 
seconde école de Fontainebleau refleurit en partie par leurs 
soins. 

Roger de Rogery mourut en iSgj, Caron en 1599. 
D'autres prenaient leur place à mesure, et composent avec 
ceux qui viennent d'être nommés, un total qui ne va pas à 
moins de vingt et un artistes, tous cités honorablement par 
les auteurs ou dans les documents. C'est assez pour montrer 
à quel point on s'abuse quand on se représente la peinture 
peu florissante sous Henri IV. Aussi faut-ii compter l'abon- 
dance des travaux auxquels il faisaij travailler. Fontaine- 
bleau relevé des derniers abandons, et rendu à toute la 
splendeur dont l'illustra François I", ne fut pas le seul objet 
des soins de ce monarque. Le Louvre, les Tuileries, le Châ- 
teau Neuf de Saint-Germain-en-La-ye s^y- ajoutèrent sans les 



partager. Tout s'avançait à la fois, se remplissait de pein- 
tures dans un degré de profusion inouï. 

Le plus habile de tous ceux qui y servirent, est sans 
contredit Toussaint Dubreuil, dont on peut suivre la car- 
rière depuis i5 88. Il eut trente ans cette année-là. Peut-être 
une seconde Chambre d'Hercule qu'il décora dans le pavillon 
des Poêles, comme une suite à l'ouvrage de Roger de Rogery, 
fut exécutée vers celte époque. Sous Henri IV, on le vit 
donner des soins à la petite galerie du Louvre, depuis re- 
peinte et nommée galerie d'.Apollon. Il décora la voijte de 
sujets de la fable, qu'exécutaient Jacques Hls de F'rançois 
Buncl, et ,^rtus Flamand, en qui je pense qu'on doit recon- 
naître le Hollandais Thierry .Xerisen. C'était entre autres 
Danaé, Pan et Svrinx, i'ersée et Andromède, et une Giganto- 
niachie dont on fit de grands éloges alors. Mais il ne parait 
pas que rien ait dépassé ce qu'il avait peint à Saint-Ger- 
main. Ce château ne compta pas moins de soixante-dix-huit 
tableaux de sa main. Le sujet de ces compositions n'a pas 
été bien démêlé, et d'anciens inventaires n'en ont trans- 
mis que la description. Tout autre souvenir en aurait 
péri, sans huit dessins des cartons du Louvre heureusement 
reconnus pour la préparation d'un pareil nombre de ces 
tableaux. Même j'ai pu établir qu'une peinture de ce musée, 
jusqu'ici tenue pour partie de l'histoire de Théagène d'Am- 
broise Dubois à Fontainebleau, est de Dubreuil et provient 
de Saint-Germain; elle représente une femme offrant un 
sacrifice. C'est la première peinture et la seule jusqu'ici 
qu'on ait découverte de cet artiste. 

Ses dessins sont très abondants et d'un mérite excellent. 
Quelques-uns en petit, qui représentent des cérimonics de 
l'ordre de Saint-Michel, sont admirables de précision et 
d'esprit. Son lavis a beaucoup de souplesse et d'agrément. Il 
a composé d'une manière grande, dans la tradition du Pri- 
matice, avec plus de dégagé et de décor. Il v a moins de 
manière dans ses contours, qui sont aussi d'un style plus 
commun. Son invention est riche et variée, et l'eut rendu 
propre à tenir, dans cet âge avancé de la Renaissance, le 
rôle universel qu'on vit remplir aux maîtres dont elle était 
issue. Van Mander assure qu'il ne faisait que les dessins des 
compositions qu'il dirigeait, se bornant ensuite à retoucher 
la peinture. C'était l'ancienne pratique des peintres de F'on- 
tainebleau, imitée des écoles de Rome et de Florence. 

Une mort prématurée rompit malheureusement cette 
carrière, en 1602. Dubreuil ti'était âgé que de quarante-quatre 
ans. Depuis lors Ambroise Dubois tint le premier rang dans 
l'école. 

Son œuvre à Fontainebleau était considérable. Il y avait 
peint deux chambres de l'appartement de la Reine : celle de 
Théagène et de Chariclée, décorée des sujets de cet ancien 
roman grec, et le cabinet de Clorinde, ainsi nommé de plu- 
sieurs scènes de la Jérusalem délivrée. De lui, dans la Volière, 
étaient d'autres ouvrages. La cheminée d'une des chambres 
d'Hercule eut de lui une Gabrielle en Diane. D'autres che- 
minées avaient d'autres tableaux de Dubois, dans la chambre 
du Roi au pavillon des Poêles, et dans plusieurs pièces du 
pavillon des Dauphins. Son principal ouvrage fut la galerie 
de Diane, qui terminait l'appartement de la Reine, et qu'on 
a célébré longtemps à l'égal presque de la galerie d'L lysse. 
Tout en a maintenant péri, hors quelques fragments de la 
voûte recueillis dans la galerie des Assiettes, et le dessin de 
l'ordonnance conservé dans des aquarelles de Percier à la 




AMRROISE DUBOIS — tiikaoùnk kt ciiariclke rbtbouvaxt calabiiiis 
Ucssiu original pour la cbanibro de Thf'agt-Do à FuotaiDebleau 
tibtioihii/ue Natinnalt {Paru) 




DUBnSUIL. — SUJET INCONNU 

Djisia nriglaal pour la Chltoaa Meut d* Saiat-Gernuin-eit-L*;* (détrait) 
Mutét il» Lourrt 



24 



LES ARTS 



bibliothèque de l'Ins- 
liuit. 

La c h a m b r e de 
Tliéagènc lieiircusc- 
iiient presque intacte, 
et tiois tableaux con- 
servés du cabinet de 
Clorinde, permettent 
d'apprc'cier éq ui table - 
ment ce maître. Il est 
certain que ce qu'on a 
de dessins de lui est 
moins agréable que ses 
peintures. L'exécution 
de celles-ci est vive et le 
coloris bien ordonné. 
L'esprit de la touche et 
du contour y rachète 
ce que la composition 
a d'un peu pesant et 
confus. A la voiiie de 
la galerie de Diane, Dubois avait déployé les talents d'un 
décorateur de grand mérite, et jeté les promesses de ces 
beaux arrangements, de ces habiles répartitions de surface, 
bien supérieurs à tout ce qui s'était vu encore, qui devaient 
faire la gloire de notre xvii= siècle. 

D'autres décorations de Fontainebleau ne sont connues 




DUIirtEUIL. — lîi'isoniî DE L'niflToiRB de psyché 
Dessin nrigia»! pour la tai)isscric 
Musée du Louvre 



que sous 1 anonvnie. 
Tel est le cabinet des 
Empereurs, la salle de 
la Conférence, au bout 
de l'appartement des 
Bains, qui fut restauré 
sous ce règne. Un des 
traits de cette restau- 
ration fut de substituer 
des copies auxtableaux 
de maîtres placés par 
François 1"^% qui de-» 
puis lors formèrent un 
musée et le premier 
noyau des collections 
royales. Les copies 
furent faites par Miche- 
lin, .losse de Volti- 
geant et Ambroise Du- 
bois. La chapelle de 
Trianon garde deux 
de ces copies, ouvrage des deux premiers. En même temps 
F^iiennc Dupérac, connu surtout comme architecte, rentre 
de Rome avant iJ/S, mort en 1604, peignait dans cet 
appariemeni des ruines et des perspectives diverses dans des 
compariiments de stuc. Dans le pavillon des Dauphins, Mau- 
gras faisait vers le même temps plusieurstablcauxdecheminée.- 




rilÉlIlNET. — jul'iieh et sémiîlé (dessin) 
BihUuthi-que Nationale (Paris) 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 



25 



Le couronnement 
de toutes ces entre- 
prises fut la décora- 
tion tardive, aussi 
vaste que magnifique, 
de la chapelle du 
Saint-Esprit, bâtie 
dès le temps de Fran- 
çois \". C'est la prin- 
cipale du château et 
le seul échantillon 
complet que nous 
ayons de l'art déco- 
ratif d'alors. 

Martin Fréminet 
eut charge d'y va- 
quer. De retour d'Ita- 
lie depuis i6o3,onle 
voit s'y appliquer 
depuis I 608 seule- 
ment, lien a disposé 
la voûte selon cinq grands sujets, dont deux sont en vous- 
sure et les trois autres en plafond, accompagnés d'une quan- 
tité de compartiments secondaires et de figures allégoriques 
variées, le tout conçu dans le pur goût florentin, soutenu de 
raccourcis audacieux et de fortes musculatures. Le défaut 
de charme dans le dessin, l'outrance dans les attitudes. 




DUBIIEUIL. — SUJET SIYTIIOLOOIQL-B 

Dessio original puur le Chàioau Neuf do SaiDt-Germaia-co-Laje (détrait) 
Musée du Louvre 



la rudesse sombre du 
coloris valent aujour- 
d'hui àcettemachine 
des reproches, que 
méritent de faire ou- 
blier en partie la ri- 
chesse de rinvention 
et un degré élevé 
d'habileté et de 
science. 

Cette sorte de mé- 
rite qu'on voit alors 
fleurir et se dévelop- 
per dans toute l'école, 
trouvait son emploi 
approprié dans l'in- 
dustrie des tapisse- 
ries, que Henri IV 
prit soin de relever 
au lendemain des 
guerres civiles. L'a- 
telier de la rue Saint-Antoine, établi dansles anciens Jésuites, 
remplaça celui de Fontainebleau. Dubreuil en avait eu la 
direction depuis iSg-. Il y donna le dessin de la tenture de 
Psyché, dont on conserve quelques pièces. Les anciens 
dessins d'Artémise, complétés en 1600 de cortèges par 
Lerambert, furent aussi tissés en ce temps-là au chiffre de 




AMBROISE DUBOIS. — soipio» mohtant ao camtolk idcssiD) 
XiMiolArgNC IfaliomaU (Paris) 



26 



LES ARTS 



Marie de Me'dicis. A la mort de Dubreuil, Lerambcrt eut sa 
charge. Lui-même mourut en 1610. 

Ce qui montre le soin particulier que la Couronne pre- 
nait de cette branche de l'art, c'est le concours institué alors 
entre plusieurs hommes de mérite pour le poste vacant de 
maître des tapisseries. Jean Dhoey, Gabriel Honnet, Guil- 
laume Dumée et Laurent Guiot s'y présentèrent. Le sujet 
du concours était un patron du Pastor Fido d'après le 
poème de Guarini. Dumée et Guiot l'emportèrent. Les des- 
sins présentés en commun par tous deux turent exécutés, et 
ces peintres, qui étaient beaux-frères, gouvernèrent ensemble 
la manufacture royale. 

Le premier, peintre du Roi depuis i6o5, n'est connu 
que par un portrait des échevins de Paris, peint en 161 2 et 
qu'on croit gardé à Versailles. Le second, auteur d'innom- 
brables cartons de tapisserie, a surtout attaché son nom au 




PIERRE DUMOUïIKU LE NEVEU^- portrait prèsujik de iiiînri de i.avardin-biîal-manoir 
Bihliothéque Nationale (Paris) 



rajeunissement de l'antique tenture de Gombaut et Macée, 
popularisée par Molière, et dont la suite complète est au 
musée de Saint-Lô. 

Les raisons manquent d'assigner une époque à plusieurs 
des ouvrages de peinture d'alors. Il n'en faut pas moins rap- 
porter l'entreprise du cabinet de la Reine au Louvre, peint 
par Dubois, Bunel, Dumée et Honnet, de dix sujets de la 
Jérusalem délivrée. Un dessin de Dumée et un d'Honnet, 
celui-ci au Louvre, le premier à M. Masson, demeurent de 
cette décoration. Également sans date est un Jugement der- 
nier, maintenant perdu, de Dhoey pour Notre-Dame, ainsi 
que deux tableaux de Bunel : une Pentecôte aux Grands- 
Augustins, une Assomption aux P'euillants. 

Le seul ouvrage qu'une date certaine permette d'inscrire 
en queue et comme en conclusion de toute cette école, con- 
siste dans quatre grands tableaux dont Dhoey et Dubois 

décorèrent la Chapelle haute 
de F'ontainebleau. C'était l'As- 
somption, la Pentecôte, l'Église 
militante et la Résurrection. Ils 
prennent place en 161 2. Deux 
ans auparavant Henri IV était 
mort, laissant aux soins agités 
d'une régence le sort prêt à fixer 
des arts dans le royaume. 

Avant d'en marquer le der- 
nierterme, il faut revenir à celui 
de la peinture de portrait. 

Tout le long du règne de 
Henri IV on la voit fleurir entre 
des mains habiles, dont quelques- 
unes restent anonymes. La plus 
excellente, signalée par le mono- 
gramme IDC inscrit sur un de 
ses ouvrages, s'est fait admirer 
aux Primitifs français, dans le 
délicieux crayon de Gabrielle 
d'Estrées, que le Cabinet des 
Estampes conserve. D'autressont 
au même cabinet et au Louvre. 
La main de François Quesnel 
peut être présumée dans un 
crayon d'Henriette d'Entragues, 
que Thomas de Leu a gravé avec 
la mention de ce peintre. D'autres 
crayons d'exécution pareille com- 
posent avec celui-là une œuvre 
de mérite médiocre. Une autre 
main d'habileté supérieure, 
quoique de science assez limi- 
tée, se révèle dans nombre de 
portraits des contemporains de 
Henri IV, dont sont emplis deux 
recueils autrefois à Gaignières. 
Le trait en est élégant, l'expres- 
sion vive, le crayonnage frais et 
agréable. La société du temps 
semble vivre et respirer dans 
cette suite aimable et brillante. 
Quelle part faut-il marquer 
dans tant de pièces anonymes 





PliolO (.(M.mf.iM. 



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L'ANONYME PRÉSUMÉ FLAMAND. — portrait supposé d'èusabkth dk francs 

Bibliothèque Nationale (Paris) 



28 



LES ARTS 



à des maîtres dont d'anciennes mentions attestent le renom 
distingué? Cliarles tils de Jean Decourt, qu'on voit faire 
pour la Cour de Florence plusieurs portraits du Dauphin 
depuis Louis XIII, et Charles Martin également employé à 
peindre les enfants royaux. Darlay de Tours, Ledigne issu 
de Champagne, méritent au moins d'être nommés. 

Une autre sorte de peintres qu'il ne faut pas omettre, sont 
ceux du portrait d'apparat, peu cultivé avant cette époque. 
Les influences de l'école de Fontainebleau, filtrant à la fin 
dans ce domaine, en avaient dicté les méthodes. Louis 
Poisson, peintre du Roi depuis iSgô, paraît avoir été l'un 
des premiers du genre, auquel Bunel le fils fournit, vers 
i6o3, le célèbre appoint de la petite galerie du Louvre. 
Elle était peinte, aux murailles, de grands portraits de la 
famille de Médicis, entre lesquels prirent place ceux de 
toutes sortes de célébrités choisies, composant une galerie 
historique. Marguerite Bahuche, femme de Bunel, l'avait 
aidé à ces peintures, qui passaient pour représenter des rois 
et des reines de France. 

En i6o3, mourut le plus ancien représentant de la tradi- 
tion fondée par les Clouets. C'était Etienne Dumoûtier le 
père; il avait quatre-vingt-trois ans. J'ai dit quels succes- 
seurs devaient porter son nom bien au delà de ce terme 
extrême. Un lot de crayons du temps, où s'accuse la parenté 
de plusieurs manières différentes, devra revenir peut-être à 
ces derniers. En attendant que des preuves l'établissent, 
voici ce qu'ils ont fait de certain. 

Un excellent crayon d'une religieuse à la pierre noire, de 
petite taille, pour la gravure, porte en 1601 la signature de 
Pierre, que je crois l'oncle. Celle de Pierre le neveu se trouve 
sur quatre pièces. Deux, au Cabinet des Estampes, portent la 
date de 1618 : ce sont d'admirables portraits, l'un d'une 
femme, l'autre présumé de Henri de Lavardin-Beaumanoir. 
La main de la célèbre femme peintre Artémise Gentileschi, 
dessinée par Pierre Dumoûtier et pareillement signée avec 
des galanteries, se voit au Musée Britannique, avec la date 
de 1625. Le maître était alors à Rome. De Rome encore, en 
i633, est datée la tête d'un Turc à la Bibliothèque de Paris. 
Pierre Dumoûtier le neveu était grand voyageur. Il visita 
tour à tour la Flandre, où l'archiduchesse Isabelle acheta de 
lui des dessins de famille, et l'Italie, d'où il ne revint en 1 65o, 
que pour mourir au bout de six ans. 

Cependant son cousin Daniel se faisait connaître par des 
œuvres de mérite bien moindre, dont l'abondance et le 
style original amusaient les contemporains. Chacun connaît 
ce style de gros visages au contour appuyé, chargés d'om- 
bres soigneusement fondues, rehaussés de couleurs de chair 
voyantes. Ces dessins furent si bien répandus, que le nom 
de Dumoûtier était enfin devenu l'étiquette invariable du 
genre. On ne connut plus, en cet âge de notre histoire, de 
portraits au crayon qui ne fussent de Dumoûtier. 

Lagneau, dont on ne sait rien de plus que le nom, eut 
la vogue vers le même temps. Le nom de portraits convient 
à peine à ses ouvrages. Ce sont des têtes de fantaisie, sou- 
vent tournées à la caricature, au demeurant si mauvaises 
quelquefois qu'on a peine à s'expliquer la rare excellence 
des autres. Nulle part cette excellence ne se découvre mieux 
que dans une suite appartenant à Mademoiselle Lunken- 
heimer de Munich. 

Les costumes reconnus chez Lagneau ne dépassent pas 
le règne de Louis XIII. 1646 est le terme de la vie de Daniel 



Dumoûtier. La fin de la seconde école de Fontainebleau se 
marque notablement plus tôt. Dubois et Bunel moururent 
en 1614. Poisson en i6i3, Dhoey en i6i5, Fréminei en 
1619. Seuls survécurent à ce terme commun, Dumée, Nico- 
las fils de Jérôme Bollery, et Laurent Guiot, mais sans chan- 
ger l'état que créait, avec un abandon de la résidence royale, 
la mort du plus grand nombre des peintres qui l'ornèrent. 

Les fils de Dhoey, de Dubois et de Poisson, renforcèrent 
cette survivance sans parvenir à la tirer de l'oubli. Ce qui 
restait dans Fontainebleau même, tomba au rang d'école 
provinciale; ce qui vécut à Paris fut noyé. Des changements 
moins considérables mais tout aussi tranchés que ceux qui 
signalèrent le règne de François I"', se préparaient au bout 
de cent ans. 

Quelques peintres français formés en Italie, et qui dès 
ce temps-là y rencontraient la vogue, allaient renouveler 
par leur retour les destinées de la peinture chez nous. Dis- 
ciples surtout des Carraches, auxquels se joignaient, dans 
le mieux doué, des influences de Venise, leur œuvre ne 
devait rien rappeler du style dont avait subsisté, après celui 
des Valois, le goût de Henri IV. Ce qu'on reproche à bon 
droit de maniérisme aux élégances primaticiennes, allait se 
réformer sous eux. Les exagérations rapportées de Florence, 
sous l'empire de ce même goût, par Fréminet, devaient 
même manquer d'un lendemain, par l'influence que ces pein- 
tres allaient prendre. 

Vignon, Perrier, Blanchard et Vouet sont les auteurs de 
ce fameux retour, par où se marque l'établissement certain, 
le sort enfin fixé de l'école de peinture française. Vignon, le 
premier de tous, rentre en 1625. Deux ans plus tard, en 1627, 
parait Vouet; les deux autres peu après. Le dessein de la 
présente histoire n'est pas de mesurer leur talent. Elle doit 
se contenter de montrer la différence qui les sépare des 
maîtres de Fontainebleau, et l'espèce d'interrègne qui 
s'étend pour les arts entre ceux-ci et les nouveaux venus. 

Rien ne marque si bien cet interrègne que l'obligation où 
fut Marie de Médicis, quand elle voulut décorer son palais 
du Luxembourg, en 1620, de faire venir Rubens des Flan- 
dres. Ce soin n'eût été nécessaire ni dix ans plus tôt, ni dix 
ans plus tard. A cette époque précise, le défaut de grands 
peintres en France ne permettait pas autre chose. Ce point 
de séparation déclaré de la sorte, marque la fin des origines, 
et le commencement de l'histoire proprement dite. 

Il est aisé de concevoir de quelle manière ces origines 
tiennent à cette histoire. Le changement avéré de style n'em- 
pêche pas d'en reconnaître le lien. Il est de deux sortes ; 
premièrement dans l'habitude que les amateurs et les 
princes français avaient pris de la grande peinture, dans le 
discernement qu'ils y apportaient, dans l'art devenu trivial 
de la promouvoir et de l'encourager. En second lieu, du 
côté des artistes, l'exemple d'une école si prolongée et si 
brillante doit être compté pour la cause des dispositions 
qu'ils montrèrent. On ne faisait plus question que la France 
ne fût désormais un pays de peintres, où d'illustres modèles 
voulaient être égalés, où le pinceau suflfisait à procurer la 
subsistance d'un habile homme. Il arriva ce qu'on peut voir 
en toute école déjà florissante, où les nouveaux venus ne 
laissent pas de modifier les pratiques léguées par les anciens : 
les leçons de ceux-ci alimentent encore ceux qui s'en écar- 
tent davantage. Issue de Vouet, l'école de peinture française 
plonge, par delà les enseignements de ce maître, dans les 



LES ORIGINES DE LA PEINTURE FRANÇAISE 






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Photo (iirauéon. 



LE MAITRE AU MONOGRAMME IDC — gabrikllk DESTRtKS (dessin) 
Bibliothèque Nationale (Paris) 



3o 



LES ARTS 



préparations qu'enregistre le xvi= siècle. Quant au genre 
•du portrait créé par les Clouets, les derniers Dumoûtiers 
en marquent la fin dans l'histoire. Ou plutôt, si ces maures 
eurent des successeurs, il faut avouer que ce ne fut point en 
peinture, délaissée par eux depuis un demi-siècle, mais, 
par Nanteuil, chez les graveurs seulement, qui, jusque dans 
le xviii'' siècle, sont regardés comme ses héritiers. 

Il est vrai que du vivant des Dumoûtiers mêmes, un 
autre genre de portrait était né. L'influence de quelques 
Flamands, établis au déclin de la monarchie Valoise, en 
favorisa l'éclosion. A Jérôme Franck se joignirent Ferdinand, 
Vrains et le célèbre Fourbus, tous quatre issus des Pays- 
Bas Philippe de Champaigne, Flamand pareillement, devait 
fermer brillamment l'histoire de cette école, dont le princi- 
pal ouvrage fut des portraits d'échevins peints pour l'Hôtel 
de Ville de Paris, à l'imitation des tableaux de corporation 
hollandais. Comme elle prend naissance sur la fin de celte 
histoire, entre 1602 et 161 5, je suis obligé de la mention- 
ner, mais la place en est mieux marquée dans une étude 
des'époques suivantes. On y verra la preuve que le portrait, 
quelquefois célébré comme un genre tout français, eût 
à peine été représenté en peinture pendant tout notre 
xvii= siècle, sans l'appoint d'ouvriers flamands. Tant les 
traditions fondées d'abord 
en ce genre devaient eue 
suivies de peu. 

Ladécoration,au rebours, 
que plusieurs déclarent con- 
traire au génie national, 
poussait chaque jour des 
branches plus fertiles et des 
rejetons plus vigoureux. 

CONCLUSION 

Ce sont les leçons des 
laits, qu'on n'a pas cru utile 
de relever du bruit des po- 
lémiques en cours. Elles 
eussent rendu cette lecture 
fatigante et tenu la place de 
choses plus nécessaires. 

Un exposé des points 
acquis pouvait suffire. Je n'y 
ai mêlé nulle hypothèse que 
je n'aie soigneusement pré- 
sentée comme telle, veillant 
entre autres choses à ne rien 
laisser de douteux dans des 
conclusions de doctrine. 
Tout ce qui se trouve ici 
d'aperçus généraux est ap- 
puyé de faits certains. Je me 
suis efforcé de n'omettre au- 
cun de ceux qu'on oppose à 
ces conclusions. Je n'ai sys- 
tématiquement rabaissé le 
mérite d'aucun des ouvrages 
dont l'éloge sert chez d'autres 
à me contredire. Il est vrai 
que je ne me suis pas cru 
tenu de céder aux critiques 

FRÉMINET. 
Bibliotkcque 




superbes de certaines esthétiques en cours, ni de découvrir 
laborieusement des mérites à plusieurs antiquités estimées 
jusqu'à ces derniers temps ce qu'elles valent, c'est-à-dire 
rien. Assez de lecteurs consentent à tirer d'ailleurs que 
du changement et de la contradiction l'instruction que cette 
histoire procure. Ils prisent moins l'agitation que la science, 
et la nouveauté que le vrai. C'est pour eux que j'écris. Ceux- 
là reconnaîtront que plusieurs découvertes modernes ont 
beaucoup enrichi l'histoire des origines de la peinture fran- 
çaise, sans toutefois en réformer le sens; que les idées long- 
temps professées là-dessus se sont trouvées, du fait de ces 
découvertes, moins contredites qu'éclaircies, moins corrigées 

que définies. 

Aujourd'hui comme hier, à l'entendre sans finesse, il n'y 
a pas de primitifs français. C'est la raison qui fait que ces 
primitifs n'ont pas suscité d'historien. Vasari, Van Mander, 
n'ont point écrit des livres sur les peintres de miniature. 
C'est tout ce que produisit la France du Moyen Age. L'hypo- 
thèse d'un silence concerté des Français au sujet de leurs 
origines, quand les autres nations faisaient valoir les leurs, 
est contraire aux faits comme au bon sens. A notre pays 
comme aux autres, l'historien ne devait venir qu'après les 
peintres. Il n'y a pas manqué. Cet historien ne le cède à 

ceux de Flandre et d'Italie 
ni pour l'intelligence, ni pour 
l'amour éclairé de son pays. 
C'est Félibien, dont les En- 
tretiens sur la Vie des plus 
fameux Peintres, sont le fon- 
dement vénérable des recher- 
ches sur l'histoire de l'art 
français. 

Les commencements de 
son livre plongent dans l'in- 
certitude d'un passé relative- 
ment récent, que le peu de 
relief de notre école reculait 
dans l'obscurité. En France 
comme ailleurs les érudits 
modernes vont perçant cette 
obscurité. Mais il ne dépend 
pas d'eux de donner l'illus- 
tration à des faits que leur 
portée moyenne et leur 
éclat réduit avaient fait ou- 
blier. 

Les origines dont on vient 
de lire l'histoire, intéressent 
partout la philosophie de 
l'art. Leur importance, à ne 
considérer que le mérite des 
œuvres, est inégale. J'ai mar- 
qué ces degrés différents 
d'importance. 11 est sûr que 
le total le cède à ce qui sui- 
vit, et qui doit constituer le 
corps même d'une histoire 
de la peinture française. 

L. DIMIER. 



— SUJET INCONNU 

Nationale (Paris) 




l «5 œlhs rtraain samu t km» ir iiWi. 

£ fliMKr ta ttt. iJ=tttiiintiiiittic itinm. 



. -.. ùiîmmnimitffWilniioiiilas .ipi 

. t)PBt[(ana«i5.t(riniU(uiIqt|)u&titaitnir .ka 



irilBtii tai i£»aMMt'SitfîfWj^>ij>É 



ECOLE FRANÇAISE. — XV- SIÈCLE. — portraits db jean juvékal des uhsins, baron de traihel, di sa >euu« «t de ses o»it iHMSii» 

(Mitsc-e du iMuvi-e) 

TRIBUNE DES ARTS 



UN TABLEAU DU LOUVRE 

La famille de Jean Juvénal des Ursins 



Depuis l'exposition des Primitifs français, 
d'heureuse mémoire, on s'est beaucoup occupé 
de notre admirable école du w" siècle, trop 
négligée jusque-là. Le Louvre a vu, ces der- 
nières années, s'augmenter cette série de 
quelques pièces d'inégale valeur; des attribu- 
tions nouvelles ont été faites à des maîtres 
jusqu'alors peu connus ou méconnus. On a 
tenté, ici même, de donner au grand Jehan 
F"ouquct d'importants monuments de la pein- 
ture de son siècle. Nous voulons à présent, non 
pas proposer une nouvelle attribution, mais 
simplement attirer l'attention sur un tableau, 
très important à tous points de vue, qui ne 
figurait pas aux Primitifs, mais qu'on cite 
souvent, si on le décrit rarement; et qui, 
récemment, a été heureusement changé de 
place, bien éclairé, en face du fameux retable 
du Parlement de Paris. 

Nous voulons parler du tableau du Louvre 
portant le numéro 999 : Portrait de Jean 
Jiivenal ou Jitvenel des Ursins et de Sci famille. 
C'est un panneau de grandes dimensions, 
haut de i'"63, large de S^^So, provenant de 
Notre-Dame de Paris, ayant été au Musée des 
Petits-Augustinssousla première République 
et depuis 1829 au Louvre. D'abord attribué à 
l'un des Bellini, il est classé: École française 
du xv« siècle. Le catalogue du Louvre (S""» 
part., F. Villot, p. 418) transcrit scrupuleuse- 
ment la description qu'en donne Montfaucon 
dans les Monuments de la monarchie fran- 
çaise, avec les inscriptions qui se trouvent 



au-dessous de chacun des treize personnages 
qui y sont représentés. Ces inscriptions ont 
été lues incomplètement et inexactement, par 
places, à cette époque (il est facile de s'en 
assurer par une lecture un peu attentive) et 
depuis reproduites de même, partout où il a 
été fait mention de la peinture en question. 

Ce tableau a été peint entre 1444 et 1449 
(comme l'établit, entre autres, M. Péchenard, 
en rapprochant l'inscription de Jean II et 
celle de Jacques, qui ont occupé entre ces 
deux dates simultanément, l'un le siège de 
Laon, l'autre celui de Reims) pour Jean II 
Juvénal des Ursins, après la mort de son père 
Jean 1", qui y est représenté, à gauche, avec 
sa femme, Michelle de Vitry, morte seule- 
ment en 1456. Jean II est figuré ensuite 
ainsi que ses dix frères et sœurs encore vivants 
à celte époque. 

Qui a vu ce tableau, et chacun le connaît, 
admire sa composition, la richesse et la 
sobriété tout à la fois de sa couleur, l'admi- 
rable groupement des personnages, lesquels 
se ressemblent il est vrai beaucoup, mais où, 
cependant, on découvre une variété d'expres- 
sion, dans la presque uniformitédesattitudes, 
qui est l'œuvre d'un peintre encore naïf, mais 
artiste sûr et grand artiste. 

Quel est cet artiste ? Si la question n'est 
pas près d'être résolue, elle vaut la peine 
d'être posée. Qui, des peintres connus de cette 
époque, peut avoir composé et peint un tel 
chef-d'œuvre ? Il faut bien penser à Jehan 
Fouquet; et si l'on peut faire des objections à 
cette attribution, il y a quelques raisons non 
pas de la proposer, mais tout au moins de la 
mettre en avant. 



Fouquet, né entre 1410 et 1415, avait de 
35 à 40 ans au moment où il peignit le beau 
portrait de Charles VII, qui est au Louvre : 
c'est le plus ancien en date de ses tableaux 
parvenus jusqu'à nous. On s'accorde habi- 
tuellement pour J'admirer sans réserves; 
cependant certains y trouvent une raideur que 
n'auront plus ses oeuvres postérieures, tel 
le portrait du chancelier Guillaume Juvénal, 
représenté également, à un âge moins avancé, 
dans le tableau dont nous nous occupons. 
Les couleurs sont ici, comme dans le ponrait 
du roi, plutôt celles du miniaturiste que 
Fouquet était surtout encore. La facture et la 
couleur, les ors des étoffes de notre tableau 
ont une singulière parenté avec celle du cous- 
sin sur lequel s'appuient les mains du roi. La 
tenture d'or sur laquelle se détachent les 
figures des treize personnages a quelque ana- 
logie avec les fonds du portrait de Guillaume 
Juvénal dans son âge mûr. L'harmonie dans 
la composition, dans le groupement des per- 
sonnages rappelle les miniatures de Chantilly. 

Les lettres de l'inscription sont, à la vérité, 
différentes de celles qu'on trouve dans le por- 
trait du roi, les miniatures de Chantilly, et la 
plupart des œuvres authentiques du maitre ; 
mais comme nous avons affaire à une œuvre 
antérieure à la plupart des autres, est-ce là 
une objection suffisante pour écarter déhniii- 
vement l'hypothèse que nous émettons ? 

De plus, en 1443 ou 1444, Jehan Fouquet 
alla à Rome, où il fut fêté et apprécié à sa 
valeur, puisqu'il y Ht le portrait du pape 
Eugène IV, portrait qui n'est pas parvenu 
jusqu'à nous. Quelques années avant. Jean 
Juvénal, chapelain de Charles VII, pour 



32 



TRIBUNE DES ARTS 




LOUIS DE BOULOGNE. — danak. 
(Musée du Louvre) 



Dessin 



lequel fut peint le tableau dont nous parlons, 
avait fait partie d'une ambassade du roi de 
France auprès du pape. Le peintre, revenant 
célèbre de Rome en 1^44, a certainement 
alors, sinon avant, connu Juvénal ;et pourquoi 
l'ambassadeur, voulant élever à sa famille 
un monument digne d'elle et de lui-même, 
n'aurait-il pas chargé de ce soin un artiste 
tel que Jehan Fouquet, peintre du pape et du 
roi de France ? 

JACQUES VAILLANT. 



LA DANAE 

De M. Hei)ri Roct)efort 

Monsieur le Directeur, 
Dans le numéro des Arts du mois de 
juillet dernier (n» 43), M. Henri Rochefort 
citait parmi les pièces les plus intéressantes 



de sa collection, une Danaé, reproduite p. 16, 
qu'il attribuait à Carie Vanloo. Il est probable 
que cette attribution est inexacte. Le Musée 
du Louvre possède, en effet, un dessin au 
crayon noir rehaussé de blanc sur papier gris 
bleuté, représentant exactement le môme 
sujet. La reproduction que nous vous 
envoyons, vous permettra de constater l'ana- 
logie que présentent, dans leur ensemble, ces 
deux compositions, et les quelques variantes 
qui éloignent toute idée de copie. Le dessin 
porte les initiales L. B., il est entré au Louvre 
le 3 juillet 1846 dans une série de i63 dessins, 
acquis de M. Defer, au prix de 400 francs, 
portant les mêmes initiales de la même écri- 
ture, et présentant les mêmes caractères 
d'exécution; tous ces dessins sont bien du 
même maître : Louis de Boulogne. Dans cette 
série se trouvent de nombreuses études pour 
des tableaux classés et catalogués de tout 
temps à ce maître. L'étude des dessins permet 



souvent des identifications aussi indiscutables 
et la publication de l'inventaire illustré des 
dessins français du Musée du Louvre facilitera 
prochainement cette étude. Nous vous signale- 
rons seulement aujourd'hui une très belle gri- 
saille de Boucher, exécutée à l'huile sur toile, 
et portée jusqu'à présent à l'actif de Deshayes, 
son gendre. Nous vous en envoyons la repro- 
duction : c'est la première pensée du tableau 
de la collection La Caze : Vénus aux Forges 
de Vitlcain (n» 46). Avec quelle prudence les 
critiques ne doivent-ils pas donner leurs attri- 
butions, puisque les plus réputés tombent 
eux-mêmes parfois dans l'erreur! 

Nous vous prions, Monsieur le Directeur, 
de vouloir bien agréer l'expression de nos 
sentiments très dévoués. 

JEAN GUIFFREY. 
PIERRE MARCEL. 

Septembre ipo?. 



GOUPIL & G'% Editeurs-Imprimeurs 

MANZI, JOYANT & Ci% Éditeurs-Imprimeurs, Successeurs 

24, BOULEVARD DES CAPUCINES, PARIS 



En Souscription, pour paraître en décembre 1905 



DIEGO 



VELAZQUEZ 

Cinquante Planches 

D'APRÈS SES ŒUVRES LES PLUS CÉLÈBRES 



Texte par PAUL LAFOND 

Format 46 ;< -53. — Texte sur simili-japon. — Publication en cinq livraisons 
Composées chacune de dix planches en typogravure Goupil, remontées sur passe-partout 



TIRAGE A CINQ CENTS EXEMPLAIRES 

numérotés à la presse de I ù 500 



Prix de l'ouvrage renfermé dans un portefeuille 100 francs 

Prix de l'ouvrage relié en un volume demi-amateur, dos et coins maroquin, 

planches montées sur onglet 150 francs 



Directeur : M. MANZI Imprimerie Hanzi, Joyant & C", Asniéreg. Le Ginul : G. BLONDIN. 



LES ARTS 



N" 



47 



PARIS — LONDRES — BERLIN — NEW-YORK 



Novembre 1905 



I-..A. COLT_,ECTIO:]Sr E. CI^OIN-IEï^ 




PANNEAT DÉCORATIF 
Tapisserie de Beauvais ou de Bruxelles du commencement du xv.ii. siècle, d'après un canon de Bantsite Monnoyer 




OAHMTURE DE CIIHMINLB 

Aocicaac porcelaine de Saxe et bronzu ciselé et dore 



La Collection E. Cronier 



LA collection de M. Ernest Cronier a acquis une célébrité singulière dans le monde entier, mais elle avait déjà une 
réputation à la fois brillante et mystérieuse dans le monde des amateurs d'art. Elle passait à la fois pour admirable 
et très fermée. Maintenant que le grand jour d'une actualité tragique va l'ouvrir à tous les grands curieux de l'univers, 
on verra, en effet, qu'elle justifiait son renom. 

Mais ce n'est pas en raison de cet accessoire quoique si dramatique intérêt que nous voulons ici nous occuper 
d'elle. Depuis longtemps, les Arts avaient préparé à leurs lecteurs ce régal rare de pénétrer dans une galerie que tant 
de personnes puissantes et bien informées espéraient voir, et ce numéro, devançant la vente publique, n'a cependant 
pas été déterminé par elle. Cela expliquera pourquoi l'illustration de la monographie que nous allons donner ici est si 
complète et d'une telle perfection. La galerie de M. Cronier devait prendre place parmi les plus intéressantes que 

nous avons la mission de décrire, et c'est aux seules destinées qu'il 
faut attribuer la coïncidence de l'arrivée de son tour avec les événe- 
ments récents et les enchères prochaines. 

On disait fréquemment dans le monde de la curiosité : « M. Cronier 
possède des Chardin et des Fragonard de premier ordre, mais il ne 
les montre pas. » Je me souviens que lorsqu'il fut question d'organiser 
une exposition de l'œuvre de Chardin, au profit d'une entreprise 
philanthropique, dont le titre se retrouve moins aisément dans mon 
esprit que la petite scène que je vais dire, le nom de M. Cronier fut 
révélé à quelques personnes qui pourtant ignorent peu de chose en 
matière de grandes collections. Une réunion avait lieu chez M. Henri 
de Rothschild, qui, avec une belle libéralité, avait mis à la disposition 
du comité l'ensemble unique qu'il possède de peintures de ce grand 
et vénéré maitre. Quelqu'un dit : « Si nous avions aussi les Chardin 
de M. Cronier ! » 

L'on se regarda, les uns avec une expression d'ctonnement, les 
autres avec un air de scepticisme. Aux premiers, celui qui avait pris la 
parole dit qui était M. Cronier et quelles choses capitales il possédait. 
Pour les seconds, il lui fut moins aisé de les faire changer d'expres- 
sion. c( Certes, dit-il, il faudrait trouver une façon de s'y prendre et de 
le prendre, car ce collectionneur est peu maniable. Il est également 
capable de prêter ses trésors, — et de les refuser net. Mais en manœu- 
vrant d'une façon que j'indiquerai, et en lui envoyant une députation 
LB ooDTER CAMPÊTBK composée de Messieurs tel et tel, qui sait si nous ne réussirons pas? » 

Groupe eo biscuit do Sèvres, pSto lendrc. Époque Louis XVl 
(Collection E. Cronier) 




COLLECTION E. CRONIER 




M.-Q. DE LA TOUR. — portrait nr gravklr schmidt (pastel) 
(Collection E. Cronier) 



LES ARTS 



L'affaire n'ayant pu avoir de suite à cause de quelques 
difficultés matcricllcs qui entravèrent les projets d'exposi- 
tion, l'on ne sut pas si l'espèce de crainte qu'inspirait le 
collectionneur éiait justifiée. Mais à elle seule on peut dire 
que cette crainte constituait comme une touche de sa phy- 
sionomie. 

Nous l'avions entrevu parfois, avec sa haute mine, son 
allure d'officier supérieur en civil (impression belliqueuse 
que ne diminuait pas une main mutilée qu'il ne dissimulait 
point), son air correct, strict, un peu sarcastiquc. Nous le 
vîmes une dernière fois dans des circonstances qui main- 
tenant nous semblent émouvantes. C'était l'été, au moment 
où la moitié de Paris était déjà en villégiature et où l'autre 




J.-A. WATTEAU. — LE LORO.NEUH 

(Collection E. Cronier) 



moitié se préparait à partir. Par une soirée d'été délicieuse 
— car on va chercher bien loin des repos qui ne valent pas 
toujours ceux des étés de Paris, — nous avions dîné dans 
le jardin d'un autre et des plus célèbres amateurs d'art. 
M. Cronier vint après le diner pour une façon de p. p. c. Il 
se montra d'un enjouement fort marqué (auquel nous qui 
étions moins habitué à sa façon, trouvions une espèce 
d'arrièregoût amer) et d'une parfaite liberté d'esprit. Or il 
était alors en pleine crise et tout proche du dénouement... 
L'on admira la grâce féerique des cygnes dans la nuit et les 
merveilleux effets de la lumière électrique à travers les fron- 
daisons. Puis, faisant un tour de musée, M. Cronier eut 
quelques plaisanteries sur de chimériques échanges entre 

sa grande gouache de Gainsbo- 
rough , reproduite ici, et une 
autre gouache du même maître; 
et aussi entre une ou plusieurs 
de ses tapisseries de Boucher et 
d'autres non moins belles qui se 
trouvaient en ce lieu. 

On eût dit des souverains 
s'amusant à échanger hypothé- 
tiquement des provinces, mais 
ayant la ferme intention de les 
garder — et peut-être l'espoir 
de les conquérir un jour, — 
car la plaisanterie alla même 
jusque-là. 

Ces diverses indications de 
caractère que je vous donne ici 
ne sont pas pour l'oiseux plaisir 
de faire en quelque sorte du 
Saint-Simon d'Hotcl des Ventes, 
mais pour que, comme cela est 
nécessaire au point de vue artis- 
tique et humain, la physionomie 
de la collection et celle du col- 
lectionneur se complètent et 
s'expliquent l'une par l'autre. 
Caractère net et tranchant, 
M. Cronier aimait les œuvres 
tranchées. Il lui fallait ces beaux 
morceaux qui, à la première 
rencontre, donnent au spectateur 
le brusque « coup dans l'esto- 
mac » qui est une sensation si 
désirée. Ses deux figures de Char- 
din et ses deux Fragonard, qui 
sont, pour nous, les pièces capi- 
tales de l'ensemble, étaient par 
excellence des choses répondant 
à cette définition. Il est permis 
de supposer qu'il les aimait entre 
toutes, puisqu'il les avait perpé- 
tuellement sous les yeux dans 
son cabinet de travail. On se 
demande quel singulier regard il 
dut adresser à ces œuvres d'art 
qui tenaient une très grande 
place dans sa vie intime et qui 
faisaient un de ses plus grands 



COLLECTION E: CRONIER 




M.-Q. DE LA TOUR. — portrait du comte dk covkntky (pasiel) 
(Collection E. Cronier) 



LES ARTS 




ARLKQUIX HT r.ni.OMRINB 

Clienc'ls en br.inze ciselé et doré. — Époque Louis XV 
(Collection E. Cronier/ 



orgueils, lorsqu'il entra dans 
son hôtel pour la dernière 
fois. 

Il avait fort grande mine, 
cet hôtel, parfaitement situé 
sur la frontière du parc Mon- 
ceau. Son vestibule et son 
grand escalier central annon- 
çaient par leur riche simplicité 
des spectacles rares. Et le 
cadre où se trouvaient les œu- 
vres que nous allons voir dé- 
filer sous nos yeux n'était pas 
indigne d'elles; Les tapisse- 
ries, notamment, étaient l'ob- 
jet d'une excellente mise en 
valeur et jouissaient d'une 
abondante et'parfaite lumière. 
Il est vraisemblable, mainte- 
nant, que la célébrité qu'elles 
ont acquise, s'ajouiant à leur 
beauté, leur prépare des des- 





VASK, OllOUPB, AGCBSSOIRBS EN ANCIRNNB POROBLAINBDE CniXB 

Morilure cd bronze ciselé et doré, — Époque Louis XV 

(Collection E. Cronitrl 



tinces encore peu 
communes. 

Chose curieuse, 
toute une partie 
de la collection, 
en fait de desti- 
née, aurait pu en 
avoir une fort 
haute : les Rous- 
seau, les Diaz, 
les Dupré et 
quelques-unes 
des plus belles 
oeuvres des maî- 
tres de i83o, 
avaient été of- 
fertes au Louvre, 



celles - ci , par 
les quatre pein- 
tures à la fois 
insinuantes et 
triomphales, 
que sont les 
Osselets et le 
Volant , par 
Chardin, et le 
Billet doux et 
la Liseuse, par 
Fragonard. On 
ne sait en vérité, 
en cette occur- 
rence, auquel 
des deux maî- 
tres donner la 



et « l'affaire ne s'était pas 
arrangée!... » Oui. en vérité, 
M. Vince, le collectionneur 
qui les avait rassemblées, ces 
peintures, avait ambitionné de 
les offrir à notre grand musée. 
Mais l'accueil fut si peu em- 
pressé, au gré de ce fervent 
de Fontainebleau — cela se 
passait jadis, et très jadis, — 
qu'il laissa simplement toute 
sa collection à son neveu... 
M. Ernest Cronier. 



On va maintenant passer 
en revue les richesses qui 
s'ajoutèrent à ce premier et 
déjà enviable trésor. 

Nous ne pouvons commen- 
cer que par les œuvres de 
l'école française et, parmi 




FIl.V(jUN'AIil). — LK.M'A.NT BLoKii (miniature) 
(Collection E, Cronier) 



FRAGONARD. — portrait de fillette 
(Collection E. Cronier} 



COLIFCTION F. CRONIFR 




FRAGONARD. — le billet doux 
(Collection E. Cranter) 




palme. Eh! oui, nous savons bien 
que Chardin est peut-être un plus 
grand homme, mais Fragonard est 
un plus surprenant magicien. Nous 
savons que l'un a la suprême vertu 
d'une candeur merveilleusement 
habile dont on ne retrouve l'équi- 
valent en art ou en littérature que 
chez La Fontaine ou chez Corot ; 
mais l'autre, dans ses bons mo- 
ments, sait pousser l'adresse Jus- 
qu'au génie, et il a des heures où 
sa verve devient une chose pro- 
fonde, mystérieuse comme l'éclo- 
sion d'une fleur paradoxale. Et 
justement si Chardin, dans les deux 
tableaux qui sont ici, se montre 
égal à lui-même, ce qui n'est pas peu 
dire, Fragonard se rencontre avec les 
deux autres, dans un de ses instants de 
verve fascinatrice, de floraison supé- 
rieure. 

Il est certain, de toute façon, que 
ces deux Chardin « tiendraient », 
comme on dit, à côté des plus belles 
choses des plus grandes époques. Y 
aurait-il un charme de grâce dans 
cette personne, jeune femme ou grande 
fille, qui puérilement exécute avec la 
balle et les osselets un coup difficile? 
Même pas. Elle est même plutôt 
franchement laide, d'une bonne et sympathique laideur. demeurera d'elles 



AI.lix.oniR DR LA C.URRRE 

Grand*; Ijoite en or ciselé. — Kpoqno Louis XV 
(Collection E. Cronicr/ 




TABATIERE OVALE 

Or émaîllc Ijtcu sur fond guilloclic. — Époque Louis XVI 
(Collection E. Cronicr/ 



Mais c'est de la vie si vraie, si 
intense, c'est de la matière de pein- 
ture si rare et si robuste; c'est 
d'un modelé si beau et si fort dans 
son attentive bonhomie, que dire? 
c'est d'une si souveraine honnêteté 
d'art, que cela saisit, retient, en- 
chante. Et c'est si raffiné dans sa 
bonne force ingénue! Ces accords 
de brun, de rouge et de bleu sou- 
tiennent si bien la carnation, mar- 
chent si parfaitement avec le rythme 
des lignes que, s'il fallait chercher 
des termes de comparaison, l'on 
pourrait les emprunter aux plus 
ailiers modèles. Le bleu du tablier 
de cette joueuse d'osselets n'a peut- 
être d'égal, en peinture, que le bleu 
grandissime du tablier de la Verseuse 
de lait, par Van der Mcer de Delft, 
dans la collection Six. 

Quant à cette fiUeite avec son nez 
court, sa gentille tête française, voire 
parisienne, sa coiffure soignée, poudrée 
a la madame, son affairement à l'idée 
de la partie de volant qui va s'engager, 
c'est une chose de race tellement forte 
que, tant qu'il y aura, supposons dans 
des siècles encore, des fillettes humbles, 
saines et instinctives dansles faubourgs 
et les rues laborieuses de Paris, celle-ci 
une des plus parfaites synthèses. Ah ! le 





PETIT FAUTEUIL 

Bois sculpte et doré. — Époque Louis XV à Louis XVI 
(Collection E. Cronier) 



PBTIT FAUTEUIL 

Bois sculpté et doré. — Époque Louis XV à Louis .XVI 
(Collection E. Cronicr) 



COLLECTION E. CRONIER 




J.-S. CHARDIN. — LK VOLANT 

(Collection E. Cronier) 



LES ARTS 



10 



brave homme que Chardin, et comme il aimait les êtres 
simples et les bonnes petites âmes! Dirai-je le miracle 
de cette couleur, de ce brun et de ce blanc crémeux et 
argenté se détachant sur ce simple et si savant fond gris, 
et le rendu de ce volant et de cette raquette qui sans 
effort, semble-t-il, deviennent des objets si précieux? 
Mais quoi, un simple montant de chaise sur lequel s'ap- 
puie cette fille d'artisans prend l'importance et le prix 
du bâton de commandement entre les mains d'un souve- 
rain peint par Velazquez. 

Que d'un coup de baguette du génie nous voici soudain 
bien loin de la rue de Lisbonne, et du collectionneur, et des 




}.-\.. WATTEATI. — LBS AMANTS ENDORMIS 

(CoUection E. Cronier) 



événements qui nous procurent ce spectacle! Avec Corot,, 
nous étions à flot sur les larges ondes de la vie. Avec Frago- 
nard, nous voici nous ébattant dans le délicieux irréel du 
romanesque et de la fantaisie éperdue. Car on peut la dire 
plus étrange encore que réelle, celle Liseuse, bien qu'elle soit 
prise à la rencontre, par le peintre, et aussi « populaire » en 
son genre que la Joueuse d'osselets, de Chardin. Seulement 
la couleur ici, avec son furieux éclat, sa véhémente caresse, 
atteint les frontières de la fantasmagorie pure. Ce corsage 
d'un safrané aveuglant, ces notes lilas qui s'y opposent, cette 
tranche rouge du livre, qui est comme un appel de trom- 
pette dans une symphonie de Mozart, tout cela prouve que 

l'esprit, l'esprit simplement, 
peut créer en son genre du 
grandiose. Même éblouissante 
et dominatrice espièglerie avec 
le Billet doux, tableau tout 
ruisselant de vivants satins, 
tout délicieusement irritant 
d'atmosphère galante. Ah! 
l'adorable extravagance de cou- 
leur, que ce rideau jaune, cette 
robe bleue, ce tabouret vert, 
tout cela aboutissant à l'har- 
monie la plus dorée, la plus 
ambrée qui fut jamais. L'au- 
torité du peintre, dans le chif- 
fonnage des étoffes, dans le 
vigoureux et raffiné contraste 
des valeurs, dans le saisi d'un 
mouvement léger, infiniment, 
mouvement aussi vif que celui 
d'un oiseau qui vient de se 
poser, et qui va s'envoler de 
nouveau , sont certainement 
des sujets de stupéfaction. Et, 
pour achever le régal, le peintre 
capable d'un pareil tour de 
force s'est montré en même 
temps un conteur exquis, ma- 
licieux, sympathique aux hu- 
maines amours, de la lignée 
d'un Restif de la Bretonne, un 
auteur dramatique fraternel 
avec Regnard et Marivaux. 

Je ne pourrai commenter 
plus longuement ces quatre 
chefs-d'œuvre, car le numéro 
entier y passerait sans peine; 
du moins qu'il soit permis 
d'ajouter à ces notes d'un spec- 
tateur encore tout aveugle, les 
essentielles indications de pro- 
venance et de cachet. Les deux 
Chardin ont été fréquemment 
gravés, notamment les Osse- 
lets , par Lépicic, en 1742; ils 
sont tous deux signés, et le 
Volant est date de ijSi. Quant 
aux Fragonard, la Liseuse a 
passé par les collections de 



COLLECTION E. CRONIER 



II 




J.-S. CHARDIN. — LKS OSSELETS 

(Collection E. Cronierj 



12 



LES ARTS 





I. NATTIER. — PORTRAIT PRÉSUMÉ DE W»" TOCQLK 

(Collection E. Cronier) 

Cypierre et du comte de Kergorlay, et le Billet doux, qui 
vient de l'ancienne collection Feuillet de Conches, fut mon- 
tré en 1874, à la fameuse 
exposition des Alsaciens- 
Lorrains. 

Peut-on nous supposer 
refroidis, par de telles fortes 
pages, envers les œuvres de 
cet autre grand homme, grand 
peintre autant que vrai pen- 
seur, La Tour, qui se trouve 
ici représenté par quatre mor- 
ceaux des plus rares, dont 
deux surtout sont du plus 
vif intérêt et de la vie la plus 
saisissante? Cènes, La Tour, 
dans le Portrait du graveur 
Sclimidt (provenant de la col- 
lection Laperlier) ne s'est 
jamais prouvé physionomiste 
plus attrayant, et capable 
d'allier la plus grande sub- 
tilité d'expression avec la 
plus grande franchise dans 
l'acceptation du modèle. 
Cette bonne tête souriante, 
tête germanique avivée d'un 
peu de malice scapinesque, 
tête singulière où se mélan- 
gent de l'ironie et de la 
mélancolie, est réellement 

J.-l). PElinONKEAU. — 
(Collection 



M -Q. DE LA TOUR. — portrait dk la comtesse de cov■B.^TBy (pasldj 
(Collection E. Cronier/ 



observée par le peintre av 
lernelle. C'est le camarade 




PORTRAIT DE M. DUPliRIL 

E. Cronier} 



ec une espèce de sympathie fra- 
qu'il a eu plaisir à portraiturer, 
en causant, en échangeant 
tour à tour de vives plaisan- 
teries et des idées philoso- 
phiques; l'artiste comme lui, 
surpris, non arrangé, dans 
le pittoresque et débraillé 
accoutrement de l'atelier, 
vieille robe de chambre à 
ramages, et vieille toque de 
velours fourrée, à la cares- 
sante usure, aux tons riche- 
ment fanés. Et le maître ne 
s'est pas moins intéressé à la 
grasse main habile, qui a des 
mouvements et des replie- 
ments délicats, qu'aux grands 
yeux qui réfléchissent et qu'à 
la bouche aux vigoureuses 
sinuosités, révélant une fan- 
taisie sensuelle. Vrai Dieu ! 
ce camarade était assez fait 
pour s'entendre avec son sar- 
castique, et osseux, et voltai- 
rien, et philosophe depeinire. 
Dans son Pi.rtrait par lui- 
lucinedc cette collection Cro- 
nier, La Tour s'est rarement 
raconté avec plus de com- 
plaisance. Souvent, dans un 




M.-Q. DE LA TOUR. — portrait du maître par lui-même (pastel) 

\CoUection E. Cronier) 



H 



LES ARTS 



« masque » preste et limpide, il se saisit une expression 
fugitive, une pense'e, une raillerie; parfois encore, en 
certains portraits intimes plus détaillés, veste bleue, le 
cou et la tête nus, il nous dit sa « rosserie » d'ouvrier 
sûr de son fait, de faubourien qui aime à ne pas mâcher 
Jes mots, sorte de Beaumarchais de la peinture, qui tout 
en frayant avec les grands seigneurs ne se laisse point 
éblouir par leur rang, de Picard enfin, fier de son talent et 
de sa naissance humble. Mais ici, il nous a donné jusqu'aux 
moindres détails de son anatomie physionomique. Il a 
presque forcé sa gaieté dans ce magnifique pastel, où le 
débraillé de la tenue forme un si piquant contraste avec le 
poussé de l'exécution, et vraiment, tel est le degré de rensei- 
gnement de ce document unique, que l'on entend l'accent 
picard... Regardez bien le portrait, et vous l'entendrez. 

Ce portrait est signé Delatoiir ijSu. Quant à celui du 
Graveur Schmidt, il est piquant de rappeler qu'en 1S79, à la 
vente Laperlier, il atteignit le prix de... 4i5o francs! Je 
vous laisse le plaisir de jouer au petit jeu de pronostiquer de 
combien, avec la juste fureur qui s'est emparée de nos col- 
lectionneurs à l'égard du « xviii= », ce beau pastel, si 
humain et si plaisant, dépassera ces enchères d'une époque 
patriarcale. 

Watteau aurait dû être, en toute autre occasion, ciié dès 
l'abord; mais il convient d'avouer qu'il n'était représenté 
chez M. Cronier que d'une façon restreinte. Le petit Lor- 
gneitr surtout, essai d'un sujet fréquemment traité par 
l'artiste, n'est point ma! avec sa dame en robe jaune, et 
son beau musicien rose à crevés b'euâires. Le panneau 
décoratif des Amants endormis, d'une verve légère, a le 
dommage d'être tronqué; mais cela demeure encore un 
enviable débris. Plusieurs dessins sont de bon aloi. C'est 
tout ce qu'on peut dire ici du maître des maîtres. 

Et il faut bien vite revenir aux grands portraitistes. A 
La Tour, de qui nous n'aurions garde d'omettre le fier et 
aristocratique Lord Coventrj-, en rouge dominant, et de 
Ladf Coventry, en bleu majeur, deux morceaux qui nous 
auraient retenu plus longuement 
si nous n'avions pas été un peu 
fasciné par les deux autres. A Per- 
ronneau également, à qui l'on 
donne une peinture, M. Duper il, 
en habit d'un rouge fort attrayant, 
. ettrois pastels, représentant Colette 
de Viilcrs, puis un seigneur et une 
dame inconnus. A Naitier, encore, 
de qui une charmante figure de 
femme, au coquet mouvement de 
la main, à la ressemblance serrée 
• d'un peu plus près que de coutumie, 
sans perdre de la grâce coutumière, 
est présumée Madame Tocqité. A 
quelques maîtres de l'école anglaise 
enfin... Mais ceux-ci valent un ou 
deux alinéas à part. 



Ce qui fait un peu de la séduc- 
tion et de l'originalité de la partie 
anglaise en la collection .Cronier, 
c'est que l'amateur avait eu l'esprit 




A. WATTEAU. — l'.TUDiî POUR LES pi.Aisins dkl'kh'; 

Dessin au crajon noir avec rehauts de blanc et de sanguine 

(Collection E, Cronier) 



de recueillir certaines fort petites esquisses de certains fort 
grands portraits : ainsi, par Gainsborough, la Promenade 
dans le Parc, autrement dit le portrait du squire Hallett et 
de sa femme, deux jolis personnages d'un roman de Gold- 
smith, de Sterne ou de Maci<enzie, parés, respectables et 
charmants; — ou, par Reynolds, l'esquisse plus alticre de 
Lady Stanhope, découpant sur un rideau rouge sa blanche 
silhouette et sa ficre tête blonde, pensivement accoudée. Ce 
sont choses séduisantes et pages lilliputiennes. 

Mais Gainsborough attire surtout l'attention. Cette 
grande gouache dont nous avons parlé est une œuvre 
curieuse par le procédé peu fréquent chez cet artiste. Il 
est certain que Gainsborough, avec des cheveux poudrés 
sous un grand chapeau, un corps souple dans une robe de 
soie paille, une fine gorge que voile un fichu de batiste, 
une main délicate qui se laisse aller comme une Beur qui 
dort, des yeux enfin, des yeux veloutés et songeurs, donne 
une impression de grâce pudique et de sentimentalité vive 
et c'est plaisir de voit palpiter et rêver ces gracieux êtres 
dans un paysage rêvé et vrai en même temps. Gainsbo- 
rough ne peut être défini que par le portrait d'un gentleman 
en bel habit bleu verdâire et présumé sir Campbell. 

Enfin, la collection anglaise se complète par le portrait 
de Miss Day, par Lawrence, page d'une riche couleur, 
d'un attrait de beauté juvénile et d'un fort romanesque 
arrangement de paysage; — par diverses études de femmes 
deRomney ou de son entourage, blanches, bleues et dorées 
à souhait; — par un très noble portrait d'homme de 
Reynolds. 



Mais il est grand temps que nous disions sur quelles 
belles choses de nos maîtres de i83o le Louvre fit naguère 
la petite bouche et quels régals se préparent pour ces riches 
et bons ouvriers de nature que la postérité a maintenant 
classés d'une façon définitive entre leurs ancêtres les paysa- 
gistes hollandais et leurs émules, en quelque sorte leurs 

« moniteurs » , les paysagistes 
anglais. 

C'est à Corot que s'adresse tou- 
jours le premier hommage, car 
c'est lui toujours qui, le plus impé- 
rieusement (et quelle bonne grâce 
dans cet impérieux!), séduit et 
caresse le regard et retient la 
pensée. Le Pâtre est une fort 
importante et fort pittoresque 
peinture, toute pleine de cette 
sorte de plantureuse rêverie, de ce 
charme intense de nature à la fois 
antique et romantique que le 
maître avait à jamais rapportée 
d'Italie. Ce berger, Auteur dans 
la solitude de ronces et de rocs, 
ces chèvres qui broutent autour de 
lui et sans nul doute sont des audi- 
trices qu'il aime et qui l'aiment, 
cette belle scène qui n'aura jamais 
de date , pas plus que n'en aura 
ce fin ciel d'aurore, — c'est propre- 
ment une page de Virgile. 



COLLECTION E. CRONIER 



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FRAGONARD. — la liseuse 
(Collection E. Cronier) 




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L'HISTOIRE DE DON QUICHOTTE. — la duch 
Tapisserie exécutée à la Manufacture des Gobelins d'après les cartons d 




1 



. — DON (QUICHOTTE. — bEl'AKT DK SANCHO POIU i. ILE DE BARATARIA 

essier. — P'ond jaune simulant le lampas. — Tableaux et guirlandes coloriés au naturel 

i. Cronicr) 



i8 



LES ARTS 



Puis voici cette petite toile des Dunes d'Etaplcs qui 
ravira ceux qui sont amoureux de lumière et sera chère au 



cœur de ceux qui connaissent cette région si grandiose et si 
simple, cette région à laquelle le nom de Cazin est indisso- 




L\^COMliUHÎ ITALlti.VMi. — LV UISiiU'iB 1» B UuN.NB AVt.\rURF! 

Tapisserie cxdculdo à la Manufacture des Gobclins d'après les carlocs de Berain, Gillol et WaUcau 

i Collection E. Crouler f 



lublement lié, et dont on est heureux de rencontrer Corot 
epris en passant; car ce grand ciel, ces dunes pâles, ces 



arbres qui luttent courageusement contre l'incessante brise, 
cette âpre vie des pêcheurs, sont évoqués ici dans toute 



COLLECTION E. CRONIER 



«9 



leur triste, douce et pâle beauté, et cette simple toile est un 
résumé génial de tout un certain aspect des côtes françaises. 



Après ce grand poète, voici trois très grands ouvriers, 
Rousseau, Duprc et Diaz. De Rousseau, la Marc dans la 




LA roMioii iTAiiiitni. — l> jaloux 
Tapissorio cxi<ciil<<c h la Manurartiiro des Gobolios d'après les cartoDS de Barain, Gillol et Waltcan 

iCiUeilion E. Cronier) 



forci, page d'automne des plus somptueuses, vraie orfè- 
vrerie de peinture avec de captivants effets de lumière. De 



Dupré, encore deux « mares » ; l'une avec un ciel drama- 
tique et des arbres qui s'apprêtent aux ingratitudes de la 



LES ARTS 



mauvaise saison, provient de la colleciion Mante ; l'autre, 
blonde, chatoyante, séduit par les beaux ors du reflet que 



font, dans l'eau remuée, les troupeaux qui se désaltèrent. 
Diaz a été rarement mieux représenté que dans cette 







L'msTOme de CSYCHK. — r.'ABANDON 

Tapisserie exécutée à la Manutaclurc de Beauvais d'après les carloDS de François Boucher 

(CoUectinn E. Crorner} 



collection-ci : la Mare aux chênes, la Clairière dans la 
forêt et VAiitomne au Bas-Brêau, sont trois objets d'art 



d'une qualité exceptionnelle ; j'ajouterai qu'auprès de 
ces peintures si bellement gravées, d'une matière si 



COLLECTION E. CRONIER 



31 




L'HISTOIRE DE PSYCHÉ. — LE VANNIER 
Tapisserie exécutée à la Manufacture de Beauvais d'après les cartons de François Boucher 

(Collection E. Cronierj 



24 



LES ARTS 




robuste et si diversifiée, les 

'figures du même maître pâ- 
lissent visiblement. Mais 
c'est assez que l'on puisse 
celte fois, en trois toiles seu- 

ilement, se remettre à com- 
prendre pourquoi Diaz eut 
une réputation si haute. 

I! nous faut encore signa- 
ler, faute de place pour les 
commenter, des œuvres du 
même temps, ou s'y ratta- 
chant,- comme les fort grasses 
Vaches à la lisière d'un bois, 
de Troyon ; les Amateurs de 

•peinture, de Daumier, un 

'clés tableaux les plus beaux 
d'éclairage, un des plus 
robustement sculptés que Je 
connaisse du maître ; 

'diverses aquarelles de 

■ Decamps, d'Harpignies ; un 
intéressant Pardon deRibot; 

^- enfin le tableau si capti- 

ivant, si im portant dans 
l'œuvre dé Bonvin, VEscalier 
du parloir, grave, digne et 
charmant, récit de mœurs, 
d'uii excellent sens religieux, 
quelque chose comme une 
scène de Port-Royal retracée par un vrai Hollandais, avec l'autre triomphal, la merveilleuse scène où trois personnages. 



JIUMNEV. — LA JtUMi LAIIIEKU 

(CoUeclion E, Cronier) 



celte si touchante et si fine 
aiicntion, pour préciser le 
goût et l'esprit de cette pein- 
ture, de placer dans cet esca- 
lier une copie de « la Mère 
Angélique Arnauld et Su- 
zanne de Champaigne ». C'est 
vraiment là, chez Bonvin, une 
sorte de trait de génie. 

Mais le génie I II flambe 
de toutes parts dans l'admi- 
rable petit tableau de Dela- 
croix : Hercule dé livrant 
Alceste, et je suis bien heu- 
reux de finir la revue des 
principales peintures par une 
œuvre aussi intense, aussi 
profondément émouvante. 
Ah ! si tout à l'heure Corot 
était un poète virgilien, voici 
en Delacroix un ardent et 
frémissant Eschyle ! Il est 
inoubliable ce tableau. On 
est hanté, ne l'eût-on vu 
qu'une fois et dans un éclair, 
par ces enfers encore furieux 
et béants, et par ces sacrifices 
de joie qui s'apprêtent, enca- 
drant entre deux pôles, pour 
ainsi dire, l'un; désespéré. 



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TH. GAINSnOROUGH. — portrait pnÉsuMiî de sir john campbell 
(Collection E. Cronier) 



lîEYN'OLDS. — PORTRAIT DE LADY STANIIOPH (CSquïSSC) 

(Collection E. Cronier) 




TH. GAINSBOROUGH. — méditation (gouache) 
(Collection E. Cronier) 




EUGliSE DELACROIX.— iiEKcti.B etalcesie 

it:nU:itinH E . Cranicrf 



sans plus, disent ce drame magnifique de ]a mort vaincue, 
de l'amour consolé et du courage triomphant. Mais quel 
émoi les éircini encore ces trois personnages! Comme ils 
reviennent de 
loin ! L'un de 
la douleur, 
l'autre du pé- 
ril, letroisicme 
enfin des livi- 
des régionsqui 
d'ordinaire ne 
lâchent point 
leur proie! 
Hercule n'est 
vainque u r 
qu'avec une 
espèce d'hor- 
reur; Admcie 
n'est heureux 
qu'avec une 
sorte d'efl'roi. 
Pour Aiceste, 
dites si l'art a 
jamais rien 
produit de 
plus pathé- 
tique que cette 



figure délicate, prostrée, encore détaillante, à peine encore 
redevenue vivante. Il faudrait pour la dignement décrire, 
Ja même plume que celle de Michelet commentant V An- 
dromède de 




Pu,t;Li! 



Il en coûte 
un peu de re- 
descendre de 
pareilles hau- 
teurs dans le 
simple do- 
maine de la 
curiosité. Mais 
du moins le 
retour est ren- 
d u a 1 1 r a }■ a n t 
par des tapis- 
series telles 
que celles de 
VHistoire de 
Psyché par ce 
magique déco- 
rateur, et cet 
adorable met- 
teur en scène 



C. TROyON. — VACHES A LA LISIÈRE D'BN BOIS 

(Collection E. Crouler) 



28 



LES ARTS 



d'opéra, qu'est maître François Boucher. Il y en a vrai- 
ment ici une série incomparable de ces voluptueuses et 
ingénieuses visions d'un homme qui fut aussi à sa façon 
un lyrique, un lyrique de la chair, et des bijoux, et des 
paysages de théâtre, pour lui plus éloquents que les 
paysages trop vrais (et pour nous, avounsle, non moins 
susceptibles de suggestion). Psyché montrant ses joyaux 
à ses sœurs est un rêve de richesse théâtrale tel que la 
plus habile imagination n'en peut concevoir de plus capri- 
cieux et de plus opulent ; la jalousie des sœurs est plus 
observée qu'on ne pourrait s'y aiiendre; mais Boucher était 
plus philosophe qu'on ne pense. Psyché abandonnée par 
l'Amour exhale ses plaintes de la manière la plus touchante; 
son adagio et ses roulades se développent à merveille dans 
cette affreuse solitude, qu'à cause des nymphes nous con- 
templons sans trop de déplaisir. Enfin la scène de Psyché 




JULES DtJPHi;. — LE TROUPEAU AU BORD DE l'i 

(CoUection E. Cronier) 



secourue par le vannier nous ouvre sur la vie rustique 
des horizons toujours inattendus. Ces tapisseries sont de la 
plus grande beauté ; le temps donna à leurs tons les séduc- 
tions les plus rares des roses fanées et des crémeuses blan- 
cheurs. Heureux le milliardaire qui pourra relire entre ces 
spectacles l'adorable roman de La Fontaine. Si cela l'ennuie 
de lire, nous demandons à le pouvoir faire chez lui. 

La Noble Pastorale et les Plaisirs champêtres ne le cèdent 
point aux précédents en séduction de couleur et en agrément 
de composition. Il semble maintenant que de telles pièces 
soient aussi difficiles à conquérir que la légendaire toison 
d'or. Les deux grands panneaux de la Comédie italienne 
inspirés de Bérain, de Gillot et de 'Watteau (le catalogue dit : 
ou ; ]C d\s : eti; les scènes de VHistoire de Don Quichotte 
enfin, d'après Coypel, complètent un ensemble de Gobelins 
et de Beauvais, comme on en vit peu fréquemment passer en 

vente publique et comme on en 
vit plus rarement encore réunis 
chez un seul particulier. Et ce ne 
sont pas les seules pièces pré- 
cieuses de tapisserie que l'on 
voyait chez M. Cronier. Il y 
avait encore de rares meubles, 
l'un avec une suite de batailles 
et de bambochades par Casanova; 
un autre de Huet et d'Oudry ; 
d'autres encore dont Aubusson 
pouvait s'enorgueillir... 

Un des charmes les plus pi- 
quants et les plus singuliers de 
ces belles décorations tissées ré- 
side dans le somptueux pâlisse- 
ment que leur a donné leur grand 
âge, pâlisscmcnt au milieu duquel 
persistent des éclats de couleur 
merveilleux et atténués, grand 
âge qui conserve une exquise. fleur 
de jeunesse. 

Et nous songions, en subis- 
sant la caresse de cette excep- 
tionnelle harmonie, à la singu- 
lière querellequi surgit, àl'époque 
du lissage, dans le clan des tapis- 
siers, entre les partisans du « co- 
loris de peintre » et ceux du 
« coloris de tapisserie, » entre les 
adeptes de Boucher et les défen- 
seurs d'Oudry. Est survenu un 
troisième coloriste, le plus grand 
et le plus inattendu de tous, qui 
trancha la querelle et la fit ou- 
blier : le Temps !... 

Je renonce à entrer dans le 
détail de ces tapisseries qui furent 
princières, et qui vont sans doute 
continuer à être « financières », 
car de notre temps qui, sauf un 
grand financier, avec son argent 
ou celui des autres, peut s'olfrir 
un pareil décor ? Je renonce aussi 
à cnumérer même les objets de 




DIAZ. — LA HARB AUX CIlfi.NES 

( f^oUcrlhn E. f'rniticrj 




DIAZ. — LA CLAIRIKRB DANS LA F0R£T 

(Colteflinn K. Cntaier) 



LES ARTS 




TH. ROUSSEAU. — LA .vARB dans la korkt 
(Collection E. Croniei) 




D I A Z . — L B I» Kjl N T H M 1* s 

(Collection E. Cronier) 



COLLECTION E. CRONIER 



3i 




J.-B. CARPEAUX. — KLORE (marbre) 
(Collection E. Cronier) 



33 



curiosité, porcelaines, ortè- 
vre ries, bronzes, pet i tes seul p 
tures (et grandes, témoin la 
radieuse et espiègle Flore de 
Carpeaux) qui forment près 
d'une centaine de numéros. 
Ma grande raison, ce n'est 
pas parce que je n'y aurais 
pas beaucoup déplaisir, mais 
c'est parce que je n'ai plus 
de place. S'il m'en était resté 
davantage Je serais revenu sur 
telles pei ntures du X vu l'^siècle 
absolument charmantes, 
comme la Collationci le Con- 
cert dans le Parc, dont la 
composition tout au moins 
aurait été approuvée par Fra- 
gonard, de qui elle est visi- 
blement inspirée. J'aurais 
aimer parler de certains des- 
sins fort précieux, tels que la 
tétedejeune fille de Prud'hon, 
l'aimable portrait de femme 
par le baron Gérard, enfin 
encore une fois je me serais 




délecté en compagnie de Fra- 
gonard, avec son Taureau 
cchappé [échap\-^é ce me sem- 
ble de la collection Con- 
court, gravé par Jules, en 
tout cas), une sépia pleine 
de verve, de mouvement, 
d'artifice exquisgràce auquel 
ce taureau blanc est plus 
blanc que le papier lui-même 
sur lequel il apparaît si fou- 
gueux. 

Cènes, ce sont des spec- 
tacles bien durs à quitter... 
et celui qui les quitta en 
sut sans doute quelque 
chose. Égoïstes humains, 
ne nous plaignons donc 
pas d'avoir encore nos yeux 
tt de voir défiler ces raretés 
comme dans le tourbillon 
diapré d'un rêve peu fré- 
quent. 

ARSÈNE ALEXANDRE. 



H. DAI'MIER. — LES AWATBUBS 

(Cnltection E. Cronier) 




D^AZ. 



— L AUTOMNI! DANS LA FOKHT 

(Collection E. Cronier j 



TRIBUNE DES ARTS 



LA DANAE 



(!) 



Réponse de M. Henri Rochefort 

I 3 octobre irjo5. 

La similitude entre le dessin 
du Louvre et la Danac repro- 
duite dans le numéro des Arts 
du mois de juillet, est indiscu- 
table. Je n'avais laissé au bas 
du tableau le nom de Carie 
Vanloo que parce que la per- 
sonne de qui je le tenais m'avait 
affirmé en avoir vu ou même 
possédé la gravure. 

.le suis allé la demander à 
M. Danlos, l'érudit marchand 
d'estampes du quai Voltaire, 
qui m'a déclare ne pas la con- 
naître. Il se rappellera certaine- 
ment ma visite, car nous avons 
quelque temps parlé art en 
compagnie de M. Le Bargy, 
qui examinait des gravures. 

Le Louis de Boulogne dont 
parlent vos correspondants 
m'est inconnu. .l'ai vu des 
tableaux de Bon Boullogne ci 
de sa descendance, mais l'or- 
thographe est autre que celle 
du nom de l'auteur du dessin 
et les dates de leurs œuvres ne 
coïncident pas avec la facture 
de la Danac, qui rappelle la 
seconde moitié du dix-huitième 
siècle. 

Si Messieurs .Ican Cîuitfrcy 
et Pierre Marcel ont des ren- 
seignements sur le Louis de 
Boulogne en question, je serais 
heureux de me les voir commu- 
niquer pour m'en servir au 
besoin. 

Agréez, etc. 

HENRI ROCHEFORT. 



LES PRIMITIFS FBllIlÇfllS 

et "V" eï"m.e j o 

Saint Michel terrassant le Drago.i 

Un l'ail très caractéristique 
et qu'il importe de ne pas négli- 
ger, vient de se produire dans 
l'ordre de la critique. Il s'agit 
d'une peinture gothique repré- 
sentant saint Michel, signalée 
en avril dernier par le distin- 

(!) Voir tes Arts n" .\'}, p. iti cl n" \li. p. !>:». 




gué M. Herbert Cook, comme 
ouvrage de l'école française. 
L'article de M. Herbert 
Cook, paru dans la Gabelle des 
Beaux- Arts, n'était en soi 
indigne ni du renom, ni du 
mérite d'un écrivain justement 
estime de tout ce que l'Europe 
compte d'historiens d'art. La 
mise au jour seule du tableau, 
avec la signature qu'il porte, 
constituait un service dont la 
critique n'a pu que se féliciter. 
J'ajoute que si nous savons 
maintenant que M. Herbert 
Cook s'est trompé, c'est à lui 
que nous en devons la première 
nouvelle, annoncée sous sa 
signature dans la Chronique 
des Arts du 21 octobre. Il y 
aurait donc plus que de la 
mauvahe grâce à opposer son 
opinion d'hier aux démonstra- 
tions d'aujourd'hui. L'erreur 
en ces matières est le péril com- 
mun, que personne n'est assuré 
de toujours éviter. 

Je neveux remarquer qu'une 
chose en général : c'est qu'un 
tableau d'école réellement 
inconnue, catalogué d'école 
française sur des raisons pa- 
reilles à celles que tous les 
jours nous voyons servir en 
pareil cas, est retiré à l'école 
française par des arguments 
positifs. 

Ce tableau est signé ainsi : 
Bartolomeus Rubeus. .M. Cook 
proposait d'y reconnaître un 
Barthélémy Roux, travaillant 
en 1470. année marquée par le 
costume. Or les recherches 
pratiquées en Espagne par 
M. Raymond Casellas prou- 
vent que ce Rubeus est un 
peintre espagnol, réellement 
nommé Vermejo, et du reste 
connu par d'autres documents. 
Le point est acquis. M. Cook 
lui-mcme l'avoue, présentant, 
mme j'ai dit, lui-même cette 
correction au public. 

Cependant, voici sous quel 
titre le tableau avait été pré- 
senté en avril : 

Us IKICCMEST d'art FRANÇAIS 
PRIMITIF 

L'article débutait ainsi: • Ce 
qui est nécessaire dans les dis- 



UN PHKTE.NDa PIUMITIF FUiNÇAlS 

SAI.Nr .UICHICL TIKH.VSSANT LI ORAOOK 



34 



TRIBUNE DES ARTS 



eussions d'art d'aujourd'hui, c'est le docu- 
ment. Voici une page de la plus grande 
importance pour tous ceux (et il y en a beau- 
coup' qui s'occupent de l'histoire de l'art 
français primitif. >> Venant à la description 
"de la pièce, l'auteur poursuivait en ces 
termes : « Le fond doré et la ressemblance 
frappante avec le Saint Michel d'Avignon 
indiquent une origine méridionale. ;Ici men- 
tion de la signature.) Quel est ce maître in- 
connu ? Peut-être un autre maîire Roux. 
Quant à son époque, je penserais volontiers 
à 1470 environ, date indiquée par la mode de 
coiffure du donateur et de son vêtement. Celte 
figure rappelle Fouqiœt, ainsi que le bouclier 
avec son orbe de cristal... Ajoutons que les 
reflets sur la cuirasse montrent des tours 
gothiques telles qu'on en trouve au fond de 
la Pieta de la collection de M. d'Albenas, à 
Montpellier. » 

Je ne fais point ici une satire, ce que j'écris 
n'est point une invite à de nouvelles disputes 
inutiles : c'est un avertissement formel à la 
critique. La découverte du maître espagnol 
parle toute seule. Elle dit : En avril, vous étiez 
sûr que le tableau de Rubeus était français. 
Vous l'annonciez comme tel. Un commentaire 
suivait, dans lequel il ne s'agissait que de dé- 
couvrir à quelle partie de la France revenait 
ce tableau. Deux traits formels de ressem- 
blance le rapprochaient des œuvres de Fou- 
quet. Celle qu'en termes généraux vous recon- 
naissiez avec le Saint Michel d'Avignon, était 
mentionnée comme « frappante ». Or tout 



ceci, qui vous semblait solide, n'empêche pas 
l'origine du tableau d'être positivement con- 
traire. Le maître n'est pas français. Tous ces 
traits, grands ou petits, formels ou non, dont 
vous faisiez état, sont sans effet et ne signi- 
fiaient rien. 

Chacun reconnaîtra dans le commentaire 
cité, une variante de ceux que nous avons vus 
mille fois présenter de pièces du même genre. A 
toutes les pages du Catalogue de l'Exposition 
des Primitifs français, dans vingt articles de 
revue, on les trouve. 

Ni la créance qui fait du triptyquede Mou- 
lins un ouvrage français, ni celle qui recon- 
naît pour tel le beau portrait de Charles- 
Orland, ne reposent sur autre chose. Une 
grande partie de la composition des salles 
d'école française primitive, au Louvre, n'a 
pas des garanties meilleures. On va bientôt 
recevoir dans ce musée, avec quelque solen- 
nité, la Défloration du Christ de Villeneuve- 
lès-Avignon, dans les salles de l'école fran- 
çaise. Cependant on n'a pas de raisons plus 
solides à fournir de cette annexion. Ces in- 
ductions n'ont eu de tort jusqu'ici que de 
paraître faites à la légère. Les voici formelle- 
ment démenties et reconnues nulles dans un 
exemple. N'est-ce pas l'occasion de revenir 
à des inductions plus prudentes, à de plus 
sages expectatives, à une plus scientifique in- 
différence? 

Car, ou les rapprochements qu'on fait, en 
soi légers et incapables de déterminer une 
opinion, sont acceptés par complaisance dans 



l'embarras d'en trouver de meilleurs, auquel 
cas il convient de les abandonner; ou leur 
importance est véritable, et voilà, dans le cas 
qui nous occupe, un résultat tout différent 
de celui qu'on envisageait. Si la ressemblance 
d'une œuvre attestée de Vermejo avec le Saint 
Michel d'Avignon est réellement frappante, 
comment ne pas rendre à Vermejo ou à l'école 
espagnole la paternité de ce Saint Michel, 
exposé aux Primitifs français comme de 
l'école ou suite de Nicolas Froment? 

Insensiblement on a pris l'habitude, quand 
il s'agit de prouver qu'un tableau est français, 
d'apporter, en preuve, des ressemblances avec 
d'autres dont l'origine française est en ques- 
tion. Que le tableau nouveau venu retrouve 
son état civil sur les registres de l'étranger, 
ne va-t-il pas falloir, en bonne critique, que 
les pièces dites françaises prises comme com- 
paraison passent elles-mêmes aux écoles 
étrangères? 

Je laisse à tirer ces conséquences. Je ne 
retiens que celle-ci. Ceux qui n'ont pu ad- 
mettre qu'avec si peu de preuves on reconnût 
partout des mains françaises, que de toutes 
pièces on inventât des maiires dontdesombres 
d'analogies servaient à recomposer l'œuvre, cl 
dont le caprice tout seul fixait le lieu de nais- 
sance, ont une première satisfaction. Il est 
établi sur un point que ces prétendues vrai- 
semblances trompaient ceux qui s'y sont laissé 
prendre. Ce n'est qu'un fait encore, mais 
plein de sens et qu'il est urgent de reicnic. 

L. DIMIER. 




LA SicNAICRE DU TABLEUU SAINT MICHEL ILHIlASSAnT IL UltAGON 
U.\ PliÉTENDU PlilMITIF FISANÇAIS 



Dircclour : M, MANZI. 



Imprimorio Manzi, Jovani & C>', Paris. 



La Gérant: G. BLONDIN. 



LES ARTS 



N° 48 



PARIS — LONDRES — BERLIN — NEW-YORK 



Décembre 1905 



LE MUSEE DES ARTS DÉCORATIFS 




COFFRE EN BOIS A FBRRURBS 

France, xiii« siècle 
(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS) 



TAPISSERIE. — SCÈNE DE ROMAN 

France, xv« siècle 
(Legi Peyrt) 



LE MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS 




EST un lieu commun de répeter que le 
xix"^ siècle n'a point créé de style. Tandis 
que des sculpteurs comme Carpcaux et 
Barye, des peintres comme Delacroix, 
Ingres et toute la pléiade des grands pay- 
sagistes rivalisaient de génie avec leurs 
devanciers, aucun de nos artisans n'était 
capable d'imprimer à un meuble, à un vase, 
à une pièce d'orfèvrerie ou de céramique une forme origi- 
nale. Les plus habiles se bornaient à copier, les autres à 
enlaidir les produits des âges précédents. L'académisme avait 
sa part de responsabilité dans cette décadence. En séparant 
le « grand art » de ce qu'il appelait dédaigneusement « les 
arts mineurs », il avait détourné d" leur voie véritable une 
foule de talents qui, mé- 
diocres en sculpture ou 
en peinture, se seraient 
appliquésavec fruit àdes 
objets plus humbles, et 
il avait, du même coup, 
privé les « arts mineurs » 
de collaborations pré- 
cieuses, puisque, à 
d'autres époques, les 
plus illustres artistes ne 
croyaient pas déchoir en 
inspirant, en guidant 
même dans le dernier 
détail les travaux de l'é- 
béniste, de l'orfèvre 
ou du décorateur. La 
France, après avoir im- 
posé si longtemps ses 
modes à l'Europe, était 
à la veille de perdre sa 
suprématie. 

Dans un pays voisin, 
en Angleterre, sous l'in- 
fluence de Ruskin et de 
Morris, un art nouveau, 
ou du moins renouvelé, 
commençait à se former. 
Lasses de reproduire 
éternellement les mo- 
dèles venus de France, 
les industries anglaises 
du meuble, des tissus, 
du papier et de la céra- 
mique s'efforçaient, sou- 
vent avec bonheur, de 
créer des types natio- 
naux. Cette renaissance 
coïncidait avec le déve- 
loppement du merveil- 
leux musée de South 
Kensington et les écoles 
d'art appliqué qui dé- 
pendent de cette institu- 
tion. 

Ce fut alors, vers la 
fin du second Empire, 
qu'un petit groupe d'in- 
dustriels, d'artistes et 
d'amateurs français jeta 
les premières bases de 
l'Union centrale des 

GnlM,i:s i;n 1-er porc-: 

Fi-ancc, 

(iSusé: des Arts décoratifs, — 



Arts décoratifs. Par des expositions, des conférences, des 
concours, par la fondation d'une bibliothèque, il appela l'at- 
tention sur les chefs-d'œuvre oubliés des artisans d'autrefois 
et sur les tentatives intéressantes des artisans contemporains. 
Mais, ce n'était pas tout de secouer l'indifférence du public, 
ni même de stimuler l'initiative des producteurs, il fallait 
diriger le goût des uns et des autres, les mettre en garde 
contre les excès de zèle, et les dissuader de confondre l'ab- 
surde avec le nouveau. A cet égard, rien de plus instructif 
que les leçons du passé. Un musée de modèles judicieuse- 
ment empruntés aux divers pays, aux différentes époques, 
choisis en raison, non pas de leur rareté ni de leur valeur 
exceptionnelle, mais de leur élégance, de leur exécution 
rationnelle et de leur parfaite appropriation à l'objet, devait 

apprendre à l'ouvrier, 
mieux que toutes les 
théories, ce qu'on peut 
demander à chaque ma- 
tière et les parti s que l'on 
en peut tirer. Ce musée 
était d'autant plus néces- 
saire en France que 
l'Etat, dans ses collec- 
tions, avait totalement 
négligé les arts indus- 
triels. La peinture et la 
sculpture, arts majeurs, 
avaient seules droit de 
cité au Louvre, et le 
musée de Cluny, s'il 
contenait des trésors du 
moyen âge et de la Re- 
naissance, dédaignait 
les merveilles du xvii'^ et 
du XVIII' siècle. 

Une loterie, instituée 
en i882,donnaàrUnion 
des Arts décoratifs un 
capital d'environ six 
millions. Avec les arré- 
rages de cette somme, 
elle commença ses ac- 
quisitions et trouva, 
pour son musée naissant, 
un abri provisoire au Pa- 
lais de l'Industrie, d'où 
elle ne tarda guère à se 
voirexpulséeparles pré- 
paratifs de l'Exposition 
universelle. Ilseraittrop 
long de rappeler toutes 
les vicissitudes qu'il lui 
fallut traverser avant de 
trouver un domicile 
définitif, et comment 
ses collections durent 
attendre plusieurs an- 
nées, enfermées dans des 
caisses et remisées dans 
des caves, le bon plaisir 
des pouvoirs publics. 
Elles y seraient encore, 
sans l'infatigableaciivité 
du président de l'Union, 
M. Georges Berger. En- 
DK L'ABBAV. r/oi.R,nAMr, fin» les Chambres se 

xiti" siècle 

CoUcciion Le Sccq des TournelUs} 





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LES ARTS 



résolurent à assigner au Musée des Ans décoratifs le Pavillon 
de Marsan. En échange de cette hospitalité, l'Union prenait à 
sa charge les 1,600,000 francs de travaux nécessaires à la 
transformation de l'édifice et s'engageait à remettre, après 
quinze ans, la pleine propriété de toutes ses collections à 
l'État. Aménagé d'abord en vue d'une Cour des Comptes 
qui ne voulut jamais en prendre possession, le Pavillon de 
Marsan n'offrait pas toutes les commodités qu'on aurait pu 
souhaiter, mais il était admirablement situé, au centre de 





LISEUSE. — SCULPTURE EN' PIEKRU 

Franco, commencement du xv« siècle 
(Uusce des Arts dccoratifs. — Legs Peyrej 



SAINT JBAN. — SCULPTURE EN BOIS 

France, xiv siècle 
(Musée des Arts dccoratifs. — Legs Peyrc} 

Paris, au cœur même de ce Louvre dont le futur musée 
devait être le complément. Et puis, il fallait en finir. La 
Société avait hâte de vivre d'une vie complète. Elle pressa 
de son mieux l'architecte ; le gros œuvre à peine achevé, 
elle s'emparait des salles où travaillaient encore les menui- 



I.F MUSEE DES ARTS DECORATIFS 




TAPISSERIES : SCÈNKS DK VENDANGES ET ALLÉGORIES 

France, fin du xv siècle 

(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS. 



LUTRIN ET STALLES. — BOIS SCULPTÉ 

France, sv siècle 
Legs Peyre) 



LES ARTS 




CIlKb' b KVKQUE, — BOIS SCULPTK 

Flandre, xvi' siècle 
(Musée des Arts décoratifs. — ■ Don de M. J, Macict) 

siers et les peintres. En un mois, ce musée innombrable et 
divers se trouvait installé, classé, disposé avec un goût par- 
fait. Songez aux lenteurs„du moindre remaniement dans les 
galeries officielles : c'est tout simplement un miracle qu'ont 
su accomplir, avec le président de l'Union, ses collabora- 
teurs MM. Jules Maciet, Metman, Raymond Kœchlin. 

Ceux qui se rappellent l'ancien musée du Palais de l'In- 
dustrie ont eu la surprise de le retrouver, le jour de l'inau- 
guration, singulièrement accru. C'est que l'Union, pendant 
cette longue période d'interruption forcée, n'était pas restée 
inactive. Par des achats méthodiquement poursuivis, par 
des expositions partielles qui, en affirmant son existence et 
son utilité, stimulaient la générosité des donateurs, elle 
n'avait point cessé d'enrichir ses collections. Presque à la 
veille de l'ouverture, un legs considérable, celui de M. Peyre, 
était venu les doubler. 

On aurait tort, toutefois, de chercher, au Pavillon de 
Marsan, les prodigieuses richesses du South Kensington. 
L'Union des Arts décoratifs n'a jamais pu prétendre à éga- 
ler une institution qui, disposant de ressources énormes, eut 
la bonne fortune de naître, il y a plus d'un demi-siècle, à 



une époque où les œuvres d'art se rencontraient en beau- 
coup plus grand nombre et où les amateurs d'Amérique 
ne les avaient pas encore portées à des prix insensés. Elle 
n'avait pas, d'ailleurs, à engager cette lutte. Sur beaucoup de 
points, le moyen âge était merveilleusement représenté au 
musée de Cluny ; celui de Sèvres offrait aux céramistes 
une collection assez complète ; enfin, dans ces dernières 
années, l'introduction au Louvre des produits de l'Orient, 
du Japon et de la Chine, l'extension du département des 
Objets d'art, la création des salles du Mobilier français 
avaient comblé plusieurs lacunes. 11 convenait d'éviter toute 
dépense qui eût fait double emploi. Ajoutons que des en- 
tassements, à la manière du Kensington, ne vont pas sans 
ennui. L'Union centrale a jugé plus conforme au vœu de 
ses fondateurs de s'attacher surtout à constituer les séries 
qui n'existent pas dans les autres galeries françaises, à ne 
point dissiper en achats de pièces exceptionnelles (qui ont 
leur place ailleurs) des sommes démesurées, mais à ras- 
sembler des types bien choisis, qu'une structure rationnelle 




SAINT JEAN PLBURANT. — BOIS SCULPII: 

Flandre, xv« siècle 
(Musée des Arts décoratifs, — Don de M. J. Maciet) 



LE MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS 




TAPISSERIE TISSÉE d'oR. — JEUNE PRINCE ENTOURÉ DE SEIGNEURS COFFRE ET STALLES. — BOIS SCULPTA 

Flandre, commencement du xvi« siècle France, xv« siècle 

(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS) (Legs Pejrre) 



et une exécution élégante permettaient de proposer en 
exemples, puis à les présenter au public dans un arrange- 
ment qui, lui-même, fût une leçon de goût. 

Personne ne contestera qu'elle y ait réussi. Au lieu d'in- 
terner les objets par époques, par familles, par matières, 
dans une de ces classifications inflexibles qui découragent 
le visiteur et diffament l'art en lui donnant l'aspect morose 




de la science, les organisateurs du Musée ont su les distri- 
buer suivant un ordre assez clair pour faciliter les recher- 
ches, et cependant assez varié pour laisser à l'ensemble 
l'apparence de la vie. On voit une tapisserie comme elle doit 
être vue, près d'un lit, d'un coffre ou d'une chaire, et non 
pas alignée, par rang d'âge, entre une tapisserie de l'année 
précédente et une autre de l'année d'après. Chaque chose 
est à sa place plutôt que dans son « groupe ». Le long des 
murs, revêtus de lambris, les estampes alternent avec 
d'agréables peintures, avec des bustes de terre cuite, des 
statuettes de bronze ou des consoles chargées de bibelots. 
C'est l'agrément d'un cabinet d'amateur, non l'ennui morne 
du musée. Ajoutez que, des fenêtres, la vue découvre le 
merveilleux décor des Tuileries avec leurs parterres, leurs 
statues, leurs grands arbres et une échappée sur la Seine. La 
visite de ce palais, inondé de lumière, sera maintenant un 
des charmes de Paris. 



L'art du moyen âge est surtout représenté, aux Arts déco- 
ratifs, par deux séries extrêmement importantes : celle des 
boiseries et des meubles, celle des tapisseries. La première, 
déjà riche au temps de l'ancien musée, est maintenant de pre- 
mier ordre, depuis qu'est venue s'y joindre la donation de 
M. Emile Peyre. Architecte, chargé le plus souvent de bâtir 
ou d'orner des hôtels selon le style ancien, M. Peyre avait 
réuni tout d'abord, soit pour les employer, soit pour s'en 
inspirer dans ses travaux, un grand nombre de modèles; 
peu à peu, il s'était fait collectionneur, et sa maison de 
l'avenue Malakoff avait fini par se transformer en une 
sorte de Cluny désordonné, inextricable, où s'amoncelaient 
dans la poussière les boiseries et les meubles qu'il avait pu 
arracher aux anciennes demeures livrées à la démolition. Il 
a été impossible d'exposer dans sa totalité celte collection, 
qui comprend, à côté de véritables chefs-d'œuvre, des 
pièces de moindre intérêt. Mais l'ensemble qu'elle forme 
avec le fond de l'ancien musée et d'autres donations, fournit 
à l'étude le champ le plus précieux. 

Les ouvrages de l'époque roinane sont assez rares au 
Pavillon de Marsan. Quelques sculptures de pieire, princi- 
palement des chapiteaux, dont aucun n'est de premier 
ordre, ne donnent qu'une idée très incomplète de l'art 
français antérieur au xn' siècle. C'est ailleurs, au Trocadéro 
et sur de simples moulages, qu'on devra continuer l'étude si 
profitable de cet art, longtemps dédaigné comme barbare, 
après même qu'on eût commencé d'admirer l'art gothique, 
et cependant plus fertile encore que celui-ci en précieux 
enseignements. Fermeté de l'exécution, finesse et précision 
du détail, richesse de l'invention, diversité merveilleuse 
dans l'emploi combiné des entrelacs, de la flore, de la faune 
et de la figure humaine, l'époque romane a réuni chez nous 
toutes les qualités que l'on peut exiger de l'art décoratif; 
elle a produit de parfaits modèles dont on ne saurait trop 
vanter le goût, la distinction, l'originalité. 

A part quelques objets d'orfèvrerie, des ivoires, des tissus 
admirables dont le nouveau Musée possède une belle série), 
le mobilier de ce temps a presque entièrement disparu ; on 
n'en trouve quelques vestiges que dans un très petit nombre 
d'églises. Mais l'occasion se rencontre fréquemment d'ac- 
quérir des chapiteaux et des fragments de sculptures; il faut 
souhaiter que des dons ou des achats viennent mettre sous 
les yeux du public des échantillons véritables d'un style qui 
mérite d'être connu autremeut que par de froides copies. 

Plus nombreux sont les monuments du gothique pri- 
mitif. Quelques-uns sont de premier ordre, telle une magni- 
fique statue d'Ange, offerte par M. Maciet, dont le nom 



STALLE. — BOIS SCULPTli 

France, xvi» siècle ' 
(Musée des Arts décoratifs. — Legs Peyre) 




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LES ARTS 



devrait revenir à toutes les lignes quand on énumère les 
libéralités reçues par le Musée. Cette statue en bois, prove- 
nant de l'abbaye de Saint-Germer (Oise), est un digne spé- 
cimen de notre art religieux du xni= siècle ; pour la noblesse 
des lignes, la gravité de l'expression, elle est comparable 
aux grandes figures des cathédrales. 

On ignorerait un des plus beaux domaines de la sculpture 
du xiii= siècle, si l'on négligeait les statuettes, les bas-reliefs, 
les coifrets et les plaquettes d'ivoire où les artistes de ce 
siècle ont prodigué tout autant de génie que dans la décora- 
tion des porches de nos églises. On en trouvera quelques- 




TAIMSSIînlE. — SCK.\E Di; ROMAN 

France, xv« siècle 
(Musée des Ails décoratifs. — Legs Piyrtj 



uns, aux Arts décoratifs, qui ajoutent à l'intérêt des salles 
du moyen âge, mais qui ne sont guère là qu'à titre d'indi- 
cation. Il était inutile de recommencer au Pavillon de Mar- 
san une collection d'ivoires qui, faisant double emploi avec 
celle du Louvre, lui fût nécessairement demeurée infé- 
rieure. Pour les mêmes raisons, on n'y verra que fort peu 
d'orfèvrerie religieuse; la Galerie d'Apollon, la Salle de la 
donation Rothschild, le musée de Cluny, possédaient en ce 
genre assez de chefs-d'œuvre pour qu'il n'y eut point lieu 
de réunir ici une nouvelle série de calices, de reliquaires, 
de crosses et d'émaux, et de consacrer des sommes considé- 
râbles à ces coûteuses ac- 
quisitions. Il a paru plus 
intéressant de rassembler 
quelques échantillons du 
mobilier du xiii= siècle, dont 
il nous est parvenu peu de 
chose, et qui nous est sur- 
tout connu par les repré- 
sentations figurées des mi- 
niatures, des bas-reliefs et 
des ivoires. 

L'une des plus belles 
pièces que l'on puisse mon- 
trer est un grand coffre à 
pentures de fer en forme 
de rinceaux, symétrique- 
ment disposées sur toute la 
surface du bois. Le coffre, 
à cette époque, servait à la 
fois de resserre, de table 
et de banc. Dans les de- 
meures seigneuriales aussi 
bien quechez les bourgeois, 
on y rangeait les effets et le 
linge; dans les chartriers 
et les sacristies, on y ren- 
fermait les archives et les 
vêtements sacerdotaux. Il 
en existe, à Noyon et au 
musée Carnavalet, des 
exemplaires qui conservent 
des traces de peinture. Avec 
ses profils simples et l'élé- 
gant dessin de ses ferrures, 
celui-ci n'est pas un spé- 
cimen moins remarquable 
du style à la fois délicat 
et robuste qui caractérise 
toutes lesproductions delà 
première époque gothique. 
L'accord de ces mêmes 
qualités se retrouve, à ce 
moment, dans l'art du fer- 
ronnier. La collection 
prêtée par M. Le Secq des 
Tournelles en présente de 
nombreux exemples : i I n'en 
est pas de plus significatifs 
que les superbes grilles de 
l'abbaye d'Ourscamps. 
Cette abbaye, dont on voit 
encore près de Noyon les 
bàtimentsclaustraux trans- 
formés en filature, possé- 
dait, avec une salle ca- 
pitulai re du XI i'^ siècle 



LE MUSEE DES ARTS DECORATIFS 




BOIS SCULPTÉ. — STALLKS PROVENANT DE PALLUAU (iNORE) 

France. — Oébut du wi» siècle 
(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS. — Legs Pej-ref 



12 



LES ARTS 



demeurée intacte, une magnifique église du xin% immense 
comme une cathédrale. La nef tout entière est détruite; du 
chœur et du rond-point, il ne reste que l'ossature; les 
voûtes sont effondrées; à travers les ogives, les grands 
arbres du^parc envahissent les chapelles absidalcs, dépour- 
vues de leurs murs. Mais tout ce qui subsiste est admirable. 
Ces ruines ne forment pas seulement un décor pittoresque ; 
elles témoignent d'un art parfait. Hardiesse des propor- 
tions, souplesse des lignes, beauté de la sculpture, le regard 
ne peut rêver rien de plus harmonieux. Les grilles d'Ours- 
camps, avec leurs vigoureuses et charmantes volutes, leurs 



enroulements épanouis en fleurs, évoquent à elles seules la 
grâce et la fierté de cette noble église. 

Le xw siècle constitue l'une des périodes les plus floris- 
santes de l'art français. Si les édifices qu'il a laissés n'ont 
plus la simple grandeur de ceux de l'âge précédent, ils les 
surpassent souvent par le soin du détail et l'habileté de la 
construction. Sur les façades et à l'intérieur de ces édifices, 
les sculpteurs ont multiplié les chefs-d'œuvre, et plusieurs 
statues rassemblées par l'Union, entre autres un Saint Jean, 
légué par M. Peyre, montrent bien la grâce familière qui 




TAPISSERIE. — LES BUCHERONS 

FraDce, xvi" siècle 
(Musée des Arts décoratifs. — Legs Peyre j 



fait la nouveauté et l'attrait de leur style. Tout atteste que 
l'art du mobilier ne fut pas moins prospère. On compte 
cependant les meubles de cette époque qui sont arrivés jus- 
qu'à nous. Presque partout les chaires, les autels et les 
stalles des églises ont été remplacés à une date ultérieure. Il 
en fut promptement de même pour les meubles privés. On 
cite comme des raretés les stalles de la Chaise-Dieu et le 
coffre acheté de la collection Gércnte par le musée de Cluny. 
Dans cette dernière pièce, l'artisan a substitué aux pentures 
de fer qui, au xni= siècle, faisaient tout le décor, une frise 
de figures sculptées se développant sous une série d'ogives ; 
le dessus du coffre est couvert de rinceaux. Toutes ces sculp- 
tures, au lieu d'être exécutées, comme elles le seront bientôt, 
sur panneaux rapportés ou enchâssés, sont taillées en plein 
bois dans l'épaisseur des ais. Cette profusion d'ornements 
indique, un objet de luxe ; mais, sur les meubles les plus 



modestes, le huchicr disposait toujours, à défaut de figures, 
un décor linéaire; c'éiait, le plus souvent, un motif qu'on 
reverra jusqu'à la fin du moyen âge sur nos boiseries fran- 
çaises, celui qui représente un parchemin plié ou à demi 
déroulé. 

Il faut descendre jusqu'au xv: siècle pour trouver, sur le 
mobilier, des documents abondants et précis; c'est d'ail- 
leurs le moment où, dans tous les pays, en Flandre, en Alle- 
magne comme en France, l'art de la sculpture sur bois 
prend un extraordinaire essor. Le lit, qui n'éiaii jusqu'alors 
qu'un matelas caché sous des courtines, s'entoure de colon- 
nettes finement ouvragées qui supportent un dais ; le coffrj, 
que nous avons déjà vu s'enrichir de sculptures, se trans- 
forme en bahut, en crcdence ; chez les grands personnages, 
il devient un dressoir, meuble à plusieurs degrés, dont 




coKi'RK BOIS SCULPTÉ. — Décop tl'après des plaquettes itaUennes 

France, daté 15'i6 

iMuséedes Arts décoratifs. — Legs Peyre) 




TAPISSKKIK. — Si I > K OAl \> F F 

Franco, xv« siôcio 
(Mmstt dts Arts décoratifs, — J>oji dt Jtf. J, MmHetf 



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LES ARTS 



l'étiquette règle le nombre selon le rang du proprie'taire. Les 
sièges de toutes formes, les chaires, les bancs se couvrent de 
ciselures comme, dans les églises, les stalles et les lutrins. 
En même temps que se développe l'habileté manuelle des 
huchiers, l'arc brisé, jusqu'alors immuable, se modifie et se 
complique ; il s'infléchit en accolades ; des meneaux amincis, 
aux moulures évidées, remplacent les colonnetics qui en 
divisaient l'ouverture; les rosaces qui s'y inscrivaient se 
transforment en losanges, en segments capricieux qui pren- 
nent des aspects de feuilles et de flammes ; les crochets se recro- 
quevillent en rinceaux ou s'épanouissent en crosses de fleurs. 
Pendant de longues années, ce rajeunissement du décor, 
cette abondance de motifs inédits ou de combinaisons nou- 
velles donnent aux meubles, aux lambris, aux plafonds, une 
fantaisie, une variété, un imprévu qui font le plus heureux 



contraste avec la rigidité quelque peu monotone des types 
antérieurs. C'est un des moments où l'art de la boiserie aura 
produit ses ouvrages les plus aimables et les plus délicats. 
Le Musée des Ans décoratifs en possède un grand nombre 
de spécimens charmants, venus, pour la plupart, de la collec- 
tion Peyre. Peu à peu, il est vrai, surtout dans les provinces 
soumises à l'influence des Flandres, l'excès de richesse 
amenant la surcharge, on verra l'architecture et le mobilier 
tomber ensemble dans une même décadence. Les formes 
disparaîtront sous la profusion des ornements inuiiles, et, 
l'adresse du praticien ne connaissant plus de bornes, le 
moindre objet se hérissera de pinacles, de dais, de balda- 
quins, de gables ajourés comme des dentelles ou comme 
des madrépores. Ce sera l'époque où les choeurs des églises 
s'encombreront de ces stalles prétentieuses, éionncmcnt des 




COFl'KU. — BOIS SCULPTii. — STYLE L\U^^A15 

France, xvi" siècle 
{Musée des Ans décoratifs, — Legs Peyre} 



touristes, qui contiennent en effet de merveilleux détails, 
mais dont l'inextricable fouillis devrait être cité comme un 
exemple de mauvais goût. 

La complication et le maniérisme marquent presque 
toujours le déclin d'un style; il n'y a que les arts vieillis qui 
s'amusent aux enfantillages de la virtuosité. Heureusement, 
ces erreurs n'étaient point communes à toute la France. 
Dans les régions du centre, notamment dans la vallée de la 
Loire, architecies et artisans ne les commirent presque 
jamais. Tout en gardant les formes gothiques, ils surent 
les adapter aux besoins de leur temps et continuèrent jus- 
qu'au milieu du xvi= siècle de produire des chefs-d'œuvre 
qui se rattachent, quoi qu'on en ait dit, à la pure tradition 
française. Loin que le système ogival fût un style épuisé, 
au moment où il allait disparaître il créait pour les édifices 



civils toute une architecture originale et neuve, si conforme 
à nos goûts qu'elle résista longtemps à l'invasion des idées 
étrangères. 

Pour tout ce qui touche à l'art du bois au xv= siècle, ou, 
plus exactement, pendant la dernière période gothique, on 
trouvera au Pavillon de Marsan des spécimens excellents 
et nombreux. Beaucoup de belles statues, flamandes ou 
françaises, parmi lesquelles un admirable Christ debout, 
bénissant de la main droite, et, de la gauche, tenant le 
Globe; plusieurs retables peints et dorés; des coffres, des 
lits, des crédences, des stalles, un grand lutrin en forme 
d'aigle, supporté par un pied orné de statuettes de prophètes 
et flanqué d'arcs-boutants; enfin, une admirable collection 
de panneaux où se déploient toutes les ingénieuses com- 
binaisons de l'arc en accolade, et des volutes flamboyantes. 



LE MUSEE DES ARTS DECORATIFS 



ID 




connu Bi>is sr.ULPii':. — i.A mort d'adonis. — Art iiorinanil 

France, xvi» siècle 

(Musée des Arts décoratifs. — Legs Peyre) 




roKKB» BOIS SCULPTK 

Flor«occ, Un Uu xv« MÙclo 
fMusc* dit Arts dicontifs. — Ugt PtfrtJ 



i6 



LES ARTS 



La série des tapisseries est formée presque tout entière 
des dons de M. Maciet, et, pour le surplus, de quelques 
pièces du legs Peyre. C'est une des plus riches du Musée 
et l'une des plus complètes qu'on ait jamais formées pour la 
période qui s'étend des origines de cet art à la fondation 
des Gobelins. Si l'on n'y trouve, pour le xiv= siècle, qu'un 
petit nombre de fragments, c'est qu'il nous est resté bien 
peu d'ouvrages contemporains des fameuses tentures de 
l'Apocalypse, conservées à la cathédrale d'Angers. Mais, à 
partir des premières années du xv= siècle, les ateliers se 



multiplient en France aussi bien que dans les Flandres, et, 
dans les deux pays, produisent des chefs-d'œuvre d'une 
couleur sans cesse plus riche, d'une matière plus fine et 
d'une incroyable variété. A mesure que se développe l'ha- 
bileté des ouvriers, le décor se renouvelle et s'enhardit. 
Aux figures isolées, aux simples verdures que reproduisait 
le commencement du siècle, succèdent les compositions 
les plus compliquées; le tapissier rivalise avec le peintre et 
ne craint plus de disposer dans des paysages aux fuyantes 
perspectives les nombreux personnages d'une scène d'his- 




ALLl^GORIC (sujet ÎDCODUu) . — TAPISSERIE 

Franco, commencement du xvi* siècle 
{Musée des Arts décoratifs. — l^^gs Peyre} 



toire profane ou sacrée. Sujets religieux, allégories, mytho- 
logie, scènes familières ou romanesques, tous les genres 
sont représentés aux Arts décoratifs. Ici, le Christ avec les 
Vertus, la Justice divine, le Sacre d'un évéque ; là, Vénus 
et sa Cour., des seigneurs et des dames en somptueux cos- 
tumes, des cavaliers en brillant équipage; plus loin, les ten- 
tures si curieuses des Bûcherons et des Vendanges , d'un 
réalisme puissant et d'un type tout français; puis cette suite 
rarissime de cinq petits tapis où des figurines habillées à la 
mode du commencement du xv= siècle jouent, dans de char- 
mants paysages, les épisodes d'un roman disparu. Collection 
précieuse pour l'étude des origines de la peinture française, 
et d'autant plus utile que nos musées officiels sont demeurés 
un peu pauvres en tapisseries gothiques. 



Il fallait signaler avec quelque détail ces deux séries, les 
plus considérables de la section du moyen âge; mais aucune 
des autres n'a été négligée. Faïences, carreaux émaillés, fer- 
ronnerie, ivoires, étoffes, toutes les industries ont fourni des 
pièces intéressantes. Le Jugement dernier, la Trinité, Sainte 
Barbe, Saint Michel et Saint Georges sont des tableaux 
dignes d'attention. Parmi les sculptures de pierre, il en est 
de tout à fait remarquables, comme la statue de Liseuse, 
qu'on voit dans la salle 2o5. 



Alors même que la mode venue d'Italie nous a définiti- 
vement imposé l'imitation de l'antiquité, des ressouvenirs 
gothiques, des torsades, des feuillages, se mêlent souvent 




ARMOIRE A DEUX CORPS. — bois scoLPTé 

France, fin du xvi' siècle 

(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS. — Legs Peyre) 



i8 



LES ARTS 



encore, dans l'architeciure et les meubles, aux ordres gréco- 
romains et aux arabesques florentines. Accoutumés à suivre 
leur libre inspiration et à consulter directement la nature, les 
artisans français n'acceptent pas sans résistance les formules 
du dehors et ne s'abaissent pas à de simples pastiches. S'ils 
empruntent à l'Italie ses chapiteaux, ses entablements, ses 
pilastres ornés, ils les combinent suivant des proportions nou- 
velles et en varient le décor au gré de leur fantaisie; s'il leur 



arrive de tailler sur les parois d'un meuble des copies agran- 
dies de médailles, ils déploient d'ordinaire plus d'imagina- 
tion et dépassent de bien loin, dans leurs sculptures vigou- 
reuses et pleines, l'élégance un peu sèche de leurs modèles 
italiens. 

Le legs Peyre et les dons de M. Maciet ont fait encore 
le fond de la série des meubles Renaissance. Ils ont permis 
d'orner toute une salle avec les panneaux polychromes d'une 




TAPISSERIE A FOND DE FLEURETTES. — IIEBCULE ET lE LlOW UL MvMhE 

France, commencement du xvl» siècle 
(Musct des Arts décoratifs. — Doti de M. J. Maciet) 



maison de Rouen, une autre, avec les merveilleuses boi- 
series du château d'Assier. Une chaire, de travail toulou- 
sam, dont les colonnes torses soutfennent le dossier décoré 
de figures, montre des ornements pris les uns à la France, 
les autres à l'Italie. Une stalle à trois places, provenant de 
Palluau (Indre) et portant sur ses hauts lambris, au-dessus 
darcs en accolades, des dauphins affrontés et des rinceaux 



classiques, est aussi un intéressant spécimen du mélange 
des deux styles en pleine Renaissance. Un des plus beaux 
coffres reproduit des plaquettes de Moderno ; un autre, avec 
ses médaillons d'empereurs romains, rappelle celui d'Azay- 
Ic-Rideau, qu'un don récent a fait entrer au Louvre et qui 
représente à merveille l'art délicat et libre du temps de 
François I". Sous le règne de Henri II, l'architecture pré- 



LE MUSÉE DES ARTS DECORATIFS 




BAHUT EN BOIS SCULPTE 
France, époque de Henri IV 
(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS. — Don de M. Grandidier) 



20 



LES ARTS 




BAS-RELIEI- DU TOMBEAU DE CLAUDE DE LORRAINE, A JOI.NVILLE, l'AR DOMINIQUE KIOBEMIN KT JEAN l'K AKD, DIT LE HOUX 

Franc», xvi*' sircle 
(Musce dts Arts décoratifs. — Legs Pcyre) 



domine dans la décoration du meuble. Malgré l'abus des 
colonneites, des fronions, des lignes géomciriques, les pro- 
portions atteignent parfois à une justesse exquise ; le Musée 
possède, en ce genre, des cabinets et des bahuts d'une élé- 
gance parfaite. Cependant certaines écoles continuent de 
prodiguer la sculpture; celle de Lyon, par exemple, et celle 
de Normandie. A la première appartient un coffre décoré 
de superbes chimères, analogue pour la facture au dressoir 
dit d'Annecy, pièce célèbre de l'ancienne collcciion Spitzer. 
Un autre, orné de figures en ronde bosse et d'un bas-relief 
{la Mort d'Adonis)., évoque le souvenir des portes que .lean 
Goujon fit à Rouen pour l'église SaintMaclou. Quelquefois 
môme, l'amour de la sculpture va jusqu'à la surcharge, sur- 
tout dans la région lyonnaise, comme le prouve l'armoire à 
deux corps de la collection Peyre. La grandeur et le relief 
des figures augmentent encore vers le règne de Henri IV, 
ainsi qu'on le voit dans le magnifique bahut, porte par des 
griffons, que M. Grandidier a offert au Musée. On touche à 
la solennité massive du meuble Louis XIIL 

Pour la Renaissance, la série des tapisseries, données 
presque toutes par M. Maciet, n'est pas moins riche que 
celle du moyen âge. La plus ancienne peut-être, encore 
presque gothique, tapisserie tissée d'or, d'un coloris déli- 
cieux, montre un Jeune Prince entouré de sa cour. Avec 
une égale naïveté, un même dédain de la perspective, d'au- 
tres représentent une Conversation galante dans un jar- 
din figuré par un semis de fleurettes, des Animaux dans 
un enclos, Vénus et l'Amour sous une treille au milieu 
d'arabesques. Très différentes et cependant de date assez 
voisine, d'autres encore déroulent une scène de VHistoire 
d'Alexandre ou les Exploits d'Hercule. Enfin, une tapis- 
serie charmante, d'un atelier flamand, déploie, sur un fond 
uni de couleur havane, de grêles portiques enguirlandés qui 
laissent déjà pressentir le décor de Bérain. 

Beaucoup d'autres ouvrages du xvi= siècle mériteraient 
une étude, notainment parmi les scXilpiures, l'autel du châ- 
teau de la Bâtie, les bas-reliefs en marbre d'un tombeau de 
Joinville, par Dominique Florentin et Jean Picard dit Le 
Roux; un très beau chejF d'évéque. Il faudrait signaler aussi 
de riches broderies françaises, des reliures, des plaquettes ; 
les verreries données par Madame Patrice Salin. 



Dans les salles des xvii' et xviii' siècles, il ne faut point 
s'attendre à rencontrer le mobilier de nos palais royaux. 
Ces chefs-d'œuvre des Boullc, des Crcsscnt, des Riesener, 
ont presque tous quitté la P'rance. Ni le Garde-Meuble, ni 
Versailles, ni le Louvre n'ont, en ce genre, de richesses 
comparables à celles du Kensington et du musée Richard 
Wallace. Lorsqu'on visite à Londres ces deux collections, 
dont l'une fut parisienne et peut-être aurait pu le rester, on 
a peine à comprendre que de si pures merveilles et un art si 
français aient, pendant plus d'un siècle, laissé indifférents 
ceux qui avaient la charge d'enrichir nos musées. La Révo- 
lution n'explique pas l'exode à l'étranger de ces meubles 
admirables. Si le pillage et les ventes les firent, à cette 
époque, sortir des palais, des châteaux, des hôtels, la plu- 
part demeurèrent en France chez des marchands ou des 
particuliers. C'est là que les achetèrent, bien longtemps 
après, les conservateurs et les collectionneurs anglais, plus 
avisés que les nôtres. Tous les objets exposés au South 
Kensington portent des étiquettes indiquant le prix et la 
date de leur acquisition. Elles attestent qu'entre i85i et 
1860, on pouvait, avec une dépense relativement médiocre, 
retenir en France les plus beaux meubles qui aient jamais 
été exécutés, et dont la place, pour tant de raisons, était 
chez nous. Mais l'école de David nous avait inspiré, pour 
notre art du xvii"^ et du xviii'^ siècle, un mépris que les 
romantiques, en nous révélant le moyen âge, n'avaient fait 
que redoubler. Plus récemment encore, Sir {Richard Wallace 
constituait à Paris sa magnifique collection ; il est cruel de 
se rappeler que ce fut au moment même où la mode, venue 
des Tuileries, remettait en faveur chez les grands tapissiers, 
et jusque chez les fabricants du faubourg Saint-Antoine, un 
prétendu style Louis XVI, fait de pastiches abâtardis. Mais 
qui eût imaginé alors qu'un bureau, une table, une com- 
mode, fussent des objets dignes d'un musée? Nous avions 
le préjugé du grand art. Tandis que Londres rassemblait 
des Caflieri, des Riesener, des Cressent, nous achetions des 
Picot et des Winterhalter. 

Dès le temps de Louis XIII et même de Henri IV, la 
mode avait commencé à se répandre, en France, des cabi- 
nets d'ébène fabriqués en Hollande, et des incrustations de 
métaux et de pierres précieuses, imitées peut-être de l'Es- 



LE MUSÉE DES ARTS DECORATIFS 




RETAHI-L: en IMKRRK PEIMK. - art français, xvi>= siècle 
AUTEL EN MARBRE Dr CIIATEAl' DE LA BATIE. — France, xvi* siècle 

(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS. — Legs Peyre) 




PIBrBMB.Vr d'une console. — TKOl'UKB EN UOIS Sr.ULl-TK 

Kran.:», époque do Louis XIV. —( Uiisce des Arts dècnrulifs) 



pagne. Un objet 
forme appelée 
« religieuse », 
date des pre- 
mières années 
du xvn^siècle. 
C'est un des 
plus anciens 
exemples de 
ces meubles 
à marqueterie 
de cuivre et 
d ' é t a i n sur 
é b è n e ou 
écaille, qui 
seront la mar- 
que de fa- 
brique des 
Boulle. Leur 
vogue, après 
avoir duré 
pendant tout 
le règne de 
LouisXIV,ne 
se ralentira 
sous son 
successeur 
que pour re- 
prendre sous 
Louis XVL 
André-Charles 
Boulle fut le 
fondateur de 
cette dynastie 
d'ébénistes fa- 
meux. Après 
avoir produit, 
dans sa pre- 
m i è r e ma- 
nière, des 
œuvres mas- 
sives et dis- 
gracieuses 
comme les 
meubles en 
« tombeaux » 
du palais Ma- 



\c'j,i\é par M. .\udéoud, une pendule delà zarin, il revint, sous l'influence de 




Le Brun, à des formes 
moinsrigides, 
à des s i I - 
houettes plus 
mouvemen- 
tées ; la sculp- 
ture prit dans 
ses meubles 
uneplace plus 
grande ; aux 
chutes de 
cuivre, aux 
gai nés, aux 
mascaronsqui 
en ornaient 
Icsangles, s'a- 
joutèrent sur 
les panneaux 
de véritables 
bas-reliefs, et, 
sur les amor- 
ti s s e m e n t s , 
des groupes 
en ronde 
bosse. C'est 
l'époque où le 
talent du pre- 
mier Boulle 
est à son apo- 
gée ; ses ou- 
vrages, tou- 
jours distin- 
gués, perdront 
en force et 
en ampleur 
lorsque, dans 
ses modèles, 
la verve puis- 
sante de Le 
Brun aura fait 
place à l'ingé- 
niosité déli- 
cate, mais 
grêle de Bé- 
rain. Lepau- 
t r c , O p p e - 
nord et le 



LE TRIO.MPIIE DE LA VERTU, COUHO^MiE l'A H l.ts Gl'.KlliS ET EM OUBl': E PAK LES AKT8 LIBERAUX 

Groupe en terre cuite, par I''. LADATTE (l'44) 
f Musée des Arts décoratifs) 



LE MUSEE DES ARTS DECORATIFS 




PORTE PROVENANT DV PALAIS BOURBON 

France, époque de la Régence 

(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS) 



24 



LES ARTS 



premier des Caffieri pariagent la faveur du Grand Roi avec 
André-ClKuksBouUe. Prèsde son mobilier sévèreet sombre, 
ils en créent un nouveau, tout aussi majestueux, mais plus 
brillant, auquel le bois doré donne des airs de fête. A me- 
sure que Louis XIV vieillit, il aime à s'entourer d'un décor 
plus aimable; la charmante frise d'enfants qui entoure, à 
Versailles, le salon de l'Œil-de-Bœuf, témoigne, pour la 



première fois, de ce changement de goût; les sculptures de 
la chapelle (surtout celles de l'orgue) marquent une nou- 
velle étape, et, vers la tin du règne, avec les ouvrages de 
Robert de Cotte, c'est déjà l'avènement de ce qui s'appellera 
le style Louis XV. 

A défaut de meubles exécutés par ces artistes célèbres, 
le Musée des Arts décoratifs a eu l'heureuse fortune de 




TiiuMKAU 1)1! aL\c.K, Fianco, c'poquo (le Louis XIV. — statuette siauohe STYi-ii db falconet, xvill» siùcle 
BolsEEtlEs provenant de l'ancien hôtel de l'Élat-Major (place Vendôme). — France, époque de la Ilcgcnce 

(Musée des Arts décoratifs} 



recueillir un très grand nombre de leurs dessins. Ces 
documents graphiques, si utiles pour combler les inévi- 
tables lacunes d'un musée en formation, présentent un 
intérêt particulier pour le xvii^ siècle, dont certaines indus- 
tries n'ont laissé que fort peu de traces. Pour ne ciier qu'un 
exemple, l'orfèvrerie a presque entièrement disparu dès le 
temps même de Louis XIV, . réduit, par les malheurs de la 
guerre, à envoyer à la Monnaie les magnifiques ouvrages 
des Ballin, des Delaunay et des de Villers. On trouvera, au 



Pavillon de Marsan, plusieurs de leurs études pour la 
somptueuse argenterie de Versailles, des projets de meubles 
par Boulle et par Lepautre, un modèle d'écritoire par 
Bérain aîné, enfin des documents d'architecture parmi les- 
quels les plans originaux des pavillons de Marly. Pour 
chacun de ces douze pavillons, qui entouraient la demeure 
du Roi Soleil comme les douze signes du Zodiaque, Le 
Brun avait imaginé une décoration appropriée. En marge 
de ces précieux feuillets, qui eurent l'honneur d'être pré- 




CONSOLt: EN CHKNE NATUREL SCULPTE. — France, cpoque de la Régence 
TRUMEAU DE GLACE ET PANNEAUX SCULPTES. — France, cpoque de la Rcgence 

{MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS) 



26 



LES ARTS 



semés à Louis XIV par rentremise de son premier mi- 
nistre, on lit cette mention : « Résolu, ce 21 mars i683. — 

COLBKUT. » 

Mais les collections du xvii<= siècle ne se composent pas 
seulement de ces dessins. Plusieurs pendules de Boulle, en 
marqueterie d'écailic et de cuivre, quelques belles tentures 
(entre autres, une merveilleuse, figurant le Château de 
Chambord), un plafond peint de la collection Peyre, un 
grand lit d'apparat drapé de somptueuses étoffes aux des- 
sins imposants, une foule de crédences, de consoles, de 



majestueux fauteuils couverts de riches tapisseries, repré- 
sentent dignement le mobilier fastueux du temps de 
Louis XIV. Deux grandes torchères en bois doré appar- 
tiennent sans doute à ce décor improvisé et de prix plus 
modeste qui, après les désastres, remplaça, dans les galeries 
de Versailles, les trésors d'orfèvrerie envoyés à la fonte. A 
côté du meuble d'apparat en ébène ou en bois doré, le 
meuble en bois naturel sculpté ne fut pas moins florissant, 
comme le prouvent des stalles de chœur, des cheminées, 
des trumeaux de glace, tous ornés de puissants motifs d'ar- 




MSUBLES ET BOISERIES.' 
BALCON DH l'aNCICN TIIKATRB 

f Musée des Ar 

chitccture et de mascarons vigoureusement sculptés. La 
marqueterie hollandaise est aussi en faveur; on en retrouve 
la trace dans quelques belles commodes décorées de guir- 
landes en mosaïque de bois teintés. Un couvercle de cla- 
vecin déploie, sur un fond d'or, une jolie décoration de lam- 
brequins, de figures et de rinceaux dans la manière de 
Bérain;. Enfin des bustes de grand style, dont l'un est celui 
de Colbert, des portraits encadres de bordures magnifiques 
achèvent de composer, en l'absence de pièces rarissimes, 
un tableau très instructif du mobilier au temps de Louis XIV. 
Mais la grande richesse de l'Union centrale pour l'art de 
celte époque, ce sont les boiseries sculptées (panneaux, 



— France, xvlil» sii'cU; . 

UU CHATEAU DE VERSAILLES 

ts décoratifs} 

lambris et dessus de portes). Elle en a réuni une collection 
absolument unique. Les unes proviennent de Versailles et 
du Palais-Royal ; les autres, du château de Maisons, des 
hôtels du Marais ou de la place Vendôme. Une salle est 
tout entière ornée d'admirables lambris, qui appartinrent 
à l'ancien Etat-major de la place de Paris, et qui se trou- 
vèrent de pures merveilles quand on les eût débarrassés 
de leur gangue de badigeon et de poussière. Une porte, 
découpée en grille et imitant le travail du fer, fut exécutée 
pour la chapelle de Saint-Germain ; elle date de la première 
moitié du règne de Louis XIV, de l'époque où la Cour habi- 
tait encore cette résidence. Un fragment de lambris, mal- 




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28 



LES ARTS 




l'LAMlllîAUX, CIlliMiTF, CIILTHS DK MEL'BLKS K\ IIRONZE DORK 

France, début du xviK" siècle 

(Miisce des Arts décoratifs} 



heureusement isolé et dont on ne sait pas la provenance, 
porte sur ses sculptures un décor peint de l'effet le plus 
gracieux, une harmonie claire de laques vertes et roses sur 
fond crème; c'est la première apparition, dès le règne de 
Louis XIV, de ces vernis polychromes qui seront, fous 
Louis XV, si souvent employés à la décoration des boudoirs. 

Pour le xv!!!": siècle, on 
trouvera, au Pavillon de 
Marsan, une infinie variété 
de modèles en tout i;enre. 
Ici les achats et les dons ont 
été également nombreux. De- 
puis l'époque de la Régence, 
où les formes solennelles du 
style Louis XIV subsistent 
sous l'invasion des orne- 
ments nouveaux, jusqu'à 
celle où le Louis XVI anti- 
cipe sur l'Empire, touies les 
phases de cette évolution 
sont retracées non seule- 
ment par d'excellents objets, 
mais par des ensembles har- 
monieux et vivants. La col- 
leciion de boiseries des Arts 
dccoratils est encore plus 
riche pour le xvni= siècle que 
pour le précédent. Il y a là de 

merveilleux chefs-d'œuvre, 

comme ces portes de salon, 

provenant de l'ancienPalais- 

Bourbon, que Lassurance 

construisit vers 171 5, à peu 

près en même temps que le 

magnifique hôtel Mole, où 

se trouve aujourd'hui le mi- 
nistère des Travaux publics. 

D'autres furent exécutées, 

peu après, pour le Palais- 
Royal. Le peintre collabore 

bientôt avec le sculpteur 

pour la décoration. Tantôt 




il imite en grisaille les bas-reliefs, tantôt il enrichit les 
murailles elles-mêmes des plus délicates couleurs. On a pu 
rétablir tout un salon Louis XVI avec une série de panneaux 
peints, où des médaillons et des vases alternent avec de 
fines guirlandes de fleurs. Un autre est décoré de composi- 
tions par Leriche. Un troisième est formé des panneaux 

que Lancret peignit jadis 
pour l'hôtel de Bourgogne. 
Les ressources du Musée 
permettront de reconstituer 
peu à peu plusieurs en- 
sembles pareils. 

Dans cet aimable décor, 
que complètent quelques 
magnifiques gobelins prêtés 
par le Garde-Meuble, tout 
s'arrange, tout vit. Là encore 
les pièces de très grand prix 
sont rares; il en est peu qui 
puissent s'enorgueillir de 
provenances princières ou 
de signatures renommées. 11 
sutlisait d'ailleurs, pour l'ob- 
jet que se propose l'Union 
centrale, de former avec des 
exemplaires excellents et 
d'une richesse moyenne, une 
collection aussi complète 
que possible des principaux 
types de l'art mobilier. Le 
choix a été fait avec beau- 
coup de discernement. Liis 
et fauteuils en bois doré du 
temps de la Régence, com- 
modes en marqueterie et en 
laques de Chine, du règne 
de Louis XV, tables et 
chiffonniers décorés sous 
Louis XVI de cuivres au 
profil classique, toutes les 
variétés du meuble sont re- 
présentées par des œuvres de 



AIaUII-:RE lîN AROEiM CISliLl-: 

France, lin du rogne de Louis XI V 
(Musée des Arts dèccratifs) 



LE MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS 



2Q 




PETITE PORTE A DéCOR SCULPTÉ PROVENANT DE VERSAILLES. — PORTE A PANNEAUX PEINTS 

France, époque Louis XVI 
(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS) 



3o 



LES ARTS 



ce goût délicat que ces heureuses époques savaient mettre 
dans le moindre objet. Ici encore des pendules, des candé- 
labres, des chenets, des écrans achèvent de restituer, autour 
de cheminées et de glaces authentiques, des ensembles har- 
monieux. On a disposé sur les murs des estampes en couleur 
de Debucourt, des gravures d'après Fragonard et Baudoin, 
toute une suite de jolies consoles en bois sculpté et doré, 
des portraits de Halle, de Largillière, d'Oudry et de Vanloo, 





CLODION. — l'EMMES l'UllTANT DES COU Ul.n.I.Ii) S DE I HUIT S. — (î I un |n: eil H tUC 

France, xviii» siècle 
(Musée des Arts décoratifs. — Legs Peyrtj 



CLODION. — FIÎMMES POKTANT DBS CORBEILLES DE IKUITS. «— GrOUpC CD StUC 

France, xviii» siccle 
(Musée des Arts décoratifs. — Legs Peyre) 

des peintures dont plusieurs sont charmantes, comme 
les Nymphes de Trémollières, le Carnaval de Tiepolo, 
ou d'un intérêt historique, comme ce tableau de Boilly, 
l'Atelier de Hoiidon, qui nous montre à la fois Timage 
du sculpteur et tout son œuvre de portraitiste. Entre les 



LE MUSÉE DES ARTS DECORATIFS 




GRAVURES EN COULEUR ANGLAISES ET FRANÇAISES — XVIII<-' sièclc. DeSSINS dc CaUVET 

FAUTEUIL DE BUREAU. — Kraiico, xvui" siècle. — BUSTE d'officikr (terre cuitel par Cuurriué. — France, xviu« siècle 

(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS) 



LES ARTS 




PORTRAIT Dii JBA.N POTERLKT, ARCHITECTE, médaillon, tcrrc cuite, par PlOALLB. 1778 
(Don de M. J. Maciel) 
Dessus de porte en bois sculpté, France, époque de Louis XVI 
(lUiisét des Ans décoratifs) 



coionneties de marbre portant des bronzes de Thomire ou des 
terres cuites de Caffieri, voici, sur les crédences rocaille, les 
bijoux d'or et les écrins de cuir légués par la baronne Naiha- 
niel de Rothschild ; dans les vitrines, des faïences de Mous- 
tiers, de Nevers, du Pont-aux-Choux, des biscuits de Sèvres, 
des pâtes tendres de Saint-Cloud, de Mennecy et de Vin- 
cennes, la jolie série de moutardiers en porcelaine et en 
faïence offerte par M. Fitz Henry, qui a gratifie aussi le 
musée d'une précieuse collection de céramique anglaise. 
Le legs Peyre a donné à la tribune de pierre deux siucs 
magnifiques de Clodion, groupes de femmes (grandeur 
nature) qui soutiennent des corbeilles de fruits. Ces groupes, 
ainsi que deux autres semblables, qui appartiennent à la 
collection de M. L. Doucet, ornaient la salle à manger d'un 
hôtel du faubourg Poissonnière, « petite maison » du 
xviii= siècle aujourd'hui disparue. Le décor dont ils faisaient 
partie était digne de ces belles sculptures. La pièce, circu- 
laire, était couverte d'un plafond en forme de coupole basse, 
porté par des colonnes; entre celles-ci, des portes à pan- 
neaux de glace alternaient avec 
les niches arrondies où les sta- 
tues se dressaient sur leurs 
socles fleuris. Autour de cette 
rotonde, au-dessus des co- 
lonnes, courait une frise de stuc; 
on y voyait, modelés en très 
léger relief, des Sphinx, des 
Amours, des cassolettes, de ce 
style un peu grêle que les ar- 
tistes du temps de Louis XVI 
croyaient renouvelé de l'an- 




tique. Tout cela formait, avec les statues de Clodion, un 
ensemble charmant; il n'en reste plus que des photogra- 
phies conservées à la Bibliothèque des Arts décoratifs. 

Parmi les sculptures du xviii« siècle, beaucoup d'autres 
présentent un véritable intérêt. A côté d'oeuvres anonymes 
qui sont souvent charmantes, il suffira de citer le médaillon 
de Jean Poterlet, architecte, parPigalle; un buste d'officier, 
par Courrigé; celui du docteur Pascal Borie, par Caffieri; 
un délicieux buste de jeune femme souriante, qui semble 
être de Pajou ; une maquette de F. La- 
datte, un Triomphe de la Vertu cou- 
ronnée par les Génies et entourée par 
les Arts libéraux, sans parler d'une 
jolie collection de groupes en biscuit 
de Sèvres. 



L'art du xix= siècle, infiniment 
moins riche, tient à l'aise dans quelques 
salles du rez-de-chaussée. La première 
renferme une collection de costumes, 
d'armes, de dentelles et de dessins 
contemporains du premier Empire. 
Plusieurs de ces costumes et de ces 
armes ont appartenu à Napo- 
léon I" et ont figuré autrefois au 
musée des Souverains. Ce sont 
desvétementsd'apparat, descos- 
tumes de cour, recouverts de 
. riches broderies. L'exécution en 
est des plus soignées et prouve 



SPHINX EN BOIS SCULPTE ET DORK 

France, époque de la Régence 
fUusèe des Arts décoratifs) 



34 



LES ARTS 



qu'à cette époque artistes et artisans n'avaient encore rien 
perdu de rhabiletc manuelle qu'on admire chez leurs devan- 
ciers de l'âge précédent. Tous ces feuillages d'argent et 
d'or sont traités dans le détail avec une exactitude, un fini 
souvent irréprochables. Mais le don de l'arrangement, le 
sens de la mesure, le goût, en un mot, est perdu. Plus de 
fantaisie, plus de grâce. Pour rehausser leur prestige récent, 
les hommes du Directoire s'étaient chamarrés de galons et 
coiffés de panaches Avec leurs lourdes broderies appliquées 



sur des velours aux couleurs éclatantes, les costumes de 
l'Empire témoignent du même amour de la richesse et de 
l'emphase. Il y a plus de délicatesse dans les vêtements de 
femmes, pour lesquels on n'a pas encore entièrement aban- 
donné les nuances amorties et changeantes qui prêtaient 
tant de charme aux soieries du xvin« siècle. Les dentelles 
ont gardé leur souplesse légère. N'était leur forme disgra- 
cieuse, les bonnets de Marie-Louise pourraient avoir été lissés 
pour Marie-Antoineiie, et le rochet du cardinal Fesch (légué 




ECOLE DE TIEPOLO.— i.u triomphe di: la ni:i.ir.io 
(Musée des Arts décoratifs. — Don de M. J. Macict) 



par la princesse Mathildei unit à une bordure résolument 
Empire un décor de grandes fleurs qu'on dirait exécutées 
cinquante ans plus tôt. 

Des deux épées de gala ayant appartenu à Napoléon I", 
l'une, à poignée de nacre, est ornée d'un médaillon de bronze 
doré en forme de camée; l'autre, à monture d'écaillé, porte 
un aigle en relief au milieu d'entrelacs finement ciselés; 
toutes deux rappellent, à s'y méprendre, deux types bien 
connus de l'orfèvrerie Louis XVL^andis que les modèles 
d'armes, dessinés pour l'Empereur dans l'atelier de Bicnnais, 
sont de ce style néo-grec, à la fois rigide et grêle, mis à la 
mode par Percier. 

Madame Dccle et Mademoiselle Fournier ont donné au 



Musée deux chambres à coucher Empire 'qui caractérisent 
bien le mobilier de ce temps. Lits en bateaux, commodes en 
cénotaphes, jusqu'aux tables de nuit en forme de piédestaux, 
tout y est solennel, tout y montre la hantise de l'antique, la 
recherche du noble et la crainte de laisser aux choses l'as- 
pect loyal qui dirait leurs fonctions. Les pendules sont des 
stèles funéraires; les candélabres, des torches; les guéri- 
dons, des trépieds pompéiens. Parfois une légère guirlande 
de bronze, suivant la courbe d'un lit, rappelle encore la 
grâce des ciselures de Gouthière. Mais le plus souvent, les 
cuivres, espacés et perdus, ne font guère qu'accentuer la 
froideur des panneaux d'acajou sans relief, sur lesquels ils 
découpent leurs sèches silhouettes de victoires, de cou- 



LE MUSÉE DES ARTS DECORATIFS 



35 




L& GUBVALitîR A LA CROisAUH. — CartuD (1(^ J.-B. HuBT, pour la maoufaclure de toiles de Jouv 

(Musée des Arts dccoratifs, — Don de M. Barbet deJouyf 




T I 



France, xvii* liéclo 
(Musée des Arts décoratifs. — Cnlteclion de M- Le Sec^ des Tnurmetlesl 




France, XVIIP »i«cle 
iMmste des ÂrU dinrmtift. — CetUetitm é* M, t* Ste^étt TemrmtUtt) 



'36 



LES ARTS 




FRISE A INSCRIPTIONS BN RELIEF, FAÏENCE A REl LETS MliTA LLIQUES, PROVENANT DE 

Perse, XIV» siècle 
(Musée des Arts décoratifs) 



IX COLLECTION SPITZER 



roiines,de thyrses et de griffons. 

Il manquerait à ces salles de 
l'Empire une des manifosiaiions 
les plus singulières de l'art de 
celle époque, si l'on n'y voyait 
pas quelque échantillon du go- 
thique troubadour. Par une 
étrange rencontre, la curiosité, 
sinon l'intelligence du moyen 
âge, avait reparu dès le règne de 
Louis XVI, au moment même 
où l'imitation de l'antique était le 
plus en faveur. Pendant que les 
découvertes de Winckelmann 
ravivaient l'enthousiasme pour 
l'art réglé de Rome et de la Grèce, 
un autre mouvement, venu d'An- 
gleterre, ramenait peu à peu dans 
les esprits l'amour d'une beauté 
plus libre et le sens du pitto- 
resque. La mode des jardins 
anglais se répandait en France, 
avec la manie des ornements 
touchants (tombeaux, ermitages 
et ruinesi qui en étaient l'acces- 
soire obligé. Les vieux cloîtres, 
leurs dentelures capricieuses et 
leurs arceaux moussus, offraient 
des modèles à souhait pour ce 
genre de décors. Ce fut par ce 
détour que les yeux reprirent 
l'habitude de s'intéresser à un 
art si longtemps méconnu. Le 
Génie du Christianisme acheva 
ce qu'avaitcommencéla mode, et 
l'on vit apparaître sur les papiers 
de tentures et sous les globes des 
pendules presque autant de mé- 
nestrels que de sphinx égyptiens. 

Un des nombreux cartons de 
J.-B. Huet pour les toiles impri- 
mées de la manufacture de Jouy 
représenteàmerveillece gothique 
troubadour. Chevaliers bardés 
de fer, hallebardes et pertui- 
sanes, tombeaux à dais et à clo- 
chetons, rien n'y manque, et ces 
sujets héroïques se détachent sur 
un réseau d'ogives ingénues. 
C'estainsi que longtemps encore 
on comprendra l'art gothique ; 
ainsi que l'architecte Hittorf, au 
moment du sacre de Charles X, 
imaginera pour la cathédrale de 




Reims une décoration « dans le 
goût du temps » ; et c'est ainsi, 
hélas! que, sous le règne de 
Louis-Philippe, on restaurera 
quelques-uns de nos plus beaux 
monuments. 

La Restauration n'a fait que 
continuer l'Empire, en inclinant 
toutefois vers une simplicité plus 
bourgeoise. Le mobilier devient 
moins solennel, le décor moins 
pompeux ; les formes restent les 
mêmes. La chambre à coucher 
du savant physiologiste Magen- 
die, léguée par Mademoiselle de 
Saint- Maurice, est toute pareil le, 
dansl'ensemble, à celles du règne 
précédent. Le lit à un seul dossier 
est le lit de repos des tragédies 
classiques, celui où s'accoude 
Madame Récamier dans le por- 
trait de David. La commode, le 
chiffonnier, l'armoire montrent 
toujours les mêmes silhouettes 
massives et cubiques ; mais le 
décor s'est appauvri ; les cuivres 
se font plus rares ; les appliques 
plus maigres, et les rouges 
sombres de l'acajou cèdent la 
place aux jaunes pâles du citron- 
nier et de l'érable. Les profils, les 
moulures auxquels se recon- 
naissent la valeur d'un style et le 
goût d'une époque, s'altèrent et 
s'empâtent peu à peu. Sous l'Em- 
pire, ils avaient gardé le plus sou- 
vent une pureté, une tenue qui 
laissaient aux édifices et aux 
meubles, en dépit de leur froi- 
deur, une certaine élégance. A 
l'avènement de Louis-Philippe, 
ces qualités traditionnelles, que 
les Français s'étaient toujours 
transmises, ont entièrement dis- 
paru. Il est intéressant d'exami- 
ner à cet égard les monuments 
de Paris. On voit nettement, vers 
le milieu du siècle, l'époque pré- 
cise où les architectes ont perdu 
le secret de distribuer sur les sur- 
faces l'ombre et la lumière qui 
doivent les colorer et leur donner 
la vie. C'est cet te maladresse dan s 
le dessin des profils qui fait 



CARREAUX DE REVKTEMENT 

R'hodos, XVI» siècle 
(Musée des Arts décoratifs) 



LE MUSEE DES ARTS DECORATIFS 



37 



aujourd'hui encore toute la grossièretd de nos architectures 
otiicielles comme elle fit la hideur des meubles de Louis- 
Philippe. 



Sans les bronzes de Barye et les maquettes de Carpcaux, 
dont il y a ici une fort belle collection, la pauvreté de l'art 
du second Empire apparaîtrait bien cruellement. Ce fut 
cependant une époque intéressante, au moins par ses essais 
et par ses intentions. 11 ne faut point les chercher dans le 
« grand art ». L'architecture ne délaisse les traditions gréco- 
romaines que pour composer au Louvre et dans les églises 
neuves des pastiches mé- 
diocres de notre Renais- 
sance. Si parfois, avec La- 
brouste et Garnicr, elle 
dessine des plans ingé- 
nieux, la pauvreté d'inven- 
tion du premier et l'exu- 
bérance du second la font 
également échouer dans la 
décoration. Et de même, 
Baltard, s'il inaugure aux 
Halles centrales un art 
nouveau fait de logique et 
de hardiesse, ne réussit 
pas, dans des édifices plus 
somptueux, à trouver les 
ornements appropriés à 
son système de construc- 
tion. En sculpture, deux 
puissants génies, Barye et 
Carpeaux, produisent des 
chefs-d'œuvre, mais ils 
restent isolés et d'ailleurs 
violemment contestés. 
Parmi les autres statuaires, 
attardés aux imitations de 
l'antique ou plutôt de Ca- 
nova, on ne voit guère que 
Carrier-Belleuse qui, dans 
ses ouvrages un peu super- 
ficiels, essaie de renouer 
les traditions aimables du 
xvm" siècle. En peinture, 
Chaplin, avec les mêmes 
tendances, lui reste très in- 
férieur; son élégance n'est 
que fadeur ; sa grâce, miè- 
vrerie. Et, tandisque Corot 
méconnu et les impression- 
nistes bafoués restaurent le 
paysage par l'observation 
loyale de la nature et la 
maîtrise du métier, seul 
parmi les peintres à qui 
échoient les commandes 
olliciellcs, Baudry s'efl'orce 
d'échapper au despotisme 
académique. 

L'orfèvrerie n'est pas 
plus inventive; le grand 
surtout de table exécuté 
pour les Tuileries par la 
maison Christofle est pas- 
tiché de l'art gréco-romain 
comme celui que Charles X 



commandait, un demi-siècle aupara%'ant, à l'argentier Odiot. 
Les tapisseries d'Ehrmann et de Tony Faivre ne sont que 
dedistinguées variantcsde thèmes déjà connus ; d'ailleurs, les 
Gobelins, uniquement occupés à copier des tableaux, mettent 
toute leur habileté aux prodiges du « rendu», tout leur amour- 
propre aux effets du trompe l'œil. En ébénisierie, c'est encore 
de modèles antérieurs que s'inspire Fourdinois lorsqu'il 
essaye de restituer aux meubles des formes plus souples et 
plus logiques; du moins est-ce une protestation méritoire 
contre l'abus du capiton, du guillochage, de la dorure, de 
tout ce luxe mesquin qui, dans certains salons de Chantilly, 
fait si piteuse figure auprès des splendeurs d'autre.''ois. 




TAPIS ItKrKKStTCTAKT RIS CHASSi* 

Perso, fia du xv* sioel* 
(Mmttt d*t Àru éiconlift. — Ooa et M. 1. Mmritll 



38 



LES ARTS 




UASSIN DE CUIVRB INCRUSTE DAROBNT 

Egypte, \iv* siècle 



GIl.V.N'DBLUK DB CUIVRB INCKUSTU D OR 

Mossoul. xnr siècle 
(Musée des Arts dccnratifs} 



OVSSI.V DE CUIVRE INCRUSTli D ARGENT 

Basse-Egypte, xiv» siècle 



Mais voici que, dans d'autres arts mineurs, toute une 
pléiade d'hommes de goût s'avisent de préoccupations tech- 
niques auxquelles leurs devanciers immédiats demeuraient 



indiffcrenis. Les cc'ramistes notamment veulent rapprendre 
leur métier et relever une industrie qui, depuis de longues 
années, était tombée dans une complète décadence. Le grès, 




AlaUllîHE DE CUIVRB I.VCRUSTÉ D'aRGENT 

Perse, xiv" siècle 



CVSyUE ET CUIRASSE d'ACIER INCRUSTlî D*OR 

Perse, xvi» siècle 

{Musée des Arts décoratifs) 



AIGUIKRE EN CUIVRE INCRUSTE I) ARGENT 

Perse, xiv* siècle 



LE MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS 



39 




vaisselle de luxe attardée aux profils du premier Empire, 
les peintres s'appliquaient patiemment à reproduire une 
éternelle guirlande ou des tableaux d'histoire. Cette aber- 
ration avait commencé vers 1790, avec les miniatures tant 
admirées de Dodin. 

Pour restituer à la céramique ses qualités perdues, il 
fallait revenir à une décoration plus naturelle et chercher 
surtout la richesse dans l'éclat des émaux. Presque en 
même temps, Pull et Avisseau s'étudièrent à retrouver les 
procédés de Palissy, tandis que Boulanger s'instruisait en 



TORCtlKRK KN UOIS ftCt'LI'TK ET DOKK 

Franco/ Kpoqiio du Louis \1V 
(Miisi'c des Ans di-foralifsl 

dont le moyen âge avait tiré si bon parti; la faïence qui, au 
siècle précédent, avait produit dans toutes les provinces de 
Fiance des ouvrages si charmants, avaient presque disparu, 
chassés par la porcelaine. Celle-ci môme, sous l'impulsion 
venue de Sèvres, avait perdu tout l'agrément que peuvent 
lui donner la fantaisie des formes et la variété de la couleur. 
Sur les assiettes, les tasses, de modèle courant, un marli de 
teinte plate ou des tilets dorés faisaient tout le décor ; sur la 




CARPE.WS. — ]■■■• Fiociis tx DA.^sii'M. — Maquette origta«I« 
France, xnL* sict-'e 
IMmsit étt ÂrU énanlift) 



copiant les faïences de Rouen, et que Collinot, Deck, Par- 
villée, demandaient à l'Asie Mineure, à la Perse ou à la 
Chine le secret desappris des belles couleurs somptueuses 
et profondes. Si l'art implique la création, plusieurs de 
ces utiles précurseurs furent moins artistes qu'ouvriers, 
puisqu'ils se bornèrent à reproduire les figurines de Palissy, 
les assiettes rouennaises, les carreaux et les vases d'Orient. 
Mais tous ont droit à notre gratitude; leurs laborieuses 
recherches ont préparé la brillante renaissance à laquelle 
nous assistons aujourd'hui. 

D'ailleurs, il en est au moins un qui a été plus qu'un 
homme de métier. A côté de nombreux modèles renouvelés 
de la Chine, Deck en a imaginé quelques-uns d'une forme 
originale, et, si l'on regrette l'abus qu'il a fait des grandes 
figures et même des portraits, on doit reconnaître que la 
flore lui a fourni parfois d'heureuses idées de décor. 

La série d'éventails exécutés par Claudius Popelin et 
légués au Musée par la princesse Maihilde, montre déjà, 
malgré un peu de lourdeur, quelle variété de ressources 
devaient trouver dans l'étude attentive de la nature des 
artistes assez bien doués pour l'interpréter avec goût. Dès 
les premières années de la troisième République, pendant 
que Lechevallier-Chevignard et Galland emploieront leur 
ingénieuse application à rajeunir les formules de la peinture 
murale, nous verrons Madame Adolphe Morcau, Emile 
Galle et le grand peintre Cazin créer, sous l'influence dis- 
crète du Japon, de magnifiques arrangements de fleurs qui 
resteront parmi les chefs-d'œuvre de la céramique décorée. 

A l'exception de cette industrie renaissante, tous les arts 
mobiliers, à la fin du règne de Napoléon III, sont au 
même degré de décadence; malgré quelques efforts plus 
louables qu'éclairés, leurs progrès sont insignifiants : tous 
laissent voiries mêmes qua- 
lités et les mêmes défauts, 
uneadresse d'exécution 
toute manuelle, mais, pour 
la forme et le décor, l'imi- 
tation presque servile, sou- 
vent abâtardie, d'un petit 
nombre de thèmes anciens. 
Rien n'atteste mieux que 
cette salle du second Empire 
combien il était nécessaire, 
à l'époque où se fonda 
l'Union centrale, de renou- 
veler l'esthétique des ar- 
tistes et des ouvriers d'art, 
en proposant à leurs études 
la merveilleuse diversité 
du passé, en les engageant 
à y prendre moins des mo- 
dèles que des leçons. 



Dans un musée ainsi 
conçu, l'étranger devait 
avoir sa place. L'art fla- 
mand, si voisin du nôtre, 
se trouve confondu avec 
notre art français du moyen 
âge et de la Renaissance. 
Mais l'Allemagne, l'Italie, 
l'Espagne ont chacune leur 
domaine, ainsi que l'Orient, 
la Chine et le Japon. 

Les collections musul- 
manes de l'Union centrale 

CAnPEAUX. — LB PRINCE 

Franco. 
(ilttsce des 




sont depuis longtemps célèbres. Elles furent commencées, 
il y a vingt ans, alors que les musées de Cluny et de 
Sèvres possédaient seuls quelques pièces de céramique 
et que le Louvre dédaignait encore les Arts de l'Orient. 
Les premières acquisitions datentdela vente Albert Goupil; 
c'est du cabinet de cet amateur que viennent les verreries 
émaillccs, les cuivres incrustés d'argent comme ce chan- 
delier de Mossoul, à sujets chrétiens, qui remonte au 
xm« siècle, comme ce grand bassin du xiv= qui rappelle celui 
du Louvre, auquel la tradition attache le nom de saint Louis. 
Les armes persanes, damasquinées d'argent et d'or, les 
velours et les brocarts aux somptueux dessins, les plais de 
Rhodes, de Koutaya et de Damas ne sont pas moins remar- 
quables et l'on a réuni, aux Arts décoratifs, un magnifique 
choix de carreaux à inscriptions et de plaques de revê- 
tements. Mais la principale richesse de la section orientale 
consiste dans la série des tapis, formée pour la plus grande 
partie par les dons de M. Maciet. Les amateurs l'ont vue, 
il y a peu d'années, à l'Exposition des Ans musulmans; 
ils n'ont certainement pas oublié deux admirables pièces, 
l'une à fond jaune, l'autre à fond noir, où des cavaliers, 
des femmes, des animaux se jouent dans un merveilleux 
décor de rinceaux et de cyprès. 

Les salles chinoise et japonaise, de création récente, sont 
beaucoup plus modestes. Cependant les étoffes de la vente 
Gillot, un superbe paravent de Coromandel, quelques jolies 
estampes, des vanneries, des gardes de sabre, des poteries 
offertes par MM. Kœchlin, Vever, Hayashi et Rochard, les 
laques de M. Léon Dru commencent une collection intéres- 
sante. L'art du Japon, si longtemps inconnu, a déjà exercé sur 
nos contemporains une trop heureuse influence, il peut encore 
leur donner trop d'enseignements utiles pour que l'Union 

ne sente pas la nécessité de 
faire une part plus large aux 
merveilles décoratives 
qu'ont prodiguées les maî- 
tres japonais. 



Le joli salon, exécuté par 
M. Hœntschel pour le pa- 
villon de l'Union centrale à 
l'Exposition de 1900, mar- 
que la frontière entre le 
royaume d'hier et celui 
d'aujourd'hui. On reverra 
avec plaisir ces boiseries 
c 1 aires et gaies, d'un 7;jOiferH- 
style raisonnable, ciselées 
d'aubépines à peine styli- 
sées; les tentures de soie 
rose otj le dessinateur, 
M. Karbowski, a entrelace 
le laurier, l'églantine, le 
chêne; surtout la belle 
peinture de M. Albert Bes- 
nard. l'Ile Heureuse, dont 
l'aisance et la grâce rap- 
pellent, sans rien leur em- 
prunter, les plus char- 
mantes décorations de 
notre xviit= siècle. Ce sa- 
lon forme un cadre à sou- 
hait pour les objets mo- 
dernes d'art précieux : grès 
de Car ries, Delaherche, 
Bigot, Morcau-Nélaton, 



IMPERIAL. 

XIX* sîôcle 
Ans décoratifs) 



M<i()ucUe originale 



LE MUSEE DES ARTS DÉCORATIFS 




ALBERT BESNARD. — l'île hklreuse. — Panneau décoratif (fragroeot) 

France, xx' siècle 
(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS/ 



42 



LES ARTS 



Hœntschel; porcclaincsde Chaplet ; émaux translucides de 
Thesmar; verreries de Galle, Rousseau, Léveilld, Cross, 
Dammouse; meubles de Janssen, Majorelle et de Feure; 
orfèvreries de Falize, Christofle, Peureux, Bonvalet, Car- 
deilhac ; bijoux de Lalique et de Vever. 

L'Exposition universelle de 1889 a marqué une étape 
importante dans révolution des arts industriels. Ce fut elle, 
en effet, qui révéla au grand public les noms et les travaux 
célèbres aujourd'hui, des Chaplet, des Dclahcrche, des 
Carriès, dès Galle. A M. Chaplet revient l'honneur d'avoir 
inauguré en France cette sorte de céramique qui doit toute sa 
beauté à la seule magnificence de ses émaux. Il avait com- 
mencé par imiter les porcelaines flammées de la Chine, 
et il eut bientôt égalé ses modèles; il les dépassa en inven- 
tant une matière que les Chinois n'avaient pas employée, 
une porcelaine plus épaisse et légèrement grenue permettant 
d'obtenir des émaux mats, sans aucune apparence vitreuse, 
et se prêtant à merveille à la reproduction des figures 
modelées. Les poteries japonaises et coréennes, arrivées 
depuis peu d'années sur le marché européen, inspirèrent à 
Carriès et à M. Delaherche leurs premiers essais de grès 
flammés, l'un s'attachant surtout aux combinaisons de 
nuances précieuses et rares, l'autre unissant à la richesse de 
la couleur la pureté du 
dessin. A leur suite, 
MM. Hœntschel et Jean- 
neney, élèves de Carriès; 
MM. Bigot, Lachenal, 
Dalpayrat et Lesbros trou- 
vèrent de nouvelles formes 
et de nouvelles patines, 
tandis que M. Lévy Dhur- 
mer décorait chez Clé- 
ment Massier quelques 
pièces d'un goût raffiné. 

Galle avait débuté, lui 
aussi, comme céramiste, 
s'adonnant, après Madame 
Adolphe Moreau et Cazin, 
à la faïence décorée. Les 
recherches de Rousseau 
et de Léveillé, leurs inté- 
ressants essais de verrerie 
artistique lui ouvrirent 
une nouvelle voie. Ceux-ci 
s'étaient contentés d'abord 
de graver sur la surface 
extérieure de leurs verres 
des décors inspirés de 
l'Extrême-Orient; mais à 
l'école de l'art japonais, ils 
apprirent à tirer de la ma- 
tière elle-même sa princi- 
pale beauté ; par l'incrusta- 
tion des pâtes de couleur, 
ils réussirent à donner à 
leurs verres l'apparence des 
jades et des pierres pré- 
cieuses ; puis, en usant à la 
meule des coiiches super- 
posées, à obtenirun décor 
^polychrome d'une richesse 
"et'id^ne harmonie aux- 
quelles" l'errtçil ne pourrait 
atteindre. On sait à quels 
prodiges de délicatesse est 




STYLE DK PAJOU. — buste 
France, xviii 
(Musée des Arts décoratifs. 



parvenu cet art entièrement nouveau entre les mains de 
Galle et de M. Dammouse. 

L'émaillerie, art français par excellence, et qui pen- 
dant près de trois cents ans avait fleuri dans le Limousin, 
était tombée en oubli depuis le commencement du xviii=siècle, 
lorsque, aux environs de 1889, plusieurs artistes tentèrent 
de la remettre en honneur. Par timidité sans doute, ils s'en 
tinrent pour leurs premiers essais à de simples copies et 
choisirent pour modèles ces fines et monotones peintures 
en camaïeu que la Renaissance avait substituées au vigou- 
reux coloris du moyen âge. C'était priver à plaisir de son 
principal attrait l'art qu'on prétendait restaurer. MM. Grand- 
homme et Garnier sont revenus à de meilleures traditions 
en mettant au service de Gustave Moreau toutes les étince- 
lantes ressources de l'émail peint. Un peu plus tard, M. Thes- 
mar retrouvait l'émail translucide qu'avait vu naître la fin du 
moyen âge, ou, pour mieux dire, il l'inventait de nouveau, 
par un procédé plus parfait. Tandis que les artisans d'au- 
trefois appuyaient leurs émaux sur une mince feuille d'or, 
M. Thesmar supprime cet appui et ne soutient ses émaux 
que par un léger réseau de fils métalliques qui, suivant le 
dessin, séparent les couleurs. Il obtient ainsi une transpa- 
rence complète. Ses charmantes coupes peuvent rivaliser 
avec les pièces rarissimes que nous a laissées le xv« siècle 

et qui atteignent dans les 
ventes des prix presque 
fabuleux. 

L'orfèvrerie, la bijou- 
terie, le travail de l'étain 
ont fait, depuis dix ans, les 
mêmes progrès, et, en 
cherchant à renouveler 
leurs modèles, ont enrichi 
en même temps leurs pro- 
cédés techniques. Le beau 
vase, les Métiers d'Art., 
exécuté pour l'Union cen- 
trale par M. L. Falize 
d'après ses propres dessins 
et un carton de M. Luc 
Olivier-Merson ; les bi- 
joux d'uneélégance si pure, 
composés parMM. Vever, 
aussi bien que les auda- 
cieuses fantaisies de 
M. Lalique; les gobelets 
de M. Brateau, les coupes 
de Desbois témoignent des 
mêmes efforts et de la 
même réussite. 

Le renouveau de la 
céramique a entraîné celui 
d'une autre industrie. La 
monture des vases, si flo- 
rissante au xvin" siècle 
avec les Duplessis, les Caf- 
fieri, les Go u thière, les 
Thomire, était vouée de- 
puis centans à d'éternelles 
redites. L'objet même 
qu'on livrait au bronzier, 
n'étant qu'une copie plus 
ou moins altérée d'une 
forme connue, le con- 
damnait à la répétition à 
peine déguisée de quelque 
thème ancien. Pour des 



DE fi:mmk. — Terro ciiilc 

• siècle 

— Don de il. J. Ma ciel) 




RAMPE DESGALIEK EN ACIER ET Cl IVRE 
Exécutée sur les dessins de M. Daumet, par MM. Moreau frères, pour le Château de Chantilly 

Krance. mx' siècle 
(MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS) 



44 



LES ARTS 



objets résolument nouveaux, il a fallu chercher des mon- 
tures nouvelles; à la suite de MM. Joindy et Peureux, 
MM. Bonvallet, Lucien Gaillard et maints autres ont 
trouvé, dans l'étude directe de la fleur, des éléments 
d'une interprétation toute moderne qui ne le cède en rien 
à celle des monteurs contemporains de Louis XV et de 
Louis XVL 




Dans les salles qui suivent le salon Hœntschel, les grès 
flammés de la manufacture de Sèvres, les faïences déco- 
rées du grand peintre Cazin et de Madame Adolphe Morcau, 
la rampe de fer et de cuivre dessinée par l'archiiecie Dau- 
met pour le château de Chantilly, celle de Majorelle pour 
un hôtel de Nancy, à l'entrée même du musée les belles 
grilles forgées par M. Robert, enfin une foule d'objets que 
nous ne pouvons citer donnent un aperçu des autres 
tentatives intéressantes qui se sont produites en ces 
dernières années. 

L'Union centrale ne se flatte point que cette col- 
lection moderne soit complète ni même suflisante. 
Certaines industries y sont peu représentées. Celle 
du meuble, par exemple. Celle-ci d'ailleurs, il faut le 
reconnaître, a progressé moins vite que beaucoup 
d'autres. Tandis que les céramistes, les verriers, les 
orfèvres, qui fabriquaient eux-mêmes, ont tout de 
suite senti la nécessité de subordonner leur décor aux 
exigences de la matière, les artistes qui se sont 
occupés d'ameublement étaient, pour la plupart, 
étrangers au métier. Ambitieux avant tout de faire 
« nouveau », ils ont trop souvent ignoré les lois delà 
construction et la logique des formes; trop souvent 
aussi, ils ont méconnu le mérite de la simplicité. 
Pour un musée qui prétend à former le goût public, 
c'était un devoir de ne pas encourager ces regret- 
tables errements. Mais la Société des Arts décoratifs 
ne demande qu'à offrir aux artisans modernes une 
hospitalité de plus en plus large. Elle compte établir, 
dans le grand hall d'entrée, des expositions succes- 
sives pour les diverses industries, instituer des con- 
cours plus fréquents, augmenter ses achats, puis 
transporter au dernier étage ses collections orien- 
tales, afin d'ouvrir à l'art contemporain touies les 
galeries du rez-de-chaussée. 

Une salle spéciale est consacrée à la colleciion 
de ferronnerie que M. Le Secq des Tournelles a bien 
voulu prêter aux Arts décoratifs et qu'il a disposée 
lui-même de la façon la plus agréable et la plus 
pittoresque. Cette collection, extrêmement pré- 
cieuse, rassemble d'excellents types de tous les 
objets qui relèvent de l'art du ferronnier; la variété 
est plus grande qu'on ne pourrait l'imaginer. Auprès 
des grilles robustes et sobres de l'abbaye d'Ours- 
camps (xiii» siècle), que nous avons citées plus 
haut, voici les fenestrages déjà plus délicats de la 
maison de Jacques Cœur à Bourges, puis les gra- 
cieux balcons du xviii'' siècle, fleuris et ornés de 
carquois. Plus loin, des enseignes populaires : A 
Saint Denis, A la Levrette, A l'Homme Armé. Des 
coffrets, des fers de blanchisseuses. Des marteaux de 
porte, des masques, dont quelques-uns superbes, 
des serrures, des clés merveilleusement ouvragées. 
Enfin, dans les vitrines, toute une série de « chefs- 
d'œuvre », à l'ancien sens du mot, des tours de 
force, des merveilles d'habileté : bonbonnières, 
pommes de canne, couteaux, peignes, éventails, 
toute une bijouterie d'acier où les ferronniers du 
xviii« siècle ont su mettre une délicatesse presque 
paradoxale. C'est un usage très répandu chez les 
collectionneurs anglais de faire bénéficier le public 
de leurs richesses par des prêts temporaires aux 
musées; souhaitons que l'exemple de M. Le Secq 
des Tournelles et l'intérêt que les visiteurs prennent 
à sa collection acclimatent en France cette aimable 
habitude. 

J'ai négligé de dire que, un peu dans toutes les 



Email e.^.«^tc par MM. Garnier et Granduomme, d'après une aquarelle do GtsiAVE Moreau 

I raute, xix« sicclo 
(llusce des Arts dicaiatifsj 



LE MUSÉE DES ARTS DECORATIFS 



salles du musée, on a placé des dessins d'ornements de 
l'époque correspondante. Il en est qui sont signés de 
Fjoulle, Gillot, Meissonnier, Oppenord, Ranson, Salcmbier, 
Bellanger. M. Barbey de Jouy, ce conservateur du musée du 
Louvre, a offert une remarquable suite composée par Huet 
pour la manufacture de toiles de Jouy. On sent tout l'intérêt 
de ces croquis originaux; on y saisit directement la pensée 
de l'artiste, dont l'œuvre exécutée par l'ouvrier n'est qu'une 



traduction, plus ou moins iîdèle. On trouvera, dans les 
salles modernes, les cartons de Besnard pour les vitraux de 
l'École de Pharmacie, ceux de Galland pour les Gobe- 
lins, des études de Grasset, de Chéret, de Steinlen, car 
cette série si utile a été continuée jusqu'à nos jours. Mais 
les dessins exposés ne montrent qu'une faible partie de 
la collection que possède la bibliothèque de l'Union cen- 
trale. Installée dans les dépendances du musée dont elle 




FrancOf xx* stccla 
(Mutée des Arit décoratifs) 



était le complément indispensable, cette bibliothèque est 
ouverte même le soir; l'entrée en est gratuite, et les tra- 
vailleurs y ont à leur entière disposition tous les docu- 
ments graphiques qu'il a été possible de recueillir sur l'art 
de tous les temps. 

Bibliothèque et musée doivent, comme je l'ai dit, faire 
retour à l'Etat. Mais, si l'on excepte quelques prêts du Garde- 
Meuble et des manufactures nationales, l'un et l'autre ont 
été entièrement constitués par l'initiative privée et par le 
zèle d'un très petit nombre de personnes passionnément 



dévouées à l'œuvre qu'elles avaient londée. Peu d'institu- 
tions oftîciclles, disposant de moyens plus puissants en 
apparence, auraient osé entreprendre ce que cette Société a 
réussi à accomplir avec ses seules ressources, en dépit des 
difficultés les plus inattendues. Il faut donc espérer que l'em- 
pressement du public et la générosité des donateurs vien- 
dront seconder l'Union des .\rts décoratifs. Nous lui devons 
beaucoup de reconnaissance pour l'admirable musée qu'elle 
a su nous donner. 

MAURICE DEM.MSON. 



TRIBUNE DES ARTS 



LES PRIMITIFS FRANÇAIS 

Saint Michel terrassant le Dragon "* 

Réponse de M. HENRI BOUCHOT 

Monsieur le Directeur, 

Une note parue dans vos colonnes, et 
visant les organisateurs des Primitifs fran- 
çais en commentant une soi-disant mésaven- 
ture arrivée à M. Herbert Cook, rappelle 
l'histoire de l'Anglais et d'Alexandre Dumas 
père. Cet Anglais ayant lu Monte-Cristo, 
voulut visiter File ; il y aborda et s'y cassa la 
jambe. Il cita Dumas en responsabilité. 

L'Exposition des Primitifs montrait, ; eus 
le n» 87, un petit panneau du musée Calvet, 
à Avignon, représentant un Saint Michel 
terrassant le démon. Le catalogue donnait 

(1) Voir les Arts, n" 47. p. 33. 



cette œuvre à l'École de Nicolas Froment. Il 
s'appuyait pour cela sur l'opinion de M. Wau- 
ters, de Bruxelles, sur celle de l'abbé Requin, 
dont la compétence est reconnue, et sur les 
caractères mêmes de la peinture et des acces- 
soires. C'est ainsi que l'on agitpour les pièces 
anonymes, et c'est ainsi que l'auteur de la 
note publiée par vous, l'a fait pour des œuvres 
citées par lui dans son Histoire de la Peinture 
française. Le rédacteur du catalogue déclare 
d'ailleurs maintenir complètement le fond et 
la lettre de la mention. 

L'Exposition ayant fini, assez glorieuse- 
ment pour avoir soulevé des jalousies incoer- 
cibles, il se trouva que M. Herbert Cook, 
éminent écrivain anglais, qui avait fort impar- 
tialement suivi la manifestation du pavillon 
de Marsan, rencontra un panneau gothique 
représentant un Saint Michel, également ter- 
rassant le démon. Cette œuvre de style 




ÉCOLE DE PUOVENXE VEllS 1500. _ «a,.x, .Mum,-:,,. _ Musée CaW^nA.ignon) 

Aucuns.rapports de détails avec le saint Michel de M. Cook. 



inconnu à M. Cook était signée Bartolomeus 
Rubetis en caractères septentrionaux minus- 
cules du xv= siècle. M. Cook se rappela alors 
le Saint Michel d'Avignon, il crut rencontrer 
des similitudes de poses, de style et d'acces- 
soires entre les deux panneaux, et il proposa 
de traduire Bartolomeus Rubeuspar Bartho- 
lomeus Roux ou Le Roux, et d'en faire i;n 
peintre français du xv^ siècle. Donc, s'il y a 
méprise, elle n'est que dans l'assimilation de 
l'une de ces pièces à l'autre ; elle a été sponta- 
nément tentée par M. Cook, en dehors de 
l'Exposition des Primitifs. 

Quelque temps après l'article publié à ce 
sujet par M. Cook, dans la Ga:{ettedes Beaux- 
Arts, M. Raymond Casellas, de Barcelone, 
intervenait et déclarait que Rubeus peux se tra- 
duire en espagnol par Vermejo vermillon) et 
qu'il connaissait un Bartolomé Vermejo dont 
une des œuvres — une Pieta — est au chapitre 
de Barcelone. Cette peinture magnifique est 
signée Bartholomeus Vermejo Cordubensis, 
1490. M. Cook, un peu ému de son erreur, 
s'empresse de donner raison à M. Casellas, 
mais comme il tient à son assimilation du 
Saint Michel de Rubetisavec celui d'Avignon, 
il n'est pas loin d'étendre la paternité de Ver- 
mejo à ce dernier, et même — à quoi bon 
s'arrêter? — à la fameuse Pietà de Villeneuve- 
lès-Avignon récemment entrée au Louvre ! 

Or, l'erreur de M. Cook ne consiste juste- 
ment pas à baptiser d'un nom français -un 
peintre espagnol ; elle est tout entière dans le 
rapprochement entre deux panneaux de style 
et d'époques radicalement dissemblables. 

Le Saint Michel que vous avez reproduit 
ci-devant et qui est signé Bartolomeus Rubeus 
est le travail d'un artiste qui a étudié son art 
sur les bords du Rhin. Il concorde absolu- 
ment avec le Saint Michel gravé par le maitre 
E. S. de 1466, tant par les détails de l'armure 
dorée que par la croix au front, les plis du 
manteau tourmentés et brisés, le geste, les 
accessoires et la date. 

Au contraire, il n'a que des rapports très 
lointains — s'il en a — avec le Saint Michel 
d'Avignon, qui est, lui, d'un style plus tardif, 
qui porte une cuirasse noire à escargots et un 
jupon de centurion romain. La méprise de 
M. Cook est donc d'avoir comparé ces tableaux 
entre eux et d'avoir tenté un parallèle. Les 
Primitifs français, il peut le dire, ne lui ont 
rien suggéré du tout. 



Il semble donc bien qu'après le bruit fait 
sur la découverte de M. Casellas, celle-ci fut 
inattaquable et qu'on eût la preuve que Bar- 
tolomeus Rubeus se trouve accolé à Bartolomé 
Vermejo dans un texte d'une authenticité 
« scientifique » péremptoire. 

Point ! c'est M. Casellas qui a/ro/'O.yecette 
traduction, parce que Vermejo comme Rubeus 
veut dire rou^c ! 

Et personne ne s'avise de remarquer, 
d'abord les caractères de VécThure de Rubeus; 
puis un fait très singulier, qui est à peu près 
sans exemple dans l'histoire des Arts. Com- 



TRIBUNE DES ARTS 



47 



ment un artiste, ponant un nom auquel il tient, 
signe-t-il une fois Rubeiis en latin et une autre 
fois, (également en latin, Vermejo? Chose bien 
plus grave encore : pourquoi ce peintre, qui 
paraît être un maître célèbre, n'estil men- 
tionné dans aucune pièce d'archives sous le 
nom de Riibctia, ni dans aucun livre spécial 
sous Icsdeux noms? Cean Bermudez, Pacheco, 
Ponz, Palomino restent muets sur son compte. 
C'est donc vraisemblablement qu'ils ne le 
reconnaissent point pour compatriote. Re- 
marquez que je ne fais pas de chauvinisme 
francj-ais, puisque, me prouvât-on que Rubeus 
égale Vermejo et que Vcrniejo est né à Cor- 
doue, je n'en maintiendrais pas moins l'opi- 
nion de sa descendance allemande en esthé- 
tique. Ce Rubeus a emprunté la figure de 
son Saint Michel aux peintres de la région 
où opèrent Martin Schongauer et Conrad 
Wytz (i . 

En tout cas, il lui manque un état civil 
aussi définitif et aussi « scientifique » que ceux 
produits par les Français pour Jean Fouquet, 
Enguerrand Charton, Nicolas Froment. 

La traduction de M. Casellas est ingé- 
nieuse, mais reste, jusqu'à nouvel ordre, dans 
le domaine cxclusifde l'hypothèse. 

M. Herbert Cook s'est peut-être un peu 
hâté de se donner tort. 11 se pourrait très bien 
que Bartolomcus Rubeus fût un Barthélémy 
Rod ou Rot du pays de Souabe, venu à Cor- 



/l) Voii- n»ttamnier.t le Saint Michel de Mciiling, dans la 
chapelle de la Dorqlhée, à Itantzig, et rArchange du Juge- 
ment dernier, de la même chapelle, etc., etc. 




doue, y ayant pris rang de citoyen au temps 
où la descendance de Maximilien s'établissait 
en Espagne. Il eût ensuite espagnolisé son 
nom, comme on voit les Dutchman devenir 
chez nous des Duchemin, les di Rubei des 
Lerouge, et les Rosso des Roux. 

Mais son talent de premier ordre est ger- 
main. Il nous a paru équitable de mettre 
dans tout ceci les Primitifs français hors de 
cause. Pas plus que Dumas père, ilsne peuvent 
être rendus responsables des jambes cassées 
ni des syllogismes à rebours. 

HENRI BOUCHOT. 



LA DANAE'" 

Réponse de MM. QUIFFREY et PIERRE MARCEL 

Palais du Louvre, 2 décembre 190?. 

Monsieur le Directeur, 
Comme M. Henri Rochefort en a exprimé 
le désir, nous lui avons communique quelques 
renseignements sur Louis de Boulogne et sur 
l'orthographe de ce nom. La question pou- 
vant intéresser vos lecteurs, permettez-nous 
de vous communiquer quelques notes rapides 
relatives à cet artiste. 

Le nom de Boulogne s'écrit tantôt Bou- 
logne, tantôt Boullogne, tantôt Boullongne, 
dans les documents contemporains. Jamais 
jusqu'à la Révolution les noms propres n'ont 
eu d'orthographe certaine. 

Louis de Boulogne occupe une place assez 
importante dans l'École fran- 
çaise : il fut premier peintre du 
roi de 1723 à sa mort. Né en 
1654, il mourut en 1733. Sa 
vie est assez peu connue : ses 
biographes ne nous ont jamais 
donné que son cursus honorum. 
Pour plus de détails, on pourra 
voir l'Abrégé de la Vie des 
Peintres de d'Argenville,et sur- i 
tout laVic des premiers peintres 
du Roi par Lépicié (tome II). 
Louis est le frère de Bon Boul- 
logne dont parle M. Henri Ro- 
chefort. Tous deux sont tils de 
Louis Boulogne dit l'ancien, 
contemporain de Le Brun. 

Il nous reste beaucoup d'œu- 
vres de Louis de Boulogne: de 
grandes décorations, comme la 
chapelle de Saint-Augustin aux 
Invalides et la chapelle de la 
Vierge, ainsi que les caissons 
des tribunes dans la chapelle du 
château de Versailles, et de 
petites œuvres aimables et ga- 
lantes, comme la Danaé que 
nous lui avons rendue ^voi^ le 
catalogue de ses œuvres dans 
le Dictionnaire général des Ar- 
tistes de l'Ecole française par 
Bellier de la Chavignerie . 
Dans plusieurs de ses ta- 



(ll Voir Us Arts, n" 4?, p 16; 46. p.?i; 
47. P-33. 



I.K XtAlTlU-: E. s. DE HCC— SMNT Mii:iiui. oi- SAIM . l>;htiothiq»t Kaliommlt) 

Très grands rapports de détails et d'a,;ccssoires avec le 

saint Micliel de M. Cook 



bieaux de chevalet s'épanouit déjà la légè- 
reté, la grâce, le libertinage même des petits 
maîtres de la deuxième moitié du xviii* siècle, 
que l'on voit apparaître du reste chez tous 
ses contemporains, dès la mort de Le Brun. 

Veuillez agréer. Monsieur le Directeur, 
l'hommagedc nos sentiments particulièrement 
distingués. 

JEAN GUIFFREY. 
PIERRE MARCEL. 



Chronique des Ventes 

Jamais, je crois, une vente n'aura fait tant 
de bruit que celle de la collection Grenier. 
Certes, les ventes Spitzer et Leiong passion- 
nèrent fort le monde amateur, mais elles 
n'excitèrent pas à ce point la curiosité pu- 
blique. C'est que M. Spitzer et Madame Le- 
iong étaient inconnus de la grande foule, 
tandis que M. Cronier s'était attiré, par sa 
mort tragique et par les événements qui la 
motivèrent, une notoriété quasi universelle. 
Et de ce fait , le gros public, indifférent en ce qui 
concerne la question artistique, s'est-il pressé 
enifoule à la Galerie Georges Petit pour en- 
trevoir, pendant quelques instants, ce que 
pouvait bien posséder un grand financier. 

Mais l'émotion que provoqua l'annonce de 
cette vente parmi les collectionneurs et mar- 
chands ne fut pas moins grande, car on savait, 
dans les cercles des curieux d'art, combien de 
richesses recelait la collection Cronier. Aussi, 
aux jours d'exposition et de vente, ratfluence 
fut-elle énorme. 

Cet empressement était un signe certain 
de succès. Ce succès, il se produisit d'une 
façon éclatante et au-dessus de tout ce que 
l'on pouvait espérer. On comptait arrivera 
un total de trois millions environ. On obtint 
un produit de cinq millions deux cent mille 
francs, exactement 5, 198.031 francs. Ce fut, 
au cours des deux vacations, un emballement 
continu, un roulement d'enchères incessant, 
une fièvre perpétuelle, une folie de billets de 
mille, tant pour les tableaux que pour les 
objets d'art. Presque toutes les demandes des 
experts furent dépassées, et certains objets 
doublèrent, et au delà, les estimations. 

M' Lair-Dubreuil, commissaire-priseur. 
dirigea avec beaucoup d'autorité ces vacations 
mémorables, assisté, pour les tableaux mo- 
dernes, de M. Georges Petit; pour les tableaux 
anciens, de MM. Haro et Sortais, et pour les 
objets d'art, de MM. Paulme. Lasquin et 
Duplan. 

Le premier jour fut consacré aux tableaux 
et dessins, lesquels produisirent 2,475.420 fr. 
On commença avec les œuvres modernes, 
toutes de l'école de i83o. Le prix principal 
fut celui de 1 io.5oo francs, sur une demande 
de 80,000 francs, atteint par un pavsage de 
Th. Rousseau : La Mare dans la Forêt. Une 
jolie toile de Jules Dupré : La Mare, monta 
à 6o,5oo francs, et une autre : Le Troupeau 
au bord de la Mare, à 34,000 francs. Un 
Corot important, mais un peu lourd : Le 
Pdtre, fut payé 4-,ooo francs, alors qu'il avait 
fait 25.000 francs à la vente Sanmarcelli. en 
1895. Un autre Corot : Etaples. trouva le prix 
de 3 1,000 francs. Les tableaux de Diaz 
eurent beaucoup de succès. Le Printemps 



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CHRONIQUE DES VENTES 



atteignit 5o,ooo francs ; l'Automne dans la 
Forer, 45,000 francs; la Mare aux Chênes, 
35,5oo francs ; la Clairière dans la Forêt, 
16,100 francs, et une figure : La Sœur aînée, 
12,000 francs. Un petit panneau de Troyon : 
Vaches à la lisière d'un bois, fut payé 40,000 
francs par un antiquaire. Les Amateurs, toile 
célèbre de Daumier, resta au-dessous de la 
demande à 17,100 francs, mais dépassa cepen- 
dant de 2,000 francs le prix qu'elle avait fait à 
la vente Feydeau. Une vigoureuse composi- 
tion de Delacroix : Hercule et Alceste, trouva 
preneur à 17,400 francs, contre 8,000 francs 
qu'elle avait été adjugée en 1888. Quelques 
aquarelles furent aussi très poussées. Une de 
Decamps : Les Enfants, monta à 10,600 fr.; 
une de Gustave Moreau à 4,000 francs, et 
d'autres, de Harpignies, se vendirent de i,5oo 
à 4,000 francs. L'école i83o obtint un vrai 
succès, comme on voit. 

Mais les œuvres de l'École française du 
xviii= siècle portèrent l'emballement à son 
summum avec les Fragonard, les Chardin, 
les La Tour, les Watteau, etc. L'émotion fut 
vive quand on mit sur table le Billet doux, 
de Fragonard, véritable chef- d'œuvre du 
maître, dont M. Haro demanda 200,000 fr., 
et que M. Cronier avait payé 1 10,000 francs. 
La lutte fut vive et passionnée, mais la vic- 
toire resta enfin à deux marchands parisiens 
au prix de 420,000 francs. Le public applaudit 
à cette adjudication sensationnelle. La Li- 
seuse, du même, œuvre plus forte peut-être, 
mais moins plaisante, monta à 182,000 francs 
sur une demande de i5o,ooo francs. En 1845, 
à la vente du marquis de Cypierre, ce tableau 
n'avait pas dépassé 3oi francs. Deux grandes 
compositions de l'Ecole française : Le Concert 
dans le Parc et la Collation à la Fontaine, 
pour lesquelles on murmurait le nom de Fra- 
gonard, furent, de ce fait, et aussi de par leur 
qualité, poussées à 180,000 francs, doublant 
presque la demande. Une délicieuse peinture 
de Watteau : Les Amants endormis, que l'on 
estimait 100,000 francs, grimpa à 1 52, 000 
alors qu'en 1 85 1 , à la vente du comte de Nar- 
bonne, elle avait péniblement atteint 600 fr. 
On fêta aussi beaucoup les deux Chardin : 
Le Volant et les Osselets, que deux amateurs 
payèrent l'un 140,000 francs et l'autre 5o,ooo 
francs. On donna encore 65, 000 francs pour 
un Portrait présumé de Madame Tocqué, par 
Naitier; 8,100 francs pour un Portrait de 
M. Dupéril, par Perronneau ; 1 5, 600 francs 
pour la Promenade galante, de l'Ecole fran- 
çaise, et 6,5oo francs pour un petit panneau, 
le Lorgneur, que l'on vendit comme attribué 
à Watteau. 

Pour les pastels et dessins, l'engouement 
fut le même et l'on s'arracha les pastels de 
La Tour. Un amateur donna 77.000 francs 
pour le Portrait du graveur Schmidt, qui 
avait fait 4.150 francs à la vente Laperlieren 
1879. Le Portrait du maître par lui même 
s'enleva à 70.100 francs; \t Portrait de la 
comtesse de Coventry à 72.000 francs, tandis 
que, sans que l'on sût pourquoi, le Portrait 
du comte de Coventry restait à 36. 000 francs. 
Les pastels de Perronneau eurent moins de 
faveur. Un Porf/-azïrfe/eww7e fit 26.000 francs; 
un Portrait d'homme, 20.000 francs, et un 
Portrait de Colette de Vitlers, 10.600 francs. 
Par contre, un dessin de Fragonard : le Tau- 
reau échappé atteignit le prix inespéré de 
35.5oo,sur une demande du tiers, et un dessin 
de Watteau : Etude de femmes pour les Plai- 



sirs de l'été monta à 18.000 francs, alors qu'il 
avait été payé io.3oo francs à la vente Josse 
en 1894. Une miniature de Fragonard fut 
payée 4.200 francs; un portrait au crayon de 
la baronne Larrey, par le baron Gérard : 
4,400 francs; une miniature de l'école de 
Hall, 5.800 francs, et une tête de jeune femme 
par Prud'hon, 3. 000 francs. 

L'école anglaise du xviii' siècle comptait 
aussi quelques belles œuvres dans la collec- 
tion Cronier. Elles se vendirent sur le même 
pied que leurs contemporaines de l'école fran- 
çaise. Un Portrait présumé désir John Camp- 
bell par Gainsborough monta à 65. 000 francs 
et une grande gouache : Méditation, donnée 
à ce maître par le catalogue, mais vendue 
simplement comme de l'école anglaise, fut 
poussée cependant à 65. 000 francs. On attri- 
bua de même à Gainsborough une petite 
peinture : La Promenade dans le Parc, qui 
resta à 6.600 francs. Une bien belle chose de 
Th. Lawrence : Portrait de Miss Day, fut 
payée 43.000 francs ; un Portrait d'homme par 
Reynolds, 3o.ooo francs; une esquisse du 
Portrait de lady Stanhope, attribuée au 
même, 10.000 francs, et la Jeune Laitière, 
représentant Emma Hart, qui fut plus tard 
Lady Hamilton, 3o.ooo francs, bien que ce por- 
trait ait été annoncécomme attribué à Romney. 

Le second jour de vente fut consacré aux 
objets d'art et d'ameublement. L'assistance 
fut encore plus nombreuse qu'au premier 
jour et le feu des enchères se continua avec la 
même animation. Le gros événement de la 
journée fut la vente des tapisseries qui étaient 
d'une richesse extraordinaire. Cependant, les 
fameuses tapisseries de Boucher, de la manu- 
facture de Beauvais, n'atteignirent pas les 
prix que l'on eût été en droit de supposer, 
étant donnée la cote fournie par les autres 
objets. La plus importante des trois ten- 
tures de l'Histoire de Psyché, représentant 
les Sœurs de Psyché, fut adjugée juste l'esti- 
mation au prix de 3oo.ooo francs, à un anti- 
quaire de Londres. Moins heureuses les deux 
autres, dont on demandait i5o.ooo francs 
pour chacune, furent payées : le Vannier, 
loS.ooo francs, et l'Abandon, 8r.ooo francs. 
Deux autres panneaux de Beauvais, d'après 
Boucher, faisant partie de la suite dite La 
Noble Pastorale, partirentaussipourLondres, 
l'Eté ou les Plaisirs champêtres, a 125.000 
francs, et la Pêche à 102.000 francs. 

Par contre, les tapisseries des Gobelins 
furent disputées vivement. Les deux panneaux 
de l'Histoire de Don Quichotte, d'après Coypel, 
montèrent à 200.000 francs sur une demande 
de la moitié, et les deux panneaux de la suite 
de la Comédie italienne, d'après Bérain, Gil- 
lot et Watteau, se payèrent 1 58. 000 francs 
pièce. On donna 42.000 francs pour un beau 
panneau décoratif de Beauvais ou de Bruxelles 
d'après Monnoyer, représentant un vase de 
fleurs sous un portique treillage. Un petit 
tableau des Gobelins de la suite des Saisons, 
de Boucher, atteignit 19.500 francs. 

M. Lair-Dubreuil obtint aussi de fortes 
adjudications pour les meubles de salon en 
tapisserie. Un salon couvert en Beauvais du 
temps de Louis XV, à sujets militaires, d'après 
Casanova, dont M. Paulme demandait 1 5o.ooo 
francs, fut payé 2o5.ooo francs par un grand 
marchand parisien. Deux autres salons en 
Beauvais, l'un à sujets de bouquets de fleurs 
et l'autre à sujets d'après Huet et Oudry, 
montèrent à 141.000 francs et 81 .000 francs. 



Deux meubles couverts en Aubusson réali- 
sèrent, l'un, 57.000 francs, l'autre 32. 000 
francs. Pour un grand canapé couvert en 
vieux Beauvais, on donna 38. 000 francs. Deux 
petitsfauteuilsen boissculptéépoqueLouisXV 
à Louis XVI, couverts en soierie, trouvèrent 
acquéreur à 16. 5oo francs. 

Dans les meubles d'ébénisterie du xviii« 
siècle, la pièce principale était une grande 
table-bureau en marqueterie époque Régence 
avec riches garnitures de bronzes. Payée 
5o.ooo francs à la vente Josse, en 1894, elle 
fut adjugée i i5.ooo francs à la vente Cronier. 
Pour deux commodes en marqueterie de bois 
avec médaillons en marqueterie et ornements 
de bronzes, l'une signée Rubestuck, on paya 
122.000 francs; pour une autre, époque Ré- 
gence, avec bronzes danslegoùt dePillement, 
on donna 45.000 francs sur une demande de 
10.000 et l'annonce de restauration. Une biblio- 
thèque de la même époque fit 27.000 francs, 
et un régulateur époque Louis XV, 1 1 . 100 fr. 

Dans les bronzes, on eut aussi de beaux 
prix. Deux candélabres formés chacun d'un 
cygne en ancienne porcelaine de Saxe monté 
en bronze, époque Louis XV, s'adjugèrent à 
39.000 francs; un groupe en bronze et porce- 
laine de Chine, à 2i.5oo francs; une garni- 
ture de cheminée en bronze, porcelaines de 
Saxe et de Chine, à 16.200 francs. Une pen- 
dule à musique, en bronze, annoncée comme 
« style Louis XV » et estimée 3. 000 francs, 
fit cependant 33. 000 francs. Deux flambeaux 
attribués à Meissonnier restèrent à i8.3oo fr. 

Pour les sculptures, il y avait là une 
œuvre moderne, une statue en marbre blanc, 
par Carpeaux : Flore. Un marchand, -pour le 
compte d'un grand amateur anglais, la jiaya 
le haut prix de 62.000 francs. 

Des porcelaines, des objets de vitrine, etc., 
complétaient la vente. Des paires de po- 
tiches en vieux Chine se vendirent de 10.000 
à 1 5.000 francs ; un groupe en ancien biscuit, 
de Sèvres : Le Goûter champêtre, se paya 
17.500 francs, doublant la demande, et une 
grande boîte en or ciselé, époque Louis XV, 
monta à 14.100 francs. 

Limité par la place, je n'ai pu rapporter 
ici que les adjudications les plus saillantes, 
laissant de côté celles au-dessous de 10.000 
francs. Ce que l'on peut dire, pour se résu- 
mer, c'est que la vente Cronier fut un événe- 
ment dans les annales des ventes publiques et 
qu'elle prendra place, tant par son impor- 
tance que par le succès qu'elle obtint, parmi 
le nombre des auctions sensationnelles. 

Quelques jours avant, on avait vendu la 
collection de M. Jules Jaluzot, comprenant 
principalement des tableaux modernes. Trois 
œuvres dominaient tout le reste. Premièrement 
un grand, beau et célèbre tableau de J.-P. 
Laurens : La Mort de Marceau, du salon de 
1877. Sur une demande de 20.000 francs, il 
fut adjugé seulement i3.ooo francs. Les deux 
autres étaient une agréable composition de 
Roybet : Les Joyeux Convives, et une toile 
de Ziem : Venise, un peu sombre, mais bien 
belle. Le Roybet monta à i6.ooo francs et le 
Ziem à 14.000 francs, pas cher tous deux à 
ces prix. La vente produisit 104.000 francs. 

Le lendemain, on vendait 20.000 francs à 
l'Hôtel Drouot, un petit tableau de Boilly 
intitulé l'Oiseau privé. 

Et ce fut tout pour ce commencement de 
saison. Il est vrai qu'avec la vente Cronier, 
c'est déjà quelque chose. 

A. FRAPPART. 



Directeur : M. UANZI. 



Imprimerie Manzi, Jovant & C^*, Paria. 



Le Gérant: 0. ULO.N'DIN. 



LES ARTS 



QUATRIÈME ANNÉE— 1905 



TABLE DES MATIERES 



TEXTE 



MUSEES 

Musée du Louvre. — Les Accroissements des Musées. — Article 
Je M. (I.vRi.E Drkykus. — Reproduction d'une Console de 
l'Hôtel des Invalides, n" 37, p. 33 et 34. 

Musée des Arts décoratifs. — Article de M. Maurice Demaison. 

— Reproductions d'œuvres diverses de peinture, de sculpture 
et de décoration, n" 48, p. i à 43. 

Musée provincial de Burgos. — Article de M. Paul Lafond. — 
Reproductions de sculptures, d'une vue extérieuie du musée 
et de l'une des salUs, n» 40, p. 10. 

Musée de Valladolid. — Article de M. I'aui. Lafond. — Reproduc- 
tions d'œuvres de Juan de Juni, Alonso Berruguete, Pompeio 
I^eoni, Juan de Arfé et L. Fernandez del Moral, Gregorio 
Fernandez, Juan Alonso Villabrille, n» 43, p. 23. 

Musée de Francfort-sur-le- Mein. — Article de M. Auguste Mar- 
GuiLLiEu. — Reproduction de Samson trahi far Dalila, de 
Rembrandt, n" 44, p. 33 et 34. 

L'Appartement Borgia au Vatican. — Article de M. Iîoyer 
d'Agkn. — Reproductions d'œuvres du Pinturicchio, Délia 
Robbia, Andréa Bregno; tapisseries, \ues de salles, plafonds, 
n" 46, p. I . 

COLLECTIONS 

La Collection du duc de Westminster. — Article de M. Langton- 
Douglas. — Reproductions d'œuvres de Rembrandt, Claude 
Lorrain, Van Dyck, Velazquez, Paul Potter, Gainsborough, 
P. -P. Rubens, Joshua Reynolds, n" 37, p. i . 

La Collection Chappey. — Article de M. Frédéric Masson. — 
Reproductions de pièces en ancienne porcelaine tendreetdure 
de Sèvres antérieures à la Révolution, n» 38, p. i . 

La Collection de M. Eugène L'ischliof. — « Les Quatre Saisons », 
de Fr.mçois Bouclier. — Article de M. Pierre ue Noi.hac. — 
Reproductions d'œuvres d'Alexandre Roslin et de F. Boucher. 
iv> 39, p. I. 

La Collection Chabrière-Arlès. — Article de M. Gaston Migeon. 

— Reproductions d'œuvres de l'Ecole llamande, commence- 
ment du xvi= siècle. Ecole milanaise, fin du xv": siècle, Ecole 
française du xve siècle, Ecole Horentine du xv" siècle; mar- 
bre, bronzes, bijoux, bois, faïences, objets mobiliers, épées, 
n"39, p. 8. 

La Collection de M. Léopold Favre. — Article de M. C. de 

. Mandach. — Reproduciions d'œuvres de J. Anthonisz Van 

Ravensteyn, M. llobbema. Th. de Keyser, Gérard Dow, 

Philips Wouwernian, Van der Meulen, A, Cuyp, Philippe de 

Champaigne, n" 40, p. i. 

La Collection de .\/. Camille Groult. — E.vposition de l'Art 
anglais à Bagatelle. — Article de M. Arsène Alexandre. — 
lieproductions d'œuvres de Sir Th. Lawrence, Hoppner, 
Th. Gainsborough, \V. Turner, n" 42, p. i. 

La Collection de M. G. Chalandon. — Article de M. Gaston 
MioKON. — Reproductions d'émaux, d'ivoires; peintures de 
Thierry Bouts, Memling, Sassetta ; art florentin du milieu 
du xv: siècle; art ombrien du milieu du xv« siècle, n» 42, 
p. 17. 

La Collection de M. Henri Rochefort. — Article de M. Henri 
RocHKFORT. — Reproductions d'œuvres de Rodin, P. -P. 
Prud'hon, David Téniers, Chardin, Aug. Pajou, Fragonard, 
Callet, Louis Boilly, Jean de Bologne, Clodion, Lenain, 
P. Puget, Carie Van Loo, F. Boucher, LeGreco, Dalou, n>'43, 
p. I. 



La Collection de Sir Frederick Cook. — Article de M. Hcrbert 
CooK. — Reproductions d'œuvres de Botticelli, Piero della 
Francesca, Tintoretto, Fra Filippo Lippi, le Titien, Sébas- 
tian del Piombo, Sodoma, Jacopo de Barbari, I-e PértJgin, 
Cesare da Sesto, Velazquez, Rondani, Signorelli, Nicolas 
Poussin, VV. Hogarth, J. Reynolds, Tutner, G. Romney, 
W. Owen, Ecole flamande, Hans Holbein, maître de Fié- 
malle, Van Dyck, Albert Durer, Gabriel Metsu, Albert Cuyp, 
Gérard Terburg, P. -P. Rubens, Nicolas Maes, n» 44, p. i. 

La Collection de M. et Madame George Duruy. — Article de 
M. Carle Dreyfus. — Reproductions d'œuvres de J.-B. Char- 
din, Drouais, Mérelle, Louis David, Heinsius, Hall, Madame 
Vigée-Le Brun, Dumont, K. Boucher, J.-B. Perronneau; 
émaux, tapisseries, mtubles, bijoux, dentelles, peignes en 
ivoire, instruments de musique, n" 45, p. i. 

La Collection E. Cronier. — Article de M. Arsène Alexako* s. 
— Reproductions d'œuvres de M. Q. de La Tour, Watteau, 
Fragonard, Chardin, Nattier, Perronneau, Romney, Rey- 
nolds, Gainsborough, Delacroix, Troyon, Corot, Jules Dupré, 
Diaz, Rousseau, Daumier, Carpeaux ; tapisseries de Beau- 
vais ou de Bruxelles, des Gobelins ; objets d'art, no47, p. 1. 

EXPOSITIONS 

Les Salons de igoS. — Société Nationale des Beaux-Arts. — 
Article de M . Maurice Hamel . — Reproductiocs 
d'œuvres de A. Willette, J. Boldini, Zuloaga, Cottei. 
E. Carrière, Dinet, J. Beraud, A. de la Gandara, Chia- 
liva, M»' L.-C. Breslau, P. Lagarde, W.-G. de Glehn, 
Dagnan-Bouveret, L. Simon,J.-A. Muenier, H.-W. Mes- 
dag, no 41, p. 16. 
— Société des Artistes français. — Article de M. Malricc 
Ha.mel. — Reproductions d'œuvres de R. Collin, Har- 
pignies, A. Morot, M. Baschet, H. Martin, T. Robert- 
Fleury, n» 42, p. 11. 

ESSAIS BIOGRAPHIQUES 

Ernest Barrias. — Article de M. Gabriel Mourey. — Repro- 
ductions d'œuvres de E. Barrias, avec son portrait d'après 
nature, n» 40, p. 19. 

Eugène Guillaume. — Article de M. Frédéric Masson. — Repro- 
ductions d'œuvres d'Eugène Guillaume, avec son portrait 
d'après nature, n» 41, p. i. 

Adolf von Men^el. — Article de M. Auguste Margcillier. — 
Reproductions d'œuvres de Meniel, avec son portrait par 
M. Boldini, n» 41, p. 6. 

DISSERTATIONS ET POLÉMIQUES 

Les Origines de la Peinture française. — Article de M. L. Di- 
.MiKR. — Reproductions d'œuvres diverses : Tapisserie tissée 
par Jean Bataille sur Us dessins de Jean de Bruges; peintures 
du xiv« siècle; grisaille sur soie du xiv» siècle; miniatures, 
dessins et peintures par Pucelle, Anciau, Macy, Chevrier, 
Jacquemart de Hesdin, Beaunevcu, Paul, Jean et Armand de 
Limbourg, Fouquet, Maitre François, Bourdichon, Enguei- 
randQuarton, le Rosso. le Primatice. Nicolo, Etienne Delaune, 
Jean Clouet, François Clouet, le Maitre de Rieux-Châieau- 
neuf. Corneille de Lyon, Uubreuil, Ambroise Dubois, Jean 



Siipplétnent au n° 4y de la Revue » Les Arts » 



LES ARTS 



D.'court. Fréminet, Pierre Dumoutier le neveu, l'Anonyme 
présumé Flamand, le Maître au monogramme I D C, n» 37, 
p. 17; no 39, p. 19; no 40, p. 18; no42, p. 3o ; n» 45, p. 22; 
no 46, p. 18. 
Hnudon animalier. — Article de M. Paui. Vitry. — Reproduc- 
tion de la Grive, de Houdon, n» 42, p. 40. 

TRIBUNE DES ARTS 

Lks Primitifs français. — Le Retable du Parlement de Paris.— 
L'auteur et les personnages du tableau dénommé le Retable du 
Parlement, N. D. L. R., et articles de M. Amédée Pigeon. — 
Reproduction du tableau de Jean Van Eyck, la Vierge au 
Donateur, no 37, p. 14; no 41, p. 32. — Lettres signées: Un 
Abonné, Louis de Rozen, J. Guibert, P. deMouy, L. Dubreuil, 
M. Jourdain, Claude Duflot, no 39, p. 3i, 32, 33 et 34. — 
Jean Guiffbev, no 41, p. 33. — Gaston Migeon, no 42, p. 41. 

A propos du « Portrait de Femme « de l'Ecole française du 
XV' siècle, au Musée du Louvre, reproduit no 37, p. 33. 

Un Tableau du Louvre. — La Famille de Jean Juvénal des Ursins. 
— Article de M. Jacques Vaili ant. — Reproduction d'un 
tableau de l'Ecole française du xv= siccle. Portrait de Juvé- 
nal des Ursins, baron de Trainel, de sa femme et de ses oni^e 
enfants, n° 46, p. 3i. 



Les Primitifs français et Vermejo. — Saint Michel terrassant le 
Dragon. — ■ Article de M. L. Dimier. — Reproduction du 
Saint Michel terrassant le Dragon et signature du tableau, 
no 47, p. 33. — Saint Michel terrassant le Dragon. — Réponse 
de M. Henri Bouchot. — Reproductions du Saint Michel du 
musée Calvet, à Avignon, et du Saint Michel ou Saint 
Georges du Maître E. S. de 1466, à la Bibliothèque natio- 
nale, no 48, p. 46 et 47. 

La Vierge et l'Enfant (fresque), attribuée à Michel-Ange. — 
Lettre d'uN Correspondant, no 37, p. 33. 

Sur Francesco Laurana. — Lettre signée : George Ferrier. 

— Reproduction d'un Masque de Femme attribué à Francesco 
Laurana, n» 42, p. 41. 

La Danaé de M. Henri Rochejorl. — Lettre de MM. Jean Guif- 
FREvet Pierre Marcel. — Reproductions du dessin de Louis 
de Boulogne, Danaé, et de la grisaille à l'huile sur toile de 
Fr. Boucher, Vénus aux Forges de Vulcain, no46,p.32 et33. 

— Réponse de M. Henri Rochefort, n» 47, p. 33. — Réponse 
de MM. GuiFFREY et Pierre Marcel, no 48, p. 47. 

Chronique des Ventes, n° 40, p. 34. 
■ — no 42, p. 41 . 

— — no 43, p. 32. 

— — no 48, p. 47. 



TABLE DES GRAVURES 



TABLE GEOGRAPHIQUE 



MUSEES 



MUSEE DU LOUVRE 



Jean Van Eyck. — La Vierge au Donateur, n° 37, p. i5. 

Le Baiser de Judas . — La Flagellation. — Le Portement de Croi.v, 

fragment du Parement de Narbonne, grisaille sur soie, 

xiv= siècle, no 37, p. 20. 
Ecole française, xv« siècle. ^- Portraits de Jean Juvénal des 

Ursins, baron de Trainel, de sa femme et de ses on^e enfants 

no 46, p. 3i. 
Le Rosso(xvi= siècle). — Les Muses et les Piérides, no 40, p. 18. 

— Vertumne et Pomone, no 40, p. 19. 
— Déploration du Christ, n° iO, p. 21. 

Le Primatice. — Junon, no 40, p. 21. 

— Minerve, no 40, p. 21. 

— Diane découvrant la grossesse de Calisto, n° 40, p. 22. 

— La Mascarade de Persépolis, n° 40, p. 24. 

— Le Festin d' Alexandre , n" 40, p. 24. 

— Les Cyclopes, no iQ,p. 25. 

— Etude de la figure de saint Paul, pour les émaux de Saint- 

Père de Chartres, no 40, p. ii. 

— Etude de la figure de saint ./7io»;a5, pour les émaux de Saint- 

Père de Chartres, no 40, p. 25. 

— Etude pour la composition du Junon che^ le Sommeil, des- 

sin original, no 40, p. 27. 

— rithon et l'Aurore, n° 40, p. 28. 

— Le Père éternel annonçant la naissance du Sauveur, no 42, 

p. 34. 
NicoLO. — Episode milit.xire, no 42, p. 3o. 

— La Continence de Scipion, n» 42, p. 35. 
Dubreuil. — L'Amour et Psyché, dessin, no 46, p. 18. 

— Hercule sur le bûcher, dessin, no 46, p. 20. 

— Sujet inconnu, no46, p. 23. 

— Episode de l'Histoire de Psyché, no 46, p. 24. 

— Sujet mythologique, n" 46, p. -2 5 . 

Ambroise Dubois. — Victoire, poncif pour la voûte de la Galerie 
de Diane (démolie) à Fontainebleau, no 46, p. 18. 

Louis de Boulogne. — Danaé, dessin, no 46, p. 32. 

Fr. Boucher. — Vénus aux Forges de Vulcain, grisaille à 
l'huile sur toile, no 46, p. 33. 

La Console de l'Hôtel des Invalides, n» 37, p. 34. 



MUSÉE DU LUXEMBOURG 

Ernest Barrias. — Mozart enfant, n° 40, p. 3i . 
Eugène Guillaume. — Les Gracqucs, v\" 41, p. 2. 

— Le Mariage romain, no 41, p. 3. 

— Monseigneur Darbqy, n» 41, p. 5. 

MUSÉE de cluny 

Déposition de Croix (corporalier brodé), manière du Primatice, 
no 40, p. 26. 

MUSÉE DE VERSAILLES 

Corneille de Lyon. — La comtesse d'Entremont, n° 45, p. 28. 
Alexandre Roslin. — François Boucher, premier peintre du Roi, 
no 39, p. I. 

BIBLIOTHÈQUE NATIONALE 

PucELLE, Anciau et Macy. — Le prophète Joël, miniature de la 
Bible de 1327, no 37, p. 20. 

— La Création du Monde, lettre initiale